LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 1 of 82)

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Les parlementaires ont entamé un sprint de fin d’année pour modifier les articles du code de procédure pénale concernant la garde à vue. Ils renaudent, nos élus, et ils n’ont pas tort : la France a été mise en demeure, il y a deux ans, par la Commission européenne de modifier certaines procédures de la GAV et nous sommes en cette fin d’année à la limite des sanctions financières. Or, rien n’a été envisagé, aucune étude sérieuse n’a été effectuée, en deux mots, on a laissé filer, alors que la directive européenne, dite « directive C », date de 2013 et qu’elle concerne essentiellement le rôle de l’avocat dans les procédures pénales et les droits de la personne privée de liberté.

Alice au pays des merveilles, Disney

Le résultat n’est pas brillant. Alors qu’une directive européenne fixe des objectifs en laissant à chaque État de l’Union le soin de l’adapter au mieux à son droit interne, la France a tergiversé en tentant de faire rentrer le dentifrice dans le tube, avant, en septembre dernier, que Bruxelles ne tape du poing sur la table.

On peut critiquer, se demander « de quoi qu’y se mêle », mais depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, en matière de justice et de police au sein de l’Union, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, les gouvernements des différents pays ont délégué́ leur pouvoir de décision aux élus européens et aux représentants des 27 États membres, lesquels sont tenus d’ailleurs de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’être attaqués devant elle ni même d’avoir modifié́ leur législation.

La garde à vue actuelle

Dans la procédure actuellement appliquée en France, deux points ne correspondent pas aux critères européens :

  • Le contact extérieur: le gardé à vue peut informer de sa situation uniquement la personne avec qui il vit habituellement ou l’un de ses parents proches (père, mère, frères et sœurs), ainsi que son employeur (indispensable pour ne pas risquer une rupture du contrat de travail). Il peut le cas échéant communiquer avec ces personnes.
  • L’avocat: Si deux heures après avoir été avisé, l’avocat ne s’est pas présenté, la première audition peut commencer en son absence, même si la personne retenue a expressément demandé sa présence (il conserve toutefois le droit de se taire).
Les modifications demandées

La directive de l’U-E demande la modification de ces deux éléments de notre code de procédure pénale pour harmoniser le droit européen selon les critères acceptés par chacun des États membres. Continue reading

La Cour de Justice de la République : un tribunal bon enfant

Il y a quelques jours, le ministre de la Justice a été relaxé par la Cour de Justice de la République (CJR). Les juges professionnels qui forment la « commission d’instruction » ont considéré que les éléments recueillis contre lui constituaient l’infraction de prise illégale d’intérêt, mais les juges qui l’ont jugé, 3 magistrats et 12 parlementaires (6 députés et 6 sénateurs), en ont décidé autrement : Éric Dupond-Moretti a été relaxé, faute « d’élément intentionnel » : en deux mots, il a bien accompli les actes qui lui étaient reprochés, mais il ne savait pas qu’en agissant de la sorte il commettait des infractions.

C’en est presque vexant pour un homme qui a plus de 30 ans de barreau derrière lui !

Le procureur général, Rémy Heitz, dans son réquisitoire n’a pas fait dans la dentelle. Il a souligné d’entrée que M. Dupond-Moretti se trouvait à l’évidence en situation de conflits d’intérêts et a affirmé avoir la conviction de sa culpabilité. Il a réclamé contre celui-ci une peine « juste et significative » d’un an de prison avec sursis, et pourtant il a préféré ne pas se pourvoir en cassation. « Le ministre dit qu’il faut tourner la page, souligne-t-il, je suis dans le même état d’esprit. » Il faut reconnaître qu’il n’était pas facile pour ce haut magistrat, nommé à son poste il y a quelques mois par décret du président de la République sur proposition de la Première ministre, d’aller plus loin dans l’attaque de son « patron ».

Pour l’avocat de l’association Anticor, à l’origine de la plainte contre le garde des Sceaux, il se trouvait devant « un conflit de réalité juridique et politique qui lui interdisait de former ce pourvoi ».

Ainsi, le prévenu était en situation de conflits d’intérêts et l’avocat général, qui représente la société, était en situation de conflit juridico-politique. Cette justice feutrée devrait servir d’exemple à bien des magistrats, notamment lorsqu’ils jugent à la chaîne des hommes et des femmes en comparution immédiate.

Le délit de prise illégale d'intérêt

Autrefois appelée délit d’ingérence, la prise illégale d’intérêt est aujourd’hui prévue par l’article 432-12 du code pénal. C’est une infraction punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende Continue reading

Disparition de la petite Maddie : la police portugaise présente ses excuses

Selon la BBC, la police judiciaire portugaise aurait admis avoir mal géré l’enquête sur la disparition de la fillette britannique, en mai 2007, alors qu’elle était en vacances au Portugal. Et elle aurait présenté ses excuses aux parents. Une information qui n’a pas été confirmée, les autorités portugaises se contentant de parler d’un contact avec la famille de la victime afin de faire un point sur l’avancée de l’enquête.

Cette contradiction montre à quel point la tension perdure entre Anglais et Portugais après 16 ans d’une enquête criminelle autour de laquelle, exploitant l’émotion provoquée par la mystérieuse disparition d’une enfant, se sont greffés des enjeux politiques et mercantiles. Certains individus n’hésitant à profiter de la fragilité d’une famille meurtrie, fragilisée, pour se lancer dans un merchandising odieux. Autant de déclarations, de pressions, de contradictions, d’engueulades…, qui n’ont pas facilité les choses. Ce charivari explosif a dynamité l’enquête.

Il y a maintenant 3 ans, le parquet de Brunswick, dans le nord de l’Allemagne, a annoncé détenir des éléments de preuve contre l’un de ses ressortissants. Cet Allemand, Christian Brueckner, âgé de 46 ans, actuellement incarcéré pour des infractions sexuelles, a été dénoncé par un taulard. Cette piste s’annonce comme une dernière chance de connaître la vérité.

Un espoir bien sombre, car, si c’est lui le coupable, Maddie est morte.

La disparition

En cette soirée du 3 mai 2007, Madeleine McCann, dite Maddie, a disparu de sa chambre, dans un luxueux club de vacances situé à Praia da Luz, en Algarve, au Portugal, où elle était supposée dormir.  Elle allait avoir 4 ans.

Ce soir-là, les McCann dînent avec des amis, dans un restaurant situé à proximité. Vers 22 heures, Kate, la mère de Maddie, se lève de table pour s’assurer que ses enfants, laissés seuls, vont bien. Ses deux bébés, des jumeaux, dorment à poings fermés, chacun dans son berceau. La porte de la chambre de sa fille n’est pas fermée, ce qui l’étonne. Elle entre, la fenêtre est ouverte, le volet est levé : Maddie a disparu.

C’est du moins ce qui ressort de sa première audition. Par la suite, elle et son mari ont dû modifier leur déposition pour être raccord entre eux et avec les autres témoignages. En fait, on ne saura jamais ce qui était ouvert ou fermé dans ce meublé de vacances, si ce n’est par un communiqué d’un ancien policier, devenu enquêteur privé, qui a déclaré que l’on n’avait forcé ni le contrevent ni la fenêtre et que la porte-fenêtre était ouverte.

 Les parents un temps soupçonnés
d’homicide involontaire

La gendarmerie ne sera prévenue que 50 minutes plus tard. Dès l’alerte donnée, les recherches s’organisent dans l’environnement immédiat : la petite fille est peut-être sortie pour tenter de retrouver ses parents… Puis les enquêteurs envisagent la possibilité d’un enlèvement : 250 personnes participent aux recherches et 500 appartements sont fouillés. On monte à la hâte une cellule de crise. Le directeur régional de la PJ informe les autorités judiciaires de la possibilité d’un « kidnapping », mais il ne peut agir sans l’aval du parquet et la désignation d’un juge d’instruction. Il faudra six jours pour que la photo de l’enfant paraisse dans la presse. Entre-temps, des policiers britanniques ont débarqué. La pression politique grimpe en flèche. Les offres de récompense se multiplient. En quelques jours, elles atteignent 4 millions d’euros. Les parents sont interrogés pendant 13 heures, puis ils sont mis hors de cause. Plus tard, ils seront mis en examen avant, finalement, faute d’éléments concrets, que le dossier ne soit classé. En l’espace d’une dizaine de jours, ils ont créé un fonds de soutien : les dons affluent. Avec cet argent, ils embauchent un responsable de la com., des enquêteurs privés… Fin mai, ils sont reçus par le pape. Au 50e jour de la disparition, des lâchers de ballons sont organisés dans plusieurs pays d’Europe, des tee-shirts à l’effigie de Maddie sont même vendus lors de ces manifestations de soutien. L’affaire a pris une dimension internationale… et commerciale. Continue reading

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

« Les anges gardiens du 36 »

Alors que le « gardien de la paix » disparaît peu à peu du vocabulaire, si ce n’est sur la feuille de paie des policiers de base, il n’est pas sûr que le titre de ce livre soit bien adapté à notre époque. Les anges, en l’occurrence, sont les policiers de la BRI. Mais on peut aussi se dire que ce sont les gardiens du 36 quai des Orfèvres, puisque c’est le seul service de PJ qui soit resté dans l’Île de la Cité, peut-être grâce à l’action de son ancien chef, le commissaire Christophe Molmy. Les autres ont rejoint le New-36, le Bastion, quasi accolé au nouveau Palais de Justice.

Ce livre n’est donc pas un recueil nostalgique de souvenirs de la PJ parisienne, comme il y en a beaucoup, mais un ouvrage qui nous fait vivre en live des interventions de la BRI. Un service créé en 1966 par le commissaire François Le Mouël, essentiellement pour neutraliser des équipes de braqueurs en flag ou, plus tard, en « opération retour ». D’où le nom d’« antigang ». Puis, au lendemain de la prise d’otages meurtrière au cours des JO de Munich, en 1972, une question s’est posée : en France, dans une situation analogue, quel service de police pourrait intervenir ?

Après un tour de table, la réponse est tranchée : la BRI. Et, pour détourner sa compétence territoriale limitée à la zone PP, il est décidé de créer une brigade anti-commando, en fait, un service fantôme regroupant, en cas d’alerte, la BRI et des policiers volontaires qui, le temps de la mission, seront détachés de leurs obligations habituelles. La BRI-BAC n’agit plus alors comme un service de PJ, mais, en droit, dans le cadre d’une mission de police administrative. Elle peut donc intervenir sur n’importe quel coin du territoire. C’était malin. Plus tard, la création du GIGN, puis du RAID a changé le paysage des services d’intervention. Et la lutte contre le terrorisme islamiste a bousculé tous les services de police.

Aujourd’hui les effectifs de la BRI ont considérablement gonflé et, lorsqu’elle intervient dans une affaire de terrorisme, on parle de BRI-CT, pour contre-terrorisme.

Jacques Capela, dessin de Jean-Charles Sanchez, extrait du livre « Les anges gardiens du 36 », Mareuil Editions

L’auteur, Jérémy Milgram (16 ans de BRI) nous entraîne dans les opérations à hauts risques auxquelles il a participé. Il les raconte à la première personne, en évitant habilement de tirer la couverture à lui. Ce qui est sympa. La typographie du livre est originale et les dessins de Jean-Charles Sanchez (autre policier) sont vraiment chouettes. Il a du talent, le monsieur ! Son portrait en pied de l’inspecteur divisionnaire Jacques Capela, chef de groupe à la brigade criminelle, tué lors de la prise d’otages à l’ambassade d’Irak à Paris, en juillet 1978, est saisissant de réalisme.

Olivier Marchal les a côtoyés, ces « opérateurs » de la BRI. Il préface le livre : « Milgram et sa bande de chiens fous vaccinés à la bravoure et à l’adrénaline Continue reading

La DGSI met les journalistes en « joug »

Plusieurs affaires récentes montrent que les journalistes font l’objet de toute l’attention des services de renseignement, au point de se demander s’il n’y a pas un service « presse » à la DGSI… Ce n’est pas la journaliste Ariane Lavrilleux qui dira le contraire. En fait, ce qui intéresse avant tout nos agents secrets, ce ne sont pas les journalistes, mais ceux qui les renseignent : leurs sources. Deux secrets sont en balance, et, in fine, la justice devra trancher entre le secret des sources des journalistes, protégé par une loi un peu floue de 2010 et encadré par la loi historique de 1881, et le secret de la défense nationale, protégé par une multitude de textes que la DGSI est en charge de faire respecter. Un échelon en dessous dans la hiérarchie pénale, les journalistes doivent naviguer entre le secret de l’enquête judiciaire et de l’instruction, un principe fondateur de la procédure pénale, ou encore la loi de 2018 relative à la protection du secret des affaires, dite « loi bâillon ».

Capture d’écran DGSI

Si Ariane Lavrilleux risque une mise en examen pour compromission d’un secret de la défense nationale, dans le même temps, après une série d’articles sur la mort d’un jeune Roubaisien tué par un policier, trois journalistes de Libération sont suspectés de recel de violation du secret de l’instruction.

Le secret de l’instruction fonctionne sur un mode bipartite. Il ne concerne que ceux qui concourent directement à la procédure : magistrats, enquêteurs et personnels judiciaires, permanents ou occasionnels. Il ne concerne ni les justiciables ni les victimes ni les témoins ni les avocats (néanmoins tenus au secret professionnel) ou les journalistes. Le biais judiciaire consiste donc à retenir le recel de violation du secret de l’instruction.

Autrefois, le recel était uniquement matériel : tu détiens un objet volé, tu en es le receleur, de bonne ou de mauvaise foi, selon les cas. Puis, ces dernières décennies, le recel s’est désincarné : on est entré dans le domaine du droit pénal abstrait et interprétatif.  Un régal pour les procureurs, puisque ces magistrats-fonctionnaires sont les premiers à qualifier une infraction. Il suffit, par exemple, d’adjoindre « bande organisée » à un vol pour donner aux enquêteurs des moyens d’investigations hors normes.

L’écoterrorisme, dont on nous rebat les oreilles, est l’exemple parfait de cette manipulation juridique. Dans un article de Mediapart du 29 septembre 2023, intitulé « Sur fond d’espionnite, les incroyables dérives de l’enquête contre la mouvance écologique », les journalistes Karl Laske et Jade Lindgaard, nous narrent les mésaventures d’un photojournaliste proche du mouvement « antibassines », qui a fait l’objet de surveillances de la SDAT (sous-direction antiterroriste), durant six mois, avec des moyens humains et financiers considérables, et des moyens high-tech autorisés en droit par le législateur pour faire face au terrorisme armé, notamment l’utilisation du pack « Centaure » – rien à voir avec le cheval à tête humaine, il s’agit d’une solution clés en main proposée par l’entreprise Chapsvision (voir encadré). Une affaire florissante puisque Chapsvision vient d’effectuer une levée de fonds de 90 millions d’euros !

Quant au secret de la défense nationale Continue reading

Délit de sale gueule… de chien

L’autre jour, je promenais mon chien, Pat, un springer en pleine force de l’âge, pas méchant pour deux sous, lorsque sur l’autre trottoir, j’aperçois un molosse qui traîne son maître, la langue pendante — le chien pas le maître. On le connaît Patou et moi, c’est le genre d’animal que t’as pas envie de caresser. Si j’étais vache, j’ajouterais que c’est un chien policier. En général, dans ces cas-là, Pat prend sa laisse entre ses crocs et me tire au-delà du cercle de danger, comme on dit chez les bodyguards. Il simule l’indifférence, ou fait mine de me protéger, mais je sais bien qu’il n’a pas envie d’une confrontation. La bagarre, c’est pas son truc ! Mais ce jour-là, il est de mauvais poil, va savoir pourquoi ! et il se laisse aller à un délit de sale gueule. Les clébards, c’est comme les humains, parfois, ils déjantent. Le Patounet balance ses vingt-cinq kilos de muscles en direction du monstre qui fait plus de deux fois son poids. Je me cramponne à la laisse. Le sol est glissant et, pat-atras, je fais un soleil.

Entre ciel et terre, deux pensées m’ont traversé l’esprit : une certitude, ne pas lâcher la laisse, sinon ce petit con va se faire massacrer ; et une interrogation, que me reste-t-il de mes années de judo et des séances de chutes sur la toile rugueuse du tatami ?

Je m’entortille autour d’un poteau de signalisation, et je touche le sol, un rien sonné. Assis sur le trottoir, en attendant que les étoiles s’éteignent, je tâte mes membres, je compte mes bosses, tandis que le chien, penaud, me barbouille de sa langue. Je ne suis pas resté longtemps, une minute peut-être, et ben, je vais vous dire un truc, devant le spectacle de ce bonhomme crépusculaire assis sur un coin de trottoir, l’air à l’ouest, avec son clebs qui lui lèche la tronche, trois automobilistes se sont arrêtées, trois femmes. « Ça va aller, Monsieur ? Vous avez besoin d’un coup de main ? Vous voulez que je vous dépose quelque part ? Etc. »

J’en avais la larme à l’œil.

A longueur de journée, on nous sature de mauvaises nouvelles, de mensonges ou de certitudes erronées Continue reading

Un grand flic trop modeste s’en est allé

Louis Bayon est mort à Plaisir, dans les Yvelines, aussi discrètement qu’il a vécu. Peu de gens connaissent son nom et son visage, il a pourtant fait un travail remarquable, notamment en police judiciaire.

Commissaire Louis Bayon, lors d’un stage banditisme, 1981

Dans son livre RAID, des hommes discrets (Anne Carrière, 1994), Charles Pellegrini dit de lui : il est « connu dans toute la police pour son mutisme légendaire. Il s’exprime peu et seulement sur des points précis. Son caractère à l’emporte-pièce lui permet de prendre des décisions claires qu’il assume jusqu’au bout. »

Né en 1945, à Grâce-Uzel (Côte d’Armor), Louis Bayon a débuté sa carrière dans la police en 1968 comme inspecteur, avant de passer le concours de commissaire. Sauf erreur, il doit être le major de la 25e promotion de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Confronté à la lutte contre le grand banditisme, il a été successivement patron du GRB (groupe de répression du banditisme) de Strasbourg, de Versailles, puis de Marseille, avant d’être nommé chef de la sûreté urbaine de Rennes, où il prend en main le GIPN (groupe d’intervention de la police nationale). Il était alors l’un des rares commissaires à posséder une expérience de la lutte contre la criminalité organisée et le saute-dessus au quotidien. Pragmatique, Pierre Joxe le choisit pour diriger le RAID en remplacement d’Ange Mancini, le chef-fondateur de ce service d’élite. Bayon a 45 ans.

Il restera six ans à tête du RAID, ce qui est un record, égalé seulement par Amaury de Hautecloque (2007/2013). Durant ce commandement, il aura à traiter de nombreuses interventions à hauts risques : mutineries dans les prisons, ETA « militaire », associations de malfaiteurs proches d’Al-Qaïda issues de la guerre de Bosnie-Herzégovine, et peu avant son départ, la neutralisation difficile du gang de Roubaix…

Mais, même s’il se n’est pas confié, l’affaire qui l’aura probablement le plus marqué est la prise d’otages à la maternelle de Neuilly.

Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Il se fait appeler HB (Human Bomb) et il doit être pris au sérieux, car son acte est prémédité : pour renforcer sa crédibilité, antérieurement, il a fait sauter un pain de plastic dans un parking de la commune. En fait, il se nomme Éric Schmitt. C’est un ancien militaire, dépressif, une énigme. Impossible de deviner sa détermination, mais on ne peut pas ne pas le prendre au sérieux. Bayon obtient carte blanche du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Sa mission n’est pas facilitée par la pression des autorités qui l’entourent, notamment le maire de la ville Nicolas Sarkozy, le préfet Charles-Noël Hardy et le procureur de Nanterre Pierre Lyon-Caen. Chacun, pour des raisons diverses, voulant s’inscrire au casting d’un scénario qui remplit pourtant tous les critères d’un film catastrophe. Dans la salle de classe où sont réunis les enfants, les « négociateurs » improvisés défilent devant un preneur d’otages qui les écoute, amusé, sarcastique ou lassé, mais inflexible, le doigt sur le détonateur de sa bombe.

Au moment de l’assaut, endormi, Schmitt se réveille. Il n’a pas le temps de faire un geste : trois balles dans la tête. La polémique juridique qui suivra ne prendra pas : on ne joue pas avec la vie d’enfants d’une maternelle.

Nombre de personnages à ce drame se sont par la suite manifestés, soit dans les médias, soit en écrivant un livre. Dont, 30 ans plus tard, le procureur Lyon-Caen : « J’étais rentré me reposer au moment de l’assaut. J’étais navré de sa mort. Si j’avais eu le temps, j’aurais pu l’inciter à se rendre. »

Louis Bayon, lui, n’a rien dit. Ni pendant ni après. Après son départ du RAID, il a été chargé de diriger la 4e division de la PJ, regroupant l’Office du banditisme (OCRB), l’office du proxénétisme (OCRTEH) et la brigade centrale des vols autos. Un poste autrefois prestigieux mais qui était devenu un peu bidon. En apprenant sa disparition, l’un de ses hommes, Claude Maltesse, qui se comptait parmi ses amis, a rapporté cette anecdote aux « Amis du 127 et de la PJ », que je retranscris avec son accord :

« Bayon s’était installé dans un petit bureau d’une quinzaine de mètres carrés qu’il partageait avec un autre commissaire, au 7e étage de l’immeuble Nanterre. Pour lui, qui avait eu une carrière intense et pleine de rebondissements, ce poste était manifestement un placard. Mais il ne s’en plaignait pas. Il était toujours d’humeur égale et prêt à aider quand on le sollicitait. »

Lorsque Roger Marion a été nommé directeur central adjoint, chargé des affaires criminelles, il a refusé de s’installer à Nanterre, préférant un bureau Place Beauvau, près du Bon Dieu. Le grand bureau directorial de Nanterre est donc resté vacant. Bayon ne s’y est pas installé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, lors d’un déplacement Paris-Nanterre, que Marion lui a enjoint d’occuper ces lieux et de s’asseoir dans le fauteuil occupé antérieurement par des Mancini,  Kerboeuf, Poinas, etc.

« Lors de son pot de départ, poursuit Claude Maltesse, nous avons fait une collecte pour lui faire un cadeau. » Il a demandé une clé USB. Nous étions au début des années 2000 et peu de gens savaient ce qu’était une clé USB. « Avec tout l’argent de la collecte, nous avons acheté la clé qui avait la plus grosse capacité de stockage pour l’époque, soit 1 GB… »

Louis Bayon, a terminé sa carrière en 2003, comme adjoint au sous-directeur des affaires criminelles, avec le grade de commissaire divisionnaire. Il n’a donc pas fait une carrière retentissante, mais il a laissé son empreinte dans la Grande Maison et un souvenir prégnant à tous ceux qui l’ont côtoyé.

Aujourd’hui, le grand flic mutique s’est tu définitivement. Adieu collègue !

 

La police nationale fait le buzz

Après l’incarcération d’un policier, mis en examen pour un délit aggravé, le voyage du président Macron en Nouvelle-Calédonie a été éclipsé par l’omniprésence dans les médias de certains représentants de syndicats de police et les commentaires d’incertains responsables de la police.

Et pourtant, ce déplacement est important, dans la mesure où le chef de l’État cherchait à débloquer les discussions entre les indépendantistes et les loyalistes, en vue d’établir un nouveau statut pour ce territoire français du pacifique sud, après les trois référendums d’autodétermination qui ont acté le « non » à l’indépendance.

Emmanuel Macron s’est donc livré à un exercice d’équilibriste, depuis le « Caillou » en affirmant que « nul, en République, n’est au-dessus des lois », tout en comprenant l’émotion des policiers après la mise en détention de l’un de leurs collègues. Du en même temps, quoi ! On est loin de la déclaration de François Mitterrand, en 1983 : « La République doit être honorée et servie par tous les citoyens, et plus encore par ceux qui ont pour mission et pour métier de la défendre. Si certains policiers, une minorité agissante, ont manqué à leur devoir, le devoir des responsables de la République, c’est de frapper et de faire respecter l’autorité de l’État. Dès l’annonce des événements séditieux de vendredi dernier, j’ai demandé au Premier ministre Pierre Mauroy de prendre les sanctions nécessaires. Il a agi comme il fallait… »

C’est gaullien, cela rappelle le « quarteron de généraux en retraite » du putsch de 1961.

Pour mémoire, après la fronde des « policiers en tenue » de 1983, le préfet de police a été appelé à démissionner, le directeur général de la police s’est fait virer, un policier a été mis à la retraite d’office, sept ont été suspendus et deux représentants syndicaux, dont le secrétaire général USC-Police, ont été révoqués pour avoir organisé « un acte collectif contraire à l’ordre public ».

Et pourtant, les forces de l’ordre avaient d’autres raisons qu’aujourd’hui de manifester leur colère : deux de leurs collèges avaient été abattus de plusieurs balles, et un autre gravement blessé, lors d’un banal contrôle routier : 12 policiers, morts en service, depuis que la gauche était aux manettes.

« La police est malade de la justice », pouvait-on déjà, à l’époque, entendre dans les rangs des manifestants. Des propos inadmissibles, évidemment, et pourtant, il y a 40 ans, après une loi d’amnistie généreuse (notamment des membres d’Action directe), l’abolition de la peine de mort, le raccourcissement de la sûreté pour les peines perpétuelles, la suppression des quartiers de haute sécurité, la suppression de la Cour de sûreté de l’État, la disparition du délit de l’association de malfaiteurs (rétablie en 1986), les policiers, même les plus modérés, savaient que ce n’était pas tenable. Un sentiment renforcé après l’adoption par les députés d’une contre-loi pour abolir la loi « sécurité et liberté », jugée liberticide, adoptée en catastrophe avant les Présidentielles de 1981. Une mauvaise pioche de Giscard d’Estaing qui avait misé pour sa réélection sur un tour de vis sécuritaire alors que les Français aspiraient à plus de liberté.

Contrairement à ce que nous racontent les experts blabla, les policiers n’ont jamais été aussi bien protégés par le code pénal, ils n’ont jamais eu autant de pouvoirs que ceux que leur octroie aujourd’hui le code de procédure pénale, et les magistrats sont bien plus compréhensifs qu’autrefois dans leur manière d’interpréter leur action, tenant largement compte de la difficulté du métier. La contrepartie, c’est l’intégrité. Non seulement, l’agent dépositaire de l’autorité publique qui dérape doit être sanctionné, mais, du fait de sa fonction, plus sévèrement qu’un autre.

Autrefois, dans les écoles de police, on avait coutume de dire aux élèves que dans l’exercice de la profession qu’ils avaient choisie, ils encouraient trois risques : physique, administratif et judiciaire. Sauf à changer de régime politique, il ne peut en être autrement.

Ceux qui « parlent dans le poste » sont une minorité envahissante, je suis sûr qu’il y a plein de policiers, plein d’agents de l’État qui doivent penser différemment que ces trublions politisés. Le Bureau national de l’UNSA (Union national des syndicats autonomes), s’est d’ailleurs désolidarisé du communiqué de presse commun Alliance/UNSA Police, qui a suivi la mort de Nahel, et a condamné les termes utilisés : un « combat » contre des émeutiers qualifiés de « nuisibles ».

Quant à nos dirigeants, ils se sont tus. La gauche est montée au créneau et deux députés ont saisi la justice.

Police : on attend la saison 2.

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