Les parlementaires ont entamé un sprint de fin d’année pour modifier les articles du code de procédure pénale concernant la garde à vue. Ils renaudent, nos élus, et ils n’ont pas tort : la France a été mise en demeure, il y a deux ans, par la Commission européenne de modifier certaines procédures de la GAV et nous sommes en cette fin d’année à la limite des sanctions financières. Or, rien n’a été envisagé, aucune étude sérieuse n’a été effectuée, en deux mots, on a laissé filer, alors que la directive européenne, dite « directive C », date de 2013 et qu’elle concerne essentiellement le rôle de l’avocat dans les procédures pénales et les droits de la personne privée de liberté.
Le résultat n’est pas brillant. Alors qu’une directive européenne fixe des objectifs en laissant à chaque État de l’Union le soin de l’adapter au mieux à son droit interne, la France a tergiversé en tentant de faire rentrer le dentifrice dans le tube, avant, en septembre dernier, que Bruxelles ne tape du poing sur la table.
On peut critiquer, se demander « de quoi qu’y se mêle », mais depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, en matière de justice et de police au sein de l’Union, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, les gouvernements des différents pays ont délégué́ leur pouvoir de décision aux élus européens et aux représentants des 27 États membres, lesquels sont tenus d’ailleurs de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’être attaqués devant elle ni même d’avoir modifié́ leur législation.
La garde à vue actuelle
Dans la procédure actuellement appliquée en France, deux points ne correspondent pas aux critères européens :
- Le contact extérieur: le gardé à vue peut informer de sa situation uniquement la personne avec qui il vit habituellement ou l’un de ses parents proches (père, mère, frères et sœurs), ainsi que son employeur (indispensable pour ne pas risquer une rupture du contrat de travail). Il peut le cas échéant communiquer avec ces personnes.
- L’avocat: Si deux heures après avoir été avisé, l’avocat ne s’est pas présenté, la première audition peut commencer en son absence, même si la personne retenue a expressément demandé sa présence (il conserve toutefois le droit de se taire).
Les modifications demandées
La directive de l’U-E demande la modification de ces deux éléments de notre code de procédure pénale pour harmoniser le droit européen selon les critères acceptés par chacun des États membres.
Elle estime qu’une personne privée soudainement de sa liberté doit pouvoir avertir qui elle veut, comme un parent éloigné ou un ami, voire un journaliste. Il est à craindre cependant qu’elle ne prévienne un complice, ce qui aurait pour conséquence de bousculer l’enquête. Un risque limité, semble-t-il !
Mais l’élément qui fâche le plus, c’est l’impossibilité de procéder à la première audition (comme aux suivantes d’ailleurs) en l’absence d’un avocat – sauf si le gardé à vue y a renoncé expressément. Autrement dit, le délai de carence de deux heures est supprimé. Si l’avocat choisi par son client n’est pas sur place dans les deux heures, l’OPJ se tourne vers le bâtonnier pour que celui-ci désigne un avocat commis d’office. Et l’enquêteur devra attendre l’arrivée de ce dernier pour commencer son travail. Inutile de dire que cette mesure va faire grincer des dents chez les policiers et les gendarmes. Quant aux avocats, ils sont aux anges : ils étaient considérés comme un mal nécessaire, ils vont devenir porteurs de la clé qui ouvre la procédure, car de fait, ils seront maîtres du temps – un temps limité à 24 heures pour la première phase de la garde à vue. D’ici qu’on aille les chercher au son du deux tons…
Certains sénateurs ont senti qu’il fallait arrondir les angles, d’abord pour éviter la fronde à venir des syndicats de police et pour tenter d’établir un équilibre entre les droits de la défense imposés par l’Europe et les réalités du terrain. Le projet de loi qu’ils ont adopté en première lecture va dans ce sens. Reste à savoir s’il sera satisfaisant pour les uns et pour les autres, du côté de Bruxelles.
La garde à vue 2024 selon les sénateurs
Le texte voté par les sénateurs modifie l’article 63-2 du code de procédure pénale. Il respecte à la lettre les exigences de la Commission européenne en mentionnant que le gardé à vue peut désigner soit l’une des personnes déjà prévues par la loi, soit « toute autre personne de son choix ».
Mais pour l’avocat, leur position est plus nuancée.
La personne en garde à vue pouvant aviser la personne de son choix, cette dernière à la possibilité, avec son accord, de rechercher l’avocat qui l’assistera. L’OPJ, ou un APJ ou l’assistant d’enquête, informe ce dernier de la nature et de la date de l’infraction sur laquelle porte l’enquête et celui-ci doit se transporter « sans retard indu ». Si l’avocat choisi déclare ne pas être en mesure d’être sur place dans les deux heures, ou s’il n’est pas là, le bâtonnier est en charge de désigner un avocat commis d’office.
En aucun cas, le suspect ne peut être entendu sur les faits sans la présence d’un avocat, choisi ou désigné. Sauf…
Sauf, dit le projet de loi, pour permettre des investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves. Cependant, dans le texte adopté par les sénateurs, ceux-ci ont préféré élargir le champ des possibilités en restant plus vagues, pour « éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale », disent-ils. Mais ils vont plus loin, en créant un article 63-4-2-1, dans lequel il est donné au procureur de la République, à la demande de l’OPJ, et sur décision écrite et motivée, la possibilité de faire procéder immédiatement à l’audition de la personne gardée à vue ou à des confrontations « si cette décision est, au regard des circonstances indispensable soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ». Il en serait de même si la présence de l’avocat est rendue impossible du fait de l’éloignement géographique.
Il n’est pas certain qu’en ces termes, le texte franchisse la barrière de la première QPC qui ne manquera pas d’arriver, tant il s’éloigne de la législation voulue par l’Europe. D’autant qu’en raison de sa dépendance hiérarchique au garde des Sceaux, le procureur n’est pas considéré comme un magistrat à part entière. Et il faut bien reconnaître que dans la pratique, il est rarement neutre dans ses décisions, et même souvent à charge.
Les mesures applicables à la garde à vue seront prises en compte à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de la loi.
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