LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Terrorisme (Page 1 of 8)

Soupçons sur la Russie : le fantasme des ondes mystérieuses

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Régulièrement, la presse (branchée) fait état de ces mystérieux messages incompréhensibles qui, occasionnellement ou de façon permanente, occupent certaines fréquences radioélectriques.

En se connectant sur les ondes courtes, notamment la nuit, alors que les liaisons sont meilleures, il n’est pas rare d’entendre des séries de cinq chiffres, soit en phonie, dans des langues dont certaines paraissent bien exotiques, soit en graphie, plus facilement saisissables pour qui connaît le morse. Parfois, on capte aussi des notes de musique ou des sons incongrus qui ressemblent à des parasites.

 

Schémas extraits du livre « Ondes électromagnétiques » de Mohamed Akbi, éditions Ellipses

Alors, signaux venus d’un autre monde ou des services secrets de tel ou tel pays ?

Que faut-il penser, par exemple, de ce son bizarroïde qui semble provenir d’un bâtiment militaire désaffecté situé dans une zone pas très éloignée de Moscou. Dans ces lieux, paraît-il, il y aurait un émetteur invisible qui fonctionnerait tout seul, gardé par un chien immortel (là j’en rajoute, mais cela ressemble tellement à un film de science-fiction), vestige oublié de la guerre froide, du temps de l’URSS. À moins, comme le pensent certains, que ce signal soit un indicateur : tant qu’il est émis, la capitale russe n’a pas été détruite par une bombe nucléaire – un peu comme la commande de « l’homme mort » dont les locomotives des trains sont équipées pour stopper la machine si le conducteur est victime d’une défaillance !

Il y a aussi ces flashes cosmiques, appelés « sursauts radio rapides », des impulsions radioélectriques très brèves dont la source se situerait au-delà de la Voie lactée, devant lesquelles les chercheurs seraient dans l’expectative : s’agit-il d’un phénomène naturel ou la démonstration de l’existence d’une intelligence supérieure à l’homme ! Ces chiffres, ces lettres, ces bruits forment le corps du message, peut-on lire dans un article du journal Le Monde,  À la radio, sur les ondes courtes, l’envoutant mystère des « stations de nombres. « Car il s’agit bien de messages, nous dit le journaliste Guillaume Origoni. Mais qui les envoie ? À qui sont-ils destinés ? »

Et aux effluves du mystère, déjà on se pourlèche les babines : des services secrets, des espions loin de leur base, des militaires qui préparent la prochaine ou de petits bonshommes verts qui chercheraient à établir un contact avec les habitants de la planète Terre, en se demandant s’ils sont très intelligents ou très cons.

Tous les scénarios sont sur la table. Il manque juste le mien. Je vous le livre pour ce qu’il vaut.

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Cette suite de signaux morses répétant sans fin une série de « v », suivie d’un indicatif, était autrefois le signe d’une station fixe qui signalait sa présence sur une fréquence radio dans l’attente d’un appel ou de l’envoi de sa liste de diffusions. Ces « v », qui ne veulent rien dire, étaient également utilisés par les opérateurs des stations mobiles pour procéder aux réglages de leurs appareils. Puis, avec l’apparition de la BLU (bande latérale unique), la transmission de la parole devint possible, même à grande distance. De ce fait, le message « d’occupation » changea. À Saint-Lys-Radio, par exemple, il prit la forme d’un gimmick de quelques phrases, suivi d’une musiquette reprenant « Hardi les gars, vire au guindeau, good bye farewell, good bye farewell… ». Un appel sans cesse répété tant qu’aucun correspondant ne s’était pas manifesté. Le dernier message (ici) est de 1998, date à laquelle Saint-Lys-Radio, station mythique, a fermé boutique pour laisser la place aux liaisons satellitaires.

Si dans la marmar (marine marchande), les « officiers-radio » étaient transparents et se retrouvaient volontiers dans le boui-boui d’un port du bout du monde, il n’en était pas de même des militaires ni des services de renseignement et de contre-espionnage. Pour ceux-ci une fréquence radio devait être occupée en permanence pour éviter de se la faire piquer. Et, en cas d’urgence, elle devait être immédiatement utilisable.

L’auteur de ce blog dans le PC radio du M/T Pontigny, indicatif FNIQ

C’est ainsi que dans les années 1960, depuis le dernier étage du ministère des Armées, immeuble du boulevard Saint-Germain avec vue sur le jardin du ministre (c’était Messmer à l’époque), une poignée de personnels civils, dont beaucoup venaient de la marmar, et dont je faisais partie, transmettaient jour et nuit de longs textes codés complètement bidons, composés de groupe de cinq chiffres ou de cinq lettres, sur des fréquences radioélectriques jugées stratégiques. Le but était double : occuper la fréquence et former de jeunes recrues qui, du fin fond de leur caserne, étaient tenues de « prendre » ces messages, voire d’y répondre. Sans savoir évidemment qu’il s’agissait d’un jeu de rôle.

Pour corroborer la fantasmagorie des ondes, voici une anecdote. Je vous la garantis authentique. Une nuit, je suis dans mon pigeonnier du ministère des Armées à m’user les doigts sur mon « vibro » (rien de cochon, voire photo) lorsque l’officier de permanence me fait appeler. « Rejoignez-moi au sous-sol », me dit-il. Je me perds un peu dans les étages, avant de le trouver planté devant une porte d’un long couloir éclairé par les seules veilleuses. Il ouvre lentement ladite porte. Et là, surprise ! Ce sont les toilettes ! Un peu inquiet, mais poussé par la curiosité, j’entre… tout en ménageant mes arrières. Il porte un doigt à l’oreille pour me signifier d’écouter. Il a raison, le commandant, on perçoit des titititaaa, comme du morse, mais sans réelle signification. J’ouvre la porte d’un WC, d’un autre…, et je me retiens d’éclater de rire. Je lui désigne la chasse d’eau, une chasse d’eau à l’ancienne, hein ! en hauteur ! d’où provient le chuintement. Je ne sais pas s’il a fait un rapport, mais je peux vous dire que mes copains se sont bien marrés.

Après le GCR (Groupement des contrôles radioélectriques), j’ai rejoint les services techniques de la DST et plus précisément le centre d’écoutes de Noisy-le-Grand, en région parisienne. Là, nuit et jour, nous chassions les espions sur un terrain virtuel, entre le sol et l’ionosphère. Je peux donc affirmer qu’au début des années 1970, il suffisait de tourner le bouton d’un récepteur HF pour tomber sur une émission inconnue et chiffrée, que ce soit en graphie ou en phonie. Ces textes codés étaient indéchiffrables, et nous étions d’ailleurs persuadés qu’ils ne voulaient rien dire. Sauf lorsqu’ils s’arrêtaient. Alors, le temps d’un éclair, on pouvait entendre une sorte de grésillement : un message compressé. « Alerte flash ! » lançait l’opérateur qui l’avait capté.

Pour nous, à la DST, service de contre-espionnage, la centrale qui se situait souvent dans un pays de l’Union soviétique n’était pas notre priorité. C’est le correspondant qui nous intéressait. Lorsqu’il répondait à l’aide d’un message tout aussi bref, une alerte flash était lancée à la demi-douzaine de stations de radiogoniométrie réparties dans l’Hexagone. Chacun tentait alors de tirer une droite. Avec un peu de chance, il était alors possible d’effectuer une triangulation. Et, si la zone repérée n’était pas trop étendue, une opération rapprochée pouvait être envisagée, à l’aide d’une « valise apériodique », c’est-à-dire un récepteur capable de recevoir toutes les communications émises dans un rayon réduit sur une large bande de fréquence. L’ancêtre de l’IMSI-catcher utilisé pour surveiller nos téléphones portables.

Je ne sais pas si mon témoignage peut aider à percer « l’envoutant mystère des ondes courtes », mais il paraît évident que ces émissions radio qui ne veulent rien dire ne sont pas inutiles. Sans chercher à casser le jouet, il n’y a ni mystère ni messages venus d’ailleurs. Ils sont le fait de pays qui se préparent au pire : un tsunami nucléaire susceptible de détruire tous les systèmes de communication modernes. D’où la nécessité de conserver en état de vieilles fréquences OC et surtout de former un personnel à ces méthodes de transmission d’un autre âge.

Je ne sais pas si la France, puissance nucléaire qui a quasiment tout misé, tant pour la défense nationale que pour la sécurité, sur la technologie, fait partie de ces états prévoyants. J’espère que oui. Sinon, il reste les pigeons voyageurs.

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

« Les anges gardiens du 36 »

Alors que le « gardien de la paix » disparaît peu à peu du vocabulaire, si ce n’est sur la feuille de paie des policiers de base, il n’est pas sûr que le titre de ce livre soit bien adapté à notre époque. Les anges, en l’occurrence, sont les policiers de la BRI. Mais on peut aussi se dire que ce sont les gardiens du 36 quai des Orfèvres, puisque c’est le seul service de PJ qui soit resté dans l’Île de la Cité, peut-être grâce à l’action de son ancien chef, le commissaire Christophe Molmy. Les autres ont rejoint le New-36, le Bastion, quasi accolé au nouveau Palais de Justice.

Ce livre n’est donc pas un recueil nostalgique de souvenirs de la PJ parisienne, comme il y en a beaucoup, mais un ouvrage qui nous fait vivre en live des interventions de la BRI. Un service créé en 1966 par le commissaire François Le Mouël, essentiellement pour neutraliser des équipes de braqueurs en flag ou, plus tard, en « opération retour ». D’où le nom d’« antigang ». Puis, au lendemain de la prise d’otages meurtrière au cours des JO de Munich, en 1972, une question s’est posée : en France, dans une situation analogue, quel service de police pourrait intervenir ?

Après un tour de table, la réponse est tranchée : la BRI. Et, pour détourner sa compétence territoriale limitée à la zone PP, il est décidé de créer une brigade anti-commando, en fait, un service fantôme regroupant, en cas d’alerte, la BRI et des policiers volontaires qui, le temps de la mission, seront détachés de leurs obligations habituelles. La BRI-BAC n’agit plus alors comme un service de PJ, mais, en droit, dans le cadre d’une mission de police administrative. Elle peut donc intervenir sur n’importe quel coin du territoire. C’était malin. Plus tard, la création du GIGN, puis du RAID a changé le paysage des services d’intervention. Et la lutte contre le terrorisme islamiste a bousculé tous les services de police.

Aujourd’hui les effectifs de la BRI ont considérablement gonflé et, lorsqu’elle intervient dans une affaire de terrorisme, on parle de BRI-CT, pour contre-terrorisme.

Jacques Capela, dessin de Jean-Charles Sanchez, extrait du livre « Les anges gardiens du 36 », Mareuil Editions

L’auteur, Jérémy Milgram (16 ans de BRI) nous entraîne dans les opérations à hauts risques auxquelles il a participé. Il les raconte à la première personne, en évitant habilement de tirer la couverture à lui. Ce qui est sympa. La typographie du livre est originale et les dessins de Jean-Charles Sanchez (autre policier) sont vraiment chouettes. Il a du talent, le monsieur ! Son portrait en pied de l’inspecteur divisionnaire Jacques Capela, chef de groupe à la brigade criminelle, tué lors de la prise d’otages à l’ambassade d’Irak à Paris, en juillet 1978, est saisissant de réalisme.

Olivier Marchal les a côtoyés, ces « opérateurs » de la BRI. Il préface le livre : « Milgram et sa bande de chiens fous vaccinés à la bravoure et à l’adrénaline Continue reading

Copernic : un procès hors du temps

Ce lundi 3 avril s’ouvre le procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Une synagogue dont l’inauguration, en 1907, est considérée comme un acte fondateur du courant libéral du judaïsme français, dans lequel notamment les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité. La question se pose de savoir si l’accusé, Hassan Diab, sera jugé pour un crime terroriste, infraction qui n’existait pas à l’époque des faits.

La fiche d’hôtel, cote D871 de la procédure, le noeud de l’affaire

C’était le 3 octobre 1980. En fin d’après-midi, une moto stationnée à quelques mètres de la porte d’entrée de l’édifice religieux explose, faisant 4 morts et 46 blessés, dont le gardien de la paix en faction sur le trottoir. C’est le premier attentat antisémite commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce début des années quatre-vingt, le pouvoir doit faire face aux violences urbaines, qui bientôt embraseront les banlieues ; et au terrorisme intérieur, notamment d’Action directe, dont une frange vient d’être neutralisée par les RG. En fait, personne n’est préparé au terrorisme extérieur, antisémite ou non. Il faudra attendre 1982 pour que la DST crée une section antiterroriste. Aussi, à moins d’un an des élections présidentielles, alors que Le Pen grimpe dans les sondages, l’auteur désigné est forcément néonazi. La police judiciaire perd un temps fou à suivre de multiples pistes auxquelles elle ne croit pas. Bizarrement, alors que la majorité présidentielle s’est inversée, on retrouvera la même réaction politique deux ans plus tard, lors de l’attentat de la rue des Rosiers.

Or, loin des charivaris du pouvoir, pour les enquêteurs, les deux attentats antisémites ont la même origine : un groupe dissident de l’OLP de Yasser Arafat, un noyau dur dont le chef de guerre est Abou Nidal.

Invité à réagir à chaud à l’attentat de la rue Copernic, sous les caméras de TF1, le Premier ministre, Raymond Barre, lâchera cette phrase désastreuse qui lui collera à la culotte : « Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic […] mérite d’être sévèrement sanctionné. » Sans doute voulait-il dire que les quatre personnes décédées se trouvaient à l’extérieur du bâtiment… Mais le mal était fait. Il tentera de se récupérer quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, dans un discours plus académique, s’interrogeant sur l’équilibre à garder entre libertés individuelles et sécurité, pour conclure d’une phrase qui aujourd’hui sonne à nos oreilles – basses : « Pour le prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire. »

Il n’y a rien pour démarrer l’enquête – sauf la moto. Elle a été achetée chez un commerçant de l’avenue de la Grande Armée, quelques jours avant l’attentat, par un homme caché derrière une fausse identité chypriote. Il l’a payée en liquide. S’ensuit un travail de fourmi pour étudier les « fiches individuelles de police » qu’à l’époque les hôteliers avaient obligation de faire remplir à leurs clients. En fait, elles avaient été supprimées quelques années plus tôt à la demande du président Giscard d’Estaing, dont l’un des amis s’était plaint d’avoir eu à montrer sa carte d’identité lors d’un cinq à sept extraconjugal. Heureusement, cette obligation était restée en vigueur pour les étrangers. Le suspect est un individu qui se fait appeler Alexander Panadriyu. Il est descendu dans un hôtel de la rue Balzac, le 22 septembre 1980.

Les divers témoignages permettent d’établir un portrait-robot de l’individu. Et l’enquête s’arrête sur ce dessin et ce pseudonyme. Il faudra attendre 1999 Continue reading

Cyberattaques : faut-il payer la rançon ?

L’hôpital de Corbeil-Essonnes a refusé de payer la rançon demandée par les hackers qui, dans la nuit du 20 août, ont fomenté une cyberattaque bloquant son système informatique. On parle d’une somme de dix millions de dollars. L’établissement hospitalier avait-il les moyens de réunir une telle somme ? Il semble que la question ne se soit pas posée, puisque la direction du complexe de santé a opposé aux malfaiteurs la même détermination – celle de ne pas céder – lorsque ceux-ci ont ramené leurs exigences à un ou deux millions. Si les choses se sont déroulées ainsi, cela vaut un coup de chapeau ! Cependant, une question titille : que se serait-il passé si l’hôpital s’était prémuni de ce risque en souscrivant une assurance ?

On trouve la réponse dans le projet de loi du ministre de l’Intérieur actuellement en discussion au Sénat, puisque celui-ci prévoit, en cas de cyberattaque, de pérenniser le paiement d’une rançon en insérant un nouvel article dans le code des assurances. Si ce texte est adopté, les assureurs pourront donc payer la rançon demandée par les hackers sous réserve que l’entreprise ait déposé une plainte dans les 48 heures.

Gérald Darmanin serait-il prêt à baisser culotte ?

Il sera intéressant de scruter la réponse du législateur, car depuis les années soixante-dix, alors que les rapts crapuleux étaient fréquents, la position des autorités a été claire : on ne paie pas de rançon ! Et la police œuvrait pour convaincre les proches de l’otage de ne pas céder au chantage à la vie. Même si ça ne marchait pas à tous les coups, comme lors de l’enlèvement par Jacques Mesrine d’Henri Lelièvre, le milliardaire de la Sarthe, en 1979.

Lorsque les enlèvements crapuleux ont fait place à des enlèvements plus ou moins terroristes, la question s’est de nouveau posée et la règle a été assouplie : on paie, mais on ne le dit pas. Même s’il apparaît difficile de le démontrer, la France a souvent fait le dos rond. On comprend bien que la libération de tel ou tel otage ne peut être que le résultat d’une négociation. En 2014, le président Obama s’en était d’ailleurs indigné : « François Hollande dit que son pays ne paie pas de rançons aux terroristes alors qu’en réalité, il le fait ! »  Ce qui revient à admettre, malgré les coups de menton politiques, que l’on finance le terrorisme.

Or, l’article 421-2-2 du code pénal incrimine non seulement le financement d’une entreprise terroriste, mais également le seul fait de gérer des fonds, des valeurs ou des biens dans ce but. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies vont d’ailleurs dans le même sens.

Pour obtenir la libération d’un otage, les autorités sont donc face à un problème contradictoire : financer des organisations terroristes ou ne pas assumer la protection que doit chaque pays à ses ressortissants – le « droit à la vie » tel qu’il est défini par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais en est-il de même si l’otage est un système informatique ? Continue reading

Attentat de Conflans-Sainte-Honorine : fatalité ou fiasco ?

La nouvelle de l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, a engendré une onde de choc. Une émotion provoquée par la cruauté de l’acte, mais aussi par la personnalité de la victime : un prof qui tentait de faire son métier du mieux possible. Or, ce prof, quel que soit notre âge, nous l’avons tous eu. Il a marqué notre vie.

Mais, le choc passé, on est en droit de s’interroger : y a-t-il eu défaillance des services de l’État ou doit-on admettre une fois pour toutes que ce terrorisme de coin de rue est imprévisible ?

Qu’est-ce qu’on a raté pour faire de ce jeune homme un terroriste ? Comment des jeunes gens, lui et ses complices, ont-ils pu basculer dans la folie et la haine ? s’est demandé le président Chirac, en 1995. Il parlait de Khaled Kelkal, principal leader d’un groupe de terroristes islamistes auteurs de nombreux attentats à la bombe, dont celui dans le RER B, à Paris ; et devant une école juive de Villeurbanne, près de Lyon.

35 ans plus tard, personne n’a répondu à cette question. La différence, c’est qu’aujourd’hui, plus personne ne se la pose.

À cette approche sociétale, nos dirigeants successifs ont préféré le coup de menton : accumulation de lois (une trentaine), souvent asynchrones avec le droit européen et l’esprit de notre Constitution, et création d’une armada de services.

Au fil du temps, ces services ont été regroupés dans une communauté virtuelle, la « communauté française du renseignement ». Depuis 2017, tout est drivé depuis l’Élysée Continue reading

Attentat de la rue des Rosiers : quand la politique s’emmêle

Deux éléments du dossier d’instruction, déjà anciens, mais soudainement débloqués par le gouvernement, ont replacé l’enquête concernant l’attentat de la rue des Rosiers sur le devant de la scène.

D’abord, l’arrestation de l’un des suspects, Walid Abdulrahman Abou Zayed, alias Osman, en Norvège, où il est installé depuis 1991 et où il a obtenu la nationalité norvégienne. Objet de l’un des mandats d’arrêt délivrés par le juge Marc Trévidic, un peu avant qu’il ne quitte ses fonctions au pôle antiterroriste, sa présence dans ce pays n’était pas un mystère. La presse s’en était d’ailleurs fait l’écho et un journaliste de Paris Match, Pascal Rostain, avait même tournicoté autour de son domicile, à Skien, en mars 2015. On peut donc raisonnablement espérer qu’il en était de même pour les services de renseignement français !

Alors, pourquoi ne s’est-il rien passé ?

Le fait que la Norvège ait assoupli l’an passé les règles de l’extradition est à prendre en compte, mais ce n’est pas satisfaisant. Si l’on compare ce cas à celui du Libano-Canadien Hassan Diab, suspecté d’être l’auteur de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic, à Paris, en octobre 1980, et pour lequel les autorités françaises se sont battues bec et ongles pour obtenir l’extradition, on ne peut être qu’étonné de cette différence de traitement. (Diab a obtenu un non-lieu en France en 2018.)

Cette inertie politique des gouvernements successifs donne plus de crédibilité à la thèse, un rien complotiste, d’un « arrangement » entre le groupe terroriste Abou Nidal et le gouvernement socialiste des années 1980. Cet argument a été avancé par le préfet Yves Bonnet devant les médias, puis devant le juge d’instruction. En deux mots, d’après lui, la France aurait passé un marché non écrit avec Abou Nidal, lui garantissant l’absence de poursuites judiciaires s’il s’engageait à ne plus cibler la France. De quoi faire bondir un juge d’instruction !

Mais voilà que cette hypothèse serait confirmée par des documents récemment déclassifiés, datant de 1985, sortis tout droit des tiroirs de Matignon ! L’un de ces documents évoquerait cet accord. Du moins si l’on en croit certains avocats qui ont accès au dossier d’instruction.

Franchement, je ne suis pas convaincu, je ne vois pas trop les autorités françaises discutailler avec le groupe Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR) du dissident palestinien Abou Nidal. Même si, dans le but de faire cesser les attentats à répétition des années 1980, François Mitterrand avait mangé son légendaire chapeau et s’était risqué à des négociations avec des diplomates de la Kalachnikov.

Pour tenter de se forger une opinion, il faut remonter le temps…

L’attentat antisémite a lieu le lundi 9 août 1982. Peu après 13 heures, un homme lance une grenade dans la salle du restaurant Jo Goldenberg Continue reading

La peur de l’autre

« Nous sommes en guerre », a déclaré Emmanuel Macron, le 16 mars 2020, avant d’égrener les premières mesures qu’il comptait faire adopter pour lutter contre la pandémie Covid-19. Il enfourchait ainsi le cheval de son prédécesseur qui, le 16 novembre 2015, après des attentats sanglants, dont celui du Bataclan, affirmait « La France est en guerre ».

Quel rapport me direz-vous entre des terroristes et un virus ? Aucun, si ce n’est la peur qu’ils nous inspirent.

C’est le propre des faibles de régenter par la peur. Et cela à tous les niveaux. Ce besoin d’emprise sur l’autre, chacun d’entre nous l’a ressenti au quotidien, lorsqu’il a fallu demander l’autorisation pour sortir de chez soi. M’sieur, M’sieur, j’peux sortir ? Et les abus dans les contrôles ont été un marqueur quotidien de ces deux mois de résidence forcée : trop de boîtes de Coca-Cola dans le caddy, paf ! Une seule baguette, repaf ! Dépassement de quelques minutes ou de quelques dizaines de mètres et rerepaf ! Etc. Ou encore ce préfet, en Seine-et-Marne, qui réquisitionne les chasseurs (donc des civils en arme) pour contrôler les habitants de son département. Ou le maire de Perpignan qui chaque soir déclenche la sirène d’alarme comme au temps des bombardements. Tout cela n’a qu’un seul but, plus ou moins conscient : créer l’angoisse qui conduit à la soumission – donc à l’obéissance. On n’est pas très éloigné du syndrome de Stockholm.

Il faut bien le dire, la politique de la peur a marché au nom de la lutte antiterroriste. Devant l’avalanche de lois liberticides, dans la crainte d’un nouvel attentat, nous avons baissé la tête. À force d’entendre, comme une pub, que la sécurité est la première des libertés, cette crainte soigneusement instrumentalisée nous a fait admettre que nous pouvions abandonner une partie de ces libertés individuelles, chèrement payées par nos anciens.

Nous avons mis le doigt dans un engrenage, en comprenant un peu tard que nous nous sommes fait gruger : ces mesures, ces lois, ces montagnes de fric investies dans la sécurité, font tourner la boutique, mais elles ne nous protègent pas. Continue reading

Carlos en cassation : le diable est dans les détails

Carlos continue son cinéma. Ses avocats ont bien travaillé. La peine de prison à vie, dont il a écopé pour l’attentat du drugstore Saint-Germain, a été annulée le 14 novembre 2019. Cette décision est la dernière d’une saga judiciaire qui dure depuis bientôt un demi-siècle.

Le Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Prés était un lieu branché de la capitale où les touristes, avec un peu de chance, pouvaient côtoyer des célébrités. Inauguré en 1965, il a fermé trente ans plus tard. Durant cette période, il a connu deux faits criminels saillants : la fausse arrestation de Mehdi Ben Barka, sur le trottoir, devant l’établissement, et l’attentat à la grenade pour lequel Ilitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été condamné l’année dernière.

F2, le journal de Bruno Masure : arrestation de Carlos

C’était le 15 septembre 1974. Un peu après 17 heures, du premier étage, un homme jette une grenade sur la clientèle. Le bilan est terrible : deux morts et 34 blessés. Carlos, est à l’époque quasi inconnu, il n’apparaîtra réellement dans le viseur des services de police que l’année suivante, après le meurtre de trois personnes, dont deux policiers de la DST. C’est au cours de cette enquête qu’il sera découvert une cache d’armes et notamment un stock de grenades, identiques et de même origine que celle utilisée pour commettre l’attentat du drugstore. Carlos devient alors suspect numéro 1, et il revendiquera même cet attentat, mais en l’absence d’éléments concrets, le juge d’instruction prend une ordonnance de non-lieu en 1983, faisant ainsi courir le délai de prescription.

Pourtant, certains dossiers, même vides, restent à l’instruction des dizaines d’années. Alors, pourquoi une telle précipitation !

Peut-être en raison du contexte… Deux jours avant l’attentat au drugstore, des individus armés avaient pénétré de force dans l’ambassade de France à La Haye, aux Pays-Bas. Après avoir tiré sur des policiers, ils s’enferment avec onze otages dans le bureau de l’ambassadeur. Les terroristes se revendiquent de l’Armée rouge japonaise (JRA), un groupuscule d’extrême gauche uni à d’autres mouvements tout aussi dangereux dans une sorte d’amicale terroriste internationale au nom d’une révolution mondiale. Des gens redoutables, proches du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Or, qui dit FPLP dit Carlos, puisque depuis que Mohamed Boudia le « représentant » du mouvement palestinien à Paris, s’est fait exploser en démarrant sa R16, en plein Quartier latin, celui-ci est considéré comme le responsable de cette organisation pour l’Europe, avec la bénédiction du KGB qui finance et tire les ficelles.

Les preneurs d’otages veulent un million de dollars, un avion pour quitter le pays et la libération de l’un de leurs compatriotes, un certain Yatuca Furuya (vraisemblablement un pseudo) – qui bien sûr est l’enjeu principal. Les services français tombent du placard Continue reading

Un livre qui nous rappelle le temps où l’on tuait les terroristes

En refermant le livre de Georges Salinas, Le Chat d’Oran, qui nous entraîne dans la lutte contre le terrorisme au début des années 1960, je me suis interrogé : peut-on comparer le terrorisme lié au conflit algérien à la période actuelle ? La réponse est évidemment négative, mais cette expérience désastreuse, qui a mené la France au bord de la guerre civile, devrait au moins nous inciter à ne pas commettre les mêmes erreurs.

Georges Salinas, Librairie Fontaine Haussmann, le 21 février 2019

Antoine Delarocha, le héros, est flic au CRA d’Oran (Centre de renseignement et d’action). Et il tente de faire son boulot de flic, dans des conditions qu’aucun policier aujourd’hui n’oserait envisager. Au début du roman, Delarocha planque sur un ancien militaire qui a rallié le FLN. « Désormais fellagha en cavale, Ahmed Benjelloul était un ancien béret rouge : il avait servi pendant dix ans dans l’armée française, chez les parachutistes », dit-il, alors qu’il s’apprête à lui mettre la main au collet. Mais, évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce face à face de deux hommes, l’indépendantiste et le pied-noir, chacun enfermé dans ses certitudes, c’est le fil de l’histoire.

Salinas n’a pas connu cette époque, il était à peine né, il se fie donc aux souvenirs de son père (Le Chat d’Oran, c’est un peu lui) pour recréer l’ambiance de police de ces années noires. Il nous fait vivre les enquêtes et les filatures à l’ancienne : peu de personnels, peu de moyens et surtout pas de smartphone pour demander des instructions. Tout au mieux des radios portables de la taille d’une bouteille d’eau 2XL. Une fois sur le terrain, c’est l’initiative personnelle qui joue, et aussi l’expérience, et parfois le talent. Mais l’expérience, c’est aussi d’avoir au fond d’une poche le jeton de téléphone qui permettra d’établir une liaison avec son service. L’ancien monde, quoi !

C’était il y a maintenant plus d’un demi-siècle. La France, des deux côtés de la Méditerranée, comptait chaque jour ses morts, alors que l’on nous parlait de « pacification » et de « maintien de l’ordre ». Le mot « guerre », rabâché aujourd’hui, étant alors tabou.

Le plus souvent, les images de cette époque qui nous reviennent en mémoire sont celles de militaires bardés de décorations haranguant les foules du haut de leur balcon Continue reading

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