LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 1 of 25)

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023). Continue reading

Au 1er juillet, la garde à vue s’aligne sur le droit européen

Lorsqu’il s’agit d’imposer des bouchons soudés aux bouteilles d’eau minérale qui en font rager plus d’un, la France s’exécute sans tarder, mais pour adapter notre droit à celui de l’U-E, elle traîne des pieds. C’est la raison d’être de la loi fourre-tout du 22 avril 2024 qui modifie certaines de nos règles « en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».

Une loi qui vient en application d’une directive du Parlement européen remontant à plus de dix ans.

La procédure de garde à vue est concernée par ce texte qui renforce les droits des personnes placées sous main de police, notamment l’impossibilité de débuter une audition hors la présence d’un avocat, et supprime le délai de carence. Alors qu’elle s’applique ce lundi 1er juillet, sa pratique ne sera envisagée que le lendemain, lors d’une réunion, semble-t-il informelle, entre la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), les présidents de juridiction, les forces de l’ordre et le Conseil national des Barreaux.

Il y a une quinzaine de jours, Laureline Peyrefitte, la directrice de la DACG, s’est fendue d’une circulaire qui détaille les modalités de mise en œuvre de cette réforme, tentant, du moins dans sa présentation, de minimiser les effets contraignants de ces nouvelles règles pour les services en charge d’une mission de police judiciaire, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et les douanes.

Je ne sais pas si, de son côté, la direction générale de la police nationale a donné les clés de fonctionnement à ses troupes. Il est vrai que ces jours-ci, Place Beauvau, il y d’autres sujets de préoccupation…

Quant au Conseil national des barreaux, sa circulaire date du 26 juin.

Cette réforme renforce le rôle de l’avocat, rend sa présence quasi obligatoire et accorde au gardé à vue un certain droit de communication avec « l’extérieur ».

La fin du délai de carence

Jusqu’alors, si l’avocat de la personne en garde à vue ne s’était pas présenté dans un délai de deux heures, l’OPJ pouvait commencer les auditions sans lui. Ce délai de carence est supprimé. Dorénavant, la règle générale veut que ni les auditions ni les confrontations ne puissent s’effectuer en l’absence de l’avocat. Si l’avocat désigné ne peut être présent dans le délai de deux heures, il appartient à l’OPJ de saisir le bâtonnier pour la désignation d’un commis d’office. Dans l’attente de sa venue, seul un procès-verbal d’identité peut être envisagé. L’avocat, lui, est tenu « de se présenter sans retard indu ». Un retard délibéré pourrait probablement être considéré comme une faute professionnelle ou une combine procédurale. (art. 63-3-1)

Il existe des exceptions, mais elles sont… exceptionnelles :

– La personne gardée à vue renonce expressément à la présence d’un avocat par une mention portée au procès-verbal et signée

– Sur autorisation du procureur de la République, par une décision écrite et motivée « soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne » (nouvel art. 63-4-2-1)

Droit d’accès aux procès-verbaux d’audition et de confrontation

L’avocat peut désormais consulter les procès-verbaux d’audition et de confrontation, même s’il n’était pas présent lors de ces actes. Il ne peut pas les photocopier, mais il peut prendre des notes. Malgré les demandes sans cesse réitérées de la profession, les avocats n’ont toujours pas accès à l’ensemble du dossier.

Droit de prévenir toute personne 

À ce jour, le gardé à vue pouvait seulement prévenir un proche parent ou son employeur. Dorénavant, il peut prévenir la personne de son choix quelle que soit sa qualité et communiquer avec elle s’il le souhaite. Il appartient à l’OPJ de déterminer si ce contact avec l’extérieur doit se faire par écrit, par téléphone ou en présentiel. Cet entretien ne peut dépasser trente minutes. L’enquêteur peut décider d’y assister.

Si cet avis à tiers risque d’entraver sérieusement l’enquête, le procureur peut, à la demande de l’OPJ, différer tout contact extérieur.

Alors que les relations se durcissent entre les avocats (de plus en plus procéduriers) et les magistrats (de plus en plus débordés), cette réforme de la garde à vue ne va pas faciliter les choses, car la loi votée en avril 2024 est a minima par rapport à la directive européenne. En l’état, des recours ne sont pas impossibles, d’autant que pour les instances européennes, les procureurs ne sont pas considérés comme des magistrats indépendants, tant en raison de leurs liens hiérarchiques avec le pouvoir politique que dans la mesure où ils sont parties prenantes au procès en tant que représentants de la société.

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

Le soir même, transport rapide à Créteil où est domicilié l’un des protagonistes. Il faut arriver avant 21 heures, l’heure limite pour pénétrer dans un domicile. Il est… enfin, j’inscris 20 h 59 sur le PV. Un homme de type asiatique, chemise blanche, cravate, nous ouvre la porte. Il parle parfaitement le français. Alors que son épouse commence à crier, il la fait taire d’un ton autoritaire : « Ces messieurs agissent en flagrant délit sur des faits de proxénétisme aggravé, ils sont tout à fait dans leur droit ». Titulaire d’une carte de réfugié politique, il s’agit en fait de l’ancien procureur de Vientiane, la capitale du Laos. Il est désormais comptable. Visiblement étranger à l’affaire en cours, il admet avoir fourni une adresse de complaisance à l’un de ses compatriotes. Je le place en garde à vue tout en lui promettant de lever immédiatement la mesure si l’individu recherché vient se livrer au 127. Dans cette optique, je l’autorise à passer un appel. Communication très brève, en langue asiatique. Le ton est cassant et les paroles plus sifflées que prononcées.

Nous retournons au service, au rythme du gyrophare. Devant le 127, un Asiatique attend devant la grille, il baisse les yeux et s’incline respectueusement devant notre gardé à vue, lequel ne lui adresse ni un regard ni une parole. Je respecte le marché et libère l’ancien haut magistrat après trois lignes d’audition.

Le lendemain matin, Trenque retourne avec les fonctionnaires consignés à l’appartement du Bd Davout et récupère le reste des proxénètes-geôliers qui, revenus dans les lieux, attendaient tranquillement sur place, pensant que les filles avaient été déplacées seulement pour la nuit. Dans leur esprit, elles allaient nécessairement revenir, car leurs affaires étaient toujours sur place. Très mauvaise analyse.

Le résultat des investigations est sans appel : les jeunes Thaïlandaises étaient contraintes à la prostitution, jour et nuit, sur des matelas sans drap posés à même le sol, moyennant 500 francs la passe. L’intégralité du produit de leur activité était confisquée. La publicité de ce claque était faite via des cartes de visite distribuées exclusivement dans la communauté asiatique avec seulement l’adresse de l’appartement et une formule en chinois que l’on pouvait traduire par « Ici la soupe est bonne ».

L’enquête a duré plusieurs mois et a abouti à la mise sous écrou des auteurs et des complices, dont deux frères qui tenaient une échoppe en sous-sol, à la station de métro Strasbourg–Saint-Denis. Avec mon collègue Serge Guillon, nous sommes allés les cueillir sur place et nous les avons ramenés au 127, via la ligne 9, pincés à une barre du wagon, devant des usagers médusés : une interpellation économique avec une empreinte carbone quasi nulle.

Les « filles » passaient par l’Allemagne, avant d’arriver en France. Le passeur était un taxi parisien, lequel, très prudent, avait commis l’erreur de contacter durant dix secondes son épouse depuis la chambre d’un hôtel de Francfort où les jeunes femmes étaient en transit. Il ignorait que cet hôtel conservait la liste des appels téléphoniques pendant un an. On ne pense pas à tout…

Il nous restait à interpeller le chef du réseau, une légende à Bangkok, car il avait gardé la cage de l’équipe nationale de football thaïe aux JO de Mexico, en 1968. Il était adulé dans son pays, même s’il avait encaissé 19 buts pendant la compétition… Il devait venir à Paris, le… 25 décembre.

C’est ainsi que Bernard Trenque himself se sacrifia et passa le réveillon de Noël au 127, derrière une Olympia, en compagnie du « sélectionneur » des futures victimes du réseau dans les gogo bars de Bangkok.

Après prolongation (de garde à vue), il termina au ballon. Fin du match !

Bien plus tard, en 1989, royal, le chef nous désignera, Hervé Jaouen et moi, pour terminer le dossier en Thaïlande dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

Une mission à haut risque, comme le montre la photo…

Avril 1989 : Philippe Barbançon et Hervé Jaouen au Pink Panther, un gogo bar de Patpong, le quartier chaud de Bangkok

De cette mission, j’ai ramené un souvenir ce badge « clin d’œil » que j’avais fait confectionner par le patron du Pink-Panther à Bangkok, où chaque coco-girl porte un badge numéroté pour faciliter son identification par les clients et favoriser la comptabilité du tôlier. Il est à l’effigie du « 127 Saint-Honoré », l’adresse mythique de la PJ qui a longtemps réuni 3 Offices centraux : répression du trafic international de stupéfiants, répression du grand banditisme et répression de la traite des êtres humains.

Philippe Barbançon

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Les parlementaires ont entamé un sprint de fin d’année pour modifier les articles du code de procédure pénale concernant la garde à vue. Ils renaudent, nos élus, et ils n’ont pas tort : la France a été mise en demeure, il y a deux ans, par la Commission européenne de modifier certaines procédures de la GAV et nous sommes en cette fin d’année à la limite des sanctions financières. Or, rien n’a été envisagé, aucune étude sérieuse n’a été effectuée, en deux mots, on a laissé filer, alors que la directive européenne, dite « directive C », date de 2013 et qu’elle concerne essentiellement le rôle de l’avocat dans les procédures pénales et les droits de la personne privée de liberté.

Alice au pays des merveilles, Disney

Le résultat n’est pas brillant. Alors qu’une directive européenne fixe des objectifs en laissant à chaque État de l’Union le soin de l’adapter au mieux à son droit interne, la France a tergiversé en tentant de faire rentrer le dentifrice dans le tube, avant, en septembre dernier, que Bruxelles ne tape du poing sur la table.

On peut critiquer, se demander « de quoi qu’y se mêle », mais depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, en matière de justice et de police au sein de l’Union, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, les gouvernements des différents pays ont délégué́ leur pouvoir de décision aux élus européens et aux représentants des 27 États membres, lesquels sont tenus d’ailleurs de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’être attaqués devant elle ni même d’avoir modifié́ leur législation.

La garde à vue actuelle

Dans la procédure actuellement appliquée en France, deux points ne correspondent pas aux critères européens :

  • Le contact extérieur: le gardé à vue peut informer de sa situation uniquement la personne avec qui il vit habituellement ou l’un de ses parents proches (père, mère, frères et sœurs), ainsi que son employeur (indispensable pour ne pas risquer une rupture du contrat de travail). Il peut le cas échéant communiquer avec ces personnes.
  • L’avocat: Si deux heures après avoir été avisé, l’avocat ne s’est pas présenté, la première audition peut commencer en son absence, même si la personne retenue a expressément demandé sa présence (il conserve toutefois le droit de se taire).
Les modifications demandées

La directive de l’U-E demande la modification de ces deux éléments de notre code de procédure pénale pour harmoniser le droit européen selon les critères acceptés par chacun des États membres. Continue reading

La Cour de Justice de la République : un tribunal bon enfant

Il y a quelques jours, le ministre de la Justice a été relaxé par la Cour de Justice de la République (CJR). Les juges professionnels qui forment la « commission d’instruction » ont considéré que les éléments recueillis contre lui constituaient l’infraction de prise illégale d’intérêt, mais les juges qui l’ont jugé, 3 magistrats et 12 parlementaires (6 députés et 6 sénateurs), en ont décidé autrement : Éric Dupond-Moretti a été relaxé, faute « d’élément intentionnel » : en deux mots, il a bien accompli les actes qui lui étaient reprochés, mais il ne savait pas qu’en agissant de la sorte il commettait des infractions.

C’en est presque vexant pour un homme qui a plus de 30 ans de barreau derrière lui !

Le procureur général, Rémy Heitz, dans son réquisitoire n’a pas fait dans la dentelle. Il a souligné d’entrée que M. Dupond-Moretti se trouvait à l’évidence en situation de conflits d’intérêts et a affirmé avoir la conviction de sa culpabilité. Il a réclamé contre celui-ci une peine « juste et significative » d’un an de prison avec sursis, et pourtant il a préféré ne pas se pourvoir en cassation. « Le ministre dit qu’il faut tourner la page, souligne-t-il, je suis dans le même état d’esprit. » Il faut reconnaître qu’il n’était pas facile pour ce haut magistrat, nommé à son poste il y a quelques mois par décret du président de la République sur proposition de la Première ministre, d’aller plus loin dans l’attaque de son « patron ».

Pour l’avocat de l’association Anticor, à l’origine de la plainte contre le garde des Sceaux, il se trouvait devant « un conflit de réalité juridique et politique qui lui interdisait de former ce pourvoi ».

Ainsi, le prévenu était en situation de conflits d’intérêts et l’avocat général, qui représente la société, était en situation de conflit juridico-politique. Cette justice feutrée devrait servir d’exemple à bien des magistrats, notamment lorsqu’ils jugent à la chaîne des hommes et des femmes en comparution immédiate.

Le délit de prise illégale d'intérêt

Autrefois appelée délit d’ingérence, la prise illégale d’intérêt est aujourd’hui prévue par l’article 432-12 du code pénal. C’est une infraction punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende Continue reading

Disparition de la petite Maddie : la police portugaise présente ses excuses

Selon la BBC, la police judiciaire portugaise aurait admis avoir mal géré l’enquête sur la disparition de la fillette britannique, en mai 2007, alors qu’elle était en vacances au Portugal. Et elle aurait présenté ses excuses aux parents. Une information qui n’a pas été confirmée, les autorités portugaises se contentant de parler d’un contact avec la famille de la victime afin de faire un point sur l’avancée de l’enquête.

Cette contradiction montre à quel point la tension perdure entre Anglais et Portugais après 16 ans d’une enquête criminelle autour de laquelle, exploitant l’émotion provoquée par la mystérieuse disparition d’une enfant, se sont greffés des enjeux politiques et mercantiles. Certains individus n’hésitant à profiter de la fragilité d’une famille meurtrie, fragilisée, pour se lancer dans un merchandising odieux. Autant de déclarations, de pressions, de contradictions, d’engueulades…, qui n’ont pas facilité les choses. Ce charivari explosif a dynamité l’enquête.

Il y a maintenant 3 ans, le parquet de Brunswick, dans le nord de l’Allemagne, a annoncé détenir des éléments de preuve contre l’un de ses ressortissants. Cet Allemand, Christian Brueckner, âgé de 46 ans, actuellement incarcéré pour des infractions sexuelles, a été dénoncé par un taulard. Cette piste s’annonce comme une dernière chance de connaître la vérité.

Un espoir bien sombre, car, si c’est lui le coupable, Maddie est morte.

La disparition

En cette soirée du 3 mai 2007, Madeleine McCann, dite Maddie, a disparu de sa chambre, dans un luxueux club de vacances situé à Praia da Luz, en Algarve, au Portugal, où elle était supposée dormir.  Elle allait avoir 4 ans.

Ce soir-là, les McCann dînent avec des amis, dans un restaurant situé à proximité. Vers 22 heures, Kate, la mère de Maddie, se lève de table pour s’assurer que ses enfants, laissés seuls, vont bien. Ses deux bébés, des jumeaux, dorment à poings fermés, chacun dans son berceau. La porte de la chambre de sa fille n’est pas fermée, ce qui l’étonne. Elle entre, la fenêtre est ouverte, le volet est levé : Maddie a disparu.

C’est du moins ce qui ressort de sa première audition. Par la suite, elle et son mari ont dû modifier leur déposition pour être raccord entre eux et avec les autres témoignages. En fait, on ne saura jamais ce qui était ouvert ou fermé dans ce meublé de vacances, si ce n’est par un communiqué d’un ancien policier, devenu enquêteur privé, qui a déclaré que l’on n’avait forcé ni le contrevent ni la fenêtre et que la porte-fenêtre était ouverte.

 Les parents un temps soupçonnés
d’homicide involontaire

La gendarmerie ne sera prévenue que 50 minutes plus tard. Dès l’alerte donnée, les recherches s’organisent dans l’environnement immédiat : la petite fille est peut-être sortie pour tenter de retrouver ses parents… Puis les enquêteurs envisagent la possibilité d’un enlèvement : 250 personnes participent aux recherches et 500 appartements sont fouillés. On monte à la hâte une cellule de crise. Le directeur régional de la PJ informe les autorités judiciaires de la possibilité d’un « kidnapping », mais il ne peut agir sans l’aval du parquet et la désignation d’un juge d’instruction. Il faudra six jours pour que la photo de l’enfant paraisse dans la presse. Entre-temps, des policiers britanniques ont débarqué. La pression politique grimpe en flèche. Les offres de récompense se multiplient. En quelques jours, elles atteignent 4 millions d’euros. Les parents sont interrogés pendant 13 heures, puis ils sont mis hors de cause. Plus tard, ils seront mis en examen avant, finalement, faute d’éléments concrets, que le dossier ne soit classé. En l’espace d’une dizaine de jours, ils ont créé un fonds de soutien : les dons affluent. Avec cet argent, ils embauchent un responsable de la com., des enquêteurs privés… Fin mai, ils sont reçus par le pape. Au 50e jour de la disparition, des lâchers de ballons sont organisés dans plusieurs pays d’Europe, des tee-shirts à l’effigie de Maddie sont même vendus lors de ces manifestations de soutien. L’affaire a pris une dimension internationale… et commerciale. Continue reading

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

La police nationale fait le buzz

Après l’incarcération d’un policier, mis en examen pour un délit aggravé, le voyage du président Macron en Nouvelle-Calédonie a été éclipsé par l’omniprésence dans les médias de certains représentants de syndicats de police et les commentaires d’incertains responsables de la police.

Et pourtant, ce déplacement est important, dans la mesure où le chef de l’État cherchait à débloquer les discussions entre les indépendantistes et les loyalistes, en vue d’établir un nouveau statut pour ce territoire français du pacifique sud, après les trois référendums d’autodétermination qui ont acté le « non » à l’indépendance.

Emmanuel Macron s’est donc livré à un exercice d’équilibriste, depuis le « Caillou » en affirmant que « nul, en République, n’est au-dessus des lois », tout en comprenant l’émotion des policiers après la mise en détention de l’un de leurs collègues. Du en même temps, quoi ! On est loin de la déclaration de François Mitterrand, en 1983 : « La République doit être honorée et servie par tous les citoyens, et plus encore par ceux qui ont pour mission et pour métier de la défendre. Si certains policiers, une minorité agissante, ont manqué à leur devoir, le devoir des responsables de la République, c’est de frapper et de faire respecter l’autorité de l’État. Dès l’annonce des événements séditieux de vendredi dernier, j’ai demandé au Premier ministre Pierre Mauroy de prendre les sanctions nécessaires. Il a agi comme il fallait… »

C’est gaullien, cela rappelle le « quarteron de généraux en retraite » du putsch de 1961.

Pour mémoire, après la fronde des « policiers en tenue » de 1983, le préfet de police a été appelé à démissionner, le directeur général de la police s’est fait virer, un policier a été mis à la retraite d’office, sept ont été suspendus et deux représentants syndicaux, dont le secrétaire général USC-Police, ont été révoqués pour avoir organisé « un acte collectif contraire à l’ordre public ».

Et pourtant, les forces de l’ordre avaient d’autres raisons qu’aujourd’hui de manifester leur colère : deux de leurs collèges avaient été abattus de plusieurs balles, et un autre gravement blessé, lors d’un banal contrôle routier : 12 policiers, morts en service, depuis que la gauche était aux manettes.

« La police est malade de la justice », pouvait-on déjà, à l’époque, entendre dans les rangs des manifestants. Des propos inadmissibles, évidemment, et pourtant, il y a 40 ans, après une loi d’amnistie généreuse (notamment des membres d’Action directe), l’abolition de la peine de mort, le raccourcissement de la sûreté pour les peines perpétuelles, la suppression des quartiers de haute sécurité, la suppression de la Cour de sûreté de l’État, la disparition du délit de l’association de malfaiteurs (rétablie en 1986), les policiers, même les plus modérés, savaient que ce n’était pas tenable. Un sentiment renforcé après l’adoption par les députés d’une contre-loi pour abolir la loi « sécurité et liberté », jugée liberticide, adoptée en catastrophe avant les Présidentielles de 1981. Une mauvaise pioche de Giscard d’Estaing qui avait misé pour sa réélection sur un tour de vis sécuritaire alors que les Français aspiraient à plus de liberté.

Contrairement à ce que nous racontent les experts blabla, les policiers n’ont jamais été aussi bien protégés par le code pénal, ils n’ont jamais eu autant de pouvoirs que ceux que leur octroie aujourd’hui le code de procédure pénale, et les magistrats sont bien plus compréhensifs qu’autrefois dans leur manière d’interpréter leur action, tenant largement compte de la difficulté du métier. La contrepartie, c’est l’intégrité. Non seulement, l’agent dépositaire de l’autorité publique qui dérape doit être sanctionné, mais, du fait de sa fonction, plus sévèrement qu’un autre.

Autrefois, dans les écoles de police, on avait coutume de dire aux élèves que dans l’exercice de la profession qu’ils avaient choisie, ils encouraient trois risques : physique, administratif et judiciaire. Sauf à changer de régime politique, il ne peut en être autrement.

Ceux qui « parlent dans le poste » sont une minorité envahissante, je suis sûr qu’il y a plein de policiers, plein d’agents de l’État qui doivent penser différemment que ces trublions politisés. Le Bureau national de l’UNSA (Union national des syndicats autonomes), s’est d’ailleurs désolidarisé du communiqué de presse commun Alliance/UNSA Police, qui a suivi la mort de Nahel, et a condamné les termes utilisés : un « combat » contre des émeutiers qualifiés de « nuisibles ».

Quant à nos dirigeants, ils se sont tus. La gauche est montée au créneau et deux députés ont saisi la justice.

Police : on attend la saison 2.

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