LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Plume de poulets n° 3

Lorsque la marmite surchauffe, pour évacuer la pression, certains policiers se répandent sur les réseaux sociaux. Ils se font peut-être du bien, mais souvent hélas ! leurs propos tirent vers le bas. Pas de quoi faire rêver !

D’autres, et ils sont finalement assez nombreux, se lancent dans l’écriture : documents, essais, romans, scénarios…

Voici donc quelques-uns de ces auteurs.

Philippe Deparis (c’est un pseudo) est un ancien de la BRI – de Paris. Je dis ancien, car j’ai cru comprendre qu’il avait récemment changé de service. Je ne sais pas si c’est en raison de l’ambiance morose qui semble avoir gagné cette unité d’élite… Le départ rock and roll de son chef, Christophe Molmy (qui écrit lui aussi des romans), remplacé récemment par un proche de Gérald Darmanin, peut d’ailleurs apparaître comme une volonté politique d’un remaniement. Mais, qu’on se le dise, pour toucher à la BRI, il faudra d’abord envoyer valdinguer la casquette de Didier Lallement !

Pour ceux qui envisageraient de rejoindre ce service phare, l’auteur nous dévoile son entraînement au « quotidien » : « Tir tactique, manœuvres de cordes, descente en hélicoptère, tactique (bâtiment, milieu ouvert, structures dites tubulaires – bus, train, bateau). Et pour assurer la mission de police judiciaire : « Interpellation de piéton, serrage de véhicule, balisage, filoches, etc. ».

Le héros du livre, Sébastien, est le chef du groupe 80. À ses côtés, il y a le négociateur, le varappeur, le sniper, le fricfraqueur et le tacticien ; autrement dit une équipe d’intervention au complet. Dès le chapitre 2, le ton est donné : il s’agit de neutraliser un forcené retranché au 10e étage d’une tour du Val-de-Marne. Au pied de l’immeuble, ils attendent « l’heure légale », six heures du matin. Dans l’escalier, à la queue leu leu, les policiers, en « chenille », montent leurs 25 kilos de matériel et une fois sur le palier, comme tous les policiers du monde, je suppose qu’ils doivent vaincre le syndrome de la poudrière : Qu’est-ce qui nous attend derrière cette putain de porte !?  La réponse est instantanée : le claquement de la culasse d’un fusil à pompe leur laisse juste le temps d’esquiver les projectiles qui explosent le bois et vont s’écraser sur le mur. Fusillade, grenade, pistolet électrique, rien n’y fait. Finalement, c’est le chien, HK, qui neutralisera l’individu, les crocs refermés sur son avant-bras, le regard fixe, les yeux dans ses yeux.

Au passage, j’ai appris que certaines armes étaient munies d’une lampe disposant d’une fonction stroboscope « qui produit une alternance de phases lumineuses très rapides », comme dans une boîte de nuit. Du coup, j’ai pensé avec nostalgie à la touche de vernis à ongles taguée sur le guidon, à l’extrémité du canon de mon 2 pouces, le petit revolver qui m’a longtemps accompagné… Comme dit Sarkozy devant ses juges, « les temps changent ».

BRI, les formes de l’ombre, de Philippe Deparis, est un livre d’action, une action que l’on vit de l’intérieur en suivant un groupe de policiers qui enquêtent, agissent et interviennent, dans l’anonymat. (Éditions Mareuil, 2021, 18 €)

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James Holin (c’est aussi un pseudo) est responsable d’une section de police judiciaire en région parisienne. Ce livre n’est pas son coup d’essai, on lui doit plusieurs nouvelles et plusieurs romans, dont son tout premier aux éditions AO, dirigées par Jean-Luc Tafforeau, l’amoureux des belles-lettres. « C’est une fiction complète », m’a affirmé l’auteur, mais bien sûr on sent dans le déroulé de l’enquête la patte du pro. Un truc que l’on ne trouve que dans les polars écrits par des policiers ou des gendarmes. Il ne serait pas correct de « divulgâcher » l’histoire, comme disent les Québécois. Cela se passe dans l’Oise. Le commissaire Camerone est en route pour la préfecture. Une réunion, une de plus, un vendredi soir, à quelques jours des fêtes de Noël. La corvée dont il se serait bien passé. D’autant que ses deux dernières nuits ont été écourtées par l’enquête sur le meurtre d’un médecin, retrouvé à son cabinet, le crâne défoncé. Puis c’est l’accrochage banal, plongé dans ses pensées, il freine un peu tard et érafle le taxi qui pile devant lui. Le chauffeur, herculéen lui balance une « golden » : « Mais Camerone avait des lettres de créance en castagne (…) Dégagement de la saisie avec le bras gauche, coude droit enfoncé dans le visage, frappe marteau avec le poing sur la jugulaire puis coup de genou dans les parties (…) La petite touche d’originalité, c’était la prothèse. Camerone en portait une belle, en résine noire, à la place de la paluche droite. Dure comme du granit, elle faisait du dégât. D’aucuns y auraient vu une arme par destination. »

On comprend alors que ce commissaire atypique va nous entraîner dans une histoire hors du droit où le flic, comme un chasseur, se laisse gagner par le jeu de traque, au point d’enfreindre les règles pour mieux piéger sa proie.

Pleine balle, de James Holin, Collection Polar en France (Éditions du Caïman, 2021, 13 €)

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Philippe Pichon a écrit de nombreux ouvrages :  romans, essais, documents…, et notamment, pour rester dans l’esprit de ce blog, Journal d’un flic (2007, Flammarion) et Fichier STIC, une mémoire policière sale, avec le sociologue Frédéric Ocqueteau, directeur de recherches au CNRS, préfacé par Me William Bourdon (2010, Jean-Claude Gawsewitch). Mais je crois que la poésie, c’est sa passion. La prestigieuse et ancestrale Académie des Jeux floraux vient d’ailleurs de le distinguer en lui attribuant une Fleur de violette d’argent pour un sonnet dédié à Rimbaud.

Dans ce spicilège, comme dit l’éditeur, « Philippe Pichon s’est progressivement libéré de toute contrainte de versification ». Autrement dit, il ne compte plus les mots tel un comptable (comme le martelait Ferré), il ne cherche pas à dompter sa passion, mais au contraire il lâche les rênes. Cela donne une poésie un peu difficile à lire, un peu triste, mais qui ramène vers soi, comme l’oraison d’un être cher dans la froideur d’une église où l’on se sent étranger.

J’espère qu’il ne m’en voudra pas de citer quelques vers…

En fait l’auteur, le poète (ça me fait drôle d’appeler ainsi un ancien commandant de police), ce trublion lanceur d’alerte de la grande maison, dont on a pu suivre les aventures sur ce blog, nous invite à l’introspection. Lisez attentivement les deux derniers vers, il y a une vie brisée derrière les mots, la sienne, la vôtre, la mienne : la morgue du quotidien, nos peurs cachées depuis l’enfance, l’inélégance et la prétention des gens que nous subissons… L’impression de s’être trompé de monde.

Aux basaltes de l’âge de Philippe Pichon, aux éditions Prolégomènes, 2021, 18 €)

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André Bizeul est de la 23e promotion des commissaires de police (la meilleure, la mienne). À l’issue de son stage, il est affecté à la brigade criminelle du 36, en remplacement de Robert Broussard qui vient d’être nommé n° 2 à la BRI. Il a donc été l’un des piliers de l’enquête sur l’enlèvement du baron Empain, avec son collègue Claude Cancès, tous deux sous les ordres du patron de la crim’, l’inébranlable Pierre Ottavioli. Si la séquestration d’Édouard-Jean Empain a duré deux mois, l’enquête s’est poursuivie bien après, parfois à l’étranger, pour arrêter des suspects ou identifier des complices. Et pourtant, encore aujourd’hui, certaines questions n’ont pas trouvé de réponses.

Le récit est complet, alimenté par plusieurs feuillets de photos. Il est trop détaillé pour pouvoir être résumé ici, mais sur ce blog vous pouvez lire un article en quatre parties qui brosse un tableau de l’enlèvement du baron Empain et de tout ce qui tourne autour. André Bizeul relate certains événements de l’enquête différemment, mais c’est bien normal dans une affaire aussi complexe, où chacun des acteurs, volontaires ou non, a perçu les choses à sa façon. Je dois avoir dans ma bibliothèque une douzaine de livres sur Jacques Mesrine, aucun des auteurs ne relate les mêmes faits de manière identique.

Vous avez peut-être fait le même constat, mais souvent les premières pages d’un livre sont rasantes, dans celui-ci, il en va différemment. Dans un avant-propos de sept-huit pages, l’auteur nous brosse un portrait en noir et blanc de la brigade criminelle des années 1970 : « Nous tapons des centaines de procès-verbaux sur d’antiques machines à écrire dont les crépitements résonnent à tous les étages. Nous plaçons des feuilles de papier carbone entre les pages. Les deux premières sont réservées à la justice, leur support est correct. Dessous, il y en a trois autres : une pour les archives du service, une pour le groupe d’enquête, et la dernière pour le procédurier. On les appelle les « pelures », car elles sont faites d’un papier transparent très fin. Pour peu que le carbone soit fatigué, elles sont presque illisibles. »

Quand je pense que les flics du XXIe siècle se plaignent de la surcharge du travail procédural…

Le rapt du baron Empain a tenu en haleine des millions de gens pendant des mois et lors de la publication de la minisérie sur ce blog, les lecteurs ont été nombreux, preuve que l’affaire passionne toujours. Si c’est votre cas, ce livre est désormais un incontournable.

Empain, le rapt, d’André Bizeul, avec une préface de Diane Empain, Mareuil éditions, 2021, 20 €

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D’après un sondage récent, les lecteurs cherchent avant tout à approfondir leurs connaissances, à se détendre et à se faire plaisir. Alors, n’hésitez pas ! D’autant que depuis la semaine dernière, la lecture a été déclarée Grande cause nationale.

1 Comment

  1. simplette

    Tout ça donne envie de lire. Ceci dit le lecteur qui travaille dans un bureau se demande à quoi sert la lumière stroboscopique. A aveugler disons. Mais le vernis à ongle ?!! Ça va rester un mystère, je le sens.

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