Dans un petit bourg au sud du Tyrol, au fond d’une grotte recouverte de végétations dont l’entrée a été obstruée par un éboulement, deux caisses remplies de lingots d’or frappés du sceau hitlérien attendent l’aventurier qui saura les découvrir.

Je vais vous raconter l’histoire de cet or et de l’homme qui a enterré ce butin de guerre, tel que me l’a confiée mon ami, Charles Pellegrini, ancien commissaire de police, qui a participé à cette chasse au trésor.

Le Clown, peinture sur toile de Max Dissar, MutualArt.com

Cet homme est un artiste peintre connu sous le nom de Max Dissar – l’anagramme de son nom véritable, puisque, pour l’état civil, il se nomme Maximilien Alberto Sardi, né en mars 1908 à Nice.

Il a obtenu plusieurs prix, son œuvre essentielle tournant autour du monde du cirque. Il a notamment réalisé le portrait de nombreux clowns célèbres : Rastelli, Popoff, Cavallini, Fratellini, etc. On peut trouver certaines de ses toiles en salles de vente à des prix très raisonnables.

Sa carrière s’est arrêtée un peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins pour plusieurs années.

1944 – 1945

En mai 1944, après avoir tenté d’inonder l’Europe de faux billets de banque britanniques (opération Bernhard), l’unité allemande chargée des contrefaçons reçoit pour instruction d’imprimer de faux dollars américains. C’est un challenge, car ces billets sont beaucoup plus difficiles à fabriquer ; il faut faire appel à de nouveaux spécialistes, et notamment des graveurs. C’est ainsi que Max Dissar devient faux-monnayeur.

On ne sait pas exactement dans quelles conditions il s’est retrouvé à travailler pour les Allemands, comme prisonnier, ou peut-être, comme beaucoup de Français, sous le régime du travail forcé. Le fait est qu’il a participé pour les nazis à la gravure de matrices destinées à fabriquer de faux dollars américains, dans un endroit tenu secret, en Autriche, près de la frontière italienne.

Tandis que l’Armée rouge marche sur Vienne et que les raids aériens américains et britanniques se multiplient sur l’Autriche annexée, et notamment sur Innsbruck, la capitale autrichienne du Tyrol, les Allemands comprennent que c’est la fin : de nombreux SS abandonnent l’uniforme. C’est le début de la déroute. Pour ceux qui sont proches de la frontière, leur ligne de vie passe par l’Italie, d’où ils pourront rejoindre des pays peu regardants sur leur passé. Max Dissar saisit l’opportunité. Accompagné de deux hommes dont on ne sait pas s’ils sont français, allemands ou italiens, il s’échappe de son camp de travail. Toutefois, les trois comparses ne partent pas les mains vides ; ils chargent deux caisses de lingots d’or sur une charrette tirée par un cheval. Rapidement, ils sont confrontés à la réalité : jamais ils n’arriveront à traverser cette région alpine avec cet attirail roulant. Alors, ils s’arrêtent dans une forêt proche de la petite commune d’Ortisei, en Italie, et décident – on imagine à regret – de se défaire de leur butin. À défaut d’outils, ils déposent les deux caisses au fond d’une grotte, dont ils obstruent l’entrée à l’aide d’explosifs. En ce temps de guerre, l’explosion passe inaperçue.

Puis les trois fugitifs se séparent. Ils ne se sont jamais revus.

La guerre finie, Max Dissar est arrêté par les autorités françaises, non pas pour son passé de faussaire, mais pour avoir peint le portrait du général Rommel. Un portrait, qualifié de chef-d’œuvre, qui se trouverait aujourd’hui dans la chambre forte d’un collectionneur allemand. Bien qu’il ait argué pour sa défense avoir agi sous la contrainte, il est condamné pour collaboration avec l’ennemi à une peine d’emprisonnement de plusieurs années qu’il purge au pénitencier de Casabianda, en Corse.

Mais devant les juges, il s’est bien gardé de parler de son trésor enfoui sous des mètres cubes de terre et de roches, en Italie, près de la frontière autrichienne.

40 ans après

En revanche, il s’est confié à Charles Pellegrini, lorsqu’il a fait sa connaissance, en 1984. À l’époque, le commissaire de PJ, qui a participé à toutes les affaires célèbres relevant du grand banditisme des années 1970-1980 (le gang des Lyonnais, Jacques Mesrine, Patrick Henry…), était détaché dans un service extérieur. Le peintre lui propose de l’aider à retrouver ce trésor caché. Une chasse au trésor ! Le challenge est excitant. Le commissaire accepte.

Les deux hommes, accompagnés de leur épouse, décident de passer un week-end à Ortisei. Ils parcourent les environs, comme des touristes, et finalement, après avoir tourné un bon moment, Max Dissar reconnaît la fameuse caverne, là où il a abandonné les caisses remplies de lingots de la « Deutsche Reichbank », bien qu’elle soit recouverte de végétation. Le petit ruisseau qui coule à proximité lui a servi de repère. Ils prennent des photos.

Un peu plus tard, Charles Pellegrini retourne sur place, seul cette fois, afin d’étudier la stratégie à mettre en œuvre pour explorer la caverne. Vêtu comme un randonneur, il examine les lieux d’un œil technique : l’opération est-elle réalisable ? Ce ne sera pas facile : l’éboulement a fermé l’entrée de la petite grotte d’un mur de pierres conséquent et les racines de la végétation d’herbes et d’arbustes forment un ciment qui consolide l’ensemble. De plus, dans ce bourg italien, mais germanophone, où dans les tavernes on parle un patois guttural, il ne peut pas passer inaperçu. C’est impossible, se dit-il.

Mais l’aventure continue à l’obséder. Il ne peut pas envisager de renoncer sans avoir tout essayé. Il retourne à Ortisei une troisième fois. Cette fois, il s’est muni du matériel ad hoc et de détecteurs de métaux performants ; et il est accompagné d’un « spécialiste des tunnels » qui en a creusé pas mal – sous les banques. Le diagnostic est formel : il faut percer sous les roches et étayer solidement au fur et à mesure. Un chantier onéreux qui ne peut pas passer inaperçu. Il faudrait agir officiellement, oui, mais la législation française sur la découverte d’un trésor ne s’applique pas en Italie. L’État prendrait tout.

Les années ont passé. Charles Pellegrini n’est jamais retourné à Ortisei. À l’époque, il y a quarante ans maintenant, il était persuadé que tout était vrai dans cette histoire. « Mais le trésor s’y trouve-t-il encore ? » se demande-t-il, rêveur. « Quelqu’un l’a-t-il découvert ? » Probablement pas les deux fugitifs qui accompagnaient son ami Max Dissar, car celui-ci semblait persuadé qu’ils avaient trouvé la mort lors des bombardements alliés. Il a bien pensé en informer les autorités italiennes, mais le secret ne lui appartenait pas.

Max Dissar est décédé en 1993, à Montreux, en Suisse, sur les rives du lac Léman, là où il avait élu domicile après sa libération.