Après une série sur Netflix, faite à son corps défendant, Charles Sobhraj, via la plume de l’ancien journaliste Jean-Charles Deniau, aujourd’hui auteur et réalisateur, raconte son parcours criminel. « Je ne suis pas un assassin » clame-t-il, pourtant il a été condamné pour le meurtre d’une vingtaine de personnes en Inde. Une fois sa peine purgée, après un séjour en France, il se rend au Népal. En 2003, suspecté de plusieurs crimes commis des années plus tôt, il est arrêté à Katmandou et finalement de nouveau condamné pour le meurtre d’une touriste américaine et d’un Canadien. L’année dernière, à la veille de Noël, la Cour suprême du Népal décide de le libérer en raison de son âge et de son état de santé. Il est mis dans un avion à destination de la France. Charles Sobhraj a obtenu la nationalité française dans son enfance, par adoption.
Dans un article du Monde daté du 6 février, Patricia Jolly brosse un portrait de ce personnage sulfureux. On sent la journaliste assez tiède sur le coup et c’est un peu au second degré qu’elle le cite lorsqu’il parle de sa guerre contre la Caisse nationale d’assurance maladie, qui refuse de lui délivrer sur le champ une carte Vitale : « Il faut prouver qu’on a vécu en France trois mois d’affilée et, d’ici là, je n’ai même pas de numéro de sécurité sociale », s’insurge l’ancien repris de justice.
Il doit son surnom à la manière dont il entortillait ses victimes. Nous sommes dans les années 1970, et nombre de jeunes gens de tous les pays, en rupture de société, parcourent les routes du continent asiatique à la recherche d’un monde imaginaire et artificiel. C’est une manne pour le Serpent : il leur raconte des histoires, il les fait rêver, il leur promet monts et merveilles, puis, alchimiste du diable, il les drogue ou il les tue, c’est selon, pour mieux les dévaliser. Combien de parents sont restés sans nouvelle de leur enfant, dans ces années-là ! Et aujourd’hui, ils devraient subir sans broncher les fanfaronnades commerciales d’un vieillard qui nous vend une salade de souvenirs arrangés…
Ce sont d’ailleurs des étudiants français de l’école nationale d’ingénieurs de Tarbes (Hautes-Pyrénées) qui ont permis son arrestation. Lors d’un repas organisé dans un hôtel de New Delhi, en 1976, des dizaines de ces jeunes Français tombent de leur chaise et se roulent à terre après avoir absorbé un soi-disant médicament contre la dysenterie. Heureusement, certains n’ont pas eu le temps d’avaler leur petite gélule, ils coincent Sobhraj et le remettent à la police.
L’affreux bonhomme a dû passer une quarantaine d’années derrière les barreaux. Il a payé sa dette à la société, comme on dit, mais de là à se faire du fric sur la dépouille de ses victimes, il y a un pas. Peut-il le franchir en toute impunité ? Et les médias ont-ils raison d’assurer le service après-vente de son livre ?
« La jurisprudence Jacques Mesrine »
En février 1977, Jacques Mesrine sort un livre, L’Instinct de mort, aux éditions Jean-Claude Lattès. Ce livre, au demeurant plutôt bon, est un livre d’auteur, écrit derrière les murs de la prison de la Santé sous l’œil bon enfant des personnels en charge de sa surveillance. C’est un succès de librairie. Certes, Mesrine était un criminel, mais il y avait chez lui un besoin de communiquer qui s’exprimait de multiples façons : dessins, maquettes, poésie, et les médias, et les médias… C’était un « pubard ». Mais entre nous, là où il était le plus persuasif, c’était le calibre à la main. La justice n’a pas interdit la diffusion du livre, mais ses droits d’auteur ont été bloqués. Il en avait d’ailleurs gardé grief à Lattès, qu’il avait menacé des pires exactions, et à la Société Générale, dont les agences étaient devenues ses cibles préférées. À l’époque, des poursuites avaient été engagées contre une avocate soupçonnée d’avoir sorti le manuscrit de la prison, ce qui constitue un délit.
Sur le retour d’âge, de nombreux criminels ont la tentation de raconter leurs mémoires, tant pour se justifier que pour s’enrichir. Et s’il est délicat de censurer un livre, il est souvent moralement difficile d’admettre de telles publications. Cette question s’est posée en France à plusieurs reprises. On se souvient de l’affaire Patrick Henry : condamné à perpétuité pour le kidnapping et le meurtre d’un enfant de 7 ans, il est placé en liberté conditionnelle au bout de 25 ans. Aussitôt sorti de prison, il contacte plusieurs éditeurs pour faire publier un livre « de souvenirs », en demandant, dit-on, un à-valoir astronomique. Plusieurs refusent, notamment Guy Birenbaum, éditeur chez Denoël, qui s’en est expliqué. Finalement Calmann-Lévy accepte. La publication de l’ouvrage sera cependant retardée à la suite de son arrestation pour trafic de drogue. Il paraît finalement en 2002. Mais l’affaire interpelle : « La perspective de ce livre est particulièrement insupportable au regard du crime abominable », dit le député Yves Jégo.
« Les dispositions de l’alinéa 16 sont applicables notamment en cas de condamnation pour crimes ou délits d’atteintes volontaires à la vie »
Après l’affaire Patrick Henry, Dominique Perben, alors ministre de la Justice, a ajouté un article à la loi du 9 mars 2004 qui porte son nom. C’est l’article 176. Il modifie l’article 132-45 du code pénal en lui ajoutant un 16° alinéa, lequel prévoit que la juridiction de condamnation ou le juge de l’application des peines peut imposer spécialement au condamné de : « s’abstenir de diffuser tout ouvrage ou œuvre audiovisuelle dont il serait l’auteur ou le co-auteur et qui porterait, en tout ou partie, sur l’infraction commise et s’abstenir de toute intervention publique relative à cette infraction… » Les dispositions de l’alinéa 16 sont applicables notamment en cas de condamnation pour crimes ou délits d’atteintes volontaires à la vie. Cet article a été depuis plusieurs fois modifié, dont la dernière fois en avril 2021, mais cet alinéa est toujours là, mot à mot.
C’est ainsi qu’en 2007, Bertrand Cantat s’est vu interdire d’intervenir publiquement et de diffuser tout ouvrage ou œuvre audiovisuelle en rapport avec le meurtre de sa compagne, Marie Trintignant, pour lequel il a été condamné.
En 2008, après une interview accordée à l’Express, Jean-Marc Rouillan, l’un des anciens leaders d’Action directe, a vu sa libération conditionnelle annulée afin de l’empêcher de se répandre dans les médias et pour éviter « tout trouble à l’ordre public ».
Mais la contrainte de la loi disparaît à l’extinction définitive de la peine.
« Le livre du tueur en série Charles Sobhraj trouble-t-il l’ordre public ? »
C’est la phrase clé : le livre du tueur en série Charles Sobhraj trouble-t-il l’ordre public ? En tout cas, une chose est sûre, il choque profondément ses victimes ou les proches de ses victimes, et pas mal d’honnêtes gens. En tout cas, à ce jour, personne n’a bronché du côté de la Place Vendôme. Et pourtant, il y a peut-être du grain à moudre, puisque les feuillets du manuscrit auraient été sortis de prison de manière illégale : la loi pénale française s’applique à tout crime commis par un Français à l’étranger et aux délits, s’ils sont punissables dans le pays où ils ont été commis. Alors, personne pour ouvrir une petite enquête préliminaire ?
Aujourd’hui, Charles Sobhraj est une star. Plusieurs ouvrages lui ont été consacrés, des documentaires, des films… En septembre, Canal + doit sortir un docu de quatre-vingt-dix minutes, réalisé par le coauteur du livre, Jean-Charles Deniau. Une exposition lui a été consacrée à Bangkok, il a sa statue dans plusieurs hôtels et restaurants de Goa. En France, la plupart des médias, privés ou publics, lui ont fait carpette, même si certains journaux se sont contentés d’un service minimum. Seuls quelques journalistes, comme Christophe Hondelatte, dont le fait criminel est pourtant le métier, ont fait connaître leur opposition. En deux mots, certaines personnes pensent qu’on ne sert pas la soupe à un tueur en série, même sur le retour. C’est aussi mon avis : cela renvoie de la justice une image déformée.
« Et pourtant, il y a peut-être du grain à moudre, puisque les feuillets du manuscrit auraient été sortis de prison de manière illégale : la loi pénale française s’applique à tout crime commis par un Français à l’étranger et aux délits, s’ils sont punissables dans le pays où ils ont été commis. Alors, personne pour ouvrir une petite enquête préliminaire ? »
Le fait de faire sortir de prison des feuillets de manuscripts est illégal en France, et très certainement en Turquie:
prenons le cas de Selahttin Demirtas, multicriminel pour
a) avoir insulté Kerdogan, le comparant à un papillon courant après sa pitance (Kerdogan courait après son collègue Putin dans tous les couloirs d’une conférence internationale) : l’insulté à président encourt plus de 4ans de prison
b) apologie du terrorisme, pour avoir apelé à manifester contre le soutien (ou au moins la complaisanec extrême) de l’entité néo ottomane vis à vis de Daesh (la manifestation s’est soldée par 50 morts, partisans du HDP, et on n’a jamais retrouvé les aauteurs de ce massacre_ Par une étrange manipulation, les victimes d’une tuerie sont désignées comme instigateurs)
Une autre source d’apologie du terrorisme vient du fait que les hommes politiques kurdes peuvent faire l’éloge funèbre de militants du PKK (consiérée comme organisation terroriste par une entité neo ottomane, et, dans un moment d’égarement vieux de 30 ans, tous les pays d’Europe, à l’exception des juristes compétents de Belgique https://progressive.international/wire/2021-11-16-its-time )-to-delist-the-pkk-as-a-terror-organisation/fr
Le PKK, pa le biais de sa succursale syrienne et de ses cadres militaires, a été et reste encore un allié fiable des USA dans la lutte contre Daesh, et, à son corps défendant, dans le maintien en captivité de combattant-e-s de Daesh -qui seraient « mieux » jugé-e-s en Europe, et leurs enfants auraient quelques chances de rester innocents. Sa succurale iranienne a, avec d’autres guérillas, accueill des protestataires après les manifestations ayant suivi l’éxécution extra judiciare de Jina (Mahsa) Amini en dec.2022.
Chacun des supports au PKK ‘loges funèbres) peut faire l’objet de condamnations séparées, ce qui a laissé à la CEDH le temps de condamner quelques unesles innombrables procédures à l’encontre de S. Demirtas… et à ce dernier d’écrire des nouvelles féministes, sorties de prison. Ces nouvelles ont valu àS.Demirtas de patrager le pix Montluc avec Robert Badinter, et d’être candidat au prix Goncourt.
Est ce que le jury du prix Montluc, celui du prix Goncourt peuvent être inculpés de recel de manuscrits sortis de prison (il faut bien qu’ils les aient récupérés, pour les lire.. tout le monde ne s’appelle pas Pénélope Fillon!) ?
Est ce qu’il faut condamner S.Demirtas (qui doit cumuler quelques centaines d’années de prison à ce jour rien que apologie du terrorisme ) à sa sortie pour avoir fait sortir un manuscript?
Merci Commissaire pour ce papier passionnant.
Pas de prescription pour les ennemis de la prescription!
Par ailleurs…
Lave engeance du Serpent à plume est un plat qui se mange glacial.
Si je me souviens bien, Alexandre Dumas (le comte de Monte Christo offrait à ses invités de la confiture de hashish pour les remettre de leurs émotions) et Conan Doyle (Sherlock Holmes s’injectait, malgré les vagues protestations de son acolyte, une solution de cocaine -à 7%, je ne parle même pas de son tabagisme!- quand il s’ennuyait) restent des auteurs prisés des adolescents, qui ne deviennent pas tous cocainomanes, nicotinomanes ni amateurs de cannabis -ça pourrait, sinon, être un trouble avéré à l’ordre public.- à la lecture de ces deux auteurs qui ont chacun, apporté quelque chose de nouveau…
Aussi, lier les bonnes moeurs / la morale et la littérature ne me semble pas un critère essentiel (et ça peut mener à des excès-censure- frustrants pour les lecteurs).
D’un autre côté, Monsieur Serpent a , depuis des décennies, avoué lors d’interviews payantes une partie de ses crimes… Que peut il apporter de nouveau? (à part ramener quelque argent -avec des donateurs qui restent vivants… ce qui est une évolution positive, quoique assez lente- ,
Cet argent s’évaporera avec l’inflation et il a peu de chances de l »emporter au paradis).
Toutes considérations morales (ou de souffrance des familles de victimes, qui ont pu se résigner avec le temps: un bon livre anticlérical ou une bonne chanson de Frederic Fromet peut faire souffrir davantage la Sainte Famille de Jesus..) mises à part, que peut apporter un livre, vraisemblablement redondant, écrit par un tueur -ce qu’il a partiellement et vénalement assumé il y a quelques décennies -?