LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Portraits (Page 1 of 5)

Quelques figures du grand banditisme et un bout de leur histoire.

Robert Badinter : le chaud et le froid

 

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

« Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas mal !

« Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : c’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne. »         

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829

Robert Badinter a longtemps été un avocat d’affaires, défendant les grands de ce monde et les dirigeants d’entreprises au nom célèbre. C’est ainsi qu’il a été le représentant en justice du groupe suisse Givaudan, fabricant international d’arômes et de parfums, lequel, dans le début des années 1970, a mis sur le marché le talc Morhange. Un talc frelaté dont l’utilisation a été mortelle ou invalidante pour plus de deux cents bébés. Malgré son plaidoyer, « Ce n’est pas une société qui est visée, mais un homme… », le directeur général de Givaudan et quatre de ses collaborateurs furent condamnés à une peine d’emprisonnement. (Cette entreprise suisse connaîtra d’ailleurs d’autres déboires avec l’explosion, en 1976, du réacteur de l’une de ses usines chimiques, au nord de l’Italie : la catastrophe de Seveso.)

La condamnation des dirigeants de l’entreprise Givaudan fut effacée par la loi d’amnistie de 1981.

Badinter (Baba, pour les flics et les voyous), défendra également la milliardaire Christina Von Opel. Celle-ci, impliquée dans un important trafic de cannabis, fut condamnée en 1979 à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan (peine ramenée à cinq ans en appel). Libérée en 1981, à mi-peine, le ministre Badinter dira : « Bien que j’en aie le pouvoir, je n’ai pas signé sa mise en libération conditionnelle. Son sort ne relève que de la grâce, c’est-à-dire du Président. »

On sent l’embarras de cet homme de conviction, d’une grande droiture intellectuelle, dans la conférence de presse qu’il a tenue en août 1981, au cours de laquelle, faisant allusion à une éventuelle libération conditionnelle de Mme Von Opel, il avait dit « que ses anciens clients, s’ils ne devaient bénéficier d’aucun « favoritisme », ne devaient pas non plus être traités avec plus de rigueur pour l’avoir eu comme défenseur. » (Le Monde, 14 août 1981)

Ces exemples montrent la difficulté de devenir garde des Sceaux après avoir été avocat.

Quelques années plus tard, en période de cohabitation, alors qu’il était attaqué par des pontes du RPR sur sa loi d’amnistie de 1981, et notamment sur la libération de membres du groupe terroriste Action Directe, François Mitterrand déclara à la presse : « Vous savez que si le président de la République propose une amnistie, c’est l’Assemblée nationale, le Parlement, qui disposent, puisque c’est une loi, l’amnistie. Et c’est ensuite la justice qui, pour chaque cas particulier, décide s’il y a lieu d’appliquer l’amnistie. Voilà comment cela se passe. »

Bien sûr aujourd’hui on lui rend un hommage national, son corps probablement va rejoindre les Grands au Panthéon, mais Robert Badinter c’est avant tout, me semble-t-il, un homme qui a su sortir de sa bulle dorée. Au fil des procès d’assises, il s’est rapproché de l’humain.

Son engagement contre la peine de mort était tel que, peu avant de devenir ministre de la Justice, il a défendu Stéphane Viaux-Peccate, l’un des deux complices de l’indéfendable anarchiste violent Pierre Conty. La presse les avait surnommés les tueurs fou de l’Ardèche. Ils étaient accusé d’un vol à main armée et du meurtre de trois personnes, dont un gendarme. Malgré sa plaidoirie, basée sur l’incompétence des forces de l’ordre, Badinter fut « mouché » par le témoignage de dernière minute d’un petit gendarme, le survivant. Viaux-Peccate écopa de 18 ans de réclusion criminelle et Conty, en fuite, fut condamné à mort par contumace – une peine imprescriptible. Il n’a jamais été arrêté, et, après la suppression de la contumace dans le droit français en 2004, il a pu vivre une vie pépère.

Lorsque le droit sert le criminel

Deux affaires criminelles ont probablement poussé Robert Badinter à se ranger dans le camp des abolitionnistes : la prise d’otages à la prison de Clairvaux, où il n’est pas parvenu à sauver la tête de son client, Roger Bontems – qui n’était peut-être pas un meurtrier ; et l’affaire Patrick Henry, qui lui a tué de sang-froid un enfant de 7 ans et qui, à une voix près, a échappé au couperet.

La prise d’otages de Clairvaux

Le 21 septembre 1971, un jeune commissaire du SRPJ de Reims va voir sa vie professionnelle basculer. En allumant la télé, Charles Pellegrini découvre qu’une prise d’otages est en cours à la prison de Clairvaux. Après avoir vainement tenté de joindre sa hiérarchie, il appelle le substitut de permanence du parquet de Troyes et… il lui fait une vente. Son service est préparé à faire face à une telle situation, le personnel est entraîné, ils ont le matériel nécessaire, etc., lui dit-il en gros. « En fait, nous n’avions rien du tout, mais à l’époque le RAID et le GIGN n’existaient pas. » Accompagné de deux inspecteurs, il fonce à Clairvaux. Sur place, c’est le foutoir : le sous-préfet est dépassé, le conseiller général, le maire, et bien d’autres, chacun donne son avis. Alors, à l’esbroufe, en douce des gendarmes, il demande au procureur d’être en charge des opérations. À son grand étonnement, le magistrat accepte. Continue reading

Délit de sale gueule… de chien

L’autre jour, je promenais mon chien, Pat, un springer en pleine force de l’âge, pas méchant pour deux sous, lorsque sur l’autre trottoir, j’aperçois un molosse qui traîne son maître, la langue pendante — le chien pas le maître. On le connaît Patou et moi, c’est le genre d’animal que t’as pas envie de caresser. Si j’étais vache, j’ajouterais que c’est un chien policier. En général, dans ces cas-là, Pat prend sa laisse entre ses crocs et me tire au-delà du cercle de danger, comme on dit chez les bodyguards. Il simule l’indifférence, ou fait mine de me protéger, mais je sais bien qu’il n’a pas envie d’une confrontation. La bagarre, c’est pas son truc ! Mais ce jour-là, il est de mauvais poil, va savoir pourquoi ! et il se laisse aller à un délit de sale gueule. Les clébards, c’est comme les humains, parfois, ils déjantent. Le Patounet balance ses vingt-cinq kilos de muscles en direction du monstre qui fait plus de deux fois son poids. Je me cramponne à la laisse. Le sol est glissant et, pat-atras, je fais un soleil.

Entre ciel et terre, deux pensées m’ont traversé l’esprit : une certitude, ne pas lâcher la laisse, sinon ce petit con va se faire massacrer ; et une interrogation, que me reste-t-il de mes années de judo et des séances de chutes sur la toile rugueuse du tatami ?

Je m’entortille autour d’un poteau de signalisation, et je touche le sol, un rien sonné. Assis sur le trottoir, en attendant que les étoiles s’éteignent, je tâte mes membres, je compte mes bosses, tandis que le chien, penaud, me barbouille de sa langue. Je ne suis pas resté longtemps, une minute peut-être, et ben, je vais vous dire un truc, devant le spectacle de ce bonhomme crépusculaire assis sur un coin de trottoir, l’air à l’ouest, avec son clebs qui lui lèche la tronche, trois automobilistes se sont arrêtées, trois femmes. « Ça va aller, Monsieur ? Vous avez besoin d’un coup de main ? Vous voulez que je vous dépose quelque part ? Etc. »

J’en avais la larme à l’œil.

A longueur de journée, on nous sature de mauvaises nouvelles, de mensonges ou de certitudes erronées Continue reading

Un grand flic trop modeste s’en est allé

Louis Bayon est mort à Plaisir, dans les Yvelines, aussi discrètement qu’il a vécu. Peu de gens connaissent son nom et son visage, il a pourtant fait un travail remarquable, notamment en police judiciaire.

Commissaire Louis Bayon, lors d’un stage banditisme, 1981

Dans son livre RAID, des hommes discrets (Anne Carrière, 1994), Charles Pellegrini dit de lui : il est « connu dans toute la police pour son mutisme légendaire. Il s’exprime peu et seulement sur des points précis. Son caractère à l’emporte-pièce lui permet de prendre des décisions claires qu’il assume jusqu’au bout. »

Né en 1945, à Grâce-Uzel (Côte d’Armor), Louis Bayon a débuté sa carrière dans la police en 1968 comme inspecteur, avant de passer le concours de commissaire. Sauf erreur, il doit être le major de la 25e promotion de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Confronté à la lutte contre le grand banditisme, il a été successivement patron du GRB (groupe de répression du banditisme) de Strasbourg, de Versailles, puis de Marseille, avant d’être nommé chef de la sûreté urbaine de Rennes, où il prend en main le GIPN (groupe d’intervention de la police nationale). Il était alors l’un des rares commissaires à posséder une expérience de la lutte contre la criminalité organisée et le saute-dessus au quotidien. Pragmatique, Pierre Joxe le choisit pour diriger le RAID en remplacement d’Ange Mancini, le chef-fondateur de ce service d’élite. Bayon a 45 ans.

Il restera six ans à tête du RAID, ce qui est un record, égalé seulement par Amaury de Hautecloque (2007/2013). Durant ce commandement, il aura à traiter de nombreuses interventions à hauts risques : mutineries dans les prisons, ETA « militaire », associations de malfaiteurs proches d’Al-Qaïda issues de la guerre de Bosnie-Herzégovine, et peu avant son départ, la neutralisation difficile du gang de Roubaix…

Mais, même s’il se n’est pas confié, l’affaire qui l’aura probablement le plus marqué est la prise d’otages à la maternelle de Neuilly.

Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Il se fait appeler HB (Human Bomb) et il doit être pris au sérieux, car son acte est prémédité : pour renforcer sa crédibilité, antérieurement, il a fait sauter un pain de plastic dans un parking de la commune. En fait, il se nomme Éric Schmitt. C’est un ancien militaire, dépressif, une énigme. Impossible de deviner sa détermination, mais on ne peut pas ne pas le prendre au sérieux. Bayon obtient carte blanche du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Sa mission n’est pas facilitée par la pression des autorités qui l’entourent, notamment le maire de la ville Nicolas Sarkozy, le préfet Charles-Noël Hardy et le procureur de Nanterre Pierre Lyon-Caen. Chacun, pour des raisons diverses, voulant s’inscrire au casting d’un scénario qui remplit pourtant tous les critères d’un film catastrophe. Dans la salle de classe où sont réunis les enfants, les « négociateurs » improvisés défilent devant un preneur d’otages qui les écoute, amusé, sarcastique ou lassé, mais inflexible, le doigt sur le détonateur de sa bombe.

Au moment de l’assaut, endormi, Schmitt se réveille. Il n’a pas le temps de faire un geste : trois balles dans la tête. La polémique juridique qui suivra ne prendra pas : on ne joue pas avec la vie d’enfants d’une maternelle.

Nombre de personnages à ce drame se sont par la suite manifestés, soit dans les médias, soit en écrivant un livre. Dont, 30 ans plus tard, le procureur Lyon-Caen : « J’étais rentré me reposer au moment de l’assaut. J’étais navré de sa mort. Si j’avais eu le temps, j’aurais pu l’inciter à se rendre. »

Louis Bayon, lui, n’a rien dit. Ni pendant ni après. Après son départ du RAID, il a été chargé de diriger la 4e division de la PJ, regroupant l’Office du banditisme (OCRB), l’office du proxénétisme (OCRTEH) et la brigade centrale des vols autos. Un poste autrefois prestigieux mais qui était devenu un peu bidon. En apprenant sa disparition, l’un de ses hommes, Claude Maltesse, qui se comptait parmi ses amis, a rapporté cette anecdote aux « Amis du 127 et de la PJ », que je retranscris avec son accord :

« Bayon s’était installé dans un petit bureau d’une quinzaine de mètres carrés qu’il partageait avec un autre commissaire, au 7e étage de l’immeuble Nanterre. Pour lui, qui avait eu une carrière intense et pleine de rebondissements, ce poste était manifestement un placard. Mais il ne s’en plaignait pas. Il était toujours d’humeur égale et prêt à aider quand on le sollicitait. »

Lorsque Roger Marion a été nommé directeur central adjoint, chargé des affaires criminelles, il a refusé de s’installer à Nanterre, préférant un bureau Place Beauvau, près du Bon Dieu. Le grand bureau directorial de Nanterre est donc resté vacant. Bayon ne s’y est pas installé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, lors d’un déplacement Paris-Nanterre, que Marion lui a enjoint d’occuper ces lieux et de s’asseoir dans le fauteuil occupé antérieurement par des Mancini,  Kerboeuf, Poinas, etc.

« Lors de son pot de départ, poursuit Claude Maltesse, nous avons fait une collecte pour lui faire un cadeau. » Il a demandé une clé USB. Nous étions au début des années 2000 et peu de gens savaient ce qu’était une clé USB. « Avec tout l’argent de la collecte, nous avons acheté la clé qui avait la plus grosse capacité de stockage pour l’époque, soit 1 GB… »

Louis Bayon, a terminé sa carrière en 2003, comme adjoint au sous-directeur des affaires criminelles, avec le grade de commissaire divisionnaire. Il n’a donc pas fait une carrière retentissante, mais il a laissé son empreinte dans la Grande Maison et un souvenir prégnant à tous ceux qui l’ont côtoyé.

Aujourd’hui, le grand flic mutique s’est tu définitivement. Adieu collègue !

 

Sobhraj, le serpent qui poisse les médias

Après une série sur Netflix, faite à son corps défendant, Charles Sobhraj, via la plume de l’ancien journaliste Jean-Charles Deniau, aujourd’hui auteur et réalisateur, raconte son parcours criminel. « Je ne suis pas un assassin » clame-t-il, pourtant il a été condamné pour le meurtre d’une vingtaine de personnes en Inde. Une fois sa peine purgée, après un séjour en France, il se rend au Népal. En 2003, suspecté de plusieurs crimes commis des années plus tôt, il est arrêté à Katmandou et finalement de nouveau condamné pour le meurtre d’une touriste américaine et d’un Canadien. L’année dernière, à la veille de Noël, la Cour suprême du Népal décide de le libérer en raison de son âge et de son état de santé. Il est mis dans un avion à destination de la France. Charles Sobhraj a obtenu la nationalité française dans son enfance, par adoption.

Statue de Charles Sobhraj, restaurant O’Coqueiro (Goa), où il aurait été arrêté au milieu « d’un repas tentant de Cafreal et de crabes farcis »

Dans un article du Monde daté du 6 février, Patricia Jolly brosse un portrait de ce personnage sulfureux. On sent la journaliste assez tiède sur le coup et c’est un peu au second degré qu’elle le cite lorsqu’il parle de sa guerre contre la Caisse nationale d’assurance maladie, qui refuse de lui délivrer sur le champ une carte Vitale : « Il faut prouver qu’on a vécu en France trois mois d’affilée et, d’ici là, je n’ai même pas de numéro de sécurité sociale », s’insurge l’ancien repris de justice.

Il doit son surnom à la manière dont il entortillait ses victimes. Nous sommes dans les années 1970, et nombre de jeunes gens de tous les pays, en rupture de société, parcourent les routes du continent asiatique à la recherche d’un monde imaginaire et artificiel. C’est une manne pour le Serpent : il leur raconte des histoires, il les fait rêver, il leur promet monts et merveilles, puis, alchimiste du diable, il les drogue ou il les tue, c’est selon, pour mieux les dévaliser. Combien de parents sont restés sans nouvelle de leur enfant, dans ces années-là ! Et aujourd’hui, ils devraient subir sans broncher les fanfaronnades commerciales d’un vieillard qui nous vend une salade de souvenirs arrangés…

Ce sont d’ailleurs des étudiants français de l’école nationale d’ingénieurs de Tarbes (Hautes-Pyrénées) qui ont permis son arrestation. Lors d’un repas organisé dans un hôtel de New Delhi, en 1976, des dizaines de ces jeunes Français tombent de leur chaise et se roulent à terre après avoir absorbé un soi-disant médicament contre la dysenterie. Heureusement, certains n’ont pas eu le temps d’avaler leur petite gélule, ils coincent Sobhraj et le remettent à la police.

L’affreux bonhomme a dû passer une quarantaine d’années derrière les barreaux. Continue reading

Le libertaire s’est tu !

Et ce n’était pas facile de le faire taire, Serge Livrozet. C’était une grande gueule. Mais derrière sa tronche de truand, c’était aussi un esprit affûté, un intello autodidacte, le représentant parfait de la contre-culture française. Un emmerdeur. Il n’avait pas appris à lire en prison, mais presque. Il est décédé le 29 novembre 2022 d’une maladie qu’il traînait depuis un long moment. Il avait 83 ans. Le grand public le connaissait peu, et pourtant le cinéaste Nicolas Drolc lui a consacré un long métrage, La mort se mérite, sorti en salle en 2017.

Né dans la pauvreté, enfant, il dort la tête sous l’oreiller pour ne pas entendre sa mère qui se prostitue dans la chambre d’à côté. À 13 ans, il tente le droit chemin, celui qui est fléché : il devient apprenti plombier. Mais il y a trop de force en lui, dans sa tête, ça se bouscule, ça bouillonne. « Je poussais tant bien que mal dans l’ombre étroite de ma jeunesse déjà vieille de n’avoir pu servir, dressant dans ma tête entre la société et moi une muraille de colère et de révolte faite d’envies avortées et de besoins inassouvis », écrira-t-il plus tard.

Serge Livrozet, extrait de la bande annonce du film de Nicolas Drolc, « La mort se mérite »

Il comprend très vite que ce chemin est un cul-de-sac et que personne n’a le droit, à sa place, de décider de sa vie : pour se sortir de la misère, il faut aller chercher le fric là où il est. Le plombier devient voleur, puis perceur de coffre-fort. Plus tard, il dira qu’il s’agissait d’une action de « réappropriation ». « Les pauvres ont le droit de voler les riches », ajoutait-il, provocateur en diable.

La première fois que je l’ai aperçu, de dos (c’est une image), avec deux complices, il « chalumait » un coffre dans une grande surface de la région parisienne. À l’époque, je dirigeais le GRB de la PJ de Versailles et j’avais chargé un groupe d’enquêteurs de mettre le paquet sur une équipe qui pillait allègrement les commerces de la grande distribution. Un boulot de dingue : des planques et des filoches – toujours de nuit, et souvent le week-end. Une nuit, je me souviens, nous étions quatre ou cinq devant un supermarché des Yvelines. Nos « clients » étaient entrés par le toit, et nous attendions qu’ils ressortent pour les cueillir avec leur butin. Au petit matin, le brouillard s’est levé. Les lumières ressemblaient à des falots dont la lueur rougeâtre magnifiait les lieux. Le sol ondulait sous des mouvements de brume. On était crevés. On n’y voyait plus à dix mètres. On a vaguement aperçu des ombres qui s’enfuyaient. Lorsque l’on a fait les constatations à l’intérieur du magasin, le rayon confiserie était jonché de papier d’emballage de chocolat.

Serge Livrozet était accro, je l’ai découvert plus tard, lorsqu’il me piquait le carré de chocolat qui souvent accompagne le café. Continue reading

Yves Jobic : une vie d’aventure en PJ

« C’est pour la PJ que j’ai passé le concours de commissaire de police », me dit Yves Jobic, qui vient de publier ses mémoires : Les secrets de l’antigang, flics, indics et coups tordus, Plon, 2022, écrit en collaboration avec Frédéric Ploquin.

Yves Jobic, octobre 2022

Après des études de droit à Bordeaux, à l’âge de 25 ans, il termine major de sa promo, la 33e ; tous les postes lui sont donc ouverts. Il aurait pu rester près de chez lui, mais sans hésiter, il choisit Paris, peut-être pour être « au centre des choses », comme disait Camus. En tout cas, s’il cherchait une vie d’aventure, il a été servi. Il a même connu la prison : cellule C 415, à Bois-d’Arcy.

C’était le 22 juin 1988 : neuf mètres carrés, un lit métallique, une petite table, un WC, un lavabo, une fenêtre ovale en partie occultée par des lames d’acier horizontales et des murs couleur de rien bardés d’inscriptions. « L’une d’elles me fait sourire : Mieux vaut mitard que jamais ! » C’est le QI (?), le quartier d’isolement, au quatrième et dernier étage de cette prison récente où séjournent les habituels clients du commissaire en attente de jugement. Derrière les murs, la rumeur s’est vite répandue… Au petit matin, Jobic est réveillé par des cris : « Fils de pute ! Pédé de flic ! – Bravo Hayat, envoie tous les flics au trou ! ». Jean-Michel Hayat, c’est le juge d’instruction qui a placé Jobic en détention – contre l’avis du ministère public – pour proxénétisme et corruption. « Tu te rends compte, me dit-il, dans la perquise, chez moi, comme il n’a rien trouvé, il a saisi un « Que sais-je ! » sur le proxénétisme… » Son histoire est méandreuse à souhait. Elle fleure le règlement de comptes dans le quart monde du business du sexe, et notamment de la rue de Budapest, dans le 9e – Buda pour les initiés. Un coupe-gorge qui s’ouvre par une arche sur la rue Saint-Lazare, en face de l’immeuble où Charlie Bauer, le complice de Jacques Mesrine, avait trouvé refuge. Là où les filles de joie (la joie des clients s’entend) sont sous la coupe machiste du banditisme de ces années-là : si t’as pas de filles au tapin, t’es rien ! Buda, c’est un peu la Cour des Miracles, on y trouve de tout : des putes, des julots, des voleurs, des michetons, des dealers, des camés…, et les braves gens qui viennent pour le folklore ou pour acheter le dernier Leica « tombé du camion ». Et sous le vernis, on y trouve aussi des indics : c’est le terrain de chasse du commissaire.

Yves Jobic est accusé d’avoir touché de l’argent des prostituées, de leurs protecteurs, des tenanciers d’hôtel, ou de je ne sais trop qui, et d’avoir planqué cet argent sale en Algérie. Je simplifie. Le jour du procès approche. Continue reading

Dans la peau de Mesrine

Jacques Mesrine, « L’ennemi public n° 1 » pour les Français, « Mister Jacky », pour les Québécois, est mort criblé de balles le 2 novembre 1979. Il avait 42 ans. Sa traque finale s’est étalée sur plusieurs mois, mais durant des années, chez nous comme au Canada, il n’a eu de cesse de faire parler de lui, pavoisant dans les médias, dénonçant un système pénitentiaire déshumanisé, fustigeant le pouvoir politique, menaçant les journalistes, les magistrats, et sans cesse provoquant les flics. Il devait mourir, il le savait, mais il rêvait d’un face-à-face, l’arme à la main, les bottes aux pieds et le soleil dans les yeux. Comme dans un western. Il est parti sans éclat, saucissonné sur le siège de sa BMW, sans avoir eu le temps de glisser la main dans sa sacoche, à ses pieds, dans laquelle se trouvaient son nouveau hochet, un Browning GP 35, et deux vieilles grenades quadrillées qui ne le quittaient jamais. Ce jour-là, sa légende est née.

C’était un vendredi, il était 15 h 15. Porte de Clignancourt, l’embouteillage a été colossal.

Moi, j’ai suivi l’opération depuis le PC de l’Office central pour la répression du banditisme. Lorsque Mesrine est sorti de sa planque, rue Belliard, le trafic radio s’est intensifié. Puis, tout est allé très vite. Sous les crachotements, j’ai cru entendre une voix qui disait « Oh putain, ça flingue ! » Ensuite un long silence, plus fort que tout : ce moment qui succède à la tension d’une intervention à haut risque.

Comme beaucoup de flics, je me suis senti frustré par cette fin brutale. Cet événement marquait la fin d’une épopée criminelle hors du commun et, d’une certaine manière, l’épilogue aux années folles de la PJ.

Chacun d’entre nous rêvait de passer les pinces au « Grand » et d’un face-à-face, le temps d’une garde à vue – sans avocat, à l’époque. Dans son livre de souvenirs (De l’antigang à la criminelle, Plon, 2000), le commissaire Marcel Leclerc (c’était loin d’être un affreux gauchiste) disait de lui : « La première impression qui se dégage du personnage, c’est la sensation intense d’une présence. Il est là. Il capte le regard, d’abord par son apparence physique athlétique, ensuite par la force de sa personnalité, mélange de gouaille, de séduction et de brutalité. »

Oui, qu’on le veuille ou non, Mesrine était un truand hors norme, non pas en raison de son parcours criminel, mais en raison de sa personnalité – à facettes multiples. Il a passé sa vie à la jouer. Comme un comédien sur les planches. Il nous avait dit « Attrape-moi, si tu peux ! » Jeu de piste, jeu de rôle…, le jeu a tourné court. Continue reading

Plume de poulets n° 3

Lorsque la marmite surchauffe, pour évacuer la pression, certains policiers se répandent sur les réseaux sociaux. Ils se font peut-être du bien, mais souvent hélas ! leurs propos tirent vers le bas. Pas de quoi faire rêver !

D’autres, et ils sont finalement assez nombreux, se lancent dans l’écriture : documents, essais, romans, scénarios…

Voici donc quelques-uns de ces auteurs.

Philippe Deparis (c’est un pseudo) est un ancien de la BRI – de Paris. Je dis ancien, car j’ai cru comprendre qu’il avait récemment changé de service. Je ne sais pas si c’est en raison de l’ambiance morose qui semble avoir gagné cette unité d’élite… Le départ rock and roll de son chef, Christophe Molmy (qui écrit lui aussi des romans), remplacé récemment par un proche de Gérald Darmanin, peut d’ailleurs apparaître comme une volonté politique d’un remaniement. Mais, qu’on se le dise, pour toucher à la BRI, il faudra d’abord envoyer valdinguer la casquette de Didier Lallement !

Pour ceux qui envisageraient de rejoindre ce service phare, l’auteur nous dévoile son entraînement au « quotidien » : « Tir tactique, manœuvres de cordes, descente en hélicoptère, tactique (bâtiment, milieu ouvert, structures dites tubulaires – bus, train, bateau). Et pour assurer la mission de police judiciaire : « Interpellation de piéton, serrage de véhicule, balisage, filoches, etc. ».

Le héros du livre, Sébastien, est le chef du groupe 80. À ses côtés, il y a le négociateur, le varappeur, le sniper, le fricfraqueur et le tacticien ; autrement dit une équipe d’intervention au complet. Dès le chapitre 2, le ton est donné : il s’agit de neutraliser un forcené retranché au 10e étage d’une tour du Val-de-Marne. Au pied de l’immeuble, ils attendent « l’heure légale », six heures du matin. Dans l’escalier, à la queue leu leu, les policiers, en « chenille », montent leurs 25 kilos de matériel et une fois sur le palier, comme tous les policiers du monde, je suppose qu’ils doivent vaincre le syndrome de la poudrière : Qu’est-ce qui nous attend derrière cette putain de porte !?  La réponse est instantanée : le claquement de la culasse d’un fusil à pompe leur laisse juste le temps d’esquiver les projectiles qui explosent le bois et vont s’écraser sur le mur. Fusillade, grenade, pistolet électrique, rien n’y fait. Finalement, c’est le chien, HK, qui neutralisera l’individu, les crocs refermés sur son avant-bras, le regard fixe, les yeux dans ses yeux.

Au passage, j’ai appris que certaines armes étaient munies d’une lampe disposant d’une fonction stroboscope « qui produit une alternance de phases lumineuses très rapides », comme dans une boîte de nuit. Du coup, j’ai pensé avec nostalgie à la touche de vernis à ongles taguée sur le guidon, à l’extrémité du canon de mon 2 pouces, le petit revolver qui m’a longtemps accompagné… Comme dit Sarkozy devant ses juges, « les temps changent ».

BRI, les formes de l’ombre, de Philippe Deparis, est un livre d’action, une action que l’on vit de l’intérieur en suivant un groupe de policiers qui enquêtent, agissent et interviennent, dans l’anonymat. (Éditions Mareuil, 2021, 18 €)

—–

James Holin (c’est aussi un pseudo) est responsable d’une section de police judiciaire en région parisienne. Ce livre n’est pas son coup d’essai, on lui doit plusieurs nouvelles et plusieurs romans, dont son tout premier aux éditions AO, dirigées par Jean-Luc Tafforeau, l’amoureux des belles-lettres. « C’est une fiction complète », m’a affirmé l’auteur, mais bien sûr on sent dans le déroulé de l’enquête la patte du pro. Un truc que l’on ne trouve que dans les polars écrits par des policiers ou des gendarmes. Il ne serait pas correct de « divulgâcher » l’histoire, comme disent les Québécois. Cela se passe dans l’Oise. Le commissaire Camerone est en route pour la préfecture. Une réunion, une de plus, un vendredi soir, à quelques jours des fêtes de Noël. La corvée dont il se serait bien passé. Continue reading

Commissaire Moulin, police judiciaire

Yves Rénier est décédé il y a quelques jours, à 78 ans. Il ne verra donc pas la fin annoncée de la police judiciaire au profit de la police administrative, une spécialité qu’il a si bien représentée dans le rôle d’un « patron » de terrain, plutôt borderline, mais toujours attachant. Je suis sûr que ses fictions ont fait naître des vocations.

Capture d’écran du générique de « Paris 18 »

Même s’il restera à jamais le commissaire Moulin, c’était un homme-orchestre du spectacle : scénariste, réalisateur, producteur, doubleur de voix…, mais avant tout comédien, évidemment. D’un caractère entier et indépendant, volontiers provocateur, il vous neutralisait d’un sourire ravageur avant de vous balancer ses quatre vérités. C’est ce qui m’avait plu chez lui.

Et pourtant, la première fois que nous nous sommes rencontrés, ça avait plutôt frité !

Sur ce blog, j’évite de trop parler de moi, mais, allez ! je vais me lancer.

Après vingt ans d’une vie à cent à l’heure, je venais de démissionner de la police et j’avais publié quelques bouquins qui avaient plus ou moins trouvé leurs lecteurs. À la suite de la sortie de l’un d’eux (Un solo meurtrier, 1986), le producteur Christian Fechner me contacte : après le succès du film de Patrice Leconte Les spécialistes, il envisage un film avec Gérard Lanvin en flic solitaire et marginal. Lors d’un déjeuner, la conversation avec ce dernier n’est pas débridée, nous sommes tous deux des taiseux, mais perso, je le trouve sympa, surtout lorsqu’il raconte que tout jeune il faisait les marchés au quartier Saint-Paul, un endroit où j’ai traîné mes culottes courtes.

Quelques semaines plus tard, je remets mon projet de scénar à Fechner qui le passe à José Giovanni, lequel le réécrit et le prend à son compte : fin de l’histoire entre un ancien taulard et un ancien flic.

Pour les Moulins, ça s’est passé à peu près pareil. Claude de Givray, l’un des responsables de la fiction sur TF1, me demande d’écrire un scénario pour la reprise de la série Commissaire Moulin. Et cette fois, c’est Yves Rénier qui me renvoie à mes gammes. Qu’est-ce qu’on peut prendre comme coups dans la gueule dans la vie ! Je me souviens de notre premier resto, un chinois, près de Champs. C’était classe, mais j’ai eu du mal à terminer le repas. De toutes manières, ils ne savent pas faire les desserts.

En rentrant chez moi, la tête dans les épaules, je me suis dit qu’il était plus facile d’être un vrai flic qu’un flic de cinéma.

Yves m’a rappelé le lendemain. Continue reading

Le « beau mec » vous salue bien !

Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.

Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.

Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.

Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !

C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture. Continue reading

« Older posts

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑