LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le blog de la fin du « Monde »

 

Je suis viré ! Ce billet sera l’un des derniers à paraître sur le site du journal Le Monde. En effet, pour des raisons techniques ou financières, je ne sais pas, le premier quotidien de France a décidé de supprimer ses derniers blogueurs, ceux qui ont survécu à la razzia de 2019.

À quelques mots près ce billet est une copie de celui publié sur le site du journal Le Monde avant qu'il ne ferme ses blogs.

Cette année-là, à la veille de l’été, les milliers d’abonnés qui avaient ouvert un blog lemonde.fr, ont eu la désagréable surprise d’apprendre que ceux-ci allaient être fermés et qu’ils avaient deux mois pour en sauver le contenu avant qu’il ne disparaisse du Web. Seule une poignée des « blogs invités » et ceux des journalistes ont survécu à cet autodafé virtuel. De nombreux abonnés ayant manifesté leur mécontentement, notamment sur Twitter (X aujourd’hui), la BNF, dans le cadre de sa mission de sauvegarde du patrimoine numérique, a alors proposé de collecter l’intégralité de la production des blogueurs. Un peu coincé dans un cadre juridique plutôt flou, et pour ne pas mécontenter une partie de ses lecteurs, le journal a alors consenti à fournir les informations nécessaires à la numérisation des textes, des images et des photos publiés sur son site. Pour éviter toute idée de censure, le tout a été collecté et enregistré sans tri ni sélection.

Ce blog, POLICEtcetera, qui faisait partie des rares blogs non professionnels sauvés du couperet en 2019, aura donc survécu cinq ans de plus.

Morituri te salutant

Après une collaboration d’environ 18 ans, cette séparation me rend triste, évidemment, mais il faut savoir rebondir, sauter l’obstacle et faire d’une épreuve une opportunité. Aussi, chères lectrices, chers lecteurs, vous retrouverez sur ce site, que je continuerai d’enrichir régulièrement, les 842 articles et vos commentaires qui constituent les archives et la mémoire de ce blog – notamment la petite histoire de la PJ, déroulée au fil des ans ; l’affaire du baron Empain, et l’improbable rencontre d’un businessman avec une « golden girl » ; l’incroyable parcours judiciaire de Maurice Agnelet, condamné pour le meurtre de sa maîtresse sur fond de guerre des casinos à Nice ; la véritable histoire du logo de la PJ, et la chasse au tigre d’un inspecteur de l’Office central pour la répression du banditisme – etcétéra.

Parmi les billets publiés sur POLICEtcetera, deux m’ont étonné par la réaction des lecteurs. En voici un aperçu :

L’affaire du petit Grégory 

Publié en décembre 2008, ce billet a fait l’objet de plus de 4000 commentaires, incapable de les vérifier tous, je me suis résigné à les supprimer.  

« Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de 4 ans ½, disparaît de la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges. Dans la soirée, on retrouve son corps dans les eaux de la Vologne, à Docelles, à six kilomètres de son domicile. Il a les jambes et les bras liés par une corde et il est mort noyé. Sur le petit corps, aucune trace de violences. À l’évidence, il a été jeté vivant dans la rivière – comme on noierait un chat. […] La PJ a été longtemps tenue à l’écart de cette affaire. Ses enquêteurs auraient-ils fait mieux que les gendarmes ? Le commissaire Jacques Corrazi, qui plus tard a repris le dossier, doit probablement en être persuadé. Il aurait peut-être réussi à juguler le délire d’un petit juge dont ses pairs ont dit qu’il était un « funambule de la pensée » … »

Lire la suite et voir les autres billets sur l’affaire Grégory

 Quelque part une petite école… 

Publié en mai 2010, dès sa parution, ce billet a eu plus de cent mille lecteurs par jour. 

« Oh, elle ne paie pas de mine l’école primaire de Sakabi, sur la nationale 10, au nord de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso ! Mais autrefois, elle était encore plus sinistre : ses classes étaient désertes.

« Éric, l’instituteur, était au désespoir : comment faire venir les enfants ? se demandait-il. Et un jour, il a eu une idée : il faut une cantine ! Car pour se remplir la tête, il ne faut pas que l’estomac soit vide. Et il a défendu son projet auprès de l’administration, et, surtout, il a su convaincre une poignée de gens, des Suisses et des Français, délégués sur place pour une mission sanitaire… »

Lire la suite de la petite école

Blogs-pro et blogs invités

En abandonnant ses blogueurs, Le Monde tourne une page. Dans les années 1990-2000, alors qu’il était en grande difficulté financière, le journal a su grimper dans le train du numérique : le Monde Interactif est en effet un exemple de réussite. Aujourd’hui, plus de 4 abonnés sur 5 sont des abonnés numériques. Ce résultat est dû en partie à l’expérience acquise par les journalistes-blogueurs et, me semble-t-il, mais je connais mal les arcanes du Monde, grâce à l’action d’Éric Fottorino, qui l’a mis sur les rails, considérant qu’il s’agissait là d’un test de management non conventionnel, dans la mesure où les journalistes pouvaient y trouver un moyen d’expression qui s’affranchissait des contraintes professionnelles. Plusieurs blogs-pro ont marqué cette époque. À mon avis, le plus innovant a été « Le Monde académie », créé en 2012 par Serge Michel et Florence Aubenas, dont l’ambition était d’ouvrir la porte de la rédaction du journal à des jeunes de tout horizon social. C’est celui dont le grand quotidien du soir devrait être le plus fier – même si certains journalistes, au souvenir de leur bac+5, voyaient d’un œil inquiet ces jeunes sans diplômes venir brouter leur pré carré.

Alors qu’un article, avant sa publication, doit nécessairement passer le filtre de la rédaction, le blog a permis à certains journalistes bourlingueurs des prépublications sur leur site personnel et éventuellement de modifier leur papier en tenant compte de l’avis de leurs lecteurs. C’est ainsi que la chroniqueuse Pascale Robert-Diard publiait des comptes-rendus d’audiences judiciaires au pied du tribunal, sans avoir à compter le nombre de signes, parfois avant que le journal ne soit imprimé (voir l’interview de Robert-Diard).

Cette expérience extraprofessionnelle des journalistes a été certainement un plus dans la réussite du Monde Interactif. Je ne suis pas sûr qu’il existe encore des journalistes du Monde qui tiennent un blog, ou alors, ils sont invisibles.

Audience blogs LeMonde Interractif en 2012-Moréas-POLICEtcetera

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En 2006, après l’éviction de Jean-Marie Colombani, trop politiquement engagé, et la démission d’Edwy Plenel, trop… libertaire, Éric Fottorino est nommé directeur de la rédaction du Monde. Il s’investit entre autres dans la formation et la promotion des blogueurs invités : des journées de formation, des visites guidées au sein du staff rédactionnel, des contacts avec les journalistes et certains blogueurs confirmés autour d’un buffet convivial et en cadeau des cartes de visite siglées Le Monde. Nous les apprentis blogueurs, on était aux anges ! À l’époque, Pierre Assouline était cité en exemple, même s’il s’la pétait un peu, son blog, La République des livres, marchait du feu de dieu. Nommé à la présidence du directoire deux ans plus tard, Fottorino sera dézingué par un triumvirat de milliardaires français (Bolloré, Arnault, Lagardère), après avoir écrit un édito vachard sur Nicolas Sarkozy. Si ces derniers louchaient sur son contrôle, ce sont d’autres milliardaires (plus gentils ?) qui renfloueront les caisses du quotidien. Ils possèdent aujourd’hui, dans une holding, les ¾ du capital social de l’entreprise, le dernier quart, dit pôle indépendant, doit assurer (et rassurer) sur l’indépendance de la rédaction. En tout cas, cette minorité peut bloquer l’arrivée de tout nouvel actionnaire (à condition de proposer une solution de rechange). « Le risque de dérive « à la hongroise » du paysage médiatique français », comme le titrait un article récent du Monde, ne s’appliquerait donc pas à celui-ci.

Mais avec la fin de ses blogs, qui représentaient à la fois une forme d’expression populaire et une ouverture sur la société civile, il ne faudrait pas que le premier quotidien de France prenne le risque de se refermer dans sa coquille, comme le font les grandes administrations, notamment la Police nationale.

 

4 Comments

  1. Titre de Noblesse

    J’ai assisté en spectateur -et commentateur, parfois, rarement inspiré- à la disparition de blogs qui m’avaient instruit et, s’ils n’avaient pas complétement disparu, auraient pu continuer à m’insturire -j’aurai plus de temps dans quelques mois-
    Ex (ça dépasse malheureusement les difficultés d’un journal):
    angryblackbitch n’est plus actif: pouvait donner des infos utiles sur la vie et les rèves à Saint Louis
    patryn/patrija -feuille en tsigane- bloggait en Sinti et Kalderash
    goldenzephyr donnait des liens vers la litterature tsigane, et des indications sur la grammaire anglo-romanes (langue en voie de disparition accélérée) . Il a disparu suite à la maternité de l’autrice, et aux nombreux commentaires racistes…
    Côté twitter (classé X maintenant), c’est pire
    Je suis très content et ne sais comment remercier le Maître de ce.s. blog.s. d’avoir su le conserver par duplication.

  2. Janssen J-J

    Dieu merci, vous sauvez les meubles …
    Merci de bien vouloir continuer Police ETC sur un autre support. Vous nous auriez manqué, et la perte des archives moréesques eut été un naufrage impardonnable §… Je vous lis toujours depuis le début, ainsi que notre ami Philippe, qui m’a signalé ce billet, quI m’attriste un peu, vous l’imaginez bien.
    Bien à vous et bon courage, Georges, si vous me permettez toujours cette familiarité.

  3. Mousse

    Merci de nous avoir avertis ! Je continuerai à vous lire avec énormément de plaisir.

  4. ancilevien74

    Dommage pour tous les liens depuis l’extérieur qui seront cassés, mais c’est cool d’avoir gardé un blog et pu migrer le contenu.
    Flux rss du nouveau site ajouté à mon aggrégateur, en route vers une continuation avec autant de réussite.

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