LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Éric Dupond-Moretti

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

La Cour de Justice de la République : un tribunal bon enfant

Il y a quelques jours, le ministre de la Justice a été relaxé par la Cour de Justice de la République (CJR). Les juges professionnels qui forment la « commission d’instruction » ont considéré que les éléments recueillis contre lui constituaient l’infraction de prise illégale d’intérêt, mais les juges qui l’ont jugé, 3 magistrats et 12 parlementaires (6 députés et 6 sénateurs), en ont décidé autrement : Éric Dupond-Moretti a été relaxé, faute « d’élément intentionnel » : en deux mots, il a bien accompli les actes qui lui étaient reprochés, mais il ne savait pas qu’en agissant de la sorte il commettait des infractions.

C’en est presque vexant pour un homme qui a plus de 30 ans de barreau derrière lui !

Le procureur général, Rémy Heitz, dans son réquisitoire n’a pas fait dans la dentelle. Il a souligné d’entrée que M. Dupond-Moretti se trouvait à l’évidence en situation de conflits d’intérêts et a affirmé avoir la conviction de sa culpabilité. Il a réclamé contre celui-ci une peine « juste et significative » d’un an de prison avec sursis, et pourtant il a préféré ne pas se pourvoir en cassation. « Le ministre dit qu’il faut tourner la page, souligne-t-il, je suis dans le même état d’esprit. » Il faut reconnaître qu’il n’était pas facile pour ce haut magistrat, nommé à son poste il y a quelques mois par décret du président de la République sur proposition de la Première ministre, d’aller plus loin dans l’attaque de son « patron ».

Pour l’avocat de l’association Anticor, à l’origine de la plainte contre le garde des Sceaux, il se trouvait devant « un conflit de réalité juridique et politique qui lui interdisait de former ce pourvoi ».

Ainsi, le prévenu était en situation de conflits d’intérêts et l’avocat général, qui représente la société, était en situation de conflit juridico-politique. Cette justice feutrée devrait servir d’exemple à bien des magistrats, notamment lorsqu’ils jugent à la chaîne des hommes et des femmes en comparution immédiate.

Le délit de prise illégale d'intérêt

Autrefois appelée délit d’ingérence, la prise illégale d’intérêt est aujourd’hui prévue par l’article 432-12 du code pénal. C’est une infraction punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende Continue reading

Projet de loi sur la justice : écoute-moi bien !

Début mai, Éric Dupond-Moretti a présenté au Conseil des ministres un projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour les années 2023 à 2027, lequel est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Ce projet de loi – mais c’est à présent la routine – sera examiné selon la procédure accélérée. La bonne nouvelle, c’est une augmentation budgétaire d’environ 20 % à l’horizon 2027, pour atteindre 10,7 milliards d’euros. Un effort financier qui devrait plutôt porter sur le recrutement. On parle de 1500 magistrats, autant de greffiers, et 7000 personnels administratifs, titulaires ou contractuels, parmi lesquels, une nouvelle fonction, celle d’attaché de justice. Côté prisons, il serait question de créer 15 000 places supplémentaires.

Évidemment, si on compare cette enveloppe aux 15 milliards d’augmentation attribués au ministère de l’Intérieur, c’est un bonbon acidulé.

Je vous ai apporté des bonbons…

Mais en dehors de l’aspect financier dont se rengorge le garde des Sceaux, quels sont les changements à attendre de cette loi au long cours et en quoi cela va-t-il changer nos rapports avec la justice, à nous, simples payeurs ?

Si je me limite au pénal et si vous êtes un citoyen qui attend une aide des magistrats lorsque vous êtes dans le caca, rien du tout ! Sauf une difficulté supplémentaire à saisir un juge d’instruction, donc à obtenir justice. Le seul petit plus, pour les victimes, sera un élargissement du champ des infractions recevables à la commission d’indemnisation.

En revanche, si vous êtes policier, gendarme, ou justiciable, alors, vous êtes concerné de bout en bout, puisqu’il est envisagé de modifier le régime des perquisitions, de réformer le statut de témoin assisté, de limiter la détention provisoire, de faire appel à la téléconsultation pour requérir un médecin ou un interprète durant la garde à vue, et enfin – c’est le bonbon amer -, de la possibilité d’activer à distance tous les appareils connectés : géolocalisation, son et image.

Toutefois, le gros morceau de cette loi, c’est une réécriture du code de procédure pénale (CPP). Et le « zéro papier », un peu l’Arlésienne de la Justice. Si le rendez-vous est tenu, ce sera une révolution, car les procès-verbaux pourraient être transmis en temps réel aux magistrats, voire, dans le cadre de l’instruction, aux avocats. C’est la fin du folklorique P-V de chique, en tout cas un contrôle en temps réel sur la procédure d’enquête. On attend la réaction des syndicats de la police…

C’est trop compliqué

La partie législative du code de procédure pénale serait donc réécrite par voie d’ordonnance, à droit constant. Comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (CSI), créé par une ordonnance de 2011, rédigé par les services du ministère de l’Intérieur, qui se voulait l’outil de travail des enquêteurs et que les mauvaises langues n’ont pas tardé à surnommer la version bêta du CPP.

Tout le monde s’accorde à dire que c’est trop compliqué. Le code de procédure pénale devrait donc être simplifié et amélioré.

La première simplification (?) vise la création d’un nouvel article concernant les perquisitions de nuit, ce sera le 59-1. Un vrai casse-tête.

Empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu

Lors d’une enquête de flagrance pour des atteintes physiques à la personne, le juge des libertés et de la détention pourra, je cite, « autoriser par ordonnance spécialement motivée que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues par l’article 59 (6 h / 21 h) lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

Cet embrouillamini de mots semble vouloir dire que les enquêteurs pourraient s’affranchir des heures légales pour empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu. Ou un truc comme ça !

Mieux (et de mauvaise foi) : pour empêcher un crime ou une agression, ils devront demander au juge des libertés et de la détention la permission de s’introduire dans un domicile. Alors qu’il s’agit de porter secours. Ce qui est déjà prévu dans l’article 59, en cas de « réclamation faite de l’intérieur d’une maison », ou par l’état de nécessité, c’est-à-dire le fait d’accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien. Ce qui permet par exemple aux pompiers de pénétrer dans un lieu privé.

Or, tout ce qui est dit dans ce futur article 59-1, figure déjà dans le code pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées et un certain nombre d’infractions criminelles spécifiques. Il suffirait donc d’y ajouter un alinéa. En fait, lorsque les exceptions deviennent plus nombreuses que le tout-venant, la première des simplifications consiste à inverser les mots. Il suffirait de dire Continue reading

Les réformes dans l’enquête pénale : une porte vers l’inconnue

Le plan d’action issu des États généraux de la Justice prévoit une refonte du code de procédure pénale par voie d’ordonnance, c’est-à-dire en court-circuitant, une fois de plus, les élus du peuple. On peut s’interroger :  sera-t-il le bébé de la Place Beauvau, comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (qui a fait un bide) ou celui de la Place Vendôme ? Gageons en tout cas qu’il sera éloigné du Code actuel, voulu par le général de Gaulle, et basé sur l’idée même de la Résistance : liberté et sécurité ; et non pas le leitmotiv que nous ressassent certains politiques : « la première des libertés, c’est la sécurité ».

Le Conseil national des barreaux comme la Ligue des droits de l’homme s’inquiètent d’une réforme déséquilibrée qui sacrifiera nos droits fondamentaux – ces trucs qui nuisent à une efficacité facile, mais qui font de la France la France. La plus emblématique de ces mesures étant sans conteste la « banalisation » de la perquisition de nuit, notamment dans l’enquête préliminaire.

L'enquête officieuse

Avant 1958, on parlait « d’enquête officieuse ». C’était écrit nulle part dans le code d’instruction criminelle, mais la jurisprudence avait validé cette manière de procéder (Cass. crim. 25 juillet 1890). Elle est aujourd’hui encadrée par les articles 75 à 78 du code de procédure pénale qui a remplacé le code d’instruction criminelle en 1958. Elle se définit par défaut. L’enquête préliminaire – la préli – est l’enquête effectuée par un officier ou un agent de police judiciaire lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies : soit la commission du crime ou du délit est trop éloigné, soit il n’y a ni crime ni délit connu mais la possibilité que cela survienne. Dans ce cas, elle peut être ouverte à l’initiative d’un enquêteur. En fait, aujourd’hui, bien peu s’affranchissent de l’accord du procureur de la République, même si le défaut d’information à ce magistrat est sans effet sur la validité des actes accomplis (Crim. 1er déc. 2004, n° 04-80.536). Dans le Code de 58, l’enquête préliminaire s’accompagnait d’une contrainte : aucun acte coercitif. Toute action contre une personne était subordonnée à son accord. En fait, il existait une petite faille, puisqu’une garde à vue de 24 heures était possible sans autre justificatif que « les nécessités de l’enquête ». Sans avocat, off course !

Une déclaration écrite de la main de l’intéressé 

Mais, au cours de ces dernières années, la préli a été profondément remaniée au point de remettre en cause la non-coercition. Continue reading

Cour d’assises : la fin du jury populaire se fait-elle au détriment des victimes ?

La loi Dupond-Moretti sur « la confiance dans l’institution judiciaire » a été sérieusement détricotée par les sénateurs, mais finalement la commission mixte paritaire a trouvé un accord sur un projet qui devrait être adopté dans les prochains jours.

Sauf amendement de dernière minute, les cocus de ce texte sont les avocats. Le garde des Sceaux voulait inscrire le secret professionnel dans le marbre et les députés l’avaient même sacralisé. Finalement, par un jeu de circonvolutions, la loi qui sort du chapeau le met quasiment ko. Un paragraphe est particulièrement retors, et quasi insultant, puisque le secret professionnel ne pourrait plus être opposé aux enquêteurs, si l’avocat, de bonne foi, a été manipulé par son client.

Mais cette loi sonne aussi le glas de la justice « pour le peuple, par le peuple » : à partir de 2023, les crimes punissables d’une peine pouvant atteindre 20 ans de réclusion seront jugés par une « cour criminelle » composée uniquement de professionnels du droit. Exit le jury populaire. C’est symbolique : on touche là à un héritage postrévolutionnaire, sans aucune justification sérieuse, juste une histoire de gros sous.

Pour avoir été échaudés dans tous les domaines, on sait très bien que les lois expérimentales sont adoptées et que les lois adoptées sont ensuite modifiées pour toujours aller plus loin. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que toutes les affaires criminelles se passent de l’avis du peuple. A l’appui du bien-fondé de ces modifications, on citera les dossiers terroristes jugés par une cour d’assises spéciale, sans jury populaire, comme c’est le cas actuellement pour les attentats du 13-Novembre. Et pourtant, s’il y a des affaires qui concernent le peuple, c’est bien celles-là.

C’était d’ailleurs l’avis des parlementaires lors du vote de la loi antiterroriste de 1986 : le crime terroriste visant d’une manière aveugle tous les citoyens, les personnes mises en cause doivent être jugées par un jury populaire.

Mais Régis Schleicher, ce dur d’Action directe, en a décidé autrement. Le 3 décembre de la même année, lors de son procès pour le meurtre de deux gardiens de la paix, avenue Trudaine, à Paris, il profère des menaces de mort contre les jurés. Certains prennent peur (c’était une époque de forte insécurité terroriste). Cinq d’entre eux vont présenter un certificat médical. Le procès est renvoyé.

Trois mois après la promulgation de la loi antiterroriste, un additif a donc été ajouté : les infractions criminelles en rapport avec le terrorisme seront jugées par une cour d’assises spécialement constituée. Elle ne comprend aucun juré. Elle siège à Paris et elle est composée de magistrats professionnels : le président et six assesseurs. En appel, elle compte deux assesseurs supplémentaires.

En 1992, sans trop que l’on sache pourquoi, la compétence de cette juridiction d’exception a été élargie au trafic de stupéfiants en bande organisée.

Mais en dehors de cet aspect historique, l’apparition de la cour criminelle départementale ne diminue-t-elle pas l’influence de la victime dans le procès criminel ?

En effet, dans notre droit, la victime est partie civile. Continue reading

Le secret professionnel face à la lâcheté de la société

Le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Éric de Moulins-Beaufort, piégé par un journaliste pugnace, a soutenu que « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République ». Tollé général dans les médias et réaction immédiate du cabinet du ministre de l’Intérieur : l’ecclésiastique est convoqué par Gérard Darmanin « afin de s’expliquer sur ses propos ».

À quel titre, cette convocation ? On ne sait pas trop, car si le ministre de l’Intérieur est également ministre des Cultes, c’est essentiellement pour que chacun, en France puisse pratiquer la religion qu’il souhaite, s’il le souhaite. Il n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les gens d’église, d’autant que depuis 1905, les prêtres ne sont plus payés par l’État, mais par les dons de fidèles, via des associations cultuelles.

Pour ne pas être en reste, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, toujours péremptoire, affirme que le secret de la confession n’est pas absolu. Pour lui, un prêtre qui reçoit dans le cadre de la confession des confidences sur des faits de pédocriminalité a « l’impérieuse obligation de mettre un terme à ces faits ». S’il ne le fait pas, il peut être condamné, « cela s’appelle non empêchement de crime ou de délit », a-t-il affirmé.

J’aurais préféré qu’il dise que les prêtres, comme tout un chacun, ont l’impérieuse obligation « morale » de réagir pour sauver un enfant. Car en droit, les choses ne sont pas si tranchées qu’il veut bien l’affirmer : la loi prévoit la dénonciation obligatoire de certains faits – sauf si la loi en dispose autrement.

Une inaction qui porte atteinte à l’action de la justice – Plusieurs articles du code pénal punissent la personne qui n’aurait pas informé les autorités judiciaires ou administratives d’une infraction mentionnée par ces dits articles alors qu’elle en a eu connaissance, d’une manière ou d’une autre.

On va se limiter à l’article 434-3 qui vise les actes (privations, mauvais traitements, agressions sexuelles…) infligés à un mineur ou à un adulte qui n’est pas en mesure de se protéger « en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse ».

La personne qui a connaissance de tels actes a l’obligation de parler, de désigner les « coupables », ou a minima de dénoncer les faits. À défaut, elle encourt une peine qui peut atteindre cinq ans d’emprisonnement.

Les exceptions – Évidemment, il y a des exceptions. L’article 434-3 se termine par cette phrase sibylline Continue reading

Anticor et à cri

Depuis 18 ans, l’association Anticor s’est imposée comme l’acteur principal de la lutte anticorruption. Elle est sur tous les fronts : l’affaire de l’ancien PDG de Radio France Mathieu Gallet, qui vient d’être condamné en appel pour favoritisme, l’enquête sur les Mutuelles de Bretagne, qui a valu à Richard Ferrand une mise en examen et son portefeuille de ministre ; la saisine de la Cour de justice de la République concernant Éric Dupond-Moretti ; l’affaire Alstom, les milliards du Grand Paris, les fraudes aux subventions agricoles en Corse, Sarkozy, Buisson, Benalla… (voir la liste des affaires) ou encore l’enquête sur les manquements du maire de Pourrières, dans le Var,  après le décès de deux jeunes filles lors de l’accident d’une navette scolaire…

Inutile de dire combien cette association empoisonne le panthéon de la politique en s’appliquant à combattre un mal bien implanté en France : la corruption. Un mal qui, selon une étude du parlement européen, coûte 120 milliards d’euros par an aux contribuables que nous sommes, soit l’équivalent du budget de l’Éducation nationale, et qui mine la confiance dans les institutions (3 Français sur 4 estiment la société politique « plutôt » corrompue).

Le fait de profiter de sa fonction pour obtenir un avantage personnel, quel qu’il soit, est un acte de corruption. Ce délit (et son avatar le trafic d’influence) est donc lié au pouvoir. Il ne concerne pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais toutes les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. On parle là de corruption publique, car une loi de 2005 a introduit la corruption privée dans le code pénal (art. 445-1 et 445-2). Cela concerne aussi bien les salariés, que les dirigeants, et même les entreprises en tant que personnes morales.

Mais pour qu’une association puisse ester en justice, il faut qu’elle ait intérêt à agir, et en matière de corruption ou autres délits proches, qu’elle obtienne un agrément ministériel. Tout est dit dans l’article 2-23 du code de procédure pénale qui autorise les associations anticorruption déclarées depuis au moins cinq ans à exercer les droits reconnus aux parties civiles – sous réserve d’être agréées selon les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ce qui se traduit par une décision ministérielle renouvelable tous les trois ans.

Il faut donc l’accord du pouvoir exécutif pour lutter contre la corruption.

« L’action associative devant les juridictions traduit de façon modeste la possibilité d’un autre rapport au pouvoir. Elle a permis à une citoyenneté vigilante d’entrer dans les prétoires », dit Éric Alt. Il sait de quoi il parle puisqu’il assume à la fois son rôle de vice-président de l’association et ses fonctions de magistrat (ce qui lui a valu de faire l’objet d’une enquête interne). Mais les associations sont poil à gratter Continue reading

Éric Dupond-Moretti va-t-il affranchir les procureurs ?

Éric Dupond-Moretti est en omission. Pour un avocat, l’omission est une décision administrative qui entraîne la suppression de son nom au Tableau de l’Ordre. Mais c’est un acte réversible et rien ne l’empêchera de renfiler la robe si la politique lui tourne le dos. À moins qu’il ne remonte sur les planches !

Mais cet homme à facettes est également en omission dans ses premières déclarations de ministre, déclarations qui ne collent pas nécessairement avec ses positions antérieures et qui font craindre qu’il nous déçoive (voir sur Dalloz-Actualité l’article de Pierre Januel sur son audition par les élus).

Il est d’ailleurs un peu agaçant de l’entendre sans cesse répéter que « la justice est au service du justiciable », et jamais un mot pour les victimes. Une déformation professionnelle pour ce grand avocat qui a surtout défendu des accusés. Il faut dire que, malgré des avancées récentes, comme la transposition de la directive européenne de 2012 établissant les droits a minima pour les victimes, le procès pénal ressemble à un ring où s’affrontent l’avocat du suspect et le ministère public. La victime souvent est simple spectateur.

Or, depuis Bonaparte, le procureur qui représente le ministère public dépend hiérarchiquement du pouvoir exécutif.

Parmi les réformes que Dupond-Moretti souhaiterait mettre en œuvre, c’est sans conteste la plus importante : l’indépendance du parquet. Un projet en forme de marronnier (1993, 2008, 2013…) pour se rapprocher du monde idéal de Montesquieu où les élus voteraient les lois au nom du peuple, où le gouvernement en assurerait la mise en œuvre et où la justice en surveillerait la bonne application.

En fait, le plus gros du travail est déjà fait, puisque le projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature a été adopté en 2016. Mais ce projet ne deviendra définitif qu’après avoir été approuvé par référendum ou par le Parlement réuni en congrès. Or le Congrès se réunit sur proposition du président de la République, mais celui-ci a préféré reprendre l’idée dans un nouveau projet de loi constitutionnelle, baptisé « pour un renouveau de la vie démocratique », présenté par le gouvernement précédent le 29 août 2019.

Comme la loi de 2016, ce projet de loi prévoit de modifier l’article 65 de la Constitution afin que les magistrats du parquet soient dorénavant nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (à l’identique des juges), lequel assurera également l’action disciplinaire.

« De la sorte, peut-on lire dans ce texte, tout en maintenant le principe selon lequel les politiques publiques de la justice, dont la politique pénale, relèvent du gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, les membres du parquet verront leur indépendance confortée. »

Il n’est donc pas interdit de penser que, lors d’un tête-à-tête, Emmanuel Macron et Éric Dupond-Moretti aient calé la réalisation de ce projet qui traîne depuis des lustres, le premier comptant sur le talent du second pour le mettre en exergue. Continue reading

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑