LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 2 of 82)

Faut-il abolir la police ?

Abolir la police, c’est la question qui s’est posée aux États-Unis, à Minneapolis, après la mort de George Floyd, lors de son arrestation. Bien sûr, c’était de la provoc, mais derrière les mots il existait une véritable question de fond : la police est-elle adaptée à notre société ? C’est une interrogation digne d’un pays où, fi de l’esprit de corps, des gradés de la police sont capables de mettre le genou à terre pour montrer leur considération à une famille et à une communauté.

Musée de la police, Paris

En France, nous n’en sommes pas là, mais après la mort du jeune Nahel, devant ce grondement d’indignation qui a secoué la France entière, nos dirigeants se sont laissé aller à une certaine empathie : minute de silence à l’Assemblée nationale, agacement de Darmanin après les déclarations d’une poignée de syndicalistes radicalisés ; même le président Macron s’est fendu d’un discours, mentionnant un acte « inexplicable et inexcusable ». C’était une première ! Toutefois, bien vite, les choses sont revenues « à la normale ». Ainsi aucune autorité politique, administrative ou judiciaire n’a tiqué devant une cagnotte impudique mise en place non pas pour soutenir la famille de la victime, comme on aurait pu s’y attendre, mais pour soutenir la famille du policier qui a fait usage de son arme et qui est mis en examen pour une infraction criminelle. Stricto sensu, on peut d’ailleurs se demander si la loi sur la saisie conservatoire ne peut s’appliquer.  Le code de procédure pénale prévoit en effet que les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect d’une infraction peuvent être saisis, dans l’éventualité d’une condamnation à la peine complémentaire de confiscation (art. 131-21), que leur possession soit licite ou illicite. Une saisie qui a pour seul effet de rendre la chose indisponible le temps d’une décision de justice.

     Sur un continent, c’est la repentance, sur l’autre, l’arrogance.

À Minneapolis, l’enquête a conclu que les policiers avaient agi dans un contexte de discriminations raciales généralisées au sein de la police et a abouti à la nécessité d’une refonte de l’institution. Un consensus a été trouvé entre la ville et les organismes représentatifs des « droits humains » pour mettre en place une réforme en profondeur de l’action des services de police. Il ne serait plus possible, par exemple, d’arrêter un véhicule sous prétexte que le conducteur a commis des infractions mineures, ou d’utiliser la force, sauf cas d’absolue nécessité et de manière proportionnelle à la menace perçue. Comme c’était le cas en France, il n’y a pas si longtemps, avant les Hollande, Valls, Cazeneuve et tutti quanti, les représentants d’une gauche déliquescente.

Au Canada, il y a quelques années, sous l’impulsion d’un ancien gendarme de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Wiel Prosper, est né un mouvement pour « définancer la police », c’est-à-dire réduire le budget qui lui est attribué pour le consacrer à des institutions de justice non punitive. Entre deux personnes qui ont commis une infraction, dit Prosper, entre celle qui a été prise en charge et réinsérée et celle qui a été en prison, « laquelle aimerais-tu avoir comme voisin ? » Ce mouvement a repris de l’ampleur après la mort de George Floyd au sein d’une population qui se dit racisée par les forces de l’ordre. L’idée semble ne pas avoir été rejetée par la « mairesse » de Montréal, tandis que Toronto a refusé un projet visant à une diminution de 10 % du budget de sa police. En revanche, aux États-Unis, les villes de Los Angeles et de New York ont récemment approuvé des réductions budgétaires pour leurs forces de l’ordre. Continue reading

Projet de loi sur la justice : écoute-moi bien !

Début mai, Éric Dupond-Moretti a présenté au Conseil des ministres un projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour les années 2023 à 2027, lequel est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Ce projet de loi – mais c’est à présent la routine – sera examiné selon la procédure accélérée. La bonne nouvelle, c’est une augmentation budgétaire d’environ 20 % à l’horizon 2027, pour atteindre 10,7 milliards d’euros. Un effort financier qui devrait plutôt porter sur le recrutement. On parle de 1500 magistrats, autant de greffiers, et 7000 personnels administratifs, titulaires ou contractuels, parmi lesquels, une nouvelle fonction, celle d’attaché de justice. Côté prisons, il serait question de créer 15 000 places supplémentaires.

Évidemment, si on compare cette enveloppe aux 15 milliards d’augmentation attribués au ministère de l’Intérieur, c’est un bonbon acidulé.

Je vous ai apporté des bonbons…

Mais en dehors de l’aspect financier dont se rengorge le garde des Sceaux, quels sont les changements à attendre de cette loi au long cours et en quoi cela va-t-il changer nos rapports avec la justice, à nous, simples payeurs ?

Si je me limite au pénal et si vous êtes un citoyen qui attend une aide des magistrats lorsque vous êtes dans le caca, rien du tout ! Sauf une difficulté supplémentaire à saisir un juge d’instruction, donc à obtenir justice. Le seul petit plus, pour les victimes, sera un élargissement du champ des infractions recevables à la commission d’indemnisation.

En revanche, si vous êtes policier, gendarme, ou justiciable, alors, vous êtes concerné de bout en bout, puisqu’il est envisagé de modifier le régime des perquisitions, de réformer le statut de témoin assisté, de limiter la détention provisoire, de faire appel à la téléconsultation pour requérir un médecin ou un interprète durant la garde à vue, et enfin – c’est le bonbon amer -, de la possibilité d’activer à distance tous les appareils connectés : géolocalisation, son et image.

Toutefois, le gros morceau de cette loi, c’est une réécriture du code de procédure pénale (CPP). Et le « zéro papier », un peu l’Arlésienne de la Justice. Si le rendez-vous est tenu, ce sera une révolution, car les procès-verbaux pourraient être transmis en temps réel aux magistrats, voire, dans le cadre de l’instruction, aux avocats. C’est la fin du folklorique P-V de chique, en tout cas un contrôle en temps réel sur la procédure d’enquête. On attend la réaction des syndicats de la police…

C’est trop compliqué

La partie législative du code de procédure pénale serait donc réécrite par voie d’ordonnance, à droit constant. Comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (CSI), créé par une ordonnance de 2011, rédigé par les services du ministère de l’Intérieur, qui se voulait l’outil de travail des enquêteurs et que les mauvaises langues n’ont pas tardé à surnommer la version bêta du CPP.

Tout le monde s’accorde à dire que c’est trop compliqué. Le code de procédure pénale devrait donc être simplifié et amélioré.

La première simplification (?) vise la création d’un nouvel article concernant les perquisitions de nuit, ce sera le 59-1. Un vrai casse-tête.

Empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu

Lors d’une enquête de flagrance pour des atteintes physiques à la personne, le juge des libertés et de la détention pourra, je cite, « autoriser par ordonnance spécialement motivée que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues par l’article 59 (6 h / 21 h) lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

Cet embrouillamini de mots semble vouloir dire que les enquêteurs pourraient s’affranchir des heures légales pour empêcher un crime qui serait flagrant s’il avait lieu. Ou un truc comme ça !

Mieux (et de mauvaise foi) : pour empêcher un crime ou une agression, ils devront demander au juge des libertés et de la détention la permission de s’introduire dans un domicile. Alors qu’il s’agit de porter secours. Ce qui est déjà prévu dans l’article 59, en cas de « réclamation faite de l’intérieur d’une maison », ou par l’état de nécessité, c’est-à-dire le fait d’accomplir un acte nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien. Ce qui permet par exemple aux pompiers de pénétrer dans un lieu privé.

Or, tout ce qui est dit dans ce futur article 59-1, figure déjà dans le code pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées et un certain nombre d’infractions criminelles spécifiques. Il suffirait donc d’y ajouter un alinéa. En fait, lorsque les exceptions deviennent plus nombreuses que le tout-venant, la première des simplifications consiste à inverser les mots. Il suffirait de dire Continue reading

Manifestations : garde à vue et droit d’arrestation

Lors des manifestations contre la réforme de la retraite, de nombreuses personnes ont été placées en garde à vue, pour être finalement libérées sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles. S’agit-il d’un détournement de la loi, de gardes à vue abusives, comme l’ont clamé certains médias ? Pour la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, cela ne fait aucun doute. Elle dénonce à la fois des gardes à vue « dépourvues de base légale » et s’inquiète de la « banalisation » des arrestations à titre préventif. Dans un rapport adressé notamment au ministre de l’Intérieur, elle tire le signal d’alarme en mettant en exergue de « graves atteintes aux droits fondamentaux ». Dans le même temps, de nombreuses plaintes ont été déposées par des avocats, estimant que leur client avait fait l’objet d’une mesure arbitraire de privation de liberté et d’entrave à la liberté de manifester.

Serpent de mer de Saint-Brevin-les-Pins

Alors, s’il est évident que la répression pénale préventive du maintien de l’ordre est un détournement de la loi et de l’esprit des lois, peut-on pour autant affirmer que les gardes à vue en cul-de-sac sont illégales ?

Ce n’est pas évident, car la question n’est pas de savoir si la garde à vue est justifiée, mais si l’arrestation qui conduit à la garde à vue répond aux critères du Code, étant entendu que le droit d’arrestation n’existe pas, sauf en cas de flagrant délit. C’est l’article 73 du code de procédure pénale qui en fixe les règles : toute personne, policier, gendarme ou simple citoyen, peut interpeller un individu en train de commettre un crime ou un délit (punissable d’une peine d’emprisonnement) afin de le remettre entre les mains d’un OPJ. Il appartient ensuite à celui-ci de décider s’il le place en garde à vue. À défaut, il est tenu d’informer la personne interpellée « qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ».

Sur le terrain, toutefois, pour sécuriser l’action des policiers et des gendarmes, les règles se sont assouplies au point d’admettre le « délit d’apparence ». Si les circonstances de lieux, d’heures ou autres laissent à penser qu’une personne est susceptible de commettre ou d’avoir commis un crime ou un délit, son arrestation est justifiée. Il appartient ensuite à l’OPJ de confirmer ou non cette première impression, et ultérieurement à l’enquête judiciaire de vérifier les faits et de mettre à jour les éléments de l’infraction.

Cependant, il faut le reconnaître, les arrestations effectuées dans le cadre d’une manifestation sont un peu hors sol. Le plus fréquemment, il n’y a ni procès-verbal ni rapport, au mieux une simple fiche d’interpellation, rédigée à la va-vite, parfois préremplie, à partir de laquelle l’OPJ est tenu de se forger une opinion. Alors, bien souvent, deux voies s’ouvrent à lui : satisfaire sa hiérarchie administrative et judiciaire ou assumer sa responsabilité d’officier de police judiciaire – car, en théorie, la garde à vue de première intention, Continue reading

« BRI » : Bof !

Canal+ diffuse une nouvelle série policière qui cherche à retracer l’activité de la BRI de Versailles. Dès le premier épisode, sur twitter, les connaisseurs ont manifesté leur irritation devant des images si éloignées de la réalité. Le Monde s’est pourtant fendu d’un article et d’une interview, très copain-copain, avec le réalisateur et scénariste, Jérémie Guez. On y découvre, au détour d’une question, que la BRI serait le bras armé de la brigade criminelle (!). Et le réalisateur de nous expliquer qu’il a choisi de faire vivre une BRI afin « d’échapper à la représentation de la police comme une entité sociale et de ne victimiser personne, ni les policiers ni les gens qu’ils traquent ».

Le siège de la DRPJ, au 19 avenue de Paris à Versailles (capture d’écran Google Maps)

Bon ! Personnellement, je ne peux pas vous donner mon avis sur « BRI ». Au bout d’un quart d’heure, j’ai zappé, pour la bonne raison que je ne parvenais pas à comprendre ce qu’il se disait. De quoi qu’on cause ? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les jeunes comédiens français parlent à la vitesse d’une kalachnikov. On a l’impression qu’ils ont la pétoche d’oublier leur texte. Ou alors, c’est pour faire vrai. Pourtant, le talent d’un acteur, et d’un réalisateur, ce n’est pas de copier la réalité, mais de jouer la comédie, afin de rendre la fiction réaliste : nous faire croire que c’est vrai, quoi ! Personne dans la vie ne parle comme Audiard, et pourtant… Enfin, je dis ça parce que je suis un vieux con. Peut-être les jeunes parviennent-ils à capter les dialogues, mais moi, j’y comprends que dalle. J’ai même cherché pour voir s’il n’y avait pas des sous-titres en français… Dommage, car les vieux cons aussi regardent la télé !

Alors, à défaut de la série, je peux vous parler des BRI et de la PJ de Versailles.

La première BRI, celle de Paris, date du milieu des années 1960. Elle a longtemps été la seule. Une dizaine d’années plus tard, alors que je dirigeais le GRB (groupe de répression de banditisme) du SRPJ de Versailles, j’ai tenté d’en créer une. Continue reading

Copernic : un procès hors du temps

Ce lundi 3 avril s’ouvre le procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Une synagogue dont l’inauguration, en 1907, est considérée comme un acte fondateur du courant libéral du judaïsme français, dans lequel notamment les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité. La question se pose de savoir si l’accusé, Hassan Diab, sera jugé pour un crime terroriste, infraction qui n’existait pas à l’époque des faits.

La fiche d’hôtel, cote D871 de la procédure, le noeud de l’affaire

C’était le 3 octobre 1980. En fin d’après-midi, une moto stationnée à quelques mètres de la porte d’entrée de l’édifice religieux explose, faisant 4 morts et 46 blessés, dont le gardien de la paix en faction sur le trottoir. C’est le premier attentat antisémite commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce début des années quatre-vingt, le pouvoir doit faire face aux violences urbaines, qui bientôt embraseront les banlieues ; et au terrorisme intérieur, notamment d’Action directe, dont une frange vient d’être neutralisée par les RG. En fait, personne n’est préparé au terrorisme extérieur, antisémite ou non. Il faudra attendre 1982 pour que la DST crée une section antiterroriste. Aussi, à moins d’un an des élections présidentielles, alors que Le Pen grimpe dans les sondages, l’auteur désigné est forcément néonazi. La police judiciaire perd un temps fou à suivre de multiples pistes auxquelles elle ne croit pas. Bizarrement, alors que la majorité présidentielle s’est inversée, on retrouvera la même réaction politique deux ans plus tard, lors de l’attentat de la rue des Rosiers.

Or, loin des charivaris du pouvoir, pour les enquêteurs, les deux attentats antisémites ont la même origine : un groupe dissident de l’OLP de Yasser Arafat, un noyau dur dont le chef de guerre est Abou Nidal.

Invité à réagir à chaud à l’attentat de la rue Copernic, sous les caméras de TF1, le Premier ministre, Raymond Barre, lâchera cette phrase désastreuse qui lui collera à la culotte : « Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic […] mérite d’être sévèrement sanctionné. » Sans doute voulait-il dire que les quatre personnes décédées se trouvaient à l’extérieur du bâtiment… Mais le mal était fait. Il tentera de se récupérer quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, dans un discours plus académique, s’interrogeant sur l’équilibre à garder entre libertés individuelles et sécurité, pour conclure d’une phrase qui aujourd’hui sonne à nos oreilles – basses : « Pour le prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire. »

Il n’y a rien pour démarrer l’enquête – sauf la moto. Elle a été achetée chez un commerçant de l’avenue de la Grande Armée, quelques jours avant l’attentat, par un homme caché derrière une fausse identité chypriote. Il l’a payée en liquide. S’ensuit un travail de fourmi pour étudier les « fiches individuelles de police » qu’à l’époque les hôteliers avaient obligation de faire remplir à leurs clients. En fait, elles avaient été supprimées quelques années plus tôt à la demande du président Giscard d’Estaing, dont l’un des amis s’était plaint d’avoir eu à montrer sa carte d’identité lors d’un cinq à sept extraconjugal. Heureusement, cette obligation était restée en vigueur pour les étrangers. Le suspect est un individu qui se fait appeler Alexander Panadriyu. Il est descendu dans un hôtel de la rue Balzac, le 22 septembre 1980.

Les divers témoignages permettent d’établir un portrait-robot de l’individu. Et l’enquête s’arrête sur ce dessin et ce pseudonyme. Il faudra attendre 1999 Continue reading

Jacques Mesrine : l’arrestation oubliée

Il y a 50 ans, le 7 mars 1973, Jacques Mesrine était arrêté à Boulogne-Billancourt. Lorsque l’on se remémore la vie tumultueuse de ce gangster médiatique, on pense avant tout à sa fin brutale, porte de Clignancourt, à Paris, et aussi à son arrestation par Robert Broussard après un face-à-face théâtral sur le palier d’un appartement du 13° arrondissement, en septembre de la même année.

Photo de la fiche anthropométrique de Jacques Mesrine prise lors de sa garde à vue, en mars 1973

Là, on est au mois de mars 1973, et c’est la première arrestation de Mesrine sous l’étiquette d’ennemi public n°1. Car les tout premiers à lui avoir passé les menottes sont les gendarmes de Neubourg, dans l’Eure, pour une tentative de vol à main armée qui a abouti à une condamnation pour détention d’armes et quelques cambriolages. Il avait 25 ans. Il a pris dix-huit mois ferme – quand même ! On dit que la prison est l’école du crime. Pour une fois, il a été premier de la classe.

Donc, après des « vacances » au Venezuela, Mesrine rentre au pays. Il s’installe dans les Yvelines, où, avec son acolyte Michel Ardouin, dit Porte-Avions, « Portav » pour les poulets, il se laisse aller à des dizaines de braquages de banque. Il aurait dû choisir un autre département, car c’est le groupe de Roger Dornier, au GRB de Versailles, qui récupère les dossiers. Et Dornier, c’est du solide. Avec son équipe, il parvient à le localiser alors qu’il est en pourparlers avec un garagiste de Mantes-la-Jolie pour changer de voiture. Toutefois, toujours sur le qui-vive, le truand sent la patate et réussit à s’échapper. Et le revoilà en cavale.  Son complice, Michel Grangier, dit Le Lyonnais, loue alors un appartement à Boulogne-Billancourt. C’est celui d’un magistrat affecté outre-mer.

Peu après ce fiasco du GRB, des promeneurs découvrent dans la forêt de Fausses-Reposes, un « corps sans vie » –  comme on pouvait le lire parfois dans les procès-verbaux. Le groupe criminel de la PJ de Versailles est chargé de l’enquête. La crim’ de Versailles est alors considérée comme l’une des meilleures de France. Elle est saisie de la plupart des homicides commis sur les trois départements autour de la Petite Couronne, ainsi que sur l’Yonne et l’Eure-et-Loir. Cette compétence élargie permet à ses enquêteurs de revendiquer une expérience identique à leurs collègues du 36, tout en ayant l’avantage d’une plus grande autonomie. C’est cet outil qu’aujourd’hui Darmanin veut casser en plaçant les services d’enquêtes judiciaires sous la coupe d’un préfet. La victime a reçu plusieurs balles Continue reading

Sobhraj, le serpent qui poisse les médias

Après une série sur Netflix, faite à son corps défendant, Charles Sobhraj, via la plume de l’ancien journaliste Jean-Charles Deniau, aujourd’hui auteur et réalisateur, raconte son parcours criminel. « Je ne suis pas un assassin » clame-t-il, pourtant il a été condamné pour le meurtre d’une vingtaine de personnes en Inde. Une fois sa peine purgée, après un séjour en France, il se rend au Népal. En 2003, suspecté de plusieurs crimes commis des années plus tôt, il est arrêté à Katmandou et finalement de nouveau condamné pour le meurtre d’une touriste américaine et d’un Canadien. L’année dernière, à la veille de Noël, la Cour suprême du Népal décide de le libérer en raison de son âge et de son état de santé. Il est mis dans un avion à destination de la France. Charles Sobhraj a obtenu la nationalité française dans son enfance, par adoption.

Statue de Charles Sobhraj, restaurant O’Coqueiro (Goa), où il aurait été arrêté au milieu « d’un repas tentant de Cafreal et de crabes farcis »

Dans un article du Monde daté du 6 février, Patricia Jolly brosse un portrait de ce personnage sulfureux. On sent la journaliste assez tiède sur le coup et c’est un peu au second degré qu’elle le cite lorsqu’il parle de sa guerre contre la Caisse nationale d’assurance maladie, qui refuse de lui délivrer sur le champ une carte Vitale : « Il faut prouver qu’on a vécu en France trois mois d’affilée et, d’ici là, je n’ai même pas de numéro de sécurité sociale », s’insurge l’ancien repris de justice.

Il doit son surnom à la manière dont il entortillait ses victimes. Nous sommes dans les années 1970, et nombre de jeunes gens de tous les pays, en rupture de société, parcourent les routes du continent asiatique à la recherche d’un monde imaginaire et artificiel. C’est une manne pour le Serpent : il leur raconte des histoires, il les fait rêver, il leur promet monts et merveilles, puis, alchimiste du diable, il les drogue ou il les tue, c’est selon, pour mieux les dévaliser. Combien de parents sont restés sans nouvelle de leur enfant, dans ces années-là ! Et aujourd’hui, ils devraient subir sans broncher les fanfaronnades commerciales d’un vieillard qui nous vend une salade de souvenirs arrangés…

Ce sont d’ailleurs des étudiants français de l’école nationale d’ingénieurs de Tarbes (Hautes-Pyrénées) qui ont permis son arrestation. Lors d’un repas organisé dans un hôtel de New Delhi, en 1976, des dizaines de ces jeunes Français tombent de leur chaise et se roulent à terre après avoir absorbé un soi-disant médicament contre la dysenterie. Heureusement, certains n’ont pas eu le temps d’avaler leur petite gélule, ils coincent Sobhraj et le remettent à la police.

L’affreux bonhomme a dû passer une quarantaine d’années derrière les barreaux. Continue reading

Darmanin et Dupond-Moretti bien décidés à flinguer la PJ

Le vent de fronde qui a surgi chez les fonctionnaires des services de PJ lorsqu’ils ont capté qu’ils allaient faire les frais de la réforme de la police nationale a amené le ministre de l’Intérieur à réagir pour tenter de calmer ses troupes. Du côté des magistrats, la réaction a été plus policée, mais non moins ferme : qu’en est-il de la séparation des pouvoirs si l’on place « nos » OPJ de province sous la coupe d’un préfet ? Pour dédramatiser, les deux ministres concernés ont missionné les chefs de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et ceux de la Justice (IGJ), afin d’établir un bilan de l’exercice des nouvelles directions territoriales de la PN créées dans les Outre-mer, et des  huit directions départementales expérimentées à ce jour dans l’Hexagone. De facto, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été associée à cette mission.

La réforme de la police nationale répondrait à deux objectifs : déconcentration au niveau du département et décloisonnement. Pour faire simple, l’actuel directeur de la sécurité publique serait remplacé par un directeur départemental de la police nationale qui chapeauterait tous les services. (Les entités, directement rattachées au ministre de l’Intérieur comme la DGSI, le RAID, etc., ne sont pas concernées par cette réforme.) Ce directeur serait placé à la fois sous l’autorité du préfet du département et sous celle de l’autorité centrale, les deux n’ayant qu’un seul maître : le ministre de l’Intérieur. D’où la grimace des magistrats. Ils craignent à la fois des fuites « politiques » dans des affaires sensibles et l’impossibilité de désigner par eux-mêmes un service enquêteur. Pour eux, cette réforme survient au mauvais moment, dans un contexte dégradé de la filière police justice : baisse de la qualité des procédures et accumulation de dossiers non traités. En deux mots, ils redoutent un nivellement par le bas. Il leur restera l’option de choisir les gendarmes. C’est ainsi que pour perquisitionner les locaux du ministère de la Justice dans l’enquête pour laquelle Éric Dupond-Moretti est mis en examen pour « prise illégale d’intérêts », les magistrats de la Cour de justice de la République ont choisi de se faire assister par les gendarmes de la section de recherches de Paris.

Il n’est pas inintéressant de s’interroger sur la logique de cette réforme, alors qu’il existe de plus en plus de brigades nationales et d’offices centraux à compétence nationale… Il y a quelques mois, après le meurtre de Lola, une collégienne de 12 ans, Gérald Darmanin a d’ailleurs annoncé la création d’un nouvel office central de lutte contre les violences faites aux mineurs. « Ce qui viendra à démontrer qu’on ne supprime pas la police judiciaire », a-t-il déclaré, sans réaliser la dichotomie entre une réforme qui veut déconcentrer au niveau des départements et de puissants services parisiens à compétence nationale, de plus en plus étoffés. 

« En fait, personne ne comprend réellement l’intérêt de la chose. »

Derrière le masque de la déconcentration se cache la volonté d’une centralisation à outrance, une mainmise sur les affaires pénales avec la possibilité de les « avaler » au niveau parisien sans qu’un petit chefaillon d’un petit service de PJ vienne y mettre son grain de sable. Les décisions seront d’ailleurs prises par les directions nationales qui géreront chacune leur filière et qui à ce titre seront porteuses « d’une stratégie nationale déclinée dans une doctrine dont elles assureront la mise en œuvre… »

Ces directeurs du nouvel âge de la PJ seront donc des agitateurs d’idées Continue reading

Les réformes dans l’enquête pénale : une porte vers l’inconnue

Le plan d’action issu des États généraux de la Justice prévoit une refonte du code de procédure pénale par voie d’ordonnance, c’est-à-dire en court-circuitant, une fois de plus, les élus du peuple. On peut s’interroger :  sera-t-il le bébé de la Place Beauvau, comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (qui a fait un bide) ou celui de la Place Vendôme ? Gageons en tout cas qu’il sera éloigné du Code actuel, voulu par le général de Gaulle, et basé sur l’idée même de la Résistance : liberté et sécurité ; et non pas le leitmotiv que nous ressassent certains politiques : « la première des libertés, c’est la sécurité ».

Le Conseil national des barreaux comme la Ligue des droits de l’homme s’inquiètent d’une réforme déséquilibrée qui sacrifiera nos droits fondamentaux – ces trucs qui nuisent à une efficacité facile, mais qui font de la France la France. La plus emblématique de ces mesures étant sans conteste la « banalisation » de la perquisition de nuit, notamment dans l’enquête préliminaire.

L'enquête officieuse

Avant 1958, on parlait « d’enquête officieuse ». C’était écrit nulle part dans le code d’instruction criminelle, mais la jurisprudence avait validé cette manière de procéder (Cass. crim. 25 juillet 1890). Elle est aujourd’hui encadrée par les articles 75 à 78 du code de procédure pénale qui a remplacé le code d’instruction criminelle en 1958. Elle se définit par défaut. L’enquête préliminaire – la préli – est l’enquête effectuée par un officier ou un agent de police judiciaire lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies : soit la commission du crime ou du délit est trop éloigné, soit il n’y a ni crime ni délit connu mais la possibilité que cela survienne. Dans ce cas, elle peut être ouverte à l’initiative d’un enquêteur. En fait, aujourd’hui, bien peu s’affranchissent de l’accord du procureur de la République, même si le défaut d’information à ce magistrat est sans effet sur la validité des actes accomplis (Crim. 1er déc. 2004, n° 04-80.536). Dans le Code de 58, l’enquête préliminaire s’accompagnait d’une contrainte : aucun acte coercitif. Toute action contre une personne était subordonnée à son accord. En fait, il existait une petite faille, puisqu’une garde à vue de 24 heures était possible sans autre justificatif que « les nécessités de l’enquête ». Sans avocat, off course !

Une déclaration écrite de la main de l’intéressé 

Mais, au cours de ces dernières années, la préli a été profondément remaniée au point de remettre en cause la non-coercition. Continue reading

Le libertaire s’est tu !

Et ce n’était pas facile de le faire taire, Serge Livrozet. C’était une grande gueule. Mais derrière sa tronche de truand, c’était aussi un esprit affûté, un intello autodidacte, le représentant parfait de la contre-culture française. Un emmerdeur. Il n’avait pas appris à lire en prison, mais presque. Il est décédé le 29 novembre 2022 d’une maladie qu’il traînait depuis un long moment. Il avait 83 ans. Le grand public le connaissait peu, et pourtant le cinéaste Nicolas Drolc lui a consacré un long métrage, La mort se mérite, sorti en salle en 2017.

Né dans la pauvreté, enfant, il dort la tête sous l’oreiller pour ne pas entendre sa mère qui se prostitue dans la chambre d’à côté. À 13 ans, il tente le droit chemin, celui qui est fléché : il devient apprenti plombier. Mais il y a trop de force en lui, dans sa tête, ça se bouscule, ça bouillonne. « Je poussais tant bien que mal dans l’ombre étroite de ma jeunesse déjà vieille de n’avoir pu servir, dressant dans ma tête entre la société et moi une muraille de colère et de révolte faite d’envies avortées et de besoins inassouvis », écrira-t-il plus tard.

Serge Livrozet, extrait de la bande annonce du film de Nicolas Drolc, « La mort se mérite »

Il comprend très vite que ce chemin est un cul-de-sac et que personne n’a le droit, à sa place, de décider de sa vie : pour se sortir de la misère, il faut aller chercher le fric là où il est. Le plombier devient voleur, puis perceur de coffre-fort. Plus tard, il dira qu’il s’agissait d’une action de « réappropriation ». « Les pauvres ont le droit de voler les riches », ajoutait-il, provocateur en diable.

La première fois que je l’ai aperçu, de dos (c’est une image), avec deux complices, il « chalumait » un coffre dans une grande surface de la région parisienne. À l’époque, je dirigeais le GRB de la PJ de Versailles et j’avais chargé un groupe d’enquêteurs de mettre le paquet sur une équipe qui pillait allègrement les commerces de la grande distribution. Un boulot de dingue : des planques et des filoches – toujours de nuit, et souvent le week-end. Une nuit, je me souviens, nous étions quatre ou cinq devant un supermarché des Yvelines. Nos « clients » étaient entrés par le toit, et nous attendions qu’ils ressortent pour les cueillir avec leur butin. Au petit matin, le brouillard s’est levé. Les lumières ressemblaient à des falots dont la lueur rougeâtre magnifiait les lieux. Le sol ondulait sous des mouvements de brume. On était crevés. On n’y voyait plus à dix mètres. On a vaguement aperçu des ombres qui s’enfuyaient. Lorsque l’on a fait les constatations à l’intérieur du magasin, le rayon confiserie était jonché de papier d’emballage de chocolat.

Serge Livrozet était accro, je l’ai découvert plus tard, lorsqu’il me piquait le carré de chocolat qui souvent accompagne le café. Continue reading

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