LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : La petite histoire de la PJ (Page 1 of 6)

Enquêtes criminelles depuis le début du XX° siècle, replacées dans leur contexte social, politique et… policier.

La fin de la PJ de papa

C’est quasi certain, la police judiciaire telle qu’on la connaît va disparaître. En province, ses services devraient se noyer dans des directions départementales de la police nationale (DDPN) qui regrouperont la sécurité publique (SP), la police aux frontières (PAF) et la police judiciaire (PJ). Tandis que les quatre départements autour de Paris et sa petite couronne pourraient se voir rattachés au préfet de police – ce qui meublerait la célèbre casquette de Didier Lallement.

Exit la mythique 1re brigade mobile devenue au fil du temps la direction régionale de police judiciaire de Versailles.

Le Tigre Clemenceau est en deuil !

Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter, à plus d’un siècle de distance, le fossé qui sépare l’approche politique pour lutter contre l’insécurité. C’est un marqueur de l’évolution de notre société. Reste à savoir s’il s’agit d’une évolution positive…

La PJ de papa – En 1907, notamment pour lutter contre une criminalité de plus en plus itinérante, Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur, mais également président du Conseil des ministres, décide d’offrir au pays une police mobile et autonome, dotée de moyens modernes et même de véhicules à moteur, comme la célèbre De Dion-Bouton. Ce qui leur vaudra le nom de « brigades mobiles ». Ces policiers, qui vont défricher un terrain vierge, sont tous partants pour renoncer au train-train du quotidien.

Déchargés des tâches administratives, les « mobilards » vont se lancer dans l’aventure un peu comme des commandos, mais dans les limites du droit, car chapeautés par les magistrats de l’ordre judiciaire. Georges Clemenceau est d’ailleurs intraitable sur ce point. Je ne peux m’empêcher de citer un extrait du courrier qu’il adresse aux préfets : « Les commissaires divisionnaires, les commissaires et les inspecteurs de police mobile ont pour mission exclusive (j’en ai pris l’engagement formel devant les Chambres lorsque je leur ai demandé les crédits nécessaires) de seconder l’autorité judiciaire dans la répression des crimes et des délits de droit commun. Ils ne doivent donc jamais, qu’ils soient au siège de leur brigade ou en route dans l’étendue de leur circonscription, être détrônés par M.M. les Préfets et Sous-Préfets de leurs attributions nettement définies, qui consistent d’une part, dans une collaboration immédiate avec les parquets pour l’exercice de la police répressive, et, d’autre part, dans la recherche et la constatation spontanées des flagrants délits (…). Continue reading

Le « beau mec » vous salue bien !

Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.

Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.

Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.

Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !

C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture. Continue reading

Confidences de flics à l’ancienne ou l’histoire du 127

Ces derniers temps, le journaliste Frédéric Ploquin a amicalement infiltré les réunions (arrosées) d’anciens de la PJ pour mieux recueillir les souvenirs, les confidences, voire les aveux, de ceux qui ont mené la vie dure aux beaux mecs du siècle dernier. Ces offices spécialisés de la police judiciaire (banditisme, stupéfiants, proxénétisme…), rattachés à la sûreté nationale, avant que la police ne devienne « nationale », étaient installés au 127 rue du Faubourg-Saint Honoré, à deux pas de la Place Beauvau. Des locaux qui abritaient une banque, réquisitionnés par l’État à la Libération. À la différence de leurs collègues du 36 quai des Orfèvres, les policiers de ces services disposaient d’une grande autonomie et fonctionnaient un peu comme des commandos, efficaces, mais peu soucieux de mordre la ligne. C’était avant que la police ne se militarise, avant que tout le monde ne soit coulé dans un même moule.

Frédéric Ploquin en a tiré un livre, C’était la PJ, aux éditions Fayard, sorti ces jours-ci.


Claude Bardon, l’un des derniers « survivants » de l’époque de l’après-guerre d’Algérie a quitté les paras pour la police. À la création de la BCDRC, que personne n’appelait le bureau central de documentation et de recherche criminelle (trop administratif), et qui plus tard deviendra l’Office du banditisme (OCRB), il pénètre le milieu parisien en se glissant dans la peau d’un « bordelier » qui « place des gonzesses ». Rapidement, les tuyaux affluent.

 « L’adrénaline nous motivait, se souvient-il. Je n’avais rien d’un justicier ni d’un donneur de leçons, j’y allais pour le fun. » Et en fait, en deux mots, tout est résumé : ces flics à l’ancienne bossaient pour leur plaisir. Comme m’avait dit un jour un directeur : « Vous devriez payer pour faire ce métier-là ! »

Une drôle d’époque où, dans un commissariat, un soir de raout, on pouvait décider de brûler toutes les commissions rogatoires en retard ou de mettre discrètement le feu à un bidonville…

De quoi faire rêver certains policiers en activité ! Je parle du raout, évidemment.

Et les résultats sont au rendez-vous, pratiquement cent pour cent de réussites. « On était des prédateurs, des voyous, se souvient Bardon. On ramenait de la « viande » en permanence. Les cages étaient toujours pleines. On faisait peur, au point que certains gars se décomposaient en demandant ce qu’on voulait savoir. On était heureux quand on faisait une belle affaire. On était simples et frustes. »

Quoi, un avocat ! Continue reading

Vétéran de la PJ, Borniche a 100 ans

Roger Borniche ne voulait pas être flic, mais prestidigitateur, ou comédien, ou chanteur. Tout jeune, avec une bande de copains, il court les cachetons, et se produit dans des cabarets de seconde zone ou les boîtes de nuit plus cossus du quartier de Pigalle. Dans sa bande, certains deviendront célèbres : Georgius, Roger Nicolas, Paul Meurisse… Lui, sa vie l’a entraîné dans une autre direction, mais son aventure n’en est pas moins romanesque.

Michèle et Roger Borniche, février 2019 (DR)

Après la guerre éclair, il est démobilisé et, plus pour échapper au STO que par vocation, il passe un concours pour entrer dans la police. L’inspecteur stagiaire Borniche est nommé à la PJ d’Orléans, une ville qu’il ne connaît pas et qui croule sous les bombardements alliés. Son chef de service le reçoit et l’affecte à une brigade spéciale dont la principale mission est de traquer, en étroite collaboration avec la police allemande, les « ennemis intérieurs », essentiellement les FTP, créés par le Parti communiste français clandestin. Pour ces Français engagés qui ne supportent pas le joug allemand, lorsqu’ils sont arrêtés, au mieux, c’est la prison. La législation de l’époque prévoit en effet l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Un truc qui sonne bizarrement aujourd’hui.

Mais Roger Borniche ne peut pas. Il « s’évade » de la police. Il a 23 ans et pas un sou en poche. Continue reading

La BRI de Nice a 40 ans

Quelques-uns ne sont plus là, les autres ont des cheveux blancs, mais il y a 40 ans, ils étaient pleins de fougue ces flics venus des quatre coins de France pour mettre sur pied la brigade antigang de Nice. Et pourtant, ils ont été accueillis à reculons : le poil à gratter dans un système qui ronronnait.

Le 28 septembre 1978, un arrêté publié au J.O. porte « création d’une antenne de l’office central pour la répression du banditisme à Nice ». La BRI « Nice-Côte d’Azur » (appellation non contrôlée) est née d’un entretien plutôt caustique dans le cabinet du ministre de l’Intérieur. Après une série de règlements de comptes, le casse de la Société Générale, en 1976 ; et la disparition, l’année suivante, d’Agnès Le Roux la fille de la patronne du casino du Palais de la Méditerranée, Christian Bonnet interpelle Maurice Bouvier : « Le Président s’inquiète de la situation à Nice… Que comptez-vous faire, M. le directeur central ? ». Pris de court, Bouvier mastique sa pipe avant de rétorquer : « Justement, j’envisageais de créer une brigade antigang. » Ne jamais rester sec, c’est l’essence d’un patron !

Une partie de l’équipe de la BRI de Nice (1979)

Il faut avouer que Giscard d’Estaing n’avait pas tort de s’inquiéter : en matière de grand banditisme, les années 1970 étaient particulièrement chaudes, et pas uniquement dans le sud-est de la France…

Après le démantèlement de la French Connection, le Milieu se cherche de nouveaux chefs. Pour mieux se faire entendre, les Zampa, Imbert, Vanverberghe et autres, utilisent des arguments de plomb. La PJ, comme au stand de tir, se contente de monter aux résultats. Et tandis qu’à Paris, les frères Zemour fêtent la faillite annoncée du gang des Siciliens, après la mort brutale de Jean-Claude Vella, dit Petites-pattes, et de Marcel Gauthier, révolvérisé à Nice ; qu’à Lyon la police panse ses plaies après une affaire de corruption où se mêlent banditisme et politique, et que la justice se perd en conjectures sur les raisons de l’assassinat du juge François Renaud, des réseaux mafieux s’implantent sur la Côte d’Azur et font de Nice la plaque tournante du blanchiment de l’argent du crime. Le fric attire les voyous comme un tue-mouches. Continue reading

L’attentat de la rue des Rosiers vu avec nos yeux d’aujourd’hui

Il y a quelques jours, l’attentat de la rue des Rosiers est revenu dans l’actualité après que le juge Trévidic ait lancé des mandats d’arrêt internationaux contre trois suspects. Une annonce qui tombe à pic dans le contexte actuel, au point que cela fait un peu coup de com’. Mais ne boudons pas : la justice et les enquêteurs se sont montrés à la hauteur.

Pourtant, devant ce rappel d’un événement vieux de 33 ans, il m’a paru intéressant d’opérer un petit retour en arrière. Voici ce que j’écrivais, en 2007 dans La petite histoire de la PJ, sur l’année 1982 :

rue marbeuf

Cliquer sur l’image pour voir la vidéo de l’Ina

« La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris [devant les bureaux d’un hebdomadaire libyen] : un mort et soixante-trois blessés. Continue reading

La guéguerre de 100 ans de la PJ

La PJ se vend bien. L’exposition consacrée aux « 100 ans de la police judiciaire de Paris », sponsorisée par de grandes entreprises et mise en scène par deux agences de communication, montre bien qu’elle entretient une image à part au sein de la police nationale. On verra après la fermeture, le 8 décembre 2013, si le public a accroché, malgré un prix d’entrée qui semble un rien prohibitif en cette affiche-exposition-100-ans-pj-parispériode de disette. La popularité des enquêteurs de PJ tient sans doute plus aux livres et aux films qui les ont glorifiés qu’à la réalité, parfois plus banale. D’autant qu’aujourd’hui, alors que la police nationale s’est pliée aux grades paramilitaires, les figures tendent à s’estomper sous les casquettes. Qui connaît le nom du patron de la crim’ ou celui de la brigade antigang, quasi immortalisée par le blouson de daim et la barbichette de Robert Broussard ! Cela dit, je ne suis pas sûr qu’en décembre 2014 il y ait une exposition pour les 70 ans des Compagnies républicaines de sécurité… Continue reading

Police : 2012, l’année du blues

À l’approche des élections présidentielles, 2011 aura été surtout l’année des blablas. Mais pour la police, cornaquée depuis une dizaine d’années par Nicolas Sarkozy, 2012 est le temps de l’incertitude. Toutefois, en plaçant à Beauvau Manuel Valls, l’homme de droite de la gauche, François Hollande a su éviter les erreurs de François Mitterrand. Et finalement, il n’y aura pas eu de grands chambardements, pas de chasse aux sorcières, si ce n’est le départ de quelques proches de l’ancien Président. Même le tournicotage des préfets s’est fait quasi en douceur. Et si à ce jour les résultats ne sont pas au rendez-vous, la pression est retombée dans les commissariats.  « On a l’impression d’avoir moins de travail », m’a dit l’autre jour un officier de police.

Toutefois, 2012 restera une année noire pour la police car, en dehors des changements politiques, plusieurs affaires ont sérieusement terni son image : les prolongements de l’enquête sur le commissaire Neyret, la mise en cause de policiers dans l’histoire de proxénétisme du Carlton, le réseau ripoux de la BAC de Marseille, l’atteinte aux secrets des sources du Monde… Et surtout, le plus marquant : l’affaire Merah. Car aujourd’hui encore on ne sait pas s’il s’agit d’une réussite ou d’un échec. Et ces incertitudes ne peuvent que nuire à l’Institution.

Puisque chacun y va de sa petite rétrospective, voici la mienne. Elle est complètement subjective et n’engage que moi – comme disent les twittos.

Le 7 février, au petit matin, ce ne sont pas moins de 150 policiers qui procèdent à une descente dans le milieu corso-marseillais. Une trentaine d’individus suspectés d’appartenir au grand banditisme sont interpellés. Il s’agit pour les magistrats de la Jirs de Marseille (juridiction interrégionale spécialisée) d’une sorte d’opération coup de poing, histoire de faire bouger les choses et éventuellement de mettre à l’ombre, même pour des délits mineurs, des individus soupçonnés des pires méfaits. Finalement, huit seulement seront incarcérés, essentiellement pour extorsion de fonds, alors que la commission rogatoire vise l’assassinat d’un proche d’Ange-Toussaint Federici, estampillé ATF dans les annales de la PJ. Actuellement derrière les barreaux, mais considéré comme le chef de la bande des bergers de Venzolasca, le gang qui aurait remplacé celui de la Brise de mer.

Le lendemain, mais cela n’a évidemment rien à voir, l’ancien ministre Éric Woerth est mis en examen pour trafic d’influence et recel de financement illicite d’un parti politique dans l’affaire Bettencourt..

Le 23 mars, ce n’est pas le printemps pour l’ancien premier ministre Édouard Balladur, puisque le juge Renaud Van Ruymbeke découvre sur un compte suisse la trace d’un mouvement d’argent de dix millions de francs qui proviendraient de commissions occultes sur la vente des frégates à l’Arabie saoudite. Mais le fait passe quasi inaperçu : tous les yeux sont braqués sur Toulouse où Mohamed Merah vient d’être abattu par le RAID, après 32 heures de siège. Une tribune médiatique bien controversée à quelques semaines des élections présidentielles. À ce jour, une question reste en suspens : un meilleur fonctionnement des services de renseignements aurait-il pu empêcher la mort de ses sept victimes ?

Quelques jours plus tard, c’est au tour de Dominique Strauss-Kahn d’être mis en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée dans l’affaire du Carlton de Lille. L’enquête, démarrée un an auparavant, avait mis en lumière une filière de prostituées de luxe destinées à des clients friqués. Plusieurs policiers ont joué un rôle ambigu dans cette affaire et le commissaire divisionnaire Lagarde, une figure de la police dans le nord de la France, a été mis en examen.

Au mois d’avril, le cannabis fait son entrée dans la campagne présidentielle. L’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant se prononce pour un vrai débat de société sur le sujet, mais le candidat Hollande ne renchérit pas. Pendant ce temps, la police s’invite dans la campagne présidentielle. À la suite de la mise en examen pour homicide volontaire d’un policier ayant abattu un malfaiteur d’une balle dans le dos, les réseaux Sarko organisent des manifestations pour réclamer la « présomption de légitime défense ». Une revendication soutenue par le chef de l’État qui fait partie du programme de Marine Le Pen. François Hollande se contente d’abord de plaider pour une « protection administrative » des policiers avant de s’embarbouiller dans des propos chèvre et chou (il y a quelques jours, les policiers ont été informés que dorénavant ils pourront prendre un assistant de leur choix, s’ils sont convoqués pour une audition administrative). En attendant, pour la première fois peut-être, des policiers en uniforme et en armes défilent sur les Champs-Élysées – avec la bénédiction tacite des plus hautes autorités. Alors que de tels agissements peuvent entraîner une révocation d’office. Mais ces manifestations à répétition montrent le malaise d’une police mise à mal par la politique du chiffre et du saute-dessus.

Le 15 mai, François Hollande prend ses fonctions à l’Élysée et choisit Jean-Marc Ayrault comme chef de son gouvernement. Manuel Valls devient ministre de l’Intérieur. François Rebsamen et Jean-Jacques Urvoas, les deux autres prétendants au poste, font le dos rond. Lors de sa campagne, le candidat avait claironné « Mon véritable adversaire (…) c’est le monde de la finance ».  On pouvait donc s’attendre à un séisme boursier, pourtant, les marchés financiers ne bronchent pas. Mieux, les taux d’emprunt demeurent historiquement au plus bas. Quelques mois plus tard, un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros est offert aux entreprises. Le pouvoir divinatoire des marchands d’argent m’a toujours étonné.

Au mois de mai, la Cour d’appel de Paris valide l’intégralité de la procédure dans l’affaire Neyret, rejetant toutes les demandes des avocats. L’ancien commissaire est remis en liberté. Il sera révoqué de la police au cours du mois de septembre.

Le 12 juin, un vaste atelier de fausse monnaie est découvert en Seine-et-Marne. Ce sont 350 000 billets de 20 et 50 € qui auraient été fabriqués dans un petit village du nord du département.  Le 24, c’est un réseau de douaniers ripoux qui est démantelé à l’aéroport de Roissy. Il semble qu’ils subtilisaient, dans des bagages repérés à l’avance, l’argent de trafiquants de drogue.

En juillet, Valérie Trierweiler affirme que dorénavant elle tournera sept fois son pouce avant de twitter et, à l’approche des JO, Londres se transforme en une sorte de blockhaus. La plus grande opération de sécurité mise sur pied en temps de paix, d’après David Cameron. Mais aussi un échec pour la sécurité privée, puisque G4S, la plus grosse boîte dans ce domaine, n’a pas été en mesure d’honorer son contrat de 284 millions de livres sterling. Incapable notamment d’aligner les 10 420 agents prévus, ce qui a obligé le gouvernement à faire appel à l’armée.

Au mois d’août, François Hollande part en vacances et Marseille enregistre le 14e règlement de comptes de l’année.

En septembre, la police de Lyon est à nouveau sur la sellette avec la découverte d’un réseau de ripoux. Treize personnes sont interpellées, dont sept policiers. Et le 25, un magistrat est placé en garde à vue dans le cadre de l’affaire Neyret. Il est soupçonné d’avoir fourni des informations sur des procédures en cours.

Mais au début du mois, c’est le massacre de Chevaline qui fait la Une. Trois touristes et un cycliste sont assassinés. Et si de nombreux coups de feu ont été tirés, il semble que chacune des victimes ait reçu le coup de grâce. Pendant huit heures, la scène de crime est gelée. Les gendarmes enquêteurs ont interdiction de toucher le véhicule. Ce n’est qu’à l’arrivée des techniciens de la gendarmerie qu’une fillette est découverte recroquevillée sous le cadavre de sa mère. Ce qui pose question : jusqu’à quel point doit-on « geler » une scène de crime ? Si au début de cette affaire, le procureur d’Annecy a enchaîné les conférences de presse, avant qu’on lui demande un peu de retenue, aujourd’hui encore on n’en sait pas plus. Ni sur les raisons de ces meurtres ni sur le ou les auteurs.

En octobre, des policiers de la BAC du nord de Marseille sont soupçonnés d’avoir organisé un réseau quasi mafieux au sein de la police et notamment d’avoir extorqué de l’argent à des trafiquants de drogue. Le pire des rackets, celui qui se cache derrière la force publique. Une véritable gangrène pour le procureur.

Le 16 octobre, un avocat, Me Antoine Sollacaro, est assassiné dans une station-service d’Ajaccio et le corps d’un ancien nationaliste est découvert criblé de balles dans sa voiture, à une soixantaine de kilomètres de Bastia. Le lendemain, pour la première fois, un ministre de l’Intérieur utilise le mot mafia pour désigner le banditisme corse.

En novembre, Barack Obama est réélu, tandis qu’en Chine, Xi Jinping, alias le Prince rouge, est désigné comme secrétaire général du Parti. Il devra néanmoins attendre le mois de mars 2013 pour devenir le président de la République populaire.

Signée pour la France par Nicolas Sarkozy, et malgré les redondances de François Hollande, la règle d’or entrera en application le 1er janvier 2013. La Cour de Justice européenne pourra prononcer des amendes dans le cas où l’un des 27 État signataires ne respecterait pas ses engagements. Pas de quoi s’inquiéter. D’après un document publié vendredi par la Cour européenne, entre 2008 et 2011, les États de l’Union ont déjà versé 1 600 milliards d’euros d’aides aux banques. Alors, ça ne peut pas être pire.

Allez, flics (ou simples mortels), banquiers, voyous, ripoux, choux, genoux, hiboux, cailloux… Une bonne année à tous !

Apostille à l’affaire Merah : récit d’une affaire ratée

Manuel Valls a admis qu’il y avait eu des erreurs au niveau de la DCRI. Pour lui, Merah aurait dû être surveillé au vu de son profil et de ses nombreux déplacements au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et les conclusions de l’enquête interne entraîneront à coup sûr des réformes sérieuses de la DCRI. Bien au-delà d’un changement de chef. C’est peut-être même l’ensemble de nos services de renseignements (12 à 15 000 personnes ?) qui pourrait être visé. La récente nomination d’un diplomate à la tête de la Direction du renseignement (DR) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) donne une idée de la nouvelle ligne.

En Norvège, après les massacres perpétrés par Anders Behring Breivik, une commission gouvernementale a reconnu les erreurs de la police et des services de sécurité, estimant qu’ils auraient pu empêcher ou du moins limiter l’action du meurtrier. Chez nous, on n’en est pas là. Et si les propos du ministre de l’Intérieur laissent augurer une remise en cause des services de renseignements, il ne faut pas fermer les yeux sur les erreurs qui ont suivi, en aval du premier meurtre.

Car pour le moins, il n’y a pas eu symbiose entre la PJ et la DCRI. Il a fallu attendre l’assassinat des deux militaires, à Toulouse, pour que le contact s’établisse entre les deux services. Soit 5 jours après le premier assassinat. C’est seulement alors que l’adresse IP de la mère de Merah est repérée parmi les mails reçus par la première victime. Trop tard. Le massacre à l’école juive a lieu le lendemain. Ce délai de 5 jours est incompréhensible, alors que Mohamed Merah était considéré comme une « menace directe », selon M. Valls. Et qu’un rapport les présentait, lui et son frère, comme des proches d’islamistes radicaux qui avaient développé une filière de recrutement de candidats au djihad.

Ensuite, il y a eu la double saisine. De mémoire de flic, un truc qui n’a jamais fonctionné. Lorsque Mohamed Merah est identifié de façon quasi certaine comme l’auteur des crimes, la Brigade de recherche et d’intervention de Toulouse débarque en catastrophe près de son domicile. Avec des instructions simples : on planque sur toutes les issues et on le serre à la première occasion. Dans ce genre d’opération, en général, on attend que l’individu soit dans sa voiture. C’est là où les risques sont les moindres. Une opération classique pour des flics de l’antigang. J’imagine la tête du commandant qui dirigeait le groupe lorsqu’il s’est fait éconduire par les pontes de la DCRI sous prétexte que le poisson était trop gros pour lui. Il ne pouvait pas savoir que, lors d’une réunion qui s’était tenue un peu avant, les autorités avaient décidé de faire intervenir le RAID. Pourtant, le RAID, comme le GIGN, n’est pas là pour faire le boulot des autres mais pour prendre en charge les situations extrêmes. Lorsque les méthodes traditionnelles ne suffisent pas. Et pendant que les uns parlaient et que les autres fourbissaient leurs armes, il semble bien que personne ne surveillait le domicile de Merah. Du moins pas sérieusement, puisqu’il serait sorti de chez lui, peut-être même par deux fois. Sans que personne ne s’en aperçoive.

L’intention des hommes du RAID est de le surprendre dans son « premier » sommeil. En l’absence de toute surveillance physique ou technique, ils ne savent pas que leur client ne dort pas, puisqu’il vient de rentrer chez lui. Les policiers d’élite, équipés légers, s’approchent à pas de loup de la porte. On les imagine en chaussettes, sur la pointe des pieds… C’est une image, évidemment. Alors qu’ils s’apprêtent à faire exploser la porte, celle-ci s’entrouvre et Merah ouvre le feu. Un policier est sauvé par son gilet pare-balles et l’autre par son bouclier de protection. Les hommes du RAID ripostent à travers la porte avant de se replier.

Machine arrière. Ça doit râler pas mal dans les rangs. Y avait-il une autre méthode ? N’étant pas préfet, je ne me permettrais pas de critiquer. Je me souviens pourtant de cette affaire des environs de Nice, où le chef du GIPN avait refusé de donner l’assaut pour déloger un forcené retranché chez lui avec un fusil de chasse. Trop dangereux, avait-il dit. Pas d’otage, on peut attendre. C’était la sagesse. Mais pas l’avis des autorités. On a fait venir un autre patron. Bilan : deux policiers sérieusement blessés et l’individu est abattu, alors qu’il a tiré ses deux cartouches et que son arme est vide.

Pas simple, d’être flic !

C’est alors qu’à Toulouse, commencent des négociations invraisemblables : une véritable vitrine médiatique pour Merah. Au point qu’il pourra dire, plus tard (via le procureur de la République)  « Je suis fier d’avoir mis la France à genoux ». Et cela dure, dure…, au point que cela devient ridicule. Il y a bien quelqu’un qui a dû lâcher : On passe pour des charlots ! Donc, rebelote pour le RAID. En respectant un impératif présidentiel : le capturer vivant. Il faut savoir que les policiers de ce service s’entraînent régulièrement à des tirs de neutralisation dans des parties non-vitales. Pour eux, tuer un suspect, c’est presque un échec. Il s’agissait donc d’une consigne parfaitement inutile et qui, d’une certaine manière, les a déstabilisés. Et les voilà repartis à l’assaut avec un armement léger. Et de nouveau, ils sont accueillis par un feu nourri. Merah tire depuis sa salle de bain, réfugié dans sa baignoire et protégé par un frigo. Les premières balles ont fait péter les canalisations d’eau. Les fuites rendent la porte de la salle de bain étanche aux gaz. Il faudrait donc creuser un trou pour enfumer la pièce. Pas le temps. Merah jaillit de la salle de bain en tirant tous azimuts. C’est le deuxième groupe, celui de couverture, qui riposte, avec des armes en l’occurrence inadaptées dans un local si minuscule. Mais toujours en visant les jambes. Touché plusieurs fois par des munitions puissantes, mais à faible pouvoir d’arrêt, le forcené claudique vers la fenêtre en visant les hommes situés derrière et ceux qui sont en position, un peu plus loin. L’un d’eux tombe du balcon alors qu’il tente de se dégager et qu’une balle lui a éraflé la carotide. Merah arrose dans tous les sens. Un autre policier est blessé au pied. Finalement, un tireur d’élite enfreint la consigne et lui colle une balle dans la tête. Dans son rapport, en termes diplomatiques, le chef du RAID fait remarquer qu’en « s’interdisant l’utilisation de certaines techniques et de certaines armes alors même que les circonstances l’auraient justifiée », on a mis en danger la vie de ses hommes.

Donc, une affaire loupée de A à Z. Pourquoi ce désastre ? Il faut surtout se poser la question de savoir s’il est normal que le ministre de l’Intérieur dirige une opération de police judiciaire. Avec dans son ombre un procureur qui tente de sauver la face. Les policiers et les magistrats ont donc baissé la tête. Aucun n’a eu le courage de dire non.

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