LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Tarnac : peut-on parler de justice politique ?

Le parquet de Paris a requis le renvoi devant le tribunal correctionnel de trois des personnages mis en examen dans l’affaire de Tarnac sous la qualification d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Or, le fait d’utiliser des mots quasi identiques pour incriminer, par exemple, l’assistance apportée par les complices supposés de Coulibaly ou des frères Kouachi, et la tentative d’immobiliser un TGV en le privant d’électricité, a évidemment quelque chose d’incompréhensible.

Drôles_googleEt dans une société où la défiance est de mise, certains dénoncent une décision politique contre une mouvance qui n’a démontré sa dangerosité qu’à travers des écrits et – peut-être – un vandalisme dans un but de nuisance.

Alors, chez nous, en France, avons-nous une justice politique ?

Si la juxtaposition de ces deux mots est choquante, la réponse est néanmoins oui – car justice et politique sont indissociables. La justice est une institution de l’État dont la fonction est de dire le droit – droit qui résulte d’un travail législatif, donc politique. Mais dans une démocratie, la justice est aussi le lien entre les dirigeants et les citoyens, puisqu’elle se prononce non pas au nom de la République mais au nom du peuple français.

Cette fonction charnière de la justice au sein de la société est la clé de voûte d’une démocratie et le poil à gratter du pouvoir politique. D’où cette tentation de remiser le système judiciaire dans son petit coin pour laisser agir ceux qui savent ce qui est bon pour le pays. Lorsque le pouvoir politique augmente les prérogatives de la police administrative, hors du contrôle des juges judiciaires, il réagit de cette manière. Sans tenir compte d’un élément essentiel : le temps.

C’est avec le recul que l’on juge les hommes. Avec le temps, l’affaire Dreyfus est devenue le procès de l’armée et le symbole de l’antisémitisme et les milliers de soldats passés par les armes durant la guerre de 14-18 au nom de la patrie sont pour beaucoup les victimes d’une autorité aveugle.

Plus fun, Dany le Rouge, le soixante-huitard vilipendé par les autorités françaises est devenu député européen et un personnage politique influent. Au passage, je me demande bien pourquoi, à 70 ans, il a demandé la nationalité française…

La justice est le révélateur de l’état politique d’un pays à un moment donné. Si l’on estime que notre système judiciaire a les moyens de contrôler, de poursuivre et de juger une personne, quel que soit son rang dans la société, alors, tout va bien. Mais si elle se heurte dans sa tâche à des protections ou à des secrets, alors, il y a quelque chose qui ne colle pas. Et nous sommes moins bien.

Parfois, ce sont de petits riens qui dérangent. Ainsi, lorsque Robert Ménard se vante sottement d’avoir pointé les prénoms de ses élèves pour déterminer leur origine ethnique, dans les heures qui suivent, les flics débarquent à la mairie de Béziers : bien fait pour lui. Pourtant, lorsque le ministre de l’Intérieur déclare que ses services accomplissent des surveillances techniques illégales (d’où une loi pour les légaliser), violant ainsi une liberté constitutionnelle, aucun procureur n’enlève son petit doigt de la couture du pantalon : bien fait pour nous.

Quand Madame Taubira dit que Monsieur Ménard a commis « un crime contre la République », on veut bien la croire. Mais on aimerait qu’elle nous explique pourquoi la plateforme d’interceptions judiciaires, dont elle est responsable, « peut enregistrer les données à caractère personnel qui font apparaître directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci » (décret du 9 octobre 2014, art. R40-44).

C’est sans doute en réaction à ces déclarations ondoyantes que nous sommes devenus si suspicieux. La France subit une crise de défiance.

Pour revenir au sujet, la justice est nettement politique dans deux créneaux bien définis :

Lorsqu’elle juge les hommes au pouvoir : Toutes les démocraties ont mis en place des procédures pour juger les gens au pouvoir. En France, à la suite de l’affaire du sang contaminé, la Cour de justice de la République a été créée pour juger les membres du gouvernement ayant commis un crime ou un délit dans l’exercice de leurs fonctions. En 2001, la Cour de cassation a estimé que le président de la République, lui, jouit d’une immunité totale durant son mandat. Ce qui a été confirmé en 2007 par une loi constitutionnelle (sauf manquements à ses devoirs). Il n’en est pas partout de même.

Ainsi, aux États-Unis, le Président peut être mis en accusation devant la Chambre des représentants. Ce qui présente des avantages. Par exemple, en 1974, après l’affaire du Watergate, pour éviter sa comparution, Richard Nixon a préféré démissionner. Et des inconvénients. Lorsque les jeux sexuels entre Bill Clinton et Monica Lewinsky ont été rendus publics, le Parti républicain a porté l’affaire devant la Chambre des représentants, et cela, malgré l’inexistence du moindre délit. Bill Clinton n’a pas été condamné, mais le « mâle » était fait. Et cela a peut-être joué dans l’élection de son successeur, le républicain George W. Bush, élu au centimètre deux ans plus tard.

Lorsqu’elle protège les hommes au pouvoir : Mais la justice protège également les gens au pouvoir en s’opposant aux opposants, parfois même en interprétant les lois. Longtemps, les actes susceptibles de nuire à la défense nationale ont été utilisés pour réprimer des actions politiques. Aujourd’hui, le mot passe-partout, c’est « terrorisme ». Il est mis à toutes les sauces et il est rare que, dans ses propos, le président Hollande n’y fasse pas allusion, parfois pour des faits qui en sont bien éloignés. Une condamnation pour terrorisme, ça a quand même plus de gueule qu’une condamnation politique, non !

Et en Europe ? L’utilisation de la justice répressive pour neutraliser les opposants politiques viole la Convention européenne des droits de l’homme. Le cas d’école nous vient d’Ukraine, pays qui fait partie des 47 États signataires. Il concerne Ioulia Timochenko. Cette ancienne Premier ministre a été poursuivie pour « abus d’autorité » en 2010, placée en détention provisoire en 2011 et ainsi empêchée de participer aux élections législatives en octobre 2012. Puis libérée et réhabilitée en 2014.

L’enquête contre « la bande à Coupat » est-elle politique ? Lorsque l’on se souvient des déclarations alarmistes de Madame Alliot-Marie contre ces « nihilistes potentiellement dangereux » et de la qualification pénale retenue, « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », la réponse est évidente. L’ordre de « casser » est venu d’en haut alors que tout ce petit monde d’intellectuels ultra-gauchisants était sous surveillance depuis longtemps et que les enquêteurs savaient que l’affaire n’était pas mûre. D’où cette procédure rafistolée dans l’urgence qui fait bondir les avocats. Puis on a eu droit à une enquête sous le feu des projecteurs, une dizaine de mises en examen et un contrôle judiciaire sévère et surtout trop long. Au point que les intéressés l’ont arrêté de leur propre chef, comme un pied de nez. Sans plus de conséquences, comme si l’affaire n’intéressait plus personne.

Les juges vont-ils succomber à ce mot magique : terrorisme ? Ce mot, sans définition précise, aujourd’hui galvaudé, comme pour politiser la justice et justifier une répression préventive.

12 Comments

  1. Retrospectif

    @ Georges Moréas

    Bonjour,

    Ce billet ratisse large, aussi en profité-je pour attirer votre attention sur une série de faits à propos desquels il pourrait être bon de bénéficier des éclaircissement d’un Commissaire principal honoraire de la Police Nationale. Je veux parler des descentes de police chez Stambul, et au bureau de Denis Sieffert pour ne parler que d’eux ( cf http://www.politis.fr/Politis-vise-par-les-tentatives-d,31623.html ). Une question qui revient souvent en commentaire : pourquoi est-ce le RAID qui est s’est invité chez Monsieur Stambul ? Est-ce habituel de solliciter de service en semblables circonstances ?
    Cordialement

  2. Trekker

     » les milliers de soldats passés par les armes durant la guerre de 14-18 au nom de la patrie  »

    Il serait bien que vous précisiez si vous parler uniquement de l’armée Française, ou de l’ensemble des belligérants. Car dans notre armée l’ensemble de fusillés de 14 – 18, ils se montent à environ 1008 dont 267 pour crimes de droit commun et espionnage. Contrairement à la légende seule une cinquantaine le furent lors des mutineries de 1917, et la majorité le furent entre 1914 – 1916 et dans des conditions pour le moins expéditives. Pour plus de détails se reporter aux travaux méticuleux du général Andre Bach, ancien conservateur de l’ex SHAT à Vincennes.

    A titre de comparaison l’armée Italienne en 14 / 18 a fusillé ~ 750 de ses soldats, le Royaume Uni ~ 306, et oh surprise l’Allemagne que 48. L’armée Russe tsariste serait celle qui en aurait fusillé le plus, mais impossible à chiffrer : ses archives ont pour la plupart disparu lors de la guerre civile.

  3. Brejnev

    Je note en revanche que dès lors que la « bande à Coupat » a été interpellée les sabotages de ligne de TGV on étrangement cessés. Je ne suis pas statisticien mais c’est une coïncidence peu probable non ?
    Que l’enquête ait été mal fagotée sous la pression, c’est probable et possible, Que la « Bande à Coupat » soit innocente en est une autre.

    • Thomas

      Vous n’êtes pas statisticien, ni logicien. C’est un argument parfaitement éculé que l’on lit plutôt normalement dans les commentaires du Figaro.
      Réfutation par l’absurde: je me suis cassé une jambe juste après les sabotages de 2008, et aussitôt ces sabotages « on étrangement cessés » (sic): c’est donc une preuve que je suis le saboteur? On voit qu’avec ce genre de raisonnement on peut condamner n’importe qui.

  4. L'étienne

    100% d’accord avec l’ensemble de votre article, M. Moréas.
    La qualification pénale d’ « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » pour de la simple dégradation de matériel (non prouvée, d’ailleurs) montre bien que le qualificatif de « terroriste » ne veux juridiquement rien dire, et que ce terme est simplement réservé aux « ennemis » du jour et du lieu, indépendamment de leurs actes. Est-ce qu’il viendrait à l’idée de quelqu’un aujourd’hui de qualifier de « terroristes » les résistants FFI ou FTP sous l’occupation ?

  5. Rollo Tommasi

    Remeber Kristian « Varg » Vikernes, le dangereux terroriste néo-nazi norvégien de Corrèze, pendant « vallsien » des nihilistes de MAM…

  6. Stéphane Lendeberg

    Si la justice n’était que « politique », cela se saurait ! Elle est également au service des mafias économiques en bonnes relation avec les pouvoirs en place. Je cois que l’exemple que j’ai fourni fin 2014 le prouve amplement :
    http://moreas.blog.lemonde.fr/2014/12/21/police-justice-etc-ce-qui-va-changer-en-2015/

    Je souligne le fait qu’aucun magistrat n’a pris en défaut ce que j’ai amplement démonté sur ce sujet depuis 2008. De plus, oui, rien n’à changé en 2015, puisque la Cour de Cassation a rendu au final un arrêt de règlement aux fins de garantir l’impunité aux délinquants « présumés » qui sévissent à la demande de notaires. C’est une décision « de justice » strictement prohibée par l’article 5 du Code Civil. Elle est également attentatoire à la séparation des pouvoirs, ce qui est à tout le moins anticonstitutionnel.

    Cela dit, cela ne rebute visiblement pas les hauts magistrats qui se livrent à ce genre d’exercice ! Et puis, violer l’article 604 du Code de Procédure Civile, lequel impose à cette Cour de dire le droit, en censurant l’intégralité de l’appareil juridique qui y a été présenté par une partie n’est évidemment pas autorisé !

    Que celui qui veut en savoir plus fasse un tour sur les blogs de Rafaële Rivais, qui en font état, dont ce dernier : http://sosconso.blog.lemonde.fr/2015/04/13/la-cour-de-cassation-deboute-lheritier-mecontent-du-notaire-et-du-genealogiste/

    Et rien ne change en 2015, Il devrait donc se retrouver dans les commentaires les mêmes hérésies qu’en 2014, du style :
    – « Je pense qu’il est facile de taper sur les juges lorsque l’on ne comprend pas le système judiciaire. » Ce qui est intellectuellement malhonnête, puisqu’il est facile de « taper sur les juges » en toute connaissance de cause !
    Ou bien (du même!) :
    – « Il y a plusieurs commentaires attaquant les juges et leur pseudo irresponsabilité en cas d’erreur… ». Là, on touche le fond de l’argument de propagande en faveur des juges ! Sachant que le Conseil Supérieur de la Magistrature rejette plus de 98 % des requêtes de justiciables les visant. Alors que qui peut décemment croire que certains engageraient ainsi leur responsabilité envers les tenants du pouvoir judiciaire sans avoir de solides motivations ?

    Rien ne change non plus en 2015, puisque les magistrats de ce pays semblent inquiéter les tenants de la liberté de la presse, attendu qu’aucun journaliste n’ose décrier sérieusement les abus de cette justice. Ce blog, heureusement, y touche un peu.

    Alors, est-ce que cela va changer en 2016 ? La réponse la plus prévisible est non !

    • Zobinou

      Le problème du CSM, c’est que ce sont (pour la majorité des membres) des magistrats élus par leurs pairs qui jugent d’autres magistrats. Imaginons un instant que ce soit des médecins élus par leurs pairs qui jugent des erreurs médicales des autres médecins, d’anciens financiers qui jugent des manipulations boursières, des politiques (disons par exemple, des députés élus par leurs pairs) qui jugent les politiques (disons par exemple les ministres membres d’un gouvernement, dont la déclaration de politique générale a forcément été approuvée par l’Assemblée nationale), ou des policiers qui enquêtent sur les policiers mis en cause dans des affaires de bavures policières réelles ou supposées …

      Ha, on m’informe que c’est déjà le cas.

  7. Marc Schaefer

    Oui, la Justice dit le droit créé par le législateur… Mais :

    Quand le législateur, souvent sur initiative du gouvernement, vote des lois destinées à des cas particuliers, et se sert d’événements tragiques pour faire avancer des causes sans rapport, on est dans la justice politique. Sarko n’a pas le monopole de la médiocrité.

    Les juges ont une grande latitude d’appréciation, parce que la Loi le permet, et parce que les lois se contredisent. Sur l’usage des pétoires par les gendarmes, les juges pourraient regarder le début de l’actuelle Constitution plutôt qu’une obscure circulaire de la IIIè République.

  8. Marc Schaefer

    La nouvelle loi légalisant les crimes des barbouzes devaient être destinées au procès de la bande à Coupat, très largement. Les avocats ont montré les procédés illégaux de « l’enquête », ce qui gênait un procès ; la loi correspond assez bien aux procédés révélés ; et maintenant qu’elle est votée, le proc demande la correctionnelle.

    Je ne sais pas parler pour le reste du Peuple, mais moi, un retard de trains de me terrorise pas.

    L’enquête m’a paru totalement bidon. Si les juges français ont l’habitude de se contenter des affirmation invérifiées et parfois fabriquées des policiers, les juges doivent s’améliorer.

    • pascal petit

      « la bande à Coupat »: ridicule assemblage de mots utilisé pour satisfaire un discours, pas toujours très clair chez vous, au demeurant…

      pourquoi pas « le gang de Coupat », « la mafia de Coupat », « l’armée des ombres de Coupat », « la cinquième colonne de Coupat »… ?

      et « ces gens-là », ils seraient pas un peu drogués, pédophiles, antisémites, etc…?

      La propagande, c’est : « plus c’est gros, plus ça passe »… encore heureux que ça passe pas partout. Vive la résistance.

  9. pascal petit

    «  »du gros con à vend’
    pour la propagand' » »

    Chanson à la mode, et réalité des faits…

    Triste réalité: la Police ne s’en sortira jamais grandie, de cette affaire plus que bizarre… pire, on risque, une fois de plus, de la voir salie…. sale époque!

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