L’autre jour, je promenais mon chien, Pat, un springer en pleine force de l’âge, pas méchant pour deux sous, lorsque sur l’autre trottoir, j’aperçois un molosse qui traîne son maître, la langue pendante — le chien pas le maître. On le connaît Patou et moi, c’est le genre d’animal que t’as pas envie de caresser. Si j’étais vache, j’ajouterais que c’est un chien policier. En général, dans ces cas-là, Pat prend sa laisse entre ses crocs et me tire au-delà du cercle de danger, comme on dit chez les bodyguards. Il simule l’indifférence, ou fait mine de me protéger, mais je sais bien qu’il n’a pas envie d’une confrontation. La bagarre, c’est pas son truc ! Mais ce jour-là, il est de mauvais poil, va savoir pourquoi ! et il se laisse aller à un délit de sale gueule. Les clébards, c’est comme les humains, parfois, ils déjantent. Le Patounet balance ses vingt-cinq kilos de muscles en direction du monstre qui fait plus de deux fois son poids. Je me cramponne à la laisse. Le sol est glissant et, pat-atras, je fais un soleil.
Entre ciel et terre, deux pensées m’ont traversé l’esprit : une certitude, ne pas lâcher la laisse, sinon ce petit con va se faire massacrer ; et une interrogation, que me reste-t-il de mes années de judo et des séances de chutes sur la toile rugueuse du tatami ?
Je m’entortille autour d’un poteau de signalisation, et je touche le sol, un rien sonné. Assis sur le trottoir, en attendant que les étoiles s’éteignent, je tâte mes membres, je compte mes bosses, tandis que le chien, penaud, me barbouille de sa langue. Je ne suis pas resté longtemps, une minute peut-être, et ben, je vais vous dire un truc, devant le spectacle de ce bonhomme crépusculaire assis sur un coin de trottoir, l’air à l’ouest, avec son clebs qui lui lèche la tronche, trois automobilistes se sont arrêtées, trois femmes. « Ça va aller, Monsieur ? Vous avez besoin d’un coup de main ? Vous voulez que je vous dépose quelque part ? Etc. »
J’en avais la larme à l’œil.
A longueur de journée, on nous sature de mauvaises nouvelles, de mensonges ou de certitudes erronées ; certains médias relaient à tout-va les propos de gens haineux, qui ne pensent qu’à nous diviser ; on nous dit que la violence est partout, que c’est du chacun pour soi, mais que la solution existe, en faisant confiance à des gens hauts placés qui, à l’abri de hauts murs ou derrière les vitres blindées de leur véhicule, prennent l’engagement de nous protéger de tout, nous le peuple dénudé – et même de nous. Un refrain sempiternel. Et puis… trois femmes s’arrêtent devant un inconnu, un vieux mec aux cheveux blancs, le cul par terre avec son clebs tout aussi penaud que lui, et lui proposent leur aide.
Femmes, je vous aime, je vous aime toutes les trois, en fait, je vous aime toutes. Et toi aussi, mon Patou, je t’aime. Mais pour un chien, c’est fastoche, il te regarde les yeux pleins d’amour, et tu craques.
« Les clébards, c’est comme les humains, parfois, ils déjantent. »
A qui le dites-vous, Commissaire!
J’apprécie toujours autant votre style et votre humour, longue vie à votre blog!
Cdt
J’adore ces chiens à l’odorat incomparable, difficile de dissocier les capacités olfactives canines en général de ces English Springer Spaniels. Regard irrésistible.
J’en ai un minuscule, en argent, pendu à une chaîne autour du cou.
Réconfortant de savoir que trois automobilistes se sont arrêtées, attentives et concernées.
Merci beaucoup pour cet article