LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Flic story

Flic story : Où sont les lingots d’or volés aux nazis par Max Dissar ?

Dans un petit bourg au sud du Tyrol, au fond d’une grotte recouverte de végétations dont l’entrée a été obstruée par un éboulement, deux caisses remplies de lingots d’or frappés du sceau hitlérien attendent l’aventurier qui saura les découvrir.

Je vais vous raconter l’histoire de cet or et de l’homme qui a enterré ce butin de guerre, tel que me l’a confiée mon ami, Charles Pellegrini, ancien commissaire de police, qui a participé à cette chasse au trésor.

Le Clown, peinture sur toile de Max Dissar, MutualArt.com

Cet homme est un artiste peintre connu sous le nom de Max Dissar – l’anagramme de son nom véritable, puisque, pour l’état civil, il se nomme Maximilien Alberto Sardi, né en mars 1908 à Nice.

Il a obtenu plusieurs prix, son œuvre essentielle tournant autour du monde du cirque. Il a notamment réalisé le portrait de nombreux clowns célèbres : Rastelli, Popoff, Cavallini, Fratellini, etc. On peut trouver certaines de ses toiles en salles de vente à des prix très raisonnables.

Sa carrière s’est arrêtée un peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins pour plusieurs années.

1944 – 1945

En mai 1944, après avoir tenté d’inonder l’Europe de faux billets de banque britanniques (opération Bernhard), l’unité allemande chargée des contrefaçons reçoit pour instruction d’imprimer de faux dollars américains. C’est un challenge, car ces billets sont beaucoup plus difficiles à fabriquer ; il faut faire appel à de nouveaux spécialistes, et notamment des graveurs. C’est ainsi que Max Dissar devient faux-monnayeur.

On ne sait pas exactement dans quelles conditions il s’est retrouvé à travailler pour les Allemands, comme prisonnier, ou peut-être, comme beaucoup de Français, sous le régime du travail forcé. Le fait est qu’il a participé pour les nazis à la gravure de matrices destinées à fabriquer de faux dollars américains, dans un endroit tenu secret, en Autriche, près de la frontière italienne.

Tandis que l’Armée rouge marche sur Vienne et que les raids aériens américains et britanniques se multiplient sur l’Autriche annexée, et notamment sur Innsbruck, la capitale autrichienne du Tyrol, les Allemands comprennent que c’est la fin : de nombreux SS abandonnent l’uniforme. C’est le début de la déroute. Pour ceux qui sont proches de la frontière, leur ligne de vie passe par l’Italie, d’où ils pourront rejoindre des pays peu regardants sur leur passé. Max Dissar saisit l’opportunité. Accompagné de deux hommes dont on ne sait pas s’ils sont français, allemands ou italiens, il s’échappe de son camp de travail. Toutefois, les trois comparses ne partent pas les mains vides ; ils chargent deux caisses de lingots d’or sur une charrette tirée par un cheval. Rapidement, ils sont confrontés à la réalité : jamais ils n’arriveront à traverser cette région alpine avec cet attirail roulant. Alors, ils s’arrêtent dans une forêt proche de la petite commune d’Ortisei, en Italie, et décident – on imagine à regret – de se défaire de leur butin. À défaut d’outils, ils déposent les deux caisses au fond d’une grotte, dont ils obstruent l’entrée à l’aide d’explosifs. En ce temps de guerre, l’explosion passe inaperçue.

Puis les trois fugitifs se séparent. Ils ne se sont jamais revus.

La guerre finie, Max Dissar est arrêté par les autorités françaises, non pas pour son passé de faussaire, mais pour avoir peint le portrait du général Rommel. Un portrait, qualifié de chef-d’œuvre, qui se trouverait aujourd’hui dans la chambre forte d’un collectionneur allemand. Bien qu’il ait argué pour sa défense avoir agi sous la contrainte, il est condamné pour collaboration avec l’ennemi à une peine d’emprisonnement de plusieurs années qu’il purge au pénitencier de Casabianda, en Corse.

Mais devant les juges, il s’est bien gardé de parler de son trésor enfoui sous des mètres cubes de terre et de roches, en Italie, près de la frontière autrichienne.

40 ans après

En revanche, il s’est confié à Charles Pellegrini, lorsqu’il a fait sa connaissance, en 1984. À l’époque, le commissaire de PJ, qui a participé à toutes les affaires célèbres relevant du grand banditisme des années 1970-1980 (le gang des Lyonnais, Jacques Mesrine, Patrick Henry…), était détaché dans un service extérieur. Le peintre lui propose de l’aider à retrouver ce trésor caché. Une chasse au trésor ! Le challenge est excitant. Le commissaire accepte.

Les deux hommes, accompagnés de leur épouse, décident de passer un week-end à Ortisei. Ils parcourent les environs, comme des touristes, et finalement, après avoir tourné un bon moment, Max Dissar reconnaît la fameuse caverne, là où il a abandonné les caisses remplies de lingots de la « Deutsche Reichbank », bien qu’elle soit recouverte de végétation. Le petit ruisseau qui coule à proximité lui a servi de repère. Ils prennent des photos.

Un peu plus tard, Charles Pellegrini retourne sur place, seul cette fois, afin d’étudier la stratégie à mettre en œuvre pour explorer la caverne. Vêtu comme un randonneur, il examine les lieux d’un œil technique : l’opération est-elle réalisable ? Ce ne sera pas facile : l’éboulement a fermé l’entrée de la petite grotte d’un mur de pierres conséquent et les racines de la végétation d’herbes et d’arbustes forment un ciment qui consolide l’ensemble. De plus, dans ce bourg italien, mais germanophone, où dans les tavernes on parle un patois guttural, il ne peut pas passer inaperçu. C’est impossible, se dit-il.

Mais l’aventure continue à l’obséder. Il ne peut pas envisager de renoncer sans avoir tout essayé. Il retourne à Ortisei une troisième fois. Cette fois, il s’est muni du matériel ad hoc et de détecteurs de métaux performants ; et il est accompagné d’un « spécialiste des tunnels » qui en a creusé pas mal – sous les banques. Le diagnostic est formel : il faut percer sous les roches et étayer solidement au fur et à mesure. Un chantier onéreux qui ne peut pas passer inaperçu. Il faudrait agir officiellement, oui, mais la législation française sur la découverte d’un trésor ne s’applique pas en Italie. L’État prendrait tout.

Les années ont passé. Charles Pellegrini n’est jamais retourné à Ortisei. À l’époque, il y a quarante ans maintenant, il était persuadé que tout était vrai dans cette histoire. « Mais le trésor s’y trouve-t-il encore ? » se demande-t-il, rêveur. « Quelqu’un l’a-t-il découvert ? » Probablement pas les deux fugitifs qui accompagnaient son ami Max Dissar, car celui-ci semblait persuadé qu’ils avaient trouvé la mort lors des bombardements alliés. Il a bien pensé en informer les autorités italiennes, mais le secret ne lui appartenait pas.

Max Dissar est décédé en 1993, à Montreux, en Suisse, sur les rives du lac Léman, là où il avait élu domicile après sa libération.

Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

Le soir même, transport rapide à Créteil où est domicilié l’un des protagonistes. Il faut arriver avant 21 heures, l’heure limite pour pénétrer dans un domicile. Il est… enfin, j’inscris 20 h 59 sur le PV. Un homme de type asiatique, chemise blanche, cravate, nous ouvre la porte. Il parle parfaitement le français. Alors que son épouse commence à crier, il la fait taire d’un ton autoritaire : « Ces messieurs agissent en flagrant délit sur des faits de proxénétisme aggravé, ils sont tout à fait dans leur droit ». Titulaire d’une carte de réfugié politique, il s’agit en fait de l’ancien procureur de Vientiane, la capitale du Laos. Il est désormais comptable. Visiblement étranger à l’affaire en cours, il admet avoir fourni une adresse de complaisance à l’un de ses compatriotes. Je le place en garde à vue tout en lui promettant de lever immédiatement la mesure si l’individu recherché vient se livrer au 127. Dans cette optique, je l’autorise à passer un appel. Communication très brève, en langue asiatique. Le ton est cassant et les paroles plus sifflées que prononcées.

Nous retournons au service, au rythme du gyrophare. Devant le 127, un Asiatique attend devant la grille, il baisse les yeux et s’incline respectueusement devant notre gardé à vue, lequel ne lui adresse ni un regard ni une parole. Je respecte le marché et libère l’ancien haut magistrat après trois lignes d’audition.

Le lendemain matin, Trenque retourne avec les fonctionnaires consignés à l’appartement du Bd Davout et récupère le reste des proxénètes-geôliers qui, revenus dans les lieux, attendaient tranquillement sur place, pensant que les filles avaient été déplacées seulement pour la nuit. Dans leur esprit, elles allaient nécessairement revenir, car leurs affaires étaient toujours sur place. Très mauvaise analyse.

Le résultat des investigations est sans appel : les jeunes Thaïlandaises étaient contraintes à la prostitution, jour et nuit, sur des matelas sans drap posés à même le sol, moyennant 500 francs la passe. L’intégralité du produit de leur activité était confisquée. La publicité de ce claque était faite via des cartes de visite distribuées exclusivement dans la communauté asiatique avec seulement l’adresse de l’appartement et une formule en chinois que l’on pouvait traduire par « Ici la soupe est bonne ».

L’enquête a duré plusieurs mois et a abouti à la mise sous écrou des auteurs et des complices, dont deux frères qui tenaient une échoppe en sous-sol, à la station de métro Strasbourg–Saint-Denis. Avec mon collègue Serge Guillon, nous sommes allés les cueillir sur place et nous les avons ramenés au 127, via la ligne 9, pincés à une barre du wagon, devant des usagers médusés : une interpellation économique avec une empreinte carbone quasi nulle.

Les « filles » passaient par l’Allemagne, avant d’arriver en France. Le passeur était un taxi parisien, lequel, très prudent, avait commis l’erreur de contacter durant dix secondes son épouse depuis la chambre d’un hôtel de Francfort où les jeunes femmes étaient en transit. Il ignorait que cet hôtel conservait la liste des appels téléphoniques pendant un an. On ne pense pas à tout…

Il nous restait à interpeller le chef du réseau, une légende à Bangkok, car il avait gardé la cage de l’équipe nationale de football thaïe aux JO de Mexico, en 1968. Il était adulé dans son pays, même s’il avait encaissé 19 buts pendant la compétition… Il devait venir à Paris, le… 25 décembre.

C’est ainsi que Bernard Trenque himself se sacrifia et passa le réveillon de Noël au 127, derrière une Olympia, en compagnie du « sélectionneur » des futures victimes du réseau dans les gogo bars de Bangkok.

Après prolongation (de garde à vue), il termina au ballon. Fin du match !

Bien plus tard, en 1989, royal, le chef nous désignera, Hervé Jaouen et moi, pour terminer le dossier en Thaïlande dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

Une mission à haut risque, comme le montre la photo…

Avril 1989 : Philippe Barbançon et Hervé Jaouen au Pink Panther, un gogo bar de Patpong, le quartier chaud de Bangkok

De cette mission, j’ai ramené un souvenir ce badge « clin d’œil » que j’avais fait confectionner par le patron du Pink-Panther à Bangkok, où chaque coco-girl porte un badge numéroté pour faciliter son identification par les clients et favoriser la comptabilité du tôlier. Il est à l’effigie du « 127 Saint-Honoré », l’adresse mythique de la PJ qui a longtemps réuni 3 Offices centraux : répression du trafic international de stupéfiants, répression du grand banditisme et répression de la traite des êtres humains.

Philippe Barbançon

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