LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 1 of 20)

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Les parlementaires ont entamé un sprint de fin d’année pour modifier les articles du code de procédure pénale concernant la garde à vue. Ils renaudent, nos élus, et ils n’ont pas tort : la France a été mise en demeure, il y a deux ans, par la Commission européenne de modifier certaines procédures de la GAV et nous sommes en cette fin d’année à la limite des sanctions financières. Or, rien n’a été envisagé, aucune étude sérieuse n’a été effectuée, en deux mots, on a laissé filer, alors que la directive européenne, dite « directive C », date de 2013 et qu’elle concerne essentiellement le rôle de l’avocat dans les procédures pénales et les droits de la personne privée de liberté.

Alice au pays des merveilles, Disney

Le résultat n’est pas brillant. Alors qu’une directive européenne fixe des objectifs en laissant à chaque État de l’Union le soin de l’adapter au mieux à son droit interne, la France a tergiversé en tentant de faire rentrer le dentifrice dans le tube, avant, en septembre dernier, que Bruxelles ne tape du poing sur la table.

On peut critiquer, se demander « de quoi qu’y se mêle », mais depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, en matière de justice et de police au sein de l’Union, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, les gouvernements des différents pays ont délégué́ leur pouvoir de décision aux élus européens et aux représentants des 27 États membres, lesquels sont tenus d’ailleurs de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’être attaqués devant elle ni même d’avoir modifié́ leur législation.

La garde à vue actuelle

Dans la procédure actuellement appliquée en France, deux points ne correspondent pas aux critères européens :

  • Le contact extérieur: le gardé à vue peut informer de sa situation uniquement la personne avec qui il vit habituellement ou l’un de ses parents proches (père, mère, frères et sœurs), ainsi que son employeur (indispensable pour ne pas risquer une rupture du contrat de travail). Il peut le cas échéant communiquer avec ces personnes.
  • L’avocat: Si deux heures après avoir été avisé, l’avocat ne s’est pas présenté, la première audition peut commencer en son absence, même si la personne retenue a expressément demandé sa présence (il conserve toutefois le droit de se taire).
Les modifications demandées

La directive de l’U-E demande la modification de ces deux éléments de notre code de procédure pénale pour harmoniser le droit européen selon les critères acceptés par chacun des États membres. Continue reading

La Cour de Justice de la République : un tribunal bon enfant

Il y a quelques jours, le ministre de la Justice a été relaxé par la Cour de Justice de la République (CJR). Les juges professionnels qui forment la « commission d’instruction » ont considéré que les éléments recueillis contre lui constituaient l’infraction de prise illégale d’intérêt, mais les juges qui l’ont jugé, 3 magistrats et 12 parlementaires (6 députés et 6 sénateurs), en ont décidé autrement : Éric Dupond-Moretti a été relaxé, faute « d’élément intentionnel » : en deux mots, il a bien accompli les actes qui lui étaient reprochés, mais il ne savait pas qu’en agissant de la sorte il commettait des infractions.

C’en est presque vexant pour un homme qui a plus de 30 ans de barreau derrière lui !

Le procureur général, Rémy Heitz, dans son réquisitoire n’a pas fait dans la dentelle. Il a souligné d’entrée que M. Dupond-Moretti se trouvait à l’évidence en situation de conflits d’intérêts et a affirmé avoir la conviction de sa culpabilité. Il a réclamé contre celui-ci une peine « juste et significative » d’un an de prison avec sursis, et pourtant il a préféré ne pas se pourvoir en cassation. « Le ministre dit qu’il faut tourner la page, souligne-t-il, je suis dans le même état d’esprit. » Il faut reconnaître qu’il n’était pas facile pour ce haut magistrat, nommé à son poste il y a quelques mois par décret du président de la République sur proposition de la Première ministre, d’aller plus loin dans l’attaque de son « patron ».

Pour l’avocat de l’association Anticor, à l’origine de la plainte contre le garde des Sceaux, il se trouvait devant « un conflit de réalité juridique et politique qui lui interdisait de former ce pourvoi ».

Ainsi, le prévenu était en situation de conflits d’intérêts et l’avocat général, qui représente la société, était en situation de conflit juridico-politique. Cette justice feutrée devrait servir d’exemple à bien des magistrats, notamment lorsqu’ils jugent à la chaîne des hommes et des femmes en comparution immédiate.

Le délit de prise illégale d'intérêt

Autrefois appelée délit d’ingérence, la prise illégale d’intérêt est aujourd’hui prévue par l’article 432-12 du code pénal. C’est une infraction punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende Continue reading

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

La DGSI met les journalistes en « joug »

Plusieurs affaires récentes montrent que les journalistes font l’objet de toute l’attention des services de renseignement, au point de se demander s’il n’y a pas un service « presse » à la DGSI… Ce n’est pas la journaliste Ariane Lavrilleux qui dira le contraire. En fait, ce qui intéresse avant tout nos agents secrets, ce ne sont pas les journalistes, mais ceux qui les renseignent : leurs sources. Deux secrets sont en balance, et, in fine, la justice devra trancher entre le secret des sources des journalistes, protégé par une loi un peu floue de 2010 et encadré par la loi historique de 1881, et le secret de la défense nationale, protégé par une multitude de textes que la DGSI est en charge de faire respecter. Un échelon en dessous dans la hiérarchie pénale, les journalistes doivent naviguer entre le secret de l’enquête judiciaire et de l’instruction, un principe fondateur de la procédure pénale, ou encore la loi de 2018 relative à la protection du secret des affaires, dite « loi bâillon ».

Capture d’écran DGSI

Si Ariane Lavrilleux risque une mise en examen pour compromission d’un secret de la défense nationale, dans le même temps, après une série d’articles sur la mort d’un jeune Roubaisien tué par un policier, trois journalistes de Libération sont suspectés de recel de violation du secret de l’instruction.

Le secret de l’instruction fonctionne sur un mode bipartite. Il ne concerne que ceux qui concourent directement à la procédure : magistrats, enquêteurs et personnels judiciaires, permanents ou occasionnels. Il ne concerne ni les justiciables ni les victimes ni les témoins ni les avocats (néanmoins tenus au secret professionnel) ou les journalistes. Le biais judiciaire consiste donc à retenir le recel de violation du secret de l’instruction.

Autrefois, le recel était uniquement matériel : tu détiens un objet volé, tu en es le receleur, de bonne ou de mauvaise foi, selon les cas. Puis, ces dernières décennies, le recel s’est désincarné : on est entré dans le domaine du droit pénal abstrait et interprétatif.  Un régal pour les procureurs, puisque ces magistrats-fonctionnaires sont les premiers à qualifier une infraction. Il suffit, par exemple, d’adjoindre « bande organisée » à un vol pour donner aux enquêteurs des moyens d’investigations hors normes.

L’écoterrorisme, dont on nous rebat les oreilles, est l’exemple parfait de cette manipulation juridique. Dans un article de Mediapart du 29 septembre 2023, intitulé « Sur fond d’espionnite, les incroyables dérives de l’enquête contre la mouvance écologique », les journalistes Karl Laske et Jade Lindgaard, nous narrent les mésaventures d’un photojournaliste proche du mouvement « antibassines », qui a fait l’objet de surveillances de la SDAT (sous-direction antiterroriste), durant six mois, avec des moyens humains et financiers considérables, et des moyens high-tech autorisés en droit par le législateur pour faire face au terrorisme armé, notamment l’utilisation du pack « Centaure » – rien à voir avec le cheval à tête humaine, il s’agit d’une solution clés en main proposée par l’entreprise Chapsvision (voir encadré). Une affaire florissante puisque Chapsvision vient d’effectuer une levée de fonds de 90 millions d’euros !

Quant au secret de la défense nationale Continue reading

Faut-il abolir la police ?

Abolir la police, c’est la question qui s’est posée aux États-Unis, à Minneapolis, après la mort de George Floyd, lors de son arrestation. Bien sûr, c’était de la provoc, mais derrière les mots il existait une véritable question de fond : la police est-elle adaptée à notre société ? C’est une interrogation digne d’un pays où, fi de l’esprit de corps, des gradés de la police sont capables de mettre le genou à terre pour montrer leur considération à une famille et à une communauté.

Musée de la police, Paris

En France, nous n’en sommes pas là, mais après la mort du jeune Nahel, devant ce grondement d’indignation qui a secoué la France entière, nos dirigeants se sont laissé aller à une certaine empathie : minute de silence à l’Assemblée nationale, agacement de Darmanin après les déclarations d’une poignée de syndicalistes radicalisés ; même le président Macron s’est fendu d’un discours, mentionnant un acte « inexplicable et inexcusable ». C’était une première ! Toutefois, bien vite, les choses sont revenues « à la normale ». Ainsi aucune autorité politique, administrative ou judiciaire n’a tiqué devant une cagnotte impudique mise en place non pas pour soutenir la famille de la victime, comme on aurait pu s’y attendre, mais pour soutenir la famille du policier qui a fait usage de son arme et qui est mis en examen pour une infraction criminelle. Stricto sensu, on peut d’ailleurs se demander si la loi sur la saisie conservatoire ne peut s’appliquer.  Le code de procédure pénale prévoit en effet que les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect d’une infraction peuvent être saisis, dans l’éventualité d’une condamnation à la peine complémentaire de confiscation (art. 131-21), que leur possession soit licite ou illicite. Une saisie qui a pour seul effet de rendre la chose indisponible le temps d’une décision de justice.

     Sur un continent, c’est la repentance, sur l’autre, l’arrogance.

À Minneapolis, l’enquête a conclu que les policiers avaient agi dans un contexte de discriminations raciales généralisées au sein de la police et a abouti à la nécessité d’une refonte de l’institution. Un consensus a été trouvé entre la ville et les organismes représentatifs des « droits humains » pour mettre en place une réforme en profondeur de l’action des services de police. Il ne serait plus possible, par exemple, d’arrêter un véhicule sous prétexte que le conducteur a commis des infractions mineures, ou d’utiliser la force, sauf cas d’absolue nécessité et de manière proportionnelle à la menace perçue. Comme c’était le cas en France, il n’y a pas si longtemps, avant les Hollande, Valls, Cazeneuve et tutti quanti, les représentants d’une gauche déliquescente.

Au Canada, il y a quelques années, sous l’impulsion d’un ancien gendarme de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Wiel Prosper, est né un mouvement pour « définancer la police », c’est-à-dire réduire le budget qui lui est attribué pour le consacrer à des institutions de justice non punitive. Entre deux personnes qui ont commis une infraction, dit Prosper, entre celle qui a été prise en charge et réinsérée et celle qui a été en prison, « laquelle aimerais-tu avoir comme voisin ? » Ce mouvement a repris de l’ampleur après la mort de George Floyd au sein d’une population qui se dit racisée par les forces de l’ordre. L’idée semble ne pas avoir été rejetée par la « mairesse » de Montréal, tandis que Toronto a refusé un projet visant à une diminution de 10 % du budget de sa police. En revanche, aux États-Unis, les villes de Los Angeles et de New York ont récemment approuvé des réductions budgétaires pour leurs forces de l’ordre. Continue reading

Projet de loi sur la justice : écoute-moi bien !

Début mai, Éric Dupond-Moretti a présenté au Conseil des ministres un projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour les années 2023 à 2027, lequel est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Ce projet de loi – mais c’est à présent la routine – sera examiné selon la procédure accélérée. La bonne nouvelle, c’est une augmentation budgétaire d’environ 20 % à l’horizon 2027, pour atteindre 10,7 milliards d’euros. Un effort financier qui devrait plutôt porter sur le recrutement. On parle de 1500 magistrats, autant de greffiers, et 7000 personnels administratifs, titulaires ou contractuels, parmi lesquels, une nouvelle fonction, celle d’attaché de justice. Côté prisons, il serait question de créer 15 000 places supplémentaires.

Évidemment, si on compare cette enveloppe aux 15 milliards d’augmentation attribués au ministère de l’Intérieur, c’est un bonbon acidulé.

Je vous ai apporté des bonbons…

Mais en dehors de l’aspect financier dont se rengorge le garde des Sceaux, quels sont les changements à attendre de cette loi au long cours et en quoi cela va-t-il changer nos rapports avec la justice, à nous, simples payeurs ?

Si je me limite au pénal et si vous êtes un citoyen qui attend une aide des magistrats lorsque vous êtes dans le caca, rien du tout ! Sauf une difficulté supplémentaire à saisir un juge d’instruction, donc à obtenir justice. Le seul petit plus, pour les victimes, sera un élargissement du champ des infractions recevables à la commission d’indemnisation.

En revanche, si vous êtes policier, gendarme, ou justiciable, alors, vous êtes concerné de bout en bout, puisqu’il est envisagé de modifier le régime des perquisitions, de réformer le statut de témoin assisté, de limiter la détention provisoire, de faire appel à la téléconsultation pour requérir un médecin ou un interprète durant la garde à vue, et enfin – c’est le bonbon amer -, de la possibilité d’activer à distance tous les appareils connectés : géolocalisation, son et image.

Toutefois, le gros morceau de cette loi, c’est une réécriture du code de procédure pénale (CPP). Et le « zéro papier », un peu l’Arlésienne de la Justice. Si le rendez-vous est tenu, ce sera une révolution, car les procès-verbaux pourraient être transmis en temps réel aux magistrats, voire, dans le cadre de l’instruction, aux avocats. C’est la fin du folklorique P-V de chique, en tout cas un contrôle en temps réel sur la procédure d’enquête. On attend la réaction des syndicats de la police…

C’est trop compliqué

La partie législative du code de procédure pénale serait donc réécrite par voie d’ordonnance, à droit constant. Comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (CSI), créé par une ordonnance de 2011, rédigé par les services du ministère de l’Intérieur, qui se voulait l’outil de travail des enquêteurs et que les mauvaises langues n’ont pas tardé à surnommer la version bêta du CPP.

Tout le monde s’accorde à dire que c’est trop compliqué. Le code de procédure pénale devrait donc être simplifié et amélioré.

La première simplification (?) vise la création d’un nouvel article concernant les perquisitions de nuit, ce sera le 59-1. Un vrai casse-tête.

Empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu

Lors d’une enquête de flagrance pour des atteintes physiques à la personne, le juge des libertés et de la détention pourra, je cite, « autoriser par ordonnance spécialement motivée que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues par l’article 59 (6 h / 21 h) lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

Cet embrouillamini de mots semble vouloir dire que les enquêteurs pourraient s’affranchir des heures légales pour empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu. Ou un truc comme ça !

Mieux (et de mauvaise foi) : pour empêcher un crime ou une agression, ils devront demander au juge des libertés et de la détention la permission de s’introduire dans un domicile. Alors qu’il s’agit de porter secours. Ce qui est déjà prévu dans l’article 59, en cas de « réclamation faite de l’intérieur d’une maison », ou par l’état de nécessité, c’est-à-dire le fait d’accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien. Ce qui permet par exemple aux pompiers de pénétrer dans un lieu privé.

Or, tout ce qui est dit dans ce futur article 59-1, figure déjà dans le code pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées et un certain nombre d’infractions criminelles spécifiques. Il suffirait donc d’y ajouter un alinéa. En fait, lorsque les exceptions deviennent plus nombreuses que le tout-venant, la première des simplifications consiste à inverser les mots. Il suffirait de dire Continue reading

Manifestations : garde à vue et droit d’arrestation

Lors des manifestations contre la réforme de la retraite, de nombreuses personnes ont été placées en garde à vue, pour être finalement libérées sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles. S’agit-il d’un détournement de la loi, de gardes à vue abusives, comme l’ont clamé certains médias ? Pour la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, cela ne fait aucun doute. Elle dénonce à la fois des gardes à vue « dépourvues de base légale » et s’inquiète de la « banalisation » des arrestations à titre préventif. Dans un rapport adressé notamment au ministre de l’Intérieur, elle tire le signal d’alarme en mettant en exergue de « graves atteintes aux droits fondamentaux ». Dans le même temps, de nombreuses plaintes ont été déposées par des avocats, estimant que leur client avait fait l’objet d’une mesure arbitraire de privation de liberté et d’entrave à la liberté de manifester.

Serpent de mer de Saint-Brevin-les-Pins

Alors, s’il est évident que la répression pénale préventive du maintien de l’ordre est un détournement de la loi et de l’esprit des lois, peut-on pour autant affirmer que les gardes à vue en cul-de-sac sont illégales ?

Ce n’est pas évident, car la question n’est pas de savoir si la garde à vue est justifiée, mais si l’arrestation qui conduit à la garde à vue répond aux critères du Code, étant entendu que le droit d’arrestation n’existe pas, sauf en cas de flagrant délit. C’est l’article 73 du code de procédure pénale qui en fixe les règles : toute personne, policier, gendarme ou simple citoyen, peut interpeller un individu en train de commettre un crime ou un délit (punissable d’une peine d’emprisonnement) afin de le remettre entre les mains d’un OPJ. Il appartient ensuite à celui-ci de décider s’il le place en garde à vue. À défaut, il est tenu d’informer la personne interpellée « qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ».

Sur le terrain, toutefois, pour sécuriser l’action des policiers et des gendarmes, les règles se sont assouplies au point d’admettre le « délit d’apparence ». Si les circonstances de lieux, d’heures ou autres laissent à penser qu’une personne est susceptible de commettre ou d’avoir commis un crime ou un délit, son arrestation est justifiée. Il appartient ensuite à l’OPJ de confirmer ou non cette première impression, et ultérieurement à l’enquête judiciaire de vérifier les faits et de mettre à jour les éléments de l’infraction.

Cependant, il faut le reconnaître, les arrestations effectuées dans le cadre d’une manifestation sont un peu hors sol. Le plus fréquemment, il n’y a ni procès-verbal ni rapport, au mieux une simple fiche d’interpellation, rédigée à la va-vite, parfois préremplie, à partir de laquelle l’OPJ est tenu de se forger une opinion. Alors, bien souvent, deux voies s’ouvrent à lui : satisfaire sa hiérarchie administrative et judiciaire ou assumer sa responsabilité d’officier de police judiciaire – car, en théorie, la garde à vue de première intention, Continue reading

Copernic : un procès hors du temps

Ce lundi 3 avril s’ouvre le procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Une synagogue dont l’inauguration, en 1907, est considérée comme un acte fondateur du courant libéral du judaïsme français, dans lequel notamment les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité. La question se pose de savoir si l’accusé, Hassan Diab, sera jugé pour un crime terroriste, infraction qui n’existait pas à l’époque des faits.

La fiche d’hôtel, cote D871 de la procédure, le noeud de l’affaire

C’était le 3 octobre 1980. En fin d’après-midi, une moto stationnée à quelques mètres de la porte d’entrée de l’édifice religieux explose, faisant 4 morts et 46 blessés, dont le gardien de la paix en faction sur le trottoir. C’est le premier attentat antisémite commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce début des années quatre-vingt, le pouvoir doit faire face aux violences urbaines, qui bientôt embraseront les banlieues ; et au terrorisme intérieur, notamment d’Action directe, dont une frange vient d’être neutralisée par les RG. En fait, personne n’est préparé au terrorisme extérieur, antisémite ou non. Il faudra attendre 1982 pour que la DST crée une section antiterroriste. Aussi, à moins d’un an des élections présidentielles, alors que Le Pen grimpe dans les sondages, l’auteur désigné est forcément néonazi. La police judiciaire perd un temps fou à suivre de multiples pistes auxquelles elle ne croit pas. Bizarrement, alors que la majorité présidentielle s’est inversée, on retrouvera la même réaction politique deux ans plus tard, lors de l’attentat de la rue des Rosiers.

Or, loin des charivaris du pouvoir, pour les enquêteurs, les deux attentats antisémites ont la même origine : un groupe dissident de l’OLP de Yasser Arafat, un noyau dur dont le chef de guerre est Abou Nidal.

Invité à réagir à chaud à l’attentat de la rue Copernic, sous les caméras de TF1, le Premier ministre, Raymond Barre, lâchera cette phrase désastreuse qui lui collera à la culotte : « Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic […] mérite d’être sévèrement sanctionné. » Sans doute voulait-il dire que les quatre personnes décédées se trouvaient à l’extérieur du bâtiment… Mais le mal était fait. Il tentera de se récupérer quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, dans un discours plus académique, s’interrogeant sur l’équilibre à garder entre libertés individuelles et sécurité, pour conclure d’une phrase qui aujourd’hui sonne à nos oreilles – basses : « Pour le prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire. »

Il n’y a rien pour démarrer l’enquête – sauf la moto. Elle a été achetée chez un commerçant de l’avenue de la Grande Armée, quelques jours avant l’attentat, par un homme caché derrière une fausse identité chypriote. Il l’a payée en liquide. S’ensuit un travail de fourmi pour étudier les « fiches individuelles de police » qu’à l’époque les hôteliers avaient obligation de faire remplir à leurs clients. En fait, elles avaient été supprimées quelques années plus tôt à la demande du président Giscard d’Estaing, dont l’un des amis s’était plaint d’avoir eu à montrer sa carte d’identité lors d’un cinq à sept extraconjugal. Heureusement, cette obligation était restée en vigueur pour les étrangers. Le suspect est un individu qui se fait appeler Alexander Panadriyu. Il est descendu dans un hôtel de la rue Balzac, le 22 septembre 1980.

Les divers témoignages permettent d’établir un portrait-robot de l’individu. Et l’enquête s’arrête sur ce dessin et ce pseudonyme. Il faudra attendre 1999 Continue reading

Les réformes dans l’enquête pénale : une porte vers l’inconnue

Le plan d’action issu des États généraux de la Justice prévoit une refonte du code de procédure pénale par voie d’ordonnance, c’est-à-dire en court-circuitant, une fois de plus, les élus du peuple. On peut s’interroger :  sera-t-il le bébé de la Place Beauvau, comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (qui a fait un bide) ou celui de la Place Vendôme ? Gageons en tout cas qu’il sera éloigné du Code actuel, voulu par le général de Gaulle, et basé sur l’idée même de la Résistance : liberté et sécurité ; et non pas le leitmotiv que nous ressassent certains politiques : « la première des libertés, c’est la sécurité ».

Le Conseil national des barreaux comme la Ligue des droits de l’homme s’inquiètent d’une réforme déséquilibrée qui sacrifiera nos droits fondamentaux – ces trucs qui nuisent à une efficacité facile, mais qui font de la France la France. La plus emblématique de ces mesures étant sans conteste la « banalisation » de la perquisition de nuit, notamment dans l’enquête préliminaire.

L'enquête officieuse

Avant 1958, on parlait « d’enquête officieuse ». C’était écrit nulle part dans le code d’instruction criminelle, mais la jurisprudence avait validé cette manière de procéder (Cass. crim. 25 juillet 1890). Elle est aujourd’hui encadrée par les articles 75 à 78 du code de procédure pénale qui a remplacé le code d’instruction criminelle en 1958. Elle se définit par défaut. L’enquête préliminaire – la préli – est l’enquête effectuée par un officier ou un agent de police judiciaire lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies : soit la commission du crime ou du délit est trop éloigné, soit il n’y a ni crime ni délit connu mais la possibilité que cela survienne. Dans ce cas, elle peut être ouverte à l’initiative d’un enquêteur. En fait, aujourd’hui, bien peu s’affranchissent de l’accord du procureur de la République, même si le défaut d’information à ce magistrat est sans effet sur la validité des actes accomplis (Crim. 1er déc. 2004, n° 04-80.536). Dans le Code de 58, l’enquête préliminaire s’accompagnait d’une contrainte : aucun acte coercitif. Toute action contre une personne était subordonnée à son accord. En fait, il existait une petite faille, puisqu’une garde à vue de 24 heures était possible sans autre justificatif que « les nécessités de l’enquête ». Sans avocat, off course !

Une déclaration écrite de la main de l’intéressé 

Mais, au cours de ces dernières années, la préli a été profondément remaniée au point de remettre en cause la non-coercition. Continue reading

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