LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Charles Pellegrini

Flic story : Où sont les lingots d’or volés aux nazis par Max Dissar ?

Dans un petit bourg au sud du Tyrol, au fond d’une grotte recouverte de végétations dont l’entrée a été obstruée par un éboulement, deux caisses remplies de lingots d’or frappés du sceau hitlérien attendent l’aventurier qui saura les découvrir.

Je vais vous raconter l’histoire de cet or et de l’homme qui a enterré ce butin de guerre, tel que me l’a confiée mon ami, Charles Pellegrini, ancien commissaire de police, qui a participé à cette chasse au trésor.

Le Clown, peinture sur toile de Max Dissar, MutualArt.com

Cet homme est un artiste peintre connu sous le nom de Max Dissar – l’anagramme de son nom véritable, puisque, pour l’état civil, il se nomme Maximilien Alberto Sardi, né en mars 1908 à Nice.

Il a obtenu plusieurs prix, son œuvre essentielle tournant autour du monde du cirque. Il a notamment réalisé le portrait de nombreux clowns célèbres : Rastelli, Popoff, Cavallini, Fratellini, etc. On peut trouver certaines de ses toiles en salles de vente à des prix très raisonnables.

Sa carrière s’est arrêtée un peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins pour plusieurs années.

1944 – 1945

En mai 1944, après avoir tenté d’inonder l’Europe de faux billets de banque britanniques (opération Bernhard), l’unité allemande chargée des contrefaçons reçoit pour instruction d’imprimer de faux dollars américains. C’est un challenge, car ces billets sont beaucoup plus difficiles à fabriquer ; il faut faire appel à de nouveaux spécialistes, et notamment des graveurs. C’est ainsi que Max Dissar devient faux-monnayeur.

On ne sait pas exactement dans quelles conditions il s’est retrouvé à travailler pour les Allemands, comme prisonnier, ou peut-être, comme beaucoup de Français, sous le régime du travail forcé. Le fait est qu’il a participé pour les nazis à la gravure de matrices destinées à fabriquer de faux dollars américains, dans un endroit tenu secret, en Autriche, près de la frontière italienne.

Tandis que l’Armée rouge marche sur Vienne et que les raids aériens américains et britanniques se multiplient sur l’Autriche annexée, et notamment sur Innsbruck, la capitale autrichienne du Tyrol, les Allemands comprennent que c’est la fin : de nombreux SS abandonnent l’uniforme. C’est le début de la déroute. Pour ceux qui sont proches de la frontière, leur ligne de vie passe par l’Italie, d’où ils pourront rejoindre des pays peu regardants sur leur passé. Max Dissar saisit l’opportunité. Accompagné de deux hommes dont on ne sait pas s’ils sont français, allemands ou italiens, il s’échappe de son camp de travail. Toutefois, les trois comparses ne partent pas les mains vides ; ils chargent deux caisses de lingots d’or sur une charrette tirée par un cheval. Rapidement, ils sont confrontés à la réalité : jamais ils n’arriveront à traverser cette région alpine avec cet attirail roulant. Alors, ils s’arrêtent dans une forêt proche de la petite commune d’Ortisei, en Italie, et décident – on imagine à regret – de se défaire de leur butin. À défaut d’outils, ils déposent les deux caisses au fond d’une grotte, dont ils obstruent l’entrée à l’aide d’explosifs. En ce temps de guerre, l’explosion passe inaperçue.

Puis les trois fugitifs se séparent. Ils ne se sont jamais revus. Continue reading

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Un grand flic trop modeste s’en est allé

Louis Bayon est mort à Plaisir, dans les Yvelines, aussi discrètement qu’il a vécu. Peu de gens connaissent son nom et son visage, il a pourtant fait un travail remarquable, notamment en police judiciaire.

Commissaire Louis Bayon, lors d’un stage banditisme, 1981

Dans son livre RAID, des hommes discrets (Anne Carrière, 1994), Charles Pellegrini dit de lui : il est « connu dans toute la police pour son mutisme légendaire. Il s’exprime peu et seulement sur des points précis. Son caractère à l’emporte-pièce lui permet de prendre des décisions claires qu’il assume jusqu’au bout. »

Né en 1945, à Grâce-Uzel (Côte d’Armor), Louis Bayon a débuté sa carrière dans la police en 1968 comme inspecteur, avant de passer le concours de commissaire. Sauf erreur, il doit être le major de la 25e promotion de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Confronté à la lutte contre le grand banditisme, il a été successivement patron du GRB (groupe de répression du banditisme) de Strasbourg, de Versailles, puis de Marseille, avant d’être nommé chef de la sûreté urbaine de Rennes, où il prend en main le GIPN (groupe d’intervention de la police nationale). Il était alors l’un des rares commissaires à posséder une expérience de la lutte contre la criminalité organisée et le saute-dessus au quotidien. Pragmatique, Pierre Joxe le choisit pour diriger le RAID en remplacement d’Ange Mancini, le chef-fondateur de ce service d’élite. Bayon a 45 ans.

Il restera six ans à tête du RAID, ce qui est un record, égalé seulement par Amaury de Hautecloque (2007/2013). Durant ce commandement, il aura à traiter de nombreuses interventions à hauts risques : mutineries dans les prisons, ETA « militaire », associations de malfaiteurs proches d’Al-Qaïda issues de la guerre de Bosnie-Herzégovine, et peu avant son départ, la neutralisation difficile du gang de Roubaix…

Mais, même s’il se n’est pas confié, l’affaire qui l’aura probablement le plus marqué est la prise d’otages à la maternelle de Neuilly.

Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Il se fait appeler HB (Human Bomb) et il doit être pris au sérieux, car son acte est prémédité : pour renforcer sa crédibilité, antérieurement, il a fait sauter un pain de plastic dans un parking de la commune. En fait, il se nomme Éric Schmitt. C’est un ancien militaire, dépressif, une énigme. Impossible de deviner sa détermination, mais on ne peut pas ne pas le prendre au sérieux. Bayon obtient carte blanche du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Sa mission n’est pas facilitée par la pression des autorités qui l’entourent, notamment le maire de la ville Nicolas Sarkozy, le préfet Charles-Noël Hardy et le procureur de Nanterre Pierre Lyon-Caen. Chacun, pour des raisons diverses, voulant s’inscrire au casting d’un scénario qui remplit pourtant tous les critères d’un film catastrophe. Dans la salle de classe où sont réunis les enfants, les « négociateurs » improvisés défilent devant un preneur d’otages qui les écoute, amusé, sarcastique ou lassé, mais inflexible, le doigt sur le détonateur de sa bombe.

Au moment de l’assaut, endormi, Schmitt se réveille. Il n’a pas le temps de faire un geste : trois balles dans la tête. La polémique juridique qui suivra ne prendra pas : on ne joue pas avec la vie d’enfants d’une maternelle.

Nombre de personnages à ce drame se sont par la suite manifestés, soit dans les médias, soit en écrivant un livre. Dont, 30 ans plus tard, le procureur Lyon-Caen : « J’étais rentré me reposer au moment de l’assaut. J’étais navré de sa mort. Si j’avais eu le temps, j’aurais pu l’inciter à se rendre. »

Louis Bayon, lui, n’a rien dit. Ni pendant ni après. Après son départ du RAID, il a été chargé de diriger la 4e division de la PJ, regroupant l’Office du banditisme (OCRB), l’office du proxénétisme (OCRTEH) et la brigade centrale des vols autos. Un poste autrefois prestigieux mais qui était devenu un peu bidon. En apprenant sa disparition, l’un de ses hommes, Claude Maltesse, qui se comptait parmi ses amis, a rapporté cette anecdote aux « Amis du 127 et de la PJ », que je retranscris avec son accord :

« Bayon s’était installé dans un petit bureau d’une quinzaine de mètres carrés qu’il partageait avec un autre commissaire, au 7e étage de l’immeuble Nanterre. Pour lui, qui avait eu une carrière intense et pleine de rebondissements, ce poste était manifestement un placard. Mais il ne s’en plaignait pas. Il était toujours d’humeur égale et prêt à aider quand on le sollicitait. »

Lorsque Roger Marion a été nommé directeur central adjoint, chargé des affaires criminelles, il a refusé de s’installer à Nanterre, préférant un bureau Place Beauvau, près du Bon Dieu. Le grand bureau directorial de Nanterre est donc resté vacant. Bayon ne s’y est pas installé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, lors d’un déplacement Paris-Nanterre, que Marion lui a enjoint d’occuper ces lieux et de s’asseoir dans le fauteuil occupé antérieurement par des Mancini,  Kerboeuf, Poinas, etc.

« Lors de son pot de départ, poursuit Claude Maltesse, nous avons fait une collecte pour lui faire un cadeau. » Il a demandé une clé USB. Nous étions au début des années 2000 et peu de gens savaient ce qu’était une clé USB. « Avec tout l’argent de la collecte, nous avons acheté la clé qui avait la plus grosse capacité de stockage pour l’époque, soit 1 GB… »

Louis Bayon, a terminé sa carrière en 2003, comme adjoint au sous-directeur des affaires criminelles, avec le grade de commissaire divisionnaire. Il n’a donc pas fait une carrière retentissante, mais il a laissé son empreinte dans la Grande Maison et un souvenir prégnant à tous ceux qui l’ont côtoyé.

Aujourd’hui, le grand flic mutique s’est tu définitivement. Adieu collègue !

 

Info trafic… d’influence

Ces temps-ci, plusieurs affaires judiciaires visant le trafic d’influence ont fait la une des journaux, notamment celles qui touchent les hautes sphères de la hiérarchie policière. La dernière en date concerne Bernard Squarcini, l’ancien patron du Renseignement intérieur. On peut toujours en déduire que les flics sont moins honnêtes qu’auparavant ou les juges plus sévères, mais la réalité est tout autre : le marché de la sécurité et du renseignement est devenu un champ de mines – de mines d’or, s’entend !

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Extrait du mensuel Super Picsou

Dans les entreprises, notamment les grands groupes, l’espionnage est aujourd’hui une bête noire. Elles sont tenues de se protéger – et accessoirement, mais il ne faut pas le dire, de rendre la pareille à leurs concurrents. On comprend bien que ni le droit ni la morale n’ont de place dans cette guerre underground ou tout est permis sauf de se faire prendre. Ainsi, peu de gens sont au fait des arcanes des énormes marchés militaires que la France a récemment remportés ! Or, dans ce jeu off, les services de l’État ne sont pas innocents, mais ils ne doivent pas apparaître : il leur faut une couverture. Qui est mieux placé qu’un ancien de leurs services ! C’est ainsi que nombre de policiers ou de militaires (pas nécessairement des gendarmes) se lancent dans l’aventure, oubliant parfois qu’ils agissent désormais sans gilet pare-balles.

Et les balles proviennent d’une loi du 4 juillet 1889 qui est issue d’un trafic de décorations. Continue reading

La PJ, de 1982

PARTIE 15 – Cette année-là, un vent de suspicion souffle au ministère de l’intérieur. Le virus de la paranoïa se répand dans les hautes sphères et certains vont même imaginer que la police est en train de manigancer un coup d’état. Toutefois, pendant que les uns règlent leurs comptes avec les autres, et vice-versa, les affaires continuent. Truands et terroristes s’en donnent à cœur joie.

À peine installé aux manettes, Gaston Defferre demande un audit sur la police. Un sondage top secret, mais complètement bidon, qui aboutit à la conclusion politiquement-incorrect-de-petillon.1176784159.jpgque la majorité des fonctionnaires de police sont opposés au gouvernement de Pierre Mauroy. Ils sont qualifiés de «droitiers». En janvier 1982, Jean-Michel Belorgey, député PS de l’Allier, remet à Defferre un rapport sur la réforme de la police. À la lecture du seul préambule, les rares policiers qui ont eu le privilège de lire ce… poulet, sautent au plafond. La police, pour résumer l’incipit, est « inefficace et envahissante… Elle préfère s’immiscer insidieusement dans les sphères de la vie sociale, plutôt que de protéger les honnêtes gens… Elle donne l’image d’un corps prétorien ou d’une police politique…» Et le reste est du même tonneau. À tel point que même Defferre n’ose entreprendre les réformes envisagées. Un journal parle de « rapport poubelle ». Pourtant, n’en déplaise à certains, à part le verbiage idéologique, tout n’était pas à jeter dans ce document. L’idée d’un organisme de contrôle extérieur à la grande maison pouvait être creusée, à condition d’en exclure les actes de police judiciaire, qui sont sous la responsabilité des magistrats. Et ce précepte, que Belorgey proposait d’insérer dans le code de déontologie, et que tous les chefs de police rejetèrent comme un seul homme : « Tout policier doit s’abstenir d’exécuter tout ordre dont il sait, ou devrait savoir, qu’il est illégal. » Cette phrase n’est que la paraphrase du code pénal.

Mais en ce début d’année, les services spécialisés dans la lutte contre le grand banditisme, comme l’OCRB, dont je suis devenu le chef à la suite d’un gilbert-ciamaraglia_photo-presse.1176754620.jpgmouvement de chaises musicales, ont d’autres chats à fouetter. Quelques mois auparavant, le juge Pierre Michel a été tué, à Marseille, par deux hommes montés sur une moto rouge. Tout est mis en œuvre pour retrouver les coupables. Une seule certitude : c’est le milieu. Mais lequel ? Michel était un magistrat efficace, mais impitoyable. Et ses ennemis étaient légions. D’entrée, les soupçons se portent sur Gaétan Zampa. La presse le désigne comme le commanditaire. Et, chose invraisemblable, Zampa se fend, via maître Pelletier, d’un droit de réponse. Il dément formellement toute implication dans ce meurtre.On aurait peut-être dû en tenir compte, car, avec le recul, on peut penser que nous, les cracks (?) de la lutte contre le grand banditisme, on s’est fait bananer. En effet, Zampa, à cette époque, est installé en région parisienne, d’où il dirige, disons… ses affaires. Il est très lié à Gérard Vigier, qui tient une boîte de nuit à Ozoir-la-Ferrière, en Seine-et-Marne. Son épouse, Christiane Convers, est actionnaire principal d’un complexe de loisirs, Le Krypton, implanté à Aix-en-Provence. Et il semble avoir organisé un trafic de stupéfiants sur une grande échelle : l’importation de morphine base depuis la Turquie. On pensecharles-giardana_photo-presse.1176754396.jpg même que, pour limiter les risques, il a imaginé un moyen judicieux. Le produit est placé dans de petits caissons, fixés sous les wagons d’un train. Et, grâce à une télécommande, la drogue peut être larguée à distance, à n’importe quel endroit sur le passage du train. Autrement dit, hormis la guerre contre Jacky le Mat, qui lui pose problème, il est bien installé. Comme tous les truands qui ont réussi, il aimerait bien « s’embourgeoiser ». Il n’a donc aucun intérêt à faire assassiner le juge Michel, car ce crime ne pouvait que mobiliser des centaines de policiers contre lui. Ce qui s’est passé. Les auteurs de ce meurtre, deux porte-flingues, seront arrêtés en 1986, à la suite de confidences recueillies par la police suisse. Charles Altieri pilotait la moto et François Checchi, se trouvait à l’arrière. C’est lui qui a ouvert le feu. La préparation a été effectuée par quatre petits voyous marseillais de la bande de la Capelette, Gilbert Ciaramaglia, Charles Giardina, Daniel Danty et André Cermolacce. On a dit que François Girard, dit François le blond, impliqué dans la Sicilian connection, arrêté en juillet 1981, aurait pu être l’instigateur de ce crime. On a aussi parlé de la mafia franco sicilienne. Et de moins en moins de Zampa. En 1984 (donc sans connaître l’épilogue), Philippe Lefebvre a tiré un film de ces événements, Le juge, avec Jacques Perrin et Richard Bohringer.

Le 24 février, c’est la naissance d’Amandine, le premier bébé éprouvette français (Qu’est-elle devenue ?), et, un mois plus tard, Defferre fait adopter par l’assemblée nationale sa loi sur la décentralisation. Pendant ce temps, les policiers participent aux premières élections professionnelles depuis l’avènement de la gauche. Et ils votent comme d’habitude. D’aucuns pensent qu’on ne peut tirer aucun enseignement de ce scrutin. Alors qu’il crève les yeux : dans leur métier, les poulets se fichent de la politique. Mais certains des nouveaux dirigeants de gauche, qui depuis des années « cassent du flic », ne peuvent du jour au lendemain admettre qu’ils se sont fourvoyés, et que la police n’est pas un ramassis de fachos, mais tout simplement un corps d’état au service de la République. L’exemple vient de haut. Mitterrand vire les policiers habituellement chargés de la protection du président de la République, pour les remplacer par des gendarmes. Parallèlement, il crée à ses côtés la fameuse cellule élyséenne, dirigée par le commandant Prouteau. Il nomme un secrétaire d’état chargé de la police, Joseph Franceschi, et, à la tête de tout ça, il place un fidèle parmi les fidèles, Michel Charasse. Lequel choisit le sous-préfet Gilles Ménage pour l’aider dans sa tâche. Afin de suivre les affaires en direct, ce dernier fait appel au commissaire Charles Pellegrini, à charge pour lui de créer un bureau de liaison regroupant la DGSE, la DST, les RG et la PJ. On fait une pause. La PJ, placée sous la responsabilité des magistrats, qui vient rendre compte de son activité à l’Elysée ! Et de ces juges, que l’on voit actuellement si prompts à défendre leur indépendance, pas un ne bouge. Bof! Charasse et Ménage, un… ménage bien dangereux pour la République. Ils vont créer un véritable réseau parallèle au sein de la police, utilisant tous les moyens techniques de l’époque. À croire qu’ils se sont inspirés des méthodes du SAC, ce mouvement, qui, après le massacre d’Auriol, vient d’être dissous. Dans le même temps, Gaston Defferre déclare : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes téléphoniques ». Il est largué, Gastounet – et nous de même. On ne sait plus qui fait quoi. Tout est en place pour les événements qui vont se dérouler l’année suivante. En attendant, quai des Orfèvres, certains n’ont toujours pas digéré le baston entre Defferre, Le Mouel et Leclerc. Et ilscharles-pellegrini_photo-presse.1176784529.jpg sentent la volonté politique de « casser » la PP. Ils envoient une bombe à la cellule élyséenne, en faisant croire à un individu peu fiable, informateur attitré des gendarmes, qu’ils enquêtent sur un réseau de dangereux terroristes placés sous les ordres du fameux Carlos. Les officiers de gendarmerie ont sans doute bien des qualités, mais ils n’ont pas le vice des vieux poulets. Ils foncent comme des boy-scouts. Et c’est l’affaire des Irlandais de Vincennes, ces pseudo-terroristes, dont la DST suit d’un œil amusé les agissements depuis des années, et qui rêvent en permanence de la révolution qu’ils ne feront jamais.

Pendant ce temps, les vrais terroristes nous terrorisent. La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. En juillet, une bombe explose, rue Saint-Maur, à Paris ; puis c’est le consulat de Turquie, à Lyon qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le VI°. Le 9 août, c’est la fusillade du restaurant Goldenberg, dans le quartier juif, et la fusillade de la rue des Rosiers. L’été n’en finit pas. À Paris, voiture piégée devant l’ambassade d’Irak, bombe contre l’hebdomadaire Minute… Le 21 août, deux démineurs de la préfecture de police sont tués alors qu’ils tentent de désamorcer une charge d’explosif sous la voiture d’un Américain. Le 17 septembre, un véhicule de l’ambassade d’Israël explose en plein Paris, faisant près d’une centaine de blessés. Etc. Cette année 1982, des centaines de personnes sont mortes ou ont été blessées victimes d’attentats. Et pendant ce temps, la police tourne au ralenti.

Le 27 juillet, Badinter fait adopter une loi qui supprime l’homosexualité du code pénal, mais il faudra attendre 1991, pour que l’Organisation mondiale de la santé lui emboîte le pas et modifie en ce sens sa liste des maladies mentales.

Le 13 septembre, la princesse de Monaco quitte la route au volant de sa Rover. Elle fait un plongeon de quarante mètres. Grace Kelly rend son dernier soupir le lendemain. Sa fille, Stéphanie, qui était à ses côtés, s’en sort sans trop de mal. On ergotera pour savoir si ce n’est pas elle qui était au volant (elle n’avait pas dix-huit ans), ce qui au fond n’a aucune importance. La véritable polémique sera médicale. Si on l’avait transportée au service neurologique de l’hôpitalle-virage-dhairpin.1176754971.jpg de Nice, elle avait des chances de s’en tirer, affirment certains médecins. En effet, l’hôpital de Monaco n’était même pas équipé d’un scanner. Mais, on dit aussi, qu’avant cet accident, Grace Kelly aurait eu plusieurs malaises. L’hypothèse d’un évanouissement au volant n’est pas impossible. Un routier, qui suivait la Rover a déclaré : « Je ne sais pas ce qui s’est passé. Curieusement, au virage de droite, je n’ai pas vu la voiture ralentir. Les stops ne se sont pas allumés. Elle n’a pas braqué. Bien au contraire, j’ai eu l’impression qu’elle roulait de plus en plus vite avant de disparaître par-dessus le parapet. » On ne saura jamais. Il n’y a pas eu d’expertise de la Rover, ni d’autopsie, ni d’enquête. Vingt-huit ans plus tôt, dans La main au collet, d’Alfred Hitchcock, la comédienne Grace Kelly, fonce sur cette même routeau volant d’un cabriolet, au grand dam de Gary Grant. Mais tous deux s’en sortent sains et saufs.

Le 7 décembre 1982, les États-Unis inaugurent une mise à mort plus… moderne que la chaise électrique. Pour la première fois, un homme est exécuté à l’aide d’une injection létale.

Bruno Sulak – Le 25 janvier 1982, Bruno Sulak est interpellé à Paris. C’est le résultat de huit mois de travail soutenu, pour tout un groupe de l’OCRB. Car, le sulak-alias-legionnaire-bernard-suchon.1176783450.jpgbougre, il nous a donné du fil à retordre ! Mais, comme les singes, on a fini par l’attraper – par la queue. Il faut dire que l’appât ne manque pas de charme. Elle se prénomme Chantal, et se dit cover-girl. Sulak, c’est le genre de type qui te réconcilie avec ton métier. C’est un voleur. Il assume. On lui pose des questions, il y répond. Et il ne balance pas ses copains. Ce qui ne nous arrange pas, mais on apprécie. Il part pour la prison avec une douzaine de braquages sur la conscience, notamment au préjudice de grandes bijouteries. Il n’y restera pas longtemps. Le 21 juillet, dans le train Montpellier-lyon, deux hommes braquent les gendarmes qui l’escortent, et il prend la poudre d’escampette. Durant cette cavale, il m’appelle régulièrement, non pas pour m’insulter ou me provoquer, mais juste pour parler – ou pour se faire peur. À tel point que de gentils collègues font courir des bruits sur ces relations «contre-nature» et je suis contraint de me justifier auprès de ma hiérarchie et du magistrat instructeur. Le 12 novembre, un copain de Sulak, Jean-Louis Secreto, s’évade de la maison d’arrêt où il est incarcéré, grâce à une complicité extérieure. Futés, on se dit : Tiens, si c’était Sulak ! Deux mois plus tard, une patrouille du commissariat des Mureaux, dans les Yvelines, se permet « un délit de sale gueule » envers deux occupants d’une voiture. Il s’agit de Marc Mill, une relation de notre évadé, et Anthony Delon, le fils du comédien. Dans le véhicule, ils découvrent des cagoules et un pistolet MAC 50, qui, vérification faite, est l’une des armes volées aux gendarmes dans le train Montpellier-Lyon. On avance, on avance. Mais, le fils d’Alain Delon soupçonné de tentative de braquage, ça intéresse les médias. Je passe mon temps à rédiger des notes à Pierre, Paul et Jacques, pour expliquer le pourquoi du comment. L’influence de Delon est énorme. Son fils ne restera qu’une seanthony-delon_gp.1176783553.jpgmaine ou deux derrière les barreaux, et la presse, courageusement, oubliera l’incident. La justice aussi, semble-t-il. Quant à Sulak, il est interpellé bien plus tard, à la frontière espagnole, avec de faux papiers. Il revient du Brésil. Il se fait passer pour un journaliste suédois homosexuel qui fuit pour échapper aux poursuites de sa femme. C’est tellement gros, et tellement bien joué, que tout le monde y croit. Il est écroué sous une fausse identité. Un délit bien mineur pour lui. Il faudra le flair d’un vieux routier de l’OCRB pour le percer à jour. In extremis. «À un jour près, j’étais libre, cette sacrée chance m’a bel et bien laissé tomber…» Cette phrase est une citation du livre de Pauline Sulak, Bruno Sulak, radisa-jovanovic-dans-le-film-le-professionnel.1176755637.jpgaux éditions Carrère. Il ne savait pas à quel point il disait vrai. Un peu plus tard, avec son complice (et ami) Radisa Jovanovic, dit Steves, il organise son évasion par hélicoptère. Mais la police de l’air et des frontières (PAF) a eu vent de l’opération. Le SRPJ de Bordeaux est informé – mais pas l’OCRB. Une souricière est tendue, au cours de laquelle Steves est abattu. Sulak en veut à la terre entière. Et surtout aux flics pour avoir (d’après lui) tiré trop vite et sans doute à lui-même pour avoir entraîné son ami dans cette galère. De procès en procès, il se retrouve à Fleury-Mérogis. C’est un détenu sans histoire. Il intériorise sa révolte et la communique dans l’Autre Journal. Seule sa notoriété lui vaut parfois des accrochages avec un geôlier grincheux ou un compagnon d’infortune envieux. La prison est une microsociété qui amplifie les imperfections de la société tout court. En mars 1985, après avoir convaincu un jeune cadre de l’administration pénitentiaire de l’aider, il tente de s’évader. Il est surpris par des gardiens, et, après une courte lutte, il fait une chute de sept mètres. Il s’écrase sur une dalle en ciment. À ce jour, ses proches sont encore persuadés qu’il a été assassiné.

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