LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Jacques Mesrine : l’arrestation oubliée

Il y a 50 ans, le 7 mars 1973, Jacques Mesrine était arrêté à Boulogne-Billancourt. Lorsque l’on se remémore la vie tumultueuse de ce gangster médiatique, on pense avant tout à sa fin brutale, porte de Clignancourt, à Paris, et aussi à son arrestation par Robert Broussard après un face-à-face théâtral sur le palier d’un appartement du 13° arrondissement, en septembre de la même année.

Photo de la fiche anthropométrique de Jacques Mesrine prise lors de sa garde à vue, en mars 1973

Là, on est au mois de mars 1973, et c’est la première arrestation de Mesrine sous l’étiquette d’ennemi public n°1. Car les tout premiers à lui avoir passé les menottes sont les gendarmes de Neubourg, dans l’Eure, pour une tentative de vol à main armée qui a abouti à une condamnation pour détention d’armes et quelques cambriolages. Il avait 25 ans. Il a pris dix-huit mois ferme – quand même ! On dit que la prison est l’école du crime. Pour une fois, il a été premier de la classe.

Donc, après des « vacances » au Venezuela, Mesrine rentre au pays. Il s’installe dans les Yvelines, où, avec son acolyte Michel Ardouin, dit Porte-Avions, « Portav » pour les poulets, il se laisse aller à des dizaines de braquages de banque. Il aurait dû choisir un autre département, car c’est le groupe de Roger Dornier, au GRB de Versailles, qui récupère les dossiers. Et Dornier, c’est du solide. Avec son équipe, il parvient à le localiser alors qu’il est en pourparlers avec un garagiste de Mantes-la-Jolie pour changer de voiture. Toutefois, toujours sur le qui-vive, le truand sent la patate et réussit à s’échapper. Et le revoilà en cavale.  Son complice, Michel Grangier, dit Le Lyonnais, loue alors un appartement à Boulogne-Billancourt. C’est celui d’un magistrat affecté outre-mer.

Peu après ce fiasco du GRB, des promeneurs découvrent dans la forêt de Fausses-Reposes, un « corps sans vie » –  comme on pouvait le lire parfois dans les procès-verbaux. Le groupe criminel de la PJ de Versailles est chargé de l’enquête. La crim’ de Versailles est alors considérée comme l’une des meilleures de France. Elle est saisie de la plupart des homicides commis sur les trois départements autour de la Petite Couronne, ainsi que sur l’Yonne et l’Eure-et-Loir. Cette compétence élargie permet à ses enquêteurs de revendiquer une expérience identique à leurs collègues du 36, tout en ayant l’avantage d’une plus grande autonomie. C’est cet outil qu’aujourd’hui Darmanin veut casser en plaçant les services d’enquêtes judiciaires sous la coupe d’un préfet. La victime a reçu plusieurs balles dans le thorax et porte les traces de quatre impacts sur le visage, en forme de croix – comme les deux gardes forestiers abattus au Québec, six mois plus tôt. Il s’agit d’un petit julot d’une vingtaine d’années, Manuel Boulan, dit Manu, un touche-à-tout du deuxième cercle de l’équipe Mesrine. Il a eu le malheur de lever une fille du clan de Roger Bacry, le roi du bitume, et celui-ci a lancé un contrat sur sa tête. Comme pas mal de proxos à l’époque, Manu a un métier de façade : vendeur dans un magasin de meubles de Barbès. Surveillances, arrestations des proches, marchandages, pressions, et finalement une pute lâche une bribe d’information : Mesrine a l’habitude de louer ses voitures dans un garage de la rue de l’Université, à Paris. Replanques. C’est Grangier qui se pointe pour récupérer une 204 Peugeot. Il se rend directement à Boulogne-Billancourt, entraînant dans son sillage une bonne douzaine d’enquêteurs de Versailles et un motard de la BRI de Paris, placé en observateur par Robert Broussard.

Re-replanques, plus longues cette fois. Et, ce mercredi 7 mars, en fin de matinée, une Mercedes vient se garer à côté du « sous-marin ». Le conducteur, d’un gabarit hors du commun, s’extrait du véhicule, un bouquet de fleurs à la main, et pénètre dans l’immeuble où est supposé se trouver Mesrine. Il ressort peu après et, en déboîtant, il accroche le fourgon de planque avec sa Mercedes, sans toutefois laisser sa carte de visite sous l’essuie-glace. Pas la peine, on le connaît, c’est Michel Ardouin.

Vers 17 heures, « ça sort !… Un homme, seul… » Le signalement correspond à celui du « client ». Pour s’en assurer, l’inspecteur Caliaros lui emboîte le pas et pénètre avec lui dans une épicerie. « C’est lui ! » À sa sortie, Allegrini lui colle au train pour confirmation. L’arrestation risque d’être chaude, l’erreur n’est pas de mise. Si c’est du cent pour cent, il doit faire un signal en enlevant sa veste. Mesrine va faire le plein chez Nicolas. Allegrini le suit. Quand il ressort, il est en bras de chemise. Le dispositif se resserre et cinq hommes tombent sur le Grand Jacques, alors qu’il a les mains encombrées par des sacs bien remplis. « C’est du beau boulot, qui est votre boss ? », dit-il beau joueur, mais toujours fanfaron.

Le chef de la crim’, c’est Alain Tourre. La perquise se passe au champagne, servi par Joyce, sa compagne gaspésienne.  Il déchante un peu, l’ennemi public, lorsque les enquêteurs mettent la main sur son Colt .45 – l’arme utilisée dans le bois de Fausses-Reposes, il en a changé le canon, mais pas le percuteur. Il sait qu’à l’expertise, il va être marron. Et à sa tronche, les flics ont compris.

Trois mois plus tard, Jacques Mesrine s’évadera du tribunal de Compiègne en prenant un juge en otage et en blessant grièvement un gendarme. Lors de la fusillade, lui-même encaissera une balle dans le bras. Et, en septembre 1973, c’est la fameuse arrestation médiatique au cours de laquelle, de nouveau, il débouchera le champagne.

C’est probablement Michel Ardouin, soucieux d’éviter une guerre avec le gang de Bacry, qui a fait pression sur Mesrine pour liquider Boulan. Au crépuscule de sa vie, Portav a d’ailleurs revendiqué ce meurtre (et beaucoup d’autres), mais le dossier avait été clos à la mort de l’ennemi public n°1. Affaire classée ! Pas de cold cases, pour ces gens-là, m’sieur, pas de cold cases.

1 Comment

  1. C. Bastocha

    « et finalement une pute lâche une bribe d’information »:

    Commissaire, vous nous aviez habitués à un langage plus soutenu!

    Très bon papier par ailleurs, qui me donne envie d’écouter un peu Mozart

    https://www.youtube.com/watch?v=41mE3kapPgc

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