LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaire de Tarnac

Tarnac : peut-on parler de justice politique ?

Le parquet de Paris a requis le renvoi devant le tribunal correctionnel de trois des personnages mis en examen dans l’affaire de Tarnac sous la qualification d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Or, le fait d’utiliser des mots quasi identiques pour incriminer, par exemple, l’assistance apportée par les complices supposés de Coulibaly ou des frères Kouachi, et la tentative d’immobiliser un TGV en le privant d’électricité, a évidemment quelque chose d’incompréhensible.

Drôles_googleEt dans une société où la défiance est de mise, certains dénoncent une décision politique contre une mouvance qui n’a démontré sa dangerosité qu’à travers des écrits et – peut-être – un vandalisme dans un but de nuisance.

Alors, chez nous, en France, avons-nous une justice politique ?

Si la juxtaposition de ces deux mots est choquante, la réponse est néanmoins oui – car justice et politique sont indissociables. Continue reading

Tarnac : la filoche s’effiloche

Rarement une simple filature aura fait couler autant d’encre. Ou du moins le procès-verbal qui la retrace, le fameux P-V 104, qui est paraît-il bourré d’invraisemblances. D’après la presse, et notamment les journalistes du Monde et de Mediapart, qui visiblement connaissent le dossier Tarnac sur le bout des doigts, l’élément fort réside dans le compte-rendu des surveillances effectuées sur Julien Coupat et son amie Yildune Lévy. Les policiers ont noté que le véhicule à bord duquel ils se trouvaient a stationné un quart d’heure dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à proximité de la ligne TGV où, au petit jour, il a été découvert un crochet métallique posé sur la ligne caténaire.

Sans remettre en cause le travail des journalistes, notamment l’épluchage des procès-verbaux effectué par Laurent Borredon sur son blog, plus d’un policier a dû sourire en lisant les analyses et les reconstitutions d’une filature qui a duré une vingtaine d’heures. Continue reading

Tarnac : la marmite du diable

Julien Coupat va-t-il devenir le Cohn-Bendit de ce siècle ? En tout cas, il est sur la bonne voie. À trop vouloir démontrer qu’il existe en France une menace terroriste liée à l’ultra-gauche, aux autonomistes, ou à affiche-mai-68.jpgje ne sais quoi, le gouvernement s’est empêtré dans une affaire politico-judiciaire dont il risque bien de faire les frais. Et tandis que la Cour d’appel doit statuer vendredi prochain sur une demande de levée de leur contrôle judiciaire, les « terroristes » de Tarnac ont tenu, il y a quelques jours, une tribune dans Le Monde, annonçant leur intention d’y mettre fin d’office.

Une façon de reprendre l’initiative dans une partie d’échecs dont l’enjeu à ce jour n’est pas encore parfaitement connu.

En effet, comment, sauf à se « déjuger », comment les juges pourraient-ils accepter ce mouvement de révolte contre leur décision de placement sous contrôle judiciaire ? Néanmoins, la réaction est plutôt molle. « Si ces obligations n’étaient pas respectées, a déclaré un procureur, le parquet en tirera toutes les conséquences ». Or, c’est déjà le cas, puisque le seul fait, pour les dix personnes mises en examen, de s’être réunies et concertées pour rédiger ce manifeste est, en soi, un manquement aux obligations imposées. Vendredi dernier, devant la Cour d’appel, le parquet s’est contenté de demander le maintien en l’état du contrôle judiciaire.

C’était pourtant au tour de la justice d’avancer un pion.

Il y a comme un flottement. Aussi, lorsqu’on entend l’avocat de la « bande à Coupat » déclarer que le dossier est vide, qu’il n’y a aucun élément concret, en deux mots, qu’ils sont innocents du crime dont on les accuse, on aurait tendance à le croire.

Pourtant c’est faux. Ils sont bien coupables – même s’ils n’ont rien fait. Pour la justice, ils sont coupables d’avoir probablement eu l’intention de faire. Sans entrer dans le détail des textes, c’est grosso modo (mais j’exagère) ce qui résulte des lois qui répriment l’association de malfaiteurs appliquées à la lutte contre le terrorisme.

La législation actuelle trouve son origine dans les vagues d’attentats des années 85-86 et 95-96 (loi du 9 septembre 1986, renforcée en 1996). Après le 11-Septembre, bien que la France n’ait connu aucune action terroriste, le dispositif n’a eu de cesse d’être complété (loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 ; loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 ; loi relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006 ; loi du 1er décembre 2008, qui prolonge la loi précédente jusqu’en 2012). Et j’en oublie probablement.

Mais comme on n’a pas défini le terrorisme, l’application de ces textes ne peut être que subjective. Dans un autre contexte, Julien Coupat et sa compagne auraient au plus été inquiétés pour tentative de dégradation de biens publics.

En fait, on mélange tout. Faute de règles bien définies sur le terrorisme, on applique des textes qui font référence à d’autres textes et auxquels s’ajoutent sans cesse des modifications de circonstance et de nombreux dispositifs dérogatoires qui mêlent la prévention à la répression. D’où cet embrouillamini de lois et de règlements – la marmite du diable, comme on pourrait l’appeler. « Le chaos des lois est tel, de nos jours, énonce Julien Coupat, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter. » Mais il exagère, lui aussi.

Avec les résultats suivants :

Pour la prévention, un renforcement considérable du pouvoir de l’administration sur notre vie de tous les jours : contrôle de nos déplacements et de nos communications, et possibilité d’accéder à un grand nombre de fichiers.

Pour la répression, un accroissement important des procédures dérogatoires, lesquelles aboutissent à des pouvoirs d’enquête sans cesse accrus. On en est aujourd’hui à un stade surprenant où l’exception devient la règle. Autrement dit, pour ne pas avoir voulu séparer formellement le terrorisme des crimes et des délits de droit commun, on a pris le risque d’un amalgame en faveur des procédures d’exception.  Ce que certains juristes définissent comme « un transfert de légitimité de l’antiterrorisme ».

Ainsi, pour lutter contre une menace virtuelle, on nous entraîne peu à peu dans une logique de prévention à tout prix, qui, par les restrictions qu’elle fait peser sur nos droits et nos libertés, nous ramène des siècles en arrière. On est un peu dans le même esprit que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 : On nous fait peur, ensuite on nous protège, donc on veut notre bien.

En rompant publiquement le ban cetautomatix-le-forgeron.gifde leur contrôle judiciaire, les Tarnacois ont fait un véritable pied-de-nez à la Justice. Ils vont ainsi au bout de leur logique en retournant la force du système contre le système.

De cette histoire vaudevillesque, basée sur un quiproquo juridique, police et justice ne sortiront pas grandies. À dire vrai, tout cela est un rien ridicule.  Mais comme on dit, le ridicule ne tue pas – sauf peut-être en politique.

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Gare Saint-Lazare, ce matin a été lu 2.012 fois en 3 jours et a suscité 25 commentaires.

Tarnac : l'histoire sans fin

Les avocats de Julien Coupat auraient effectué une contre-enquête qui « malmène la version policière et remet en cause le travail effectué par le juge antiterroriste… ». Une note de 7 pages pour « inviter » le juge à instruire à charge et à décharge. Donc, crayons-et-taille-crayon_ecolesac-rouen.pngsous-entendu, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Fichtre, on aimerait en savoir plus ! S’agit-il réellement d’une contre-enquête ? Et si oui, effectuée par qui ? Des détectives privés ? Ou s’agit-il d’un épluchage systématique de la procédure pour en souligner les carences ? Ou tout simplement d’un coup de com’, pour attirer l’attention sur un dossier qui roupille ?

À dire vrai, si les avocats relèvent certaines incohérences dans les procès-verbaux, comme des traces de pneus ou des traces de chaussures qui ne collent pas, cela n’a pas réellement d’importance. Quel que soit le rôle qu’aurait pu tenir tel ou tel suspect, tout le monde a bien compris que cette procédure concernant le sabotage de lignes du TGV ne tient pas la route.

Et le plus rigolo, c’est que ce sont les policiers eux-mêmes qui se sont pris les pieds dans le tapis. Ainsi, Coupat et son amie sont accusés d’actes de sabotage qu’ils n’auraient pas pu commettre puisqu’au moment des faits ils auraient été sous la surveillance des enquêteurs de la DCRI…

Et derechef Me William Bourdon  de demander l’audition des policiers, sachant très bien que la DCRI est placée sous la protection du secret-défense (tiens, encore lui!); et que les policiers chargés de l’antiterrorisme peuvent être autorisés (je ne sais pas si c’est le cas ici) à ne pas mentionner leur identité dans les actes de procédures (loi du 23 janvier 2006).

On va se dire qu’ils sont nuls de chez nul à la DCRI… La peinture de leurs bureaux n’est pas encore sèche qu’ils commettent leur première bévue ! La vérité, c’est que les instructions intempestives du ministre de l’Intérieur de l’époque (MAM), les a obligés à casser une enquête qui n’était pas mûre. « La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps », nous dit Bernard Squarcini, le patron de cette direction, dans une interview au Point du 12 mars 2009. « Nous savions ce qu’ils faisaient, avec qui ils étaient en contact – en France et à l’étranger. Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente (…) Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments. Ils sont dans le dossier du juge. C’est pourquoi je peux vous dire qu’il n’est pas vide… »

Les avocats sont dans leur rôle en criant haro sur une procédure mal fagotée. Mais ils savent bien que dans cette affaire, le sabotage SNCF n’est que la partie apparente de l’iceberg. Tout tient dans ces mots : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Un dossier bâti jour après jour durant des mois de surveillances, d’écoutes, etc. Ce qu’on appelle dans le jargon une procédure fourre-tout où les éléments, même les plus anodins, s’imbriquent les uns dans les autres pour former la base de l’infraction : l’élément matériel.

Une telle procédure appliquée à une équipe de braqueurs, pour prendre un exemple simple, consisterait à effectuer des surveillances quotidiennes pour démontrer que les individus se connaissent, qu’ils se fréquentent régulièrement, qu’ils se réunissent avant chaque coup, ou pour préparer un coup, qu’ils se trouvaient dans le secteur où a été perpétré le hold-up, etc. Et si possible on attend l’embellie, le jour où l’un d’eux va commettre une boulette pour intervenir – sur l’initiative du chef sur le terrain – et pas à la demande d’un quelconque paperassier.

Mais il s’agit ici d’actes concrets, en l’occurrence de braquages. Peut-on appliquer la qualification d’association de malfaiteurs  à des gens qu’on suspecte d’avoir l’intention de…

Je ne crois pas. Entre la préparation caractérisée d’un crime ou d’un délit, telle que prévue par le Code pénal, et la simple intention, il y a un fossé. Cette équipe de Tarnac était placée sous surveillance par prévention, dans l’hypothèse où ses membres auraient eu l’intention de préparer des actes terroristes.

lapin-pays-des-merveilles.gifEt surtout pas pour faire un coup médiatique. « Les services de renseignement, nous dit M. Squarcini, sont au centre opérationnel d’une immense gare où tous les trains doivent arriver à l’heure. Quand tout marche bien, on n’en parle pas ».

Eh bien cette fois, sabotage de caténaires ou pas, les trains ne sont pas arrivés à l’heure. Et cette histoire, on n’a pas fini d’en parler.

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Le billet précédent,  Garde à vue : il ne suffit pas de repeindre les murs ! a été lu 1.124 fois en 3 jours. Il a donné lieu à 20 commentaires, plutôt techniques, dans lesquels on revient sur la fouille à corps et les problèmes de sécurité.

Julien Coupat est-il filoché ?

propos-divrogne.jpgC’est le genre de question piège qu’on vous pose généralement entre le fromage et le dessert, et il y a quelques jours, ça n’a pas manqué ! Et si sa libération était un piège des poulets ! a renchéri quelqu’un. J’ai levé mon verre. Un rayon de soleil s’est accroché à la robe pourpre d’un Saint-Amour 2005 ; dans le ciel, un avion traçait un sillage vers l’ouest ; la pollution était normale : bien trop élevée. J’avais envie de répondre un truc du genre j’en sais rien et j’en ai rien… Et puis, je me suis dit que le contrôle judiciaire valait bien une petite réflexion.

Que je vous livre. Sous toutes réserves.

Le principe de droit est fixé par l’article 137 du Code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois (…) elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire (…) Elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ».

Dans la pratique, il faut bien admettre qu’après sa mise en examen un présumé innocent devient vite un présumé coupable. Ce qui a été le cas pour Julien Coupat. À tel point qu’à l’issue de sa détention provisoire on a entendu des commentaires du genre : Vous voyez bien qu’il est innocent, puisqu’il est libéré ! Et que le procureur de Paris a dû se fendre d’une explication pour assurer que la fin de sa détention provisoire « ne saurait être interprétée comme le signe de l’absence ou l’insuffisance de charges ».

Donc, après six mois d’emprisonnement, le voici placé sous contrôle judiciaire. Avec des obligations piochées dans l’article 138 du CPP (plus de 2 pages dans le Dalloz) et qui en soit n’ont rien d’extraordinaires. Il est astreint à résidence, il doit pointer toutes les semaines, ne pas voir ou parler aux autres mis en cause, et verser une caution de 16.000 €. On peut trouver qu’il s’agit là d’une somme élevée, mais son montant doit en principe être raccord avec ses ressources. Elle est considérée comme « une garantie de représentation ». Une fraction pourra lui être remboursée s’il satisfait aux obligations du contrôle judiciaire et le reste sera éventuellement utilisé pour dédommager la partie civile (la SNCF est-elle partie civile dans cette affaire ?). En cas de non-lieu ou d’acquittement, cette deuxième fraction lui sera intégralement remboursée.

Mais dans son malheur Julien Coupat a de la chance : il semble avoir échappé au bracelet électronique. Considéré comme une mesure d’application de la peine, ce bijou moche réservé à l’origine aux condamnés peut maintenant garnir la cheville d’un suspect mis en examen.

La personne placée sous contrôle judiciaire supporte nombre d’obligations, d’interdictions…, mais le juge d’instruction a lui des devoirs : Il ne peut porter atteinte à la liberté d’opinion ni aux convictions politiques (si, si !) et religieuses, ni faire échec aux droits de la défense (art R.17 du CPP).

Alors, pour en revenir à la question de base, Coupat est-il filoché ? il me semble qu’une surveillance policière, physique ou à l’aide d’écoutes téléphoniques ou tout autre moyen plus ou moins sophistiqué, porterait forcément atteinte aux droits de la défense. En tout cas, cela donnerait du grain à moudre à ses avocats.

Mais les policiers ont-ils les mêmes contraintes que le juge ? Dans la mesure où ils sont officiers de police judiciaire, la réponse est oui. C’est le cas pour les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste de la PJ. Mais ceux qui sont à l’origine de l’affaire appartiennent à la DCRI, un service de contre-espionnage et de renseignements dont les fonctionnaires sont à la fois OPJ et… agents secrets. Alors, la réponse est mitigée. Rien ne les empêche, si ce n’est la morale, l’éthique, de mettre en œuvre toute la panoplie du parfait petit contre-espion : écoutes administratives, micros, caméras, mouchards informatiques, etc. Aucun risque, puisque leur activité est en grande partie couverte par le « secret-défense ». Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause l’intégrité des fonctionnaires de la DCRI, mais il faut bien admettre que dans une démocratie, la justice et le secret d’État ne font pas bon ménage.

La création de ce service a d’ailleurs engendré une ambiguïté dont nombre de policiers sont parfaitement conscients. Et de l’ambiguïté naît le doute, voire la défiance…

Pour couper court à ces bruits, au mois de mars, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, a répondu à une interview du Point. Hervé Gattegno lui demande si cette enquête sur des sabotages de voies ferrées relevait réellement du terrorisme : « Ce n’est pas à la police d’apprécier les qualifications pénales retenues contre ces suspects, mais à la justice. Le cadre juridique a été choisi par le parquet, l’enquête est menée par un juge d’instruction, qui a prononcé des mises en examen. La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps (…) Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente ; le stade où les choses peuvent basculer à tout moment (…) Dans l’affaire de Tarnac, il n’y a pas de délit d’opinion mais un long travail de renseignement. Le problème, c’est que nous avons dû l’interrompre quand la SNCF a déposé plainte : on ne pouvait pas laisser se multiplier des actions qui bloquaient des milliers de passagers dans les gares. Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments… ».

Autrement dit, sous la pression des autorités politiques on est passé directement d’un travail classique de RG à une action judiciaire afin d’éviter que les TGV prennent du retard. J’exagère à peine. 

En l’état, Coupat et ses antinucleaire_celine-lecomte_liberation.pgamis ne sont pas soupçonnés d’avoir voulu faire dérailler un train, mais uniquement d’avoir détérioré des caténaires SNCF. Des actions fréquentes de la part des groupements antinucléaires tant en France qu’en Allemagne, et qui donnent généralement lieu à des enquêtes judiciaires relativement banales. Ainsi, la française Céline Lecomte qui a bloqué pendant une heure un train transportant de l’uranium en Allemagne.

Bernard Squarcini a créé au sein de la DCRI un service chargé d’évaluer les coûts de fonctionnement « pour que les contribuables sachent que leur argent est bien utilisé ».

On aimerait lui poser la question : ces « terroristes » méritaient-ils un tel déploiement de moyens policiers ? Et combien ça nous a coûté ?

Désolé, je me suis éloigné du sujet. C’est à cause du Saint-Amour…

Petit essai sur le terrorisme

Les uns après les autres les journaux reviennent sur l’affaire de Tarnac pour dénoncer le décalage entre une éventuelle tentative de dégradation de lignes SNCF et la procédure exceptionnelle utilisée, visant une organisation terroriste.

shadok-cerveau_castaliefr.1239954564.jpgEt la ministre de l’Intérieur fait front, affirmant que « ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice ». Certes, mais si la presse en l’occurrence n’est pas dans son rôle, il faut biffer Zola des manuels scolaires. Il est vrai qu’après son fameux « J’accuse ! », l’écrivain-journaliste a été obligé de s’exiler… mais ses cendres sont au Panthéon.

Ces jeunes gens du plateau de Millevaches n’ont pas le profil d’un Carlos ou d’un Rouillan. On n’y peut rien. Alors, terroristes ou pas ?

Mais juridiquement, c’est quoi le terrorisme ?

Oserais-je dire que juridiquement le terrorisme n’existe pas ! Il y a des règles internationales, européennes, mais pas une définition unique, claire et précise. La Convention de Strasbourg de 1977 envisage : « tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes et tout acte grave contre les biens lorsqu’il a créé un danger collectif pour les personnes ».

En France, l’article 421-1 du Code pénal1 reprend certains des mots de cette convention, mais le sens du texte diffère assez nettement. Et l’expression « acte grave » est remplacée par l’énumération des infractions concernées. À part les excès de vitesse (là, je fais du mauvais esprit), tout y est : les atteintes à la vie, les armes, les explosifs, les vols, les extorsions de fonds, les destructions, les dégradations et détériorations, l’informatique, le recel, le blanchiment d’argent, le délit d’initié, etc.

Le législateur n’a pas voulu créer d’infractions spécifiques. Il a préféré une notion subjective appliquée à des crimes et des délits déjà existants. Il appartient donc aux autorités judiciaires de déterminer au cas par cas si tel acte délictueux est considéré comme un acte terroriste. Ce qui change à la fois les conditions de l’enquête (garde à vue, surveillances, juridictions…) mais aussi les peines encourues. Si les faits incriminés sont inscrits dans le tableau des infractions ciblées, le juge n’a qu’une question à se poser : l’auteur de l’acte revendique-t-il un caractère politique ?

zola-pantheon_assemblee-nationale.1239954658.jpgLa France n’est pas une exception. La plupart les États ont fait du terrorisme un acte criminel de droit commun, en se dotant d’un arsenal juridique hors du commun.

Lors de la discussion des lois antiterroristes, certains députés ont rappelé que sous l’Occupation les résistants étaient qualifiés de terroristes. Tant il peut s’avérer difficile de distinguer le terrorisme d’une lutte pour la libération ! Et personne ne s’est mis d’accord, ni chez nous ni ailleurs, sur une définition.

Dans la Revue de science criminelle, David Cumin, Maître de conférences à l’université Jean-Moulin, Lyon-III, estime qu’il est impossible de parvenir à une définition objective du terrorisme, mais il en donne l’approche criminologique suivante : « Relève du terrorisme l’acte isolé et sporadique de violence armée commis dans un but politique en temps de paix contre des personnes ou biens protégés. Est terroriste l’auteur d’un tel acte, quelles que soient la composition du groupe auquel il appartient et l’idéologie qui l’anime ».

Cette définition s’applique-t-elle à Coupat et à ses acolytes ? On peut en douter. N’est-on pas en train de « banaliser » le terrorisme ? Supposons que ces bandes de banlieues qui font si peur à Monsieur Sarkozy deviennent plus virulentes, plus dangereuses pour la société, ne pourrait-on pas dénicher derrière leur action une volonté politique qui en ferait des terroristes ? Et la procédure exceptionnelle deviendrait alors le tout-venant.

Toujours dans la Revue de science criminelle, Philippe Mary, professeur ordinaire à l’École des sciences criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles, se pose la question de la différence entre le terrorisme et la délinquance urbaine. Pour lui, le terrorisme se caractérise par son aspect « grande criminalité » (des malveillances contre la SNCF ?). Mais ce qui rapproche ces deux types de criminalité, c’est que dans les deux cas, il s’agit de phénomènes indéfinis. Traités le plus souvent dans l’urgence, ils génèrent une politique de gestion des risques, dans laquelle la sécurité apparaît comme une fin en soi. « Une telle évolution de la notion de sécurité est le signe de passage d’un État social à un État sécuritaire », affirme-t-il.

Sur 57 propositions en matière de lutte contre le terrorisme présentées au sommet de l’Union européenne tenu à Bruxelles, en mars 2004, plus de la moitié n’avait que peu ou rien à voir avec le terrorisme.

Dans un récent rapport au Sénat2, Robert Badinter déclare : « Nous n’avons pas été, à ce jour, capables d’avoir une définition internationale du terrorisme. Ceci pour des raisons éminemment politiques. Si on regarde les textes existants, on trouve des définitions faites par « raccroc » (…) Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… »

Dans une résolution du 14 janvier 2009, le Parlement européen « se préoccupe du fait que la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a souvent abouti à une baisse du niveau de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment du droit fondamental au respect de la vie privée, à la protection des données à caractère personnel et à la nondiscrimination (…) ».

En France, une loi du 13 février 2008 autorise la coluche_forumdoctissimofr.1239955291.jpgratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Elle oblige les États à incriminer certains actes perçus comme pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, même si l’acte terroriste n’est pas commis. Il en va ainsi du recrutement et de l’entraînement de futurs terroristes, ou encore de la provocation à commettre des infractions terroristes.

Certains pays doivent donc adapter leur législation. Pour nous, c’est inutile, on est à la pointe du combat, puisqu’on en est à poursuivre une bande d’anars3 qui auraient eu l’intention de tenter de détruire des caténaires de la SNCF.

Coluche, tu nous manques !

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1/ L’article 421-1 du Code pénal sur légifrance (ici)
2/ Le rapport de Robert Badinter sur l’Union européenne et les droits de l’Homme sur le site du Sénat (ici)
3/ La cellule invisible sur ce blog (ici)

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