LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaire Grégory

Affaire Grégory : épluchage de la garde à vue de Muriel Bolle

Les avocats de Muriel Bolle contestent la validité de la garde à vue de leur cliente, effectuée dans les locaux de la gendarmerie de Bruyères, dans les Vosges, en novembre 1984. Ils estiment que lors de ses auditions les droits de la défense n’ont pas été respectés, notamment du fait qu’elle n’était pas assistée d’un avocat, comme c’est la norme aujourd’hui. Ils ont déposé une QPC dans ce sens, contre l’avis du parquet général pour qui les règles actuelles de la garde à vue ne peuvent être rétroactives.

Une réflexion pétrie de bon sens, même si, au lendemain de la loi du 14 avril 2011 qui a profondément remanié la garde à vue, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a dit exactement le contraire : tous les procès-verbaux de garde à vue antérieurs à cette loi sont susceptibles d’être contestés dans la mesure où la personne gardée à vue n’a pas bénéficié des garanties procédurales voulues par la CEDH (ratifiée par la France en 1974) : droit de se taire et droit de se faire assister d’un avocat.

Mais cette décision, qui aurait pu être une bérézina judiciaire, ne fut finalement qu’une pirouette juridique, notamment en raison de l’article 173-1 du code de procédure pénale qui limite le délai de contestation à six mois à compter de la notification de mise en examen.

Puis d’un seul coup surgit un cas que personne n’avait envisagé : une mise en examen 33 ans après la garde à vue ! Continue reading

Affaire Grégory : une mère de famille devant le tribunal pour enfants

Finalement, Murielle Bolle est sortie de prison. Les arguments de Jean-Jacques Bosc, le procureur général de Dijon, qui avait demandé son maintien en détention « pour les nécessités de l’enquête et l’efficacité des actes à venir », n’ont pas été convaincants.

Cette requête était assez incompréhensible dans la mesure où les contraintes du contrôle judiciaire sont justement faites pour éviter ce genre de situations. Trop souvent, la justice ferme les yeux sur l’article 137 du code de procédure pénale qui rappelle que si une personne mise en examen et présumée innocente peut être mise en détention, ce n’est qu’à titre exceptionnel. La pratique montre qu’on est loin du compte. Mais dans le cas présent, il est quand même difficile de penser que les suspects vont détruire des preuves d’une affaire passée au tamis depuis plus de trente ans, ou qu’elles vont soudain se rendre coupables d’une « concertation frauduleuse », comme il est dit à l’article 147 du code de procédure pénale.

On a l’impression que les mesures d’isolement imposées aux trois personnes actuellement mises en examen sont plutôt destinées à les éloigner de la curiosité des médias.  Chat échaudé…

Il faut bien reconnaître que l’on voit rarement autant de précautions pour préserver le secret de l’instruction… Mais si l’on veut se faire une idée de la tournure prise par l’enquête, il faut comparer la qualification retenue par la justice. On est passé de l’assassinat (meurtre avec préméditation) à enlèvement suivi de mort. Une infraction tout aussi grave puisque la victime est un enfant : réclusion criminelle à perpétuité.

Quelques années plus tôt, avant 1981, c’était l’article 355 du code pénal qui aurait été applicable. Il se terminait ainsi : « L’enlèvement emportera la peine de mort s’il a été suivi de la mort du mineur. » Continue reading

Dans l’affaire Grégory, avec le temps le piège des faux souvenirs

Si l’enquête sur l’assassinat de Grégory Villemin s’arrêtait aujourd’hui, elle serait prescrite en 2037. Et tout nouvel acte durant ce délai, même émanant de la partie civile, c’est-à-dire de la famille de la petite victime, ferait courir un nouveau délai de prescription d’une durée de vingt ans.

C’est ce qu’il ressort de la nouvelle loi sur la prescription pénale du 27 février 2017. Auparavant, le délai de prescription en matière criminelle était de dix ans, mais dans les faits, cela ne change pas grand-chose, car certains dossiers semblent ne jamais se prescrire, comme la mort du ministre Robert Boulin (1979) ou l’attentat antisémite de la rue des Rosiers (1982).

Mais l’affaire Grégory est d’une autre dimension. Je le dis avec respect pour la famille, mais pour les gendarmes comme pour les magistrats, c’est devenu un challenge. C’est plus avec un esprit de revanche que de justice, comme le dit le juge Lambert dans sa lettre posthume, que ceux qui ont failli il y a trente ans, ou plutôt leurs successeurs, ont rouvert le dossier.

On nous a dit alors qu’un mystérieux logiciel avait analysé des milliers de procès-verbaux Continue reading

L’affaire du petit Grégory

Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de 4 ans ½, disparaît de la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges. Dans la soirée, on retrouve son corps dans les eaux de la Vologne, à Docelles, à six kilomètres de son domicile. Il a les jambes et les bras liés par une corde et il est mort noyé. Sur le petit corps, aucune trace de violences. À l’évidence, il a été jeté vivant dans la rivière – comme on noierait un chat. gregory-villemin_photo_lenouvelobscom.1228295222.jpgLes soupçons se portent sur la famille. Le lendemain, le père de l’enfant, Jean-Marie Villemin, reçoit une lettre anonyme : « […] Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con… » Deux semaines plus tard, le juge d’Epinal, Jean-Michel Lambert, délivre un mandat d’écroue contre Bernard Laroche, un cousin des Villemin, qui a fait l’objet d’une dénonciation de la part de sa propre cousine, âgée de quinze ans. Quelle famille ! En février 1985, le juge le libère, et un mois plus tard, Villemin père l’abat d’un coup de fusil de chasse. Mais les rumeurs vont bon train. Elles accusent Christine Villemin, la mère du petit Grégory. Dans une divagation intello, Marguerite Duras enfonce le clou. Persuadée de sa culpabilité, elle écrit dans Libération qu’il s’agit d’un crime « sublime, forcément sublime ».

La PJ a été longtemps tenue à l’écart de cette affaire. Ses enquêteurs auraient-ils fait mieux que les gendarmes ? Le commissaire Jacques Corrazi, qui plus tard a repris le dossier, doit probablement en être persuadé. Il aurait peut-être réussi à juguler le délire d’un petit juge dont ses pairs ont dit qu’il était un « funambule de la pensée ». Christine Villemin a par la suite été mise en examen pour le meurtre de son fils. Le 3 février 1993, la chambre d’accusation de Dijon a estimé qu’il n’existait aucune charge contre elle, et elle a rendu un arrêt de non-lieu. On ne connaîtra jamais l’assassin du petit Grégory.

A moins que…

Vingt-quatre ans plus tard, la police scientifique peut-elle réussir là ou les gendarmes, la police et la justice ont échoué ? En décidant la réouverture de l’enquête, la Cour d’appel de Dijon doit penser que l’analyse des scellés, qui ont semble-t-il été soigneusement conservés (vêtements, liens, lettres du corbeau…), peut apporter aujourd’hui de précieuses indications, notamment grâce aux traces Adn.

C’est, je crois, une première en France. De quoi nous réconcilier avec le fichier génétique.

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Le résumé des faits est un extrait de « La PJ de 1984 à 1986« .

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