LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Banditisme (Page 1 of 5)

De Sulak à « Libre »

Le film de Mélanie Laurent, qui doit sortir début novembre sur Prime Vidéo, devait s’appeler Sulak ; ce sera finalement Libre. On peut voir dans cette modification la patte des juristes d’Amazon, frileux devant la rouspétance de Pauline, la sœur du truand défunt, qui a grondé fort pour s’opposer au tournage de ce biopic. Il faut dire qu’elle-même, après avoir écrit deux livres sur Bruno Sulak et participé pleinement à celui de Jaenada, a des projets filmographiques.

Mélanie Laurent tourne la séquence « cabine téléphonique » où Steve (Rasha Bukvic) appelle Bruno Sulak (Lucas Bravo) pour mettre au point leur voyage au Brésil

Dans l’impossibilité de me rendre à la projection à laquelle la prod m’avait gentiment invité, j’ai eu la possibilité, grâce à l’obligeance d’une journaliste, de visionner Libre, sur mon ordi, avant sa sortie officielle. Que voulez-vous, la vie n’est faite que de passe-droits… Ma curiosité était d’autant plus forte que j’étais allé sur la prise de vue de deux ou trois séquences. Rien de bandant ! Cela m’a rappelé les planques de PJ : on passe son temps à attendre. Les figurants, ceux qui ont de l’expérience, s’emménagent un petit espace à l’ombre ou au chaud, c’est selon ; certains lisent, d’autres font les mots fléchés, d’autres somnolent. Il y avait même une dame qui tricotait. Un instant, j’ai revu ma mère, partie depuis longtemps, je croyais que plus personne ne tricotait. Tu sais maman, j’ai toujours le tour de cou bleu marine que tu m’avais tricoté lorsque j’étais marin ! Il y a plus de soixante ans. Il est collector, comme on dit aujourd’hui.

Puisque l’on parle du temps qui passe, et pas nécessairement perdu, la sortie de Libre, correspond à quelques jours près à l’anniversaire de Bruno Sulak et à celui de son ami Radisa Jovanovic, dit Steve. L’un et l’autre auraient eu 69 ans. Steve est mort sous les balles d’un policier de la PJ de Bordeaux, en mars 1984 ; Bruno en tentant une nouvelle évasion, en mars 1985.

Le film de Mélanie est une belle histoire d’amour entre Bruno (Lucas Bravo) et Thalie (Léa Luce Busato), sa complice, mais pour le reste, c’est une fiction à temps plein. Seule la perruque d’Yvan Attal dans le rôle du commissaire (moi) peut rappeler ma tignasse de l’époque. L’aspect flic-truand est un rien décevant pour les enquêteurs « survivants » de l’Office du banditisme, service que j’avais l’honneur de diriger à l’époque.

Quant à la finale, l’évasion de Fleury-Mérogis, elle m’a laissé sur ma faim. D’autant qu’elle est inutilement de parti-pris. Elle ne correspond d’ailleurs pas au scénario original de Chris Deslandes.

Je vais donc tenter de rétablir la vérité – du moins celle que l’on connaît.

En mars 1983, après un hold-up à Thionville qui avait mal tourné, et qui aurait pu se terminer dans le sang, Bruno Sulak avait décidé d’arrêter. C’est du moins ce qu’il m’avait affirmé, car à l’époque, après chaque braquage, il prenait un malin plaisir à me passer un coup de fil, un peu pour me narguer, un peu pour me tester. Je lui avais rétorqué que je n’y croyais pas une seconde, qu’il était accro à son adrénaline de truand, comme moi je l’étais dans mon métier de poulaga. « Si, si, tu vas voir, encore un ou deux coups, et tu n’entendras plus jamais parler de moi… »

Pour les braquages, il tint parole. Au mois d’août, il « tape » la bijouterie Cartier de Cannes ; en décembre, la bijouterie « les Ambassadeurs » dans la galerie feutrée du Hilton de Genève – et il s’envole pour le Brésil.

Pour se préretraite, on ne saura jamais s’il aurait tenu parole… À son retour du Brésil, via le Portugal, un douanier stagiaire tique sur ses documents d’identité, au nom de Radisa Savik. Les CRS viennent en renfort. Sulak invente une fable : il voyage avec de faux papiers parce qu’il n’a pas payé la pension alimentaire de sa femme, etc.  Il donne sa « véritable » identité, tout aussi fausse que la précédente. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la voiture qu’il a payée cash au Portugal est un véhicule volé. Direction la prison. Mais à l’OCRB, un fin limier voit passer le télégramme, il demande la photo et bingo ! Bruno Sulak est récupéré alors qu’il s’apprêtait à être relâché en attente de son jugement pour des délits mineurs.

« Je crois que je n’ai plus la baraka », m’avait-il dit quelques mois plus tôt. Il est écroué à la Santé, puis à Fleury-Mérogis. Fleury, la plus grande prison d’Europe, celle dont on ne s’évade pas, une monstrueuse bâtisse en forme d’étoile, proprette et morbidement anonyme. Un lieu où, pour chaque détenu à l’isolement, les jours et les nuits se succèdent au rythme de la pénombre diffusée par une fenêtre barreaudée qui n’ouvre sur rien. « Je persiste à croire que 22 heures sur 24, enfermé sans rien faire d’autre que tourner en rond ne peut que détruire… », écrivait à l’époque Bruno Sulak.

Lors de sa garde à vue, en janvier 1982, en parlant avec lui de choses et d’autres, j’avais compris combien l’idée d’être bloqué entre quatre murs lui était insupportable. « La prison, je n’accepterai jamais. La mort vaut mieux que la prison », m’avait-il confié, à l’époque. Dans l’exercice de mon métier, en police judiciaire, j’ai connu pas mal de truands, et si la plupart se font une raison et empruntent des biais pour supporter l’enfermement, d’autres ne peuvent pas vivre sans apercevoir l’horizon. Ils se révoltent, et pour eux, c’est la double peine, ils sont enfermés dans leur tête.

Bien que fiché DPS, Bruno Sulak est un détenu sans problème, plutôt bien vu de ses matons. Il se lie d’amitié avec Marc Metge, un stagiaire dont c’est le premier poste. Celui-ci n’est pas aguerri. Il tombe sous le charme de ce jeune homme que la presse présente comme un gentleman cambrioleur. Aussi, lorsqu’il lui demande de l’aider à s’évader, il ne dit pas non. D’autant que Sulak lui promet une grosse somme d’argent. Un virement sur un compte offshore. Il en parle à Thierry Sniter, un sous-directeur stagiaire qui n’a pas plus d’expérience que lui. Il ne reste plus qu’à peaufiner un plan. Sniter donne son numéro de téléphone personnel à Sulak, afin qu’il puisse le communiquer à ses amis, à l’extérieur.

Au début, Bruno Sulak se méfie. C’est trop facile. Et si c’était un « turbin » de la police pour identifier ses complices… Pour lui qui a toujours assumé ses actes sans jamais donner un ami, la décision n’est pas facile. Mais ses amis justement n’hésitent pas une seconde : il faut tenter le coup.

Le 18 mars, un peu après minuit, Metge vient chercher Sulak et le conduit jusqu’à la grille du couloir où l’attend Sniter. Celui-ci possède le sésame qui ouvre toutes les serrures. Il le guide dans le labyrinthe du bâtiment D2 : une porte, un couloir, un escalier et des portes, encore des portes, jusqu’à « la rotonde », le cœur de la prison, à deux pas de la sortie. Les deux hommes se séparent devant une grille. Sulak doit l’escalader pour rejoindre le bâtiment administratif, tandis que son complice détournera l’attention de ses collègues qui, depuis « l’aquarium », le centre de contrôle de la prison, assurent la sécurité des lieux. Sulak doit ensuite gagner le 1er étage pour s’enfuir par la fenêtre d’un bureau dont la porte n’est habituellement pas fermée à clé. Un saut de trois mètres et il atterrit dans le parking réservé au personnel. Ensuite, il se dissimule dans la voiture de Sniter et il l’attend. La liberté est toute proche !

Ça a failli marcher ! Sauf que la porte « habituellement pas fermée à clé » était fermée à clé.

Ce qui s’est passé après, personne ne le sait. Probablement à l’approche d’une ronde, Sulak s’est-il réfugié dans un bureau du deuxième, le seul à ne pas être fermé à clé, celui où se trouve la machine à café. Peut-être même a-t-il ouvert la fenêtre avec l’idée de sauter. La porte s’ouvre… Il a juste le temps de se glisser dans un placard avant que les surveillants ne pénètrent dans les lieux. C’est la pause-café. Plusieurs minutes s’écoulent.

Le fugitif retient son souffle – mais pas son talkie-walkie. Le contraire de la baraka, c’est quoi ? Il est découvert. Profitant de l’effet de surprise, il fonce vers la fenêtre. Les surveillants cherchent à le retenir. Ils l’agrippent par son blouson. Il leur reste dans les mains. Sulak tombe plutôt qu’il ne saute sept mètres plus bas, sur le bitume du parking.

 « Ne referme pas mon dossier, commissaire ! » m’avait-il en quittant les locaux du 127. Lorsque j’ai appris qu’il n’avait aucune chance de se remettre de ses blessures, que pour lui c’était la fin de l’aventure, franchement, j’ai eu un coup de blues.

Le trésor de Sulak

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023). Continue reading

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

« Les anges gardiens du 36 »

Alors que le « gardien de la paix » disparaît peu à peu du vocabulaire, si ce n’est sur la feuille de paie des policiers de base, il n’est pas sûr que le titre de ce livre soit bien adapté à notre époque. Les anges, en l’occurrence, sont les policiers de la BRI. Mais on peut aussi se dire que ce sont les gardiens du 36 quai des Orfèvres, puisque c’est le seul service de PJ qui soit resté dans l’Île de la Cité, peut-être grâce à l’action de son ancien chef, le commissaire Christophe Molmy. Les autres ont rejoint le New-36, le Bastion, quasi accolé au nouveau Palais de Justice.

Ce livre n’est donc pas un recueil nostalgique de souvenirs de la PJ parisienne, comme il y en a beaucoup, mais un ouvrage qui nous fait vivre en live des interventions de la BRI. Un service créé en 1966 par le commissaire François Le Mouël, essentiellement pour neutraliser des équipes de braqueurs en flag ou, plus tard, en « opération retour ». D’où le nom d’« antigang ». Puis, au lendemain de la prise d’otages meurtrière au cours des JO de Munich, en 1972, une question s’est posée : en France, dans une situation analogue, quel service de police pourrait intervenir ?

Après un tour de table, la réponse est tranchée : la BRI. Et, pour détourner sa compétence territoriale limitée à la zone PP, il est décidé de créer une brigade anti-commando, en fait, un service fantôme regroupant, en cas d’alerte, la BRI et des policiers volontaires qui, le temps de la mission, seront détachés de leurs obligations habituelles. La BRI-BAC n’agit plus alors comme un service de PJ, mais, en droit, dans le cadre d’une mission de police administrative. Elle peut donc intervenir sur n’importe quel coin du territoire. C’était malin. Plus tard, la création du GIGN, puis du RAID a changé le paysage des services d’intervention. Et la lutte contre le terrorisme islamiste a bousculé tous les services de police.

Aujourd’hui les effectifs de la BRI ont considérablement gonflé et, lorsqu’elle intervient dans une affaire de terrorisme, on parle de BRI-CT, pour contre-terrorisme.

Jacques Capela, dessin de Jean-Charles Sanchez, extrait du livre « Les anges gardiens du 36 », Mareuil Editions

L’auteur, Jérémy Milgram (16 ans de BRI) nous entraîne dans les opérations à hauts risques auxquelles il a participé. Il les raconte à la première personne, en évitant habilement de tirer la couverture à lui. Ce qui est sympa. La typographie du livre est originale et les dessins de Jean-Charles Sanchez (autre policier) sont vraiment chouettes. Il a du talent, le monsieur ! Son portrait en pied de l’inspecteur divisionnaire Jacques Capela, chef de groupe à la brigade criminelle, tué lors de la prise d’otages à l’ambassade d’Irak à Paris, en juillet 1978, est saisissant de réalisme.

Olivier Marchal les a côtoyés, ces « opérateurs » de la BRI. Il préface le livre : « Milgram et sa bande de chiens fous vaccinés à la bravoure et à l’adrénaline Continue reading

Jacques Mesrine : l’arrestation oubliée

Il y a 50 ans, le 7 mars 1973, Jacques Mesrine était arrêté à Boulogne-Billancourt. Lorsque l’on se remémore la vie tumultueuse de ce gangster médiatique, on pense avant tout à sa fin brutale, porte de Clignancourt, à Paris, et aussi à son arrestation par Robert Broussard après un face-à-face théâtral sur le palier d’un appartement du 13° arrondissement, en septembre de la même année.

Photo de la fiche anthropométrique de Jacques Mesrine prise lors de sa garde à vue, en mars 1973

Là, on est au mois de mars 1973, et c’est la première arrestation de Mesrine sous l’étiquette d’ennemi public n°1. Car les tout premiers à lui avoir passé les menottes sont les gendarmes de Neubourg, dans l’Eure, pour une tentative de vol à main armée qui a abouti à une condamnation pour détention d’armes et quelques cambriolages. Il avait 25 ans. Il a pris dix-huit mois ferme – quand même ! On dit que la prison est l’école du crime. Pour une fois, il a été premier de la classe.

Donc, après des « vacances » au Venezuela, Mesrine rentre au pays. Il s’installe dans les Yvelines, où, avec son acolyte Michel Ardouin, dit Porte-Avions, « Portav » pour les poulets, il se laisse aller à des dizaines de braquages de banque. Il aurait dû choisir un autre département, car c’est le groupe de Roger Dornier, au GRB de Versailles, qui récupère les dossiers. Et Dornier, c’est du solide. Avec son équipe, il parvient à le localiser alors qu’il est en pourparlers avec un garagiste de Mantes-la-Jolie pour changer de voiture. Toutefois, toujours sur le qui-vive, le truand sent la patate et réussit à s’échapper. Et le revoilà en cavale.  Son complice, Michel Grangier, dit Le Lyonnais, loue alors un appartement à Boulogne-Billancourt. C’est celui d’un magistrat affecté outre-mer.

Peu après ce fiasco du GRB, des promeneurs découvrent dans la forêt de Fausses-Reposes, un « corps sans vie » –  comme on pouvait le lire parfois dans les procès-verbaux. Le groupe criminel de la PJ de Versailles est chargé de l’enquête. La crim’ de Versailles est alors considérée comme l’une des meilleures de France. Elle est saisie de la plupart des homicides commis sur les trois départements autour de la Petite Couronne, ainsi que sur l’Yonne et l’Eure-et-Loir. Cette compétence élargie permet à ses enquêteurs de revendiquer une expérience identique à leurs collègues du 36, tout en ayant l’avantage d’une plus grande autonomie. C’est cet outil qu’aujourd’hui Darmanin veut casser en plaçant les services d’enquêtes judiciaires sous la coupe d’un préfet. La victime a reçu plusieurs balles Continue reading

Dans la peau de Mesrine

Jacques Mesrine, « L’ennemi public n° 1 » pour les Français, « Mister Jacky », pour les Québécois, est mort criblé de balles le 2 novembre 1979. Il avait 42 ans. Sa traque finale s’est étalée sur plusieurs mois, mais durant des années, chez nous comme au Canada, il n’a eu de cesse de faire parler de lui, pavoisant dans les médias, dénonçant un système pénitentiaire déshumanisé, fustigeant le pouvoir politique, menaçant les journalistes, les magistrats, et sans cesse provoquant les flics. Il devait mourir, il le savait, mais il rêvait d’un face-à-face, l’arme à la main, les bottes aux pieds et le soleil dans les yeux. Comme dans un western. Il est parti sans éclat, saucissonné sur le siège de sa BMW, sans avoir eu le temps de glisser la main dans sa sacoche, à ses pieds, dans laquelle se trouvaient son nouveau hochet, un Browning GP 35, et deux vieilles grenades quadrillées qui ne le quittaient jamais. Ce jour-là, sa légende est née.

C’était un vendredi, il était 15 h 15. Porte de Clignancourt, l’embouteillage a été colossal.

Moi, j’ai suivi l’opération depuis le PC de l’Office central pour la répression du banditisme. Lorsque Mesrine est sorti de sa planque, rue Belliard, le trafic radio s’est intensifié. Puis, tout est allé très vite. Sous les crachotements, j’ai cru entendre une voix qui disait « Oh putain, ça flingue ! » Ensuite un long silence, plus fort que tout : ce moment qui succède à la tension d’une intervention à haut risque.

Comme beaucoup de flics, je me suis senti frustré par cette fin brutale. Cet événement marquait la fin d’une épopée criminelle hors du commun et, d’une certaine manière, l’épilogue aux années folles de la PJ.

Chacun d’entre nous rêvait de passer les pinces au « Grand » et d’un face-à-face, le temps d’une garde à vue – sans avocat, à l’époque. Dans son livre de souvenirs (De l’antigang à la criminelle, Plon, 2000), le commissaire Marcel Leclerc (c’était loin d’être un affreux gauchiste) disait de lui : « La première impression qui se dégage du personnage, c’est la sensation intense d’une présence. Il est là. Il capte le regard, d’abord par son apparence physique athlétique, ensuite par la force de sa personnalité, mélange de gouaille, de séduction et de brutalité. »

Oui, qu’on le veuille ou non, Mesrine était un truand hors norme, non pas en raison de son parcours criminel, mais en raison de sa personnalité – à facettes multiples. Il a passé sa vie à la jouer. Comme un comédien sur les planches. Il nous avait dit « Attrape-moi, si tu peux ! » Jeu de piste, jeu de rôle…, le jeu a tourné court. Continue reading

L’étrange histoire des 3 orphelins de la gare de Barcelone

Depuis 38 ans, Ramon, Richard et Elvira courent après leur passé.  Le dimanche 24 avril 1984, un ami de leur père les a déposés à la gare de Barcelone. « Ne bougez pas, je vais vous acheter des bonbons et je reviens ». Il n’est jamais revenu.

Ils attendent, ils jouent, insouciants, sans imaginer un seul instant que leur vie est en train de basculer. Au bout d’un certain temps, ils sont pris en charge par les policiers. Les trois enfants sont correctement habillés, ils sont en bonne santé et ne portent aucune trace de maltraitance. On imagine les appels dans la gare… Toutes les hypothèses sont possibles, la plus vraisemblable étant que leurs parents soient montés dans un train et que celui-ci ait démarré avant qu’ils aient eu le temps d’en redescendre. On voit tellement de choses dans une gare. Bien entendu, les policiers les interrogent : « Où sont vos parents ? Comment vous vous appelez ? Quel est votre âge ? » Etc. Les enfants parlent français. Seul l’aîné connaît quelques mots d’espagnol. Il raconte qu’ils habitent Paris, mais qu’ils voyagent beaucoup, Belgique, Suisse, Espagne… Depuis quelque temps, c’est un ami de leur famille qui s’occupe d’eux. Ils le connaissent sous le prénom de Denis, de Tony…, enfin, ils ne savent pas trop. C’est lui qui, avec la Mercedes de leur père, les a déposés à la gare. Finalement, ils sont pris en charge par les services sociaux de Barcelone. Ils n’entendront plus jamais parler de leurs parents.

Deux ans plus tard, ils sont adoptés par une famille espagnole et seront inscrits à l’état civil sous les noms de Moral Manera.

Mais à un moment, lorsque l’on sort de l’enfance, on s’interroge forcément sur ses origines. Et là, le mystère est complet. Comment leurs parents, à l’évidence financièrement à l’aise, ont-ils pu les abandonner dans une gare ? Quel secret se cache derrière cet acte odieux ? Étaient-ils menacés ? Ont-ils agi pour les protéger d’un danger ? Et surtout, sont-ils encore vivants ?

C’est Elvira qui des années plus tard, alors qu’elle vient d’avoir un bébé, décide d’entamer des recherches pour elle, ses deux frères, et pour cet enfant qui vient de naître. Elle commence par presser de questions Ramon, son frère aîné. Il est le seul à avoir des réminiscences de son enfance. Elle et Richard étaient trop petits. Il se souvient que leurs parents voyageaient beaucoup dans des voitures de luxe : une Mercedes blanche, une Jaguar kaki, une Porsche… Qu’ils avaient beaucoup d’argent en billets de banque, et des armes dissimulées un peu partout. Un jour, il a saisi un pistolet qui traînait sur une table et, pour jouer, il l’a pointé sur Richard. Un coup de feu est parti, sans le blesser heureusement. Son père l’avait sérieusement houspillé.

Tout laisse à penser que leurs parents étaient liés au grand banditisme.

Les enfants devenus adultes font le récit de leur histoire sur les réseaux sociaux, à la recherche de témoignages. Le résultat n’est pas au rendez-vous, mais plusieurs personnes se proposent pour les aider dans leurs recherches.

C’est ainsi qu’est né un groupe d’enquêteurs bénévoles. Continue reading

Le « beau mec » vous salue bien !

Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.

Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.

Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.

Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !

C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture. Continue reading

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