Début mai, Éric Dupond-Moretti a présenté au Conseil des ministres un projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour les années 2023 à 2027, lequel est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Ce projet de loi – mais c’est à présent la routine – sera examiné selon la procédure accélérée. La bonne nouvelle, c’est une augmentation budgétaire d’environ 20 % à l’horizon 2027, pour atteindre 10,7 milliards d’euros. Un effort financier qui devrait plutôt porter sur le recrutement. On parle de 1500 magistrats, autant de greffiers, et 7000 personnels administratifs, titulaires ou contractuels, parmi lesquels, une nouvelle fonction, celle d’attaché de justice. Côté prisons, il serait question de créer 15 000 places supplémentaires.
Évidemment, si on compare cette enveloppe aux 15 milliards d’augmentation attribués au ministère de l’Intérieur, c’est un bonbon acidulé.
Mais en dehors de l’aspect financier dont se rengorge le garde des Sceaux, quels sont les changements à attendre de cette loi au long cours et en quoi cela va-t-il changer nos rapports avec la justice, à nous, simples payeurs ?
Si je me limite au pénal et si vous êtes un citoyen qui attend une aide des magistrats lorsque vous êtes dans le caca, rien du tout ! Sauf une difficulté supplémentaire à saisir un juge d’instruction, donc à obtenir justice. Le seul petit plus, pour les victimes, sera un élargissement du champ des infractions recevables à la commission d’indemnisation.
En revanche, si vous êtes policier, gendarme, ou justiciable, alors, vous êtes concerné de bout en bout, puisqu’il est envisagé de modifier le régime des perquisitions, de réformer le statut de témoin assisté, de limiter la détention provisoire, de faire appel à la téléconsultation pour requérir un médecin ou un interprète durant la garde à vue, et enfin – c’est le bonbon amer -, de la possibilité d’activer à distance tous les appareils connectés : géolocalisation, son et image.
Toutefois, le gros morceau de cette loi, c’est une réécriture du code de procédure pénale (CPP). Et le « zéro papier », un peu l’Arlésienne de la Justice. Si le rendez-vous est tenu, ce sera une révolution, car les procès-verbaux pourraient être transmis en temps réel aux magistrats, voire, dans le cadre de l’instruction, aux avocats. C’est la fin du folklorique P-V de chique, en tout cas un contrôle en temps réel sur la procédure d’enquête. On attend la réaction des syndicats de la police…
C’est trop compliqué
La partie législative du code de procédure pénale serait donc réécrite par voie d’ordonnance, à droit constant. Comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (CSI), créé par une ordonnance de 2011, rédigé par les services du ministère de l’Intérieur, qui se voulait l’outil de travail des enquêteurs et que les mauvaises langues n’ont pas tardé à surnommer la version bêta du CPP.
Tout le monde s’accorde à dire que c’est trop compliqué. Le code de procédure pénale devrait donc être simplifié et amélioré.
La première simplification (?) vise la création d’un nouvel article concernant les perquisitions de nuit, ce sera le 59-1. Un vrai casse-tête.
Empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu
Lors d’une enquête de flagrance pour des atteintes physiques à la personne, le juge des libertés et de la détention pourra, je cite, « autoriser par ordonnance spécialement motivée que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues par l’article 59 (6 h / 21 h) lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».
Cet embrouillamini de mots semble vouloir dire que les enquêteurs pourraient s’affranchir des heures légales pour empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu. Ou un truc comme ça !
Mieux (et de mauvaise foi) : pour empêcher un crime ou une agression, ils devront demander au juge des libertés et de la détention la permission de s’introduire dans un domicile. Alors qu’il s’agit de porter secours. Ce qui est déjà prévu dans l’article 59, en cas de « réclamation faite de l’intérieur d’une maison », ou par l’état de nécessité, c’est-à-dire le fait d’accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien. Ce qui permet par exemple aux pompiers de pénétrer dans un lieu privé.
Or, tout ce qui est dit dans ce futur article 59-1, figure déjà dans le code pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées et un certain nombre d’infractions criminelles spécifiques. Il suffirait donc d’y ajouter un alinéa. En fait, lorsque les exceptions deviennent plus nombreuses que le tout-venant, la première des simplifications consiste à inverser les mots. Il suffirait de dire que les perquisitions de nuit sont autorisées, sauf si la loi en dispose autrement. Plus simple, tu meurs ! Sauf que le Conseil constitutionnel s’est toujours opposé à franchir le pas : le domicile, notre domicile, c’est le cocon de notre vie privée.
L’impression qu’il ressort de la lecture de ce premier article du code de procédure pénale simplifié, c’est la fourberie : le rapporteur nous prend pour des cons.
Les enquêteurs n’y arrivent plus
Toutefois, il y a une proposition phare qui, volontairement ou non, masque tout le reste : l’activation à distance de nos appareils connectés (téléphone, ordinateur, caméra de sécurité…). « Alexa » pourrait bien devenir le cafard de la maison…
Pour justifier cette nouvelle incursion dans notre vie privée, le garde des Sceaux nous dit que les enquêteurs n’y arrivent plus. « Ils sont confrontés à des délinquants de plus en plus aguerris », lesquels cherchent à déjouer le travail des services de police et de gendarmerie en surveillant étroitement leur domicile ou leurs lieux de rencontre, et en passant leur véhicule au peigne fin – cela « pour éviter la pose de caméras, micros ou balises permettant de les localiser ou de procéder à des captations d’images et de sons ».
En deux mots, les voyous ne font rien pour faciliter le travail des flics.
Cette mauvaise volonté de leur part est d’ailleurs mise en exergue dans un article de Mediapart du 2 juin, qui fait état, photos à l’appui, de la découverte de balises GPS, de caméras et de micros au domicile ou dans le véhicule de dangereux écologistes, notamment ceux qui luttent contre l’installation de mégabassines. « Chaque déplacement de ma vie personnelle a été surveillé », dit Justine, la cantinière du mouvement écolo. Eh bien, Justine, enfin une bonne nouvelle, demain tu seras surveillée, mais tu n’en sauras rien. Après tout, il est difficile de s’inquiéter de ce qu’on ignore…
« Il paraît donc nécessaire, peut-on lire dans le projet de loi, d’octroyer aux enquêteurs un cadre juridique pour leur permettre de conduire leurs opérations sans risquer de trahir leur présence, via la possibilité́ d’activer à distance un appareil connecté du mis en cause afin de procéder à l’enregistrement des images et paroles, ainsi que des données de localisation. »
Je sais, la plupart des gens haussent les épaules en disant « Je m’en fiche qu’on m’espionne, je n’ai rien à cacher. » Ben, moi non plus, je n’ai rien à cacher, mais je ne veux pas que ça se sache.
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