LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : Georges Moréas

Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

Le soir même, transport rapide à Créteil où est domicilié l’un des protagonistes. Il faut arriver avant 21 heures, l’heure limite pour pénétrer dans un domicile. Il est… enfin, j’inscris 20 h 59 sur le PV. Un homme de type asiatique, chemise blanche, cravate, nous ouvre la porte. Il parle parfaitement le français. Alors que son épouse commence à crier, il la fait taire d’un ton autoritaire : « Ces messieurs agissent en flagrant délit sur des faits de proxénétisme aggravé, ils sont tout à fait dans leur droit ». Titulaire d’une carte de réfugié politique, il s’agit en fait de l’ancien procureur de Vientiane, la capitale du Laos. Il est désormais comptable. Visiblement étranger à l’affaire en cours, il admet avoir fourni une adresse de complaisance à l’un de ses compatriotes. Je le place en garde à vue tout en lui promettant de lever immédiatement la mesure si l’individu recherché vient se livrer au 127. Dans cette optique, je l’autorise à passer un appel. Communication très brève, en langue asiatique. Le ton est cassant et les paroles plus sifflées que prononcées.

Nous retournons au service, au rythme du gyrophare. Devant le 127, un Asiatique attend devant la grille, il baisse les yeux et s’incline respectueusement devant notre gardé à vue, lequel ne lui adresse ni un regard ni une parole. Je respecte le marché et libère l’ancien haut magistrat après trois lignes d’audition.

Le lendemain matin, Trenque retourne avec les fonctionnaires consignés à l’appartement du Bd Davout et récupère le reste des proxénètes-geôliers qui, revenus dans les lieux, attendaient tranquillement sur place, pensant que les filles avaient été déplacées seulement pour la nuit. Dans leur esprit, elles allaient nécessairement revenir, car leurs affaires étaient toujours sur place. Très mauvaise analyse.

Le résultat des investigations est sans appel : les jeunes Thaïlandaises étaient contraintes à la prostitution, jour et nuit, sur des matelas sans drap posés à même le sol, moyennant 500 francs la passe. L’intégralité du produit de leur activité était confisquée. La publicité de ce claque était faite via des cartes de visite distribuées exclusivement dans la communauté asiatique avec seulement l’adresse de l’appartement et une formule en chinois que l’on pouvait traduire par « Ici la soupe est bonne ».

L’enquête a duré plusieurs mois et a abouti à la mise sous écrou des auteurs et des complices, dont deux frères qui tenaient une échoppe en sous-sol, à la station de métro Strasbourg–Saint-Denis. Avec mon collègue Serge Guillon, nous sommes allés les cueillir sur place et nous les avons ramenés au 127, via la ligne 9, pincés à une barre du wagon, devant des usagers médusés : une interpellation économique avec une empreinte carbone quasi nulle.

Les « filles » passaient par l’Allemagne, avant d’arriver en France. Le passeur était un taxi parisien, lequel, très prudent, avait commis l’erreur de contacter durant dix secondes son épouse depuis la chambre d’un hôtel de Francfort où les jeunes femmes étaient en transit. Il ignorait que cet hôtel conservait la liste des appels téléphoniques pendant un an. On ne pense pas à tout…

Il nous restait à interpeller le chef du réseau, une légende à Bangkok, car il avait gardé la cage de l’équipe nationale de football thaïe aux JO de Mexico, en 1968. Il était adulé dans son pays, même s’il avait encaissé 19 buts pendant la compétition… Il devait venir à Paris, le… 25 décembre.

C’est ainsi que Bernard Trenque himself se sacrifia et passa le réveillon de Noël au 127, derrière une Olympia, en compagnie du « sélectionneur » des futures victimes du réseau dans les gogo bars de Bangkok.

Après prolongation (de garde à vue), il termina au ballon. Fin du match !

Bien plus tard, en 1989, royal, le chef nous désignera, Hervé Jaouen et moi, pour terminer le dossier en Thaïlande dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

Une mission à haut risque, comme le montre la photo…

Avril 1989 : Philippe Barbançon et Hervé Jaouen au Pink Panther, un gogo bar de Patpong, le quartier chaud de Bangkok

De cette mission, j’ai ramené un souvenir ce badge « clin d’œil » que j’avais fait confectionner par le patron du Pink-Panther à Bangkok, où chaque coco-girl porte un badge numéroté pour faciliter son identification par les clients et favoriser la comptabilité du tôlier. Il est à l’effigie du « 127 Saint-Honoré », l’adresse mythique de la PJ qui a longtemps réuni 3 Offices centraux : répression du trafic international de stupéfiants, répression du grand banditisme et répression de la traite des êtres humains.

Philippe Barbançon

Soupçons sur la Russie : le fantasme des ondes mystérieuses

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Régulièrement, la presse (branchée) fait état de ces mystérieux messages incompréhensibles qui, occasionnellement ou de façon permanente, occupent certaines fréquences radioélectriques.

En se connectant sur les ondes courtes, notamment la nuit, alors que les liaisons sont meilleures, il n’est pas rare d’entendre des séries de cinq chiffres, soit en phonie, dans des langues dont certaines paraissent bien exotiques, soit en graphie, plus facilement saisissables pour qui connaît le morse. Parfois, on capte aussi des notes de musique ou des sons incongrus qui ressemblent à des parasites.

 

Schémas extraits du livre « Ondes électromagnétiques » de Mohamed Akbi, éditions Ellipses

Alors, signaux venus d’un autre monde ou des services secrets de tel ou tel pays ?

Que faut-il penser, par exemple, de ce son bizarroïde qui semble provenir d’un bâtiment militaire désaffecté situé dans une zone pas très éloignée de Moscou. Dans ces lieux, paraît-il, il y aurait un émetteur invisible qui fonctionnerait tout seul, gardé par un chien immortel (là j’en rajoute, mais cela ressemble tellement à un film de science-fiction), vestige oublié de la guerre froide, du temps de l’URSS. À moins, comme le pensent certains, que ce signal soit un indicateur : tant qu’il est émis, la capitale russe n’a pas été détruite par une bombe nucléaire – un peu comme la commande de « l’homme mort » dont les locomotives des trains sont équipées pour stopper la machine si le conducteur est victime d’une défaillance !

Il y a aussi ces flashes cosmiques, appelés « sursauts radio rapides », des impulsions radioélectriques très brèves dont la source se situerait au-delà de la Voie lactée, devant lesquelles les chercheurs seraient dans l’expectative : s’agit-il d’un phénomène naturel ou la démonstration de l’existence d’une intelligence supérieure à l’homme ! Ces chiffres, ces lettres, ces bruits forment le corps du message, peut-on lire dans un article du journal Le Monde,  À la radio, sur les ondes courtes, l’envoutant mystère des « stations de nombres. « Car il s’agit bien de messages, nous dit le journaliste Guillaume Origoni. Mais qui les envoie ? À qui sont-ils destinés ? »

Et aux effluves du mystère, déjà on se pourlèche les babines : des services secrets, des espions loin de leur base, des militaires qui préparent la prochaine ou de petits bonshommes verts qui chercheraient à établir un contact avec les habitants de la planète Terre, en se demandant s’ils sont très intelligents ou très cons.

Tous les scénarios sont sur la table. Il manque juste le mien. Je vous le livre pour ce qu’il vaut.

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Cette suite de signaux morses répétant sans fin une série de « v », suivie d’un indicatif, était autrefois le signe d’une station fixe qui signalait sa présence sur une fréquence radio dans l’attente d’un appel ou de l’envoi de sa liste de diffusions. Ces « v », qui ne veulent rien dire, étaient également utilisés par les opérateurs des stations mobiles pour procéder aux réglages de leurs appareils. Puis, avec l’apparition de la BLU (bande latérale unique), la transmission de la parole devint possible, même à grande distance. De ce fait, le message « d’occupation » changea. À Saint-Lys-Radio, par exemple, il prit la forme d’un gimmick de quelques phrases, suivi d’une musiquette reprenant « Hardi les gars, vire au guindeau, good bye farewell, good bye farewell… ». Un appel sans cesse répété tant qu’aucun correspondant ne s’était pas manifesté. Le dernier message (ici) est de 1998, date à laquelle Saint-Lys-Radio, station mythique, a fermé boutique pour laisser la place aux liaisons satellitaires.

Si dans la marmar (marine marchande), les « officiers-radio » étaient transparents et se retrouvaient volontiers dans le boui-boui d’un port du bout du monde, il n’en était pas de même des militaires ni des services de renseignement et de contre-espionnage. Pour ceux-ci une fréquence radio devait être occupée en permanence pour éviter de se la faire piquer. Et, en cas d’urgence, elle devait être immédiatement utilisable.

L’auteur de ce blog dans le PC radio du M/T Pontigny, indicatif FNIQ

C’est ainsi que dans les années 1960, depuis le dernier étage du ministère des Armées, immeuble du boulevard Saint-Germain avec vue sur le jardin du ministre (c’était Messmer à l’époque), une poignée de personnels civils, dont beaucoup venaient de la marmar, et dont je faisais partie, transmettaient jour et nuit de longs textes codés complètement bidons, composés de groupe de cinq chiffres ou de cinq lettres, sur des fréquences radioélectriques jugées stratégiques. Le but était double : occuper la fréquence et former de jeunes recrues qui, du fin fond de leur caserne, étaient tenues de « prendre » ces messages, voire d’y répondre. Sans savoir évidemment qu’il s’agissait d’un jeu de rôle.

Pour corroborer la fantasmagorie des ondes, voici une anecdote. Je vous la garantis authentique. Une nuit, je suis dans mon pigeonnier du ministère des Armées à m’user les doigts sur mon « vibro » (rien de cochon, voire photo) lorsque l’officier de permanence me fait appeler. « Rejoignez-moi au sous-sol », me dit-il. Je me perds un peu dans les étages, avant de le trouver planté devant une porte d’un long couloir éclairé par les seules veilleuses. Il ouvre lentement ladite porte. Et là, surprise ! Ce sont les toilettes ! Un peu inquiet, mais poussé par la curiosité, j’entre… tout en ménageant mes arrières. Il porte un doigt à l’oreille pour me signifier d’écouter. Il a raison, le commandant, on perçoit des titititaaa, comme du morse, mais sans réelle signification. J’ouvre la porte d’un WC, d’un autre…, et je me retiens d’éclater de rire. Je lui désigne la chasse d’eau, une chasse d’eau à l’ancienne, hein ! en hauteur ! d’où provient le chuintement. Je ne sais pas s’il a fait un rapport, mais je peux vous dire que mes copains se sont bien marrés.

Après le GCR (Groupement des contrôles radioélectriques), j’ai rejoint les services techniques de la DST et plus précisément le centre d’écoutes de Noisy-le-Grand, en région parisienne. Là, nuit et jour, nous chassions les espions sur un terrain virtuel, entre le sol et l’ionosphère. Je peux donc affirmer qu’au début des années 1970, il suffisait de tourner le bouton d’un récepteur HF pour tomber sur une émission inconnue et chiffrée, que ce soit en graphie ou en phonie. Ces textes codés étaient indéchiffrables, et nous étions d’ailleurs persuadés qu’ils ne voulaient rien dire. Sauf lorsqu’ils s’arrêtaient. Alors, le temps d’un éclair, on pouvait entendre une sorte de grésillement : un message compressé. « Alerte flash ! » lançait l’opérateur qui l’avait capté.

Pour nous, à la DST, service de contre-espionnage, la centrale qui se situait souvent dans un pays de l’Union soviétique n’était pas notre priorité. C’est le correspondant qui nous intéressait. Lorsqu’il répondait à l’aide d’un message tout aussi bref, une alerte flash était lancée à la demi-douzaine de stations de radiogoniométrie réparties dans l’Hexagone. Chacun tentait alors de tirer une droite. Avec un peu de chance, il était alors possible d’effectuer une triangulation. Et, si la zone repérée n’était pas trop étendue, une opération rapprochée pouvait être envisagée, à l’aide d’une « valise apériodique », c’est-à-dire un récepteur capable de recevoir toutes les communications émises dans un rayon réduit sur une large bande de fréquence. L’ancêtre de l’IMSI-catcher utilisé pour surveiller nos téléphones portables.

Je ne sais pas si mon témoignage peut aider à percer « l’envoutant mystère des ondes courtes », mais il paraît évident que ces émissions radio qui ne veulent rien dire ne sont pas inutiles. Sans chercher à casser le jouet, il n’y a ni mystère ni messages venus d’ailleurs. Ils sont le fait de pays qui se préparent au pire : un tsunami nucléaire susceptible de détruire tous les systèmes de communication modernes. D’où la nécessité de conserver en état de vieilles fréquences OC et surtout de former un personnel à ces méthodes de transmission d’un autre âge.

Je ne sais pas si la France, puissance nucléaire qui a quasiment tout misé, tant pour la défense nationale que pour la sécurité, sur la technologie, fait partie de ces états prévoyants. J’espère que oui. Sinon, il reste les pigeons voyageurs.

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

Le blog de la fin du « Monde »

 

Je suis viré ! Ce billet sera l’un des derniers à paraître sur le site du journal Le Monde. En effet, pour des raisons techniques ou financières, je ne sais pas, le premier quotidien de France a décidé de supprimer ses derniers blogueurs, ceux qui ont survécu à la razzia de 2019.

À quelques mots près ce billet est une copie de celui publié sur le site du journal Le Monde avant qu'il ne ferme ses blogs.

Cette année-là, à la veille de l’été, les milliers d’abonnés qui avaient ouvert un blog lemonde.fr, ont eu la désagréable surprise d’apprendre que ceux-ci allaient être fermés et qu’ils avaient deux mois pour en sauver le contenu avant qu’il ne disparaisse du Web. Seule une poignée des « blogs invités » et ceux des journalistes ont survécu à cet autodafé virtuel. De nombreux abonnés ayant manifesté leur mécontentement, notamment sur Twitter (X aujourd’hui), la BNF, dans le cadre de sa mission de sauvegarde du patrimoine numérique, a alors proposé de collecter l’intégralité de la production des blogueurs. Un peu coincé dans un cadre juridique plutôt flou, et pour ne pas mécontenter une partie de ses lecteurs, le journal a alors consenti à fournir les informations nécessaires à la numérisation des textes, des images et des photos publiés sur son site. Pour éviter toute idée de censure, le tout a été collecté et enregistré sans tri ni sélection.

Ce blog, POLICEtcetera, qui faisait partie des rares blogs non professionnels sauvés du couperet en 2019, aura donc survécu cinq ans de plus.

Morituri te salutant

Après une collaboration d’environ 18 ans, cette séparation me rend triste, évidemment, mais il faut savoir rebondir, sauter l’obstacle et faire d’une épreuve une opportunité. Aussi, chères lectrices, chers lecteurs, vous retrouverez sur ce site, que je continuerai d’enrichir régulièrement, les 842 articles et vos commentaires qui constituent les archives et la mémoire de ce blog – notamment la petite histoire de la PJ, déroulée au fil des ans ; l’affaire du baron Empain, et l’improbable rencontre d’un businessman avec une « golden girl » ; l’incroyable parcours judiciaire de Maurice Agnelet, condamné pour le meurtre de sa maîtresse sur fond de guerre des casinos à Nice ; la véritable histoire du logo de la PJ, et la chasse au tigre d’un inspecteur de l’Office central pour la répression du banditisme – etcétéra.

Parmi les billets publiés sur POLICEtcetera, deux m’ont étonné par la réaction des lecteurs. En voici un aperçu :

L’affaire du petit Grégory 

Publié en décembre 2008, ce billet a fait l’objet de plus de 4000 commentaires, incapable de les vérifier tous, je me suis résigné à les supprimer.  

« Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de 4 ans ½, disparaît de la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges. Dans la soirée, on retrouve son corps dans les eaux de la Vologne, à Docelles, à six kilomètres de son domicile. Il a les jambes et les bras liés par une corde et il est mort noyé. Sur le petit corps, aucune trace de violences. À l’évidence, il a été jeté vivant dans la rivière – comme on noierait un chat. […] La PJ a été longtemps tenue à l’écart de cette affaire. Ses enquêteurs auraient-ils fait mieux que les gendarmes ? Le commissaire Jacques Corrazi, qui plus tard a repris le dossier, doit probablement en être persuadé. Il aurait peut-être réussi à juguler le délire d’un petit juge dont ses pairs ont dit qu’il était un « funambule de la pensée » … »

Lire la suite et voir les autres billets sur l’affaire Grégory

 Quelque part une petite école… 

Publié en mai 2010, dès sa parution, ce billet a eu plus de cent mille lecteurs par jour. 

« Oh, elle ne paie pas de mine l’école primaire de Sakabi, sur la nationale 10, au nord de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso ! Mais autrefois, elle était encore plus sinistre : ses classes étaient désertes.

« Éric, l’instituteur, était au désespoir : comment faire venir les enfants ? se demandait-il. Et un jour, il a eu une idée : il faut une cantine ! Car pour se remplir la tête, il ne faut pas que l’estomac soit vide. Et il a défendu son projet auprès de l’administration, et, surtout, il a su convaincre une poignée de gens, des Suisses et des Français, délégués sur place pour une mission sanitaire… »

Lire la suite de la petite école

Blogs-pro et blogs invités

En abandonnant ses blogueurs, Le Monde tourne une page. Dans les années 1990-2000, alors qu’il était en grande difficulté financière, le journal a su grimper dans le train du numérique : le Monde Interactif est en effet un exemple de réussite. Aujourd’hui, plus de 4 abonnés sur 5 sont des abonnés numériques. Ce résultat est dû en partie à l’expérience acquise par les journalistes-blogueurs et, me semble-t-il, mais je connais mal les arcanes du Monde, grâce à l’action d’Éric Fottorino, qui l’a mis sur les rails, considérant qu’il s’agissait là d’un test de management non conventionnel, dans la mesure où les journalistes pouvaient y trouver un moyen d’expression qui s’affranchissait des contraintes professionnelles. Plusieurs blogs-pro ont marqué cette époque. À mon avis, le plus innovant a été « Le Monde académie », créé en 2012 par Serge Michel et Florence Aubenas, dont l’ambition était d’ouvrir la porte de la rédaction du journal à des jeunes de tout horizon social. C’est celui dont le grand quotidien du soir devrait être le plus fier – même si certains journalistes, au souvenir de leur bac+5, voyaient d’un œil inquiet ces jeunes sans diplômes venir brouter leur pré carré. Continue reading

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