Lorsqu’il s’agit d’imposer des bouchons soudés aux bouteilles d’eau minérale qui en font rager plus d’un, la France s’exécute sans tarder, mais pour adapter notre droit à celui de l’U-E, elle traîne des pieds. C’est la raison d’être de la loi fourre-tout du 22 avril 2024 qui modifie certaines de nos règles « en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».
Une loi qui vient en application d’une directive du Parlement européen remontant à plus de dix ans.
La procédure de garde à vue est concernée par ce texte qui renforce les droits des personnes placées sous main de police, notamment l’impossibilité de débuter une audition hors la présence d’un avocat, et supprime le délai de carence. Alors qu’elle s’applique ce lundi 1er juillet, sa pratique ne sera envisagée que le lendemain, lors d’une réunion, semble-t-il informelle, entre la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), les présidents de juridiction, les forces de l’ordre et le Conseil national des Barreaux.
Il y a une quinzaine de jours, Laureline Peyrefitte, la directrice de la DACG, s’est fendue d’une circulaire qui détaille les modalités de mise en œuvre de cette réforme, tentant, du moins dans sa présentation, de minimiser les effets contraignants de ces nouvelles règles pour les services en charge d’une mission de police judiciaire, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et les douanes.
Je ne sais pas si, de son côté, la direction générale de la police nationale a donné les clés de fonctionnement à ses troupes. Il est vrai que ces jours-ci, Place Beauvau, il y d’autres sujets de préoccupation…
Quant au Conseil national des barreaux, sa circulaire date du 26 juin.
Cette réforme renforce le rôle de l’avocat, rend sa présence quasi obligatoire et accorde au gardé à vue un certain droit de communication avec « l’extérieur ».
La fin du délai de carence
Jusqu’alors, si l’avocat de la personne en garde à vue ne s’était pas présenté dans un délai de deux heures, l’OPJ pouvait commencer les auditions sans lui. Ce délai de carence est supprimé. Dorénavant, la règle générale veut que ni les auditions ni les confrontations ne puissent s’effectuer en l’absence de l’avocat. Si l’avocat désigné ne peut être présent dans le délai de deux heures, il appartient à l’OPJ de saisir le bâtonnier pour la désignation d’un commis d’office. Dans l’attente de sa venue, seul un procès-verbal d’identité peut être envisagé. L’avocat, lui, est tenu « de se présenter sans retard indu ». Un retard délibéré pourrait probablement être considéré comme une faute professionnelle ou une combine procédurale. (art. 63-3-1)
Il existe des exceptions, mais elles sont… exceptionnelles :
– La personne gardée à vue renonce expressément à la présence d’un avocat par une mention portée au procès-verbal et signée
– Sur autorisation du procureur de la République, par une décision écrite et motivée « soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne » (nouvel art. 63-4-2-1)
Droit d’accès aux procès-verbaux d’audition et de confrontation
L’avocat peut désormais consulter les procès-verbaux d’audition et de confrontation, même s’il n’était pas présent lors de ces actes. Il ne peut pas les photocopier, mais il peut prendre des notes. Malgré les demandes sans cesse réitérées de la profession, les avocats n’ont toujours pas accès à l’ensemble du dossier.
Droit de prévenir toute personne
À ce jour, le gardé à vue pouvait seulement prévenir un proche parent ou son employeur. Dorénavant, il peut prévenir la personne de son choix quelle que soit sa qualité et communiquer avec elle s’il le souhaite. Il appartient à l’OPJ de déterminer si ce contact avec l’extérieur doit se faire par écrit, par téléphone ou en présentiel. Cet entretien ne peut dépasser trente minutes. L’enquêteur peut décider d’y assister.
Si cet avis à tiers risque d’entraver sérieusement l’enquête, le procureur peut, à la demande de l’OPJ, différer tout contact extérieur.
Alors que les relations se durcissent entre les avocats (de plus en plus procéduriers) et les magistrats (de plus en plus débordés), cette réforme de la garde à vue ne va pas faciliter les choses, car la loi votée en avril 2024 est a minima par rapport à la directive européenne. En l’état, des recours ne sont pas impossibles, d’autant que pour les instances européennes, les procureurs ne sont pas considérés comme des magistrats indépendants, tant en raison de leurs liens hiérarchiques avec le pouvoir politique que dans la mesure où ils sont parties prenantes au procès en tant que représentants de la société.
6 réponses à “Surveillance des communications téléphoniques : c’est la cata !”
…J’ai personnellement une interrogation, en tant qu’enquêteur liberticide et bas de plafond: En Flag’ ou prélim’ je devrais donc, via un rapport dédié, formuler une demande de fadet ou d’identification d’un numéro au JLD? C’est une plaisanterie?:-)…J’espère avoir mal lu ou mal compris..
J’espère que vous avez bien compris…
Bel article, mesuré, comme toujours.
En fond, on voit la problématique de notre système judiciaire dont le pouvoir n’est pas indépendant de l’exécutif (pour les parquets/procureurs) : il y aurait des choses à refondre, mais je ne pense pas que ce soit à l’ordre du jour (le « bras de fer » avec l’UE et la CEDH est moins couteux pour le moment…).
« C’est un atout considérable, un peu comme une empreinte immatérielle, mais à la différence d’une trace papillaire ou ADN, on pénètre là dans l’intimité des gens, on viole leur vie privée. C’est donc une démarche particulièrement intrusive qui ne devrait être effectuée qu’à bon escient. Est-ce vraiment le cas ? »
Qu’est-ce que le mauvais escient ? Savoir si un suspect se trouvait sur les lieux d’un fait ? N’est-ce pas le principe même de l’enquête policière ?
« En 2021, en France, les opérateurs téléphoniques ont reçu 1 726 144 réquisitions. Un adulte sur trente, environ, a donc fait l’objet d’une vérification de sa vie privée »
Imaginatif que d’associer une ligne téléphonique à un individu distinct, et chaque réquisition à une ligne unique. Cette idée doit doit faire sourire, chez Lebara, Lycamobile et autres sociétés dont une part essentielle de l’activité consiste à défaire l’obligation par les opérateurs d’identifier les utilisateurs de lignes téléphoniques.
« Eh bien, la Cour de cassation vient d’y mettre le holà ! Dans quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022, elle a entériné les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014, 2016, 2020 et 2021, qui déterminent les conditions dans lesquelles une nation peut autoriser l’accès aux données de téléphonie. »
Et comme une caisse enregistreuse, dans peu de temps, elle déclarera sans doute illégale l’idée de peine d’emprisonnement pour apologie du terrorisme – la CEDH l’a décrété.
Plus besoin de parlement, il suffit d’institutions internationales pour légiférer – et systématiquement au détriment de l’action judiciaire.
Ce commentaire n’est pas très constructif, n’est-il pas !
« Et comme une caisse enregistreuse, dans peu de temps, elle déclarera sans doute illégale l’idée de peine d’emprisonnement pour apologie du terrorisme – la CEDH l’a décrété. »
Doit on mettre en prison tous les maires dont la ville contient un boulevard Robespierre (parce que Robespierre est à l’origine de l’idée même de terrorisme)?