LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaire Empain

L'affaire Empain par le trou de la serrure, acte IV : Rien ne sera plus comme avant

Après sa libération, le baron Empain pensait être accueilli un peu comme un naufragé que l’on serre fort dans ses bras, à son premier pas sur la terre ferme. Ce fut exactement le contraire. L’amour de sa femme s’était évaporé au fil des révélations sur sa vie privée et, au sein de son entreprise, on était déjà passé à autre chose : après 63 jours de captivité, le baron Édouard-Jean Empain n’existait plus. Après avoir été séquestré, mutilé, martyrisé, comment admettre que son monde a tourné la page !… Plus d’un aurait craqué.

Empain est parti aux États-Unis, sac au dos. Une sorte de voyage initiatique. Une initiation à la vie. L’histoire ne dit pas s’il a fait un crochet par Vegas, mais c’est probable, car, après sa libération, sa réaction primaire a été : on m’a enlevé parce que j’avais du fric, je vais tout claquer.

 

« Au lieu de me parler d’amour, on m’a mis sous le nez ma vie privée »

Six mois plus tard, Édouard-Jean Empain est de retour. Il donne une conférence de presse pour montrer qu’il existe toujours et qu’il compte bien reprendre la présidence de son groupe. Il se veut consensuel, mais le pli de la bouche est amer. Il félicite René Engen, l’homme qu’il a tiré de « sa » verrerie, dix ans plus tôt, pour en faire son directeur général, et qui, durant son absence, a su maintenir le groupe à flot. Mais en même temps, il déclare qu’on a voulu l’écarter, lui, le trublion de l’establishment. Il remercie la police de l’avoir sauvé, « mais ce qu’elle a trouvé dans mes tiroirs, il n’était pas utile d’en faire part à ma famille ».

Pour reprendre le collier, il cherche à dédramatiser, mais à l’évidence, il n’arrive pas à passer l’éponge. Les autres non plus. Les portes se ferment. Ses relations avec René Engen se détériorent. Son refus de payer la rançon est comme un cactus entre les deux hommes, même si Engen se défend, affirmant qu’il lui a probablement sauvé la vie.

Sa vie ! C’est une question qui doit vibrionner dans la tête du baron : une fois la rançon versée, ses ravisseurs l’auraient-ils éliminé ? Ce n’est pas sûr. Il ne représentait pas un danger pour eux dans la mesure où il n’a jamais vu leur visage et, sans le concours (involontaire) d’Alain Caillol et celui de la DST, les policiers n’auraient même pas pu retrouver la villa où il était séquestré.

Il s’en est sorti vivant, mais c’est un homme cassé. Continue reading

L’affaire Empain par le trou de la serrure, acte III : L’agent de la DST piège le ravisseur

Je me demande à quoi pensait le commissaire Pierre Ottavioli, les yeux rivés sur l’ambulance qui emportait son seul témoin, le seul homme capable de déverrouiller cette affaire, et de sauver, peut-être, la vie du baron Empain.

En effet, la fusillade à peine terminée, le chef de la brigade criminelle s’était fait un devoir d’aviser la famille et les proches de l’otage. Une épreuve difficile, car, il faut bien le reconnaître, à ce moment-là, la situation n’est pas brillante : l’un des ravisseurs a été tué et les autres ont réussi à s’enfuir, à l’exception d’un seul, celui qui s’achemine vers l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à grand renfort de sirènes à deux tons. Comment expliquer à des gens qui vous ont fait confiance qu’on est dans le potage ! Je suis en route, je vais sur place, leur a-t-il probablement dit. Surtout, ne pas donner l’impression que l’on baisse les bras. C’est ainsi, malgré l’embouteillage, qu’escorté de deux motards, il est arrivé à temps pour tenter de convaincre le ravisseur survivant de collaborer. Il ne sait encore rien de lui, si ce n’est son nom, Alain Caillol, un type qui n’a le profil ni d’un terroriste ni d’un dur, bien qu’il soit inscrit au fichier spécial de la répression du banditisme (FSRB) depuis 1974, à la demande de la PJ de Montpellier. Un portrait qui lui donne l’espoir de le raisonner et de lui faire dire l’endroit où l’otage est détenu. Mais il n’est pas aisé d’obtenir des confidences dans ces conditions. « J’enrageais de ne pouvoir interroger vraiment cet homme étendu sur une civière alors que, j’en étais sûr, il détenait la clé du problème » (Échec au crime, Grasset,1985). Caillol ne lui a rien dit.

Vu les circonstances, les médecins de l’Hôtel-Dieu se montrent particulièrement efficaces, mais, du fait de ses blessures, les 48 heures de la garde à vue de Caillol n’en sont pas moins sérieusement écornées.

La vie d’Empain est tirée au sort

Pendant ce temps, le reste du gang des ravisseurs a regagné la planque. Ça doit chauffer. Il y a cependant un point sur lequel ils semblent d’accord : il faut mettre les voiles. Le vendredi soir, avant même que les radios annoncent la fusillade, sous sa tente, le baron Empain sent qu’il se passe quelque chose, un remue-ménage, un va-et-vient inhabituel. Puis, on lui retire son téléviseur. Mais ce n’est que le lendemain matin que l’un de ses geôliers lui remet un journal où l’intervention de la police est relatée en détail. Empain se dit « tout est foutu ! » Plus tard, dans l’après-midi, le même homme lui annonce froidement : « Il n’y a plus que deux solutions : on te tue ou on te libère. » Ils vont se réunir pour voter.

On imagine la nuit du baron Empain, enchaîné sous son toit de toile, ballotté entre la crainte et l’espoir.

Et ce n’est que le dimanche, un peu avant midi, qu’il lui est proposé un étrange marché : ils ont voté pour sa libération, à condition qu’il accepte de payer lui-même la rançon. « Oui, oui, je paye ! » Il leur signe trois reconnaissances de dettes pour un montant de 45 millions de francs, avec un règlement étalé dans le temps. Sa signature, obtenue sous la contrainte, n’a aucune valeur légale, il le sait très bien, mais à ce moment-là il est probablement sincère, prêt à payer n’importe quelle somme pour que son calvaire prenne fin.

Je suppose que cet arrangement a été proposé par ceux qui ont voté contre son exécution. C’est-à-dire ceux qui se relayaient auprès de lui et qui, d’une certaine manière, l’admiraient pour sa résistance et son courage. Alain Caillol dira plus tard « c’était un sacré mec ! » En fait, cette rançon à crédit, c’est une bouteille à la mer que lancent les ravisseurs, un moyen de sauver la face.

Pourtant, le 20 mai 1981, ses « créanciers » se rappelleront à lui, alors que trois d’entre eux, à la suite d’une erreur de procédure, ont été relâchés. Un appel à son domicile : « Nous sommes libres, il va falloir tenir vos engagements ou mourir. » Il n’a pas payé : les temps avaient changé. Continue reading

L’affaire Empain par le trou de la serrure, acte II : Flingage sur l’autoroute du soleil

Le PDG d’un groupe industriel qui pèse 22 milliards de francs a vraisemblablement un agenda chargé. Mais le 23 janvier 1978, à 10 h 30, tout s’arrête pour Édouard-Jean Empain. Ce qui était important ne l’est plus, lorsqu’il se retrouve couché au fond de sa propre voiture, une cagoule sur la tête. À ce moment-là, il est persuadé qu’il part pour son dernier voyage. Il en reviendra, mais il ne s’en relèvera pas.

Il est conduit dans une maison en ruines, du moins sous sa cagoule l’imagine-t-il, sans eau, sans électricité. En guise de bienvenue, on lui dit : On va vous couper un doigt. Et en fait, il a tellement cru que sa dernière heure était arrivée, que ces mots pourtant terribles le rassurent. « Tout ce qui n’est pas pire est mieux que le pire », se plaît-il à dire. Il est placé sous une tente, des chaînes aux poignets, aux chevilles et au cou, comme les bagnards, dans les livres de notre jeunesse.

Il va rester là un mois, sans aucune hygiène, avec des repas de misère et l’obligation d’enfiler sa cagoule dès que quelqu’un approche. « Si tu nous vois, t’es mort ! »

Cette cagoule, il la portera jusqu’au dernier moment, lors de sa libération. Ce soir-là, 63 jours plus tard, ses ravisseurs le déposent sur un coin de trottoir. « T’es libre ! » Il n’y croit pas. Pourtant, il entend la voiture s’éloigner. Non sans crainte, il soulève sa cagoule : « Je me dis, on va entendre boum, boum ! Et c’est fini. » Rien. C’est la première chose interdite qu’il ose faire depuis deux mois (Faites entrer l’accusé, 2005).

Mais revenons en arrière…

Un bout de doigt

Dès le lendemain de son kidnapping, un bref coup de fil parvient au siège de l’entreprise : « Les instructions sont dans la consigne 595 de la gare de Lyon. » C’est Jean-Jacques Bierry, l’ami le plus proche d’Empain, qui se rend sur place. Il est accompagné d’un policier, tandis que d’autres surveillent les alentours. Les ravisseurs exigent une rançon extravagante : 80 millions de francs. Leur revendication est accompagnée d’un petit flacon contenant la phalange d’un doigt. Le policier, se fiant à son expérience, se veut rassurant : « Vous savez, ils ont sans doute coupé le doigt d’un cadavre pour vous impressionner. Il n’y a aucune raison que ce soit lui. » Mais il ne convainc pas son interlocuteur : « J’ai vu tout de suite que c’était lui, il se rongeait les ongles », dira-t-il plus tard, en privé.

Pour les enquêteurs de la brigade criminelle, c’est la première fois qu’un otage est mutilé avant même le début des négociations.

Cette rapidité des ravisseurs à se manifester et cette preuve incontestable, coupent l’herbe sous les pieds des farfelus qui tentent de prendre l’affaire à leur compte, comme les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), qui, sinon, auraient pu être crédibles, surtout après l’enlèvement et l’assassinat de Hanns Martin Schleyer, le patron des patrons, l’année précédente, en Allemagne.

Les flics sont dans le vent

Les enquêteurs se trouvent dans cette situation étrange où, malgré la demande de rançon, ils ne parviennent pas à dresser un profil des ravisseurs – et certains d’entre eux, dubitatifs, doutent même de l’authenticité de ce kidnapping hors norme. Continue reading

De Empain à Pétronin : le business des enlèvements

Après 63 jours de séquestration dans des conditions inhumaines, au lendemain de la libération du baron Empain, la presse est dithyrambique sur l’efficacité de la police judiciaire parisienne. C’est le triomphe du commissaire Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, qui a mené cette enquête de main de maître avec le concours de la BRI des commissaires Marcel Leclerc et Robert Broussard.

Tout a été dit sur cette affaire : le 23 janvier 1978, Édouard-Jean Empain, âgé de 40 ans, PDG du groupe industriel Empain-Schneider, quitte son domicile de l’avenue Foch, à Paris, vers 10 h 30. Son chauffeur l’attend pour le conduire à son bureau situé rue d’Anjou. C’est alors qu’une estafette coince la 604 Peugeot. Cinq individus masqués et armés surgissent et les neutralisent tous les deux. L’homme d’affaires est bâillonné, enchaîné et jeté dans la Peugeot qui démarre avec les ravisseurs, abandonnant le chauffeur ligoté dans la fourgonnette.

Le lendemain, Jean-Jacques Bierry, le principal collaborateur du baron, récupère dans la consigne d’une gare la troisième phalange de l’un de ses doigts et un mot d’Empain lui-même, indiquant le montant de la rançon : 80 millions de francs, soit plus de 40 millions d’euros, si du moins j’en crois un convertisseur qui tient compte de l’érosion monétaire.

C’est la première erreur des ravisseurs  Continue reading

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