Au cri de ralliement des chevaliers français, mardi dernier, un homme a giflé le président de la République, alors que ce dernier se livrait au rituel du serrage de mains. L’agresseur, Damien Tarel, 28 ans, a été rapidement plaqué au sol, tandis que l’un des agents de la protection rapprochée ceinturait Emmanuel Macron dans une prise arrière, comme pour le contenir et l’empêcher de riposter. Au passage, je ne suis pas certain que cette réaction (filmée) ait été appréciée…
La classe politique, les éditorialistes, les juristes et tutti quanti en ont fait une montagne, le Premier ministre appelant même à un sursaut républicain – à deux doigts de demander une minute de silence – tandis que les communicants de l’Élysée tentaient, mais vainement, d’appuyer sur la pédale de frein.
Après un léger cafouillage juridico-administratif : qui fait quoi ? les gendarmes drômois ont ouvert une enquête pour violence légère contre une personne dépositaire de l’autorité publique.
Et 48 heures plus tard, en comparution très immédiate, Damien Tarel se retrouve face à ses juges. Le procureur parle d’un acte « parfaitement inadmissible ». Il fallait le dire. Il requiert 18 mois de prison pour violences volontaires sur une personne dépositaire de l’autorité publique. Droit dans ses cuissardes médiévales, le prévenu assume. Son avocate s’échine à rappeler qu’il ne peut y avoir de « justice d’exception » et que des travaux d’intérêt général seraient préférables à une incarcération, etc. Elle aurait pu ajouter qu’il ne serait pas malin d’entrer dans le jeu de son client et de faire de ce procès la catachrèse de l’anti-macronisme… Au final, le tribunal suit le ministère public sur la durée de la peine, limitant toutefois son exécution immédiate à 4 mois d’emprisonnement.
Le condamné fait de plus l’objet de peines complémentaires symboliques comme la privation de ses droits civiques et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Tiens, on ne lui a pas sucré le RSA !
Emmanuel Macron semble le seul à avoir compris le piège. Il rame pour prendre ses distances avec cet événement : « Ce n’est pas grave de recevoir une gifle quand on va vers une foule ! » (parfois, il doit quand même se dire qu’il est mal entouré). Puis il s’égare à son tour, il dit qu’il ne portera pas plainte. On imagine le tableau, le chef de l’État, qui bénéficie de tous les pouvoirs et d’une immunité totale, déposant une plainte devant le procureur de la République pour une simple claque… En justice quotidienne, une violence légère constitue, selon l’article R 624-1 du code pénal et pour le commun des mortels, une simple contravention de 4ème classe susceptible d’entraîner une amende de 750 €.
Dans le cas présent, c’est l’article 222-13 qui a été retenu. Cet article, revu à la hausse en 2021, 2018, 2017, 2016, etc., est une petite merveille du droit français. Il prévoit que des violences, même sans aucune conséquence physique (la jurisprudence admet la violence psychologique), sont punies de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, si elles sont perpétrées sur certaines personnes dont la qualité est détaillée au fil des alinéas. Dans le 4ème, on trouve les magistrats, les jurés, les avocats, les officiers publics ou ministériels, les membres ou agents de la Cour pénale internationale, les gendarmes, les policiers, les douaniers, les pénitentiaires ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique : pompiers, gardiens d’immeuble, agents de surveillance… Mais, il faut l’avouer, bien qu’ils aient balayé large, les parlementaires n’ont pas désigné le président de la République. La question s’est donc posée de savoir si le chef de l’État est ou non dépositaire de l’autorité publique, un peu comme le serait le vigile du supermarché du coin ! La Cour de cassation a tranché dans ce sens.
Pour mémoire, ce texte possède un effet balancier : il super-protège certaines personnes, mais il leur donne aussi des responsabilités particulières. C’est ainsi qu’une personne dépositaire de l’autorité publique encourt des peines identiques dans l’hypothèse où de victime elle devient agresseur.
Il y a quand même une interrogation qui devrait nous tarabuster : ce soufflet présidentiel est-il un geste politique ?
Tout le laisse à penser : la réaction unanime de la classe politique, le réquisitoire du procureur, l’attitude du gifleur et même sa condamnation. Mais comment déterminer si une infraction est politique ou de droit commun ?
Pour les crimes, c’est assez simple, il suffit de se référer à la peine encourue : lorsqu’il est prévu une peine de détention criminelle – et non de réclusion – c’est politique. Quand la peine de mort existait, le condamné était passé par les armes, une mort « plus noble » que la décapitation. Lors de la guerre d’Algérie, considérée à l’époque comme une opération de maintien de l’ordre, la question s’est posée pour les fellagas qui avaient pris les armes contre la France : la plupart ont subi la guillotine.
Aujourd’hui, les crimes visés au titre premier du livre quatrième du code pénal, consacré aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation sont politiques, car punissables de peines de détention criminelle. Par ricochet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’il en était de même pour les délits, « quels que soient les mobiles ayant animé son auteur » (Crim. 3 nov. 1999, n° 99-80.329).
Mais en dehors de ce contexte particulier, les hauts magistrats sont allés plus loin, en cherchant justement dans la motivation de certains actes délictueux l’existence ou non d’un objectif politique.
C’est ainsi que par un arrêt du 28 mars 2017 (15-84.940), elle a qualifié d’infraction politique le délit d’attroupement (un rassemblement sur un lieu public susceptible de troubler l’ordre public) prévu à l’article 431-4 du code pénal à la suite du recours d’un participant à une manifestation contre le barrage de Sivens.
Par cette décision, elle n’a d’ailleurs fait que renforcer une jurisprudence ancienne : l’attroupement est un délit politique. Il en va de même pour les délits prévus par le code électoral.
Alors, en pleine campagne électorale, la gifle de Damien ou les enfarinages qui semblent tenir la cote ces derniers jours, peuvent-ils être considérés comme des actes politiques ? À l’évidence, la justice ne l’a pas envisagé un seul instant et personne n’a soulevé le lièvre. Vous me direz, cela ne change pas grand-chose… En droit, non ! Ah si, selon l’article 397-6 du code de procédure pénale, la comparution immédiate n’est pas possible pour le jugement des délits politiques !
Comme toujours…, de la rigueur sous l’humour apparent… Georges ! (êtes le seul à avoir remarqué que le délit politique n’est pas susceptible d’être jugé en CI)…
Je ne résiste pas à copier-coller pareil blasphème : « La question s’est donc posée de savoir si le chef de l’État est ou non dépositaire de l’autorité publique, un peu comme le serait le vigile du supermarché du coin ! La Cour de cassation a tranché dans ce sens » 🙂 . Drolatique…
Merci, et bien belle journée !…