LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

J’ai été avocat

Le 3 avril 2012, François Fillon, alors Premier ministre, prenait un décret-passerelle qui ouvrait aux ex-ministres et parlementaires l’accès à la profession d’avocat, sans s’embarrasser de la formation théorique et pratique ni du certificat d’aptitude à la profession (CAPA). Une issue de secours pour des politiques à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Cette possibilité fut supprimée l’année suivante sous la pression du Conseil national des barreaux et du barreau de Paris et, d’une façon bien plus modeste, de ce blog. Un soutien à une profession qui m’était étrangère, dans un billet titré un peu vite : Moi aussi, je veux être avocat !

Cérémonie de prestation de serment

C’était pour de faux, évidemment.

Pas cap ! m’a dit quelqu’une, à deux doigts de remettre en cause ma virilité… morale.

Piqué au vif, je me suis lancé.

Les jeunes qui envisagent le barreau rament dure avant de revêtir la robe : au minimum bac+6. Mais il existe pas mal de petites portes, ce qui, à juste titre, doit les faire renâcler. Or justement, il se trouve que j’ai passé une partie de ma vie à ouvrir des portes pour avoir un jour le plaisir de les claquer.

Alors, je me suis renseigné…

Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans au moins dans une administration ou un service public sont exemptés de la formation et du CAPA (art. 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession), mais ils ne sont dispensés ni du diplôme universitaire ni d’un examen de contrôle des connaissances en déontologie et en réglementation professionnelle. (À la différence des commissaires de police, les magistrats qui veulent changer de robe sont inscrits directement au barreau sans être soumis à la condition légale du diplôme.)

Mon « certif’ » obtenu difficilement à 13 ans étant manifestement un peu léger, la première chose était de décrocher l’équivalent d’une maîtrise, diplôme minimum requis pour accéder au barreau. Je me suis donc rapproché de l’Université de Paris-Nanterre, non pas en souvenir de Mai-68, mais parce que j’avais lu que des enseignants de cette faculté se déplaçaient à la Maison d’Arrêt toute proche pour donner des cours à des détenus qui manifestaient l’envie de s’en sortir. Par un raisonnement simpliste et aujourd’hui non assumé, je m’étais dit : s’ils forment des taulards, ils doivent pouvoir former un ancien flic ! Je me suis donc engagé dans une approche circonspecte de « valorisation des acquis ». Un an et demi plus tard, grâce au soutien d’une équipe remarquable, au sens du service public affûté, je présentais un mémoire de 140 pages et le jury m’accordait un Master 2 en droit pénal et procédure pénale. Un diplôme dont je ne suis pas peu fier, car je peux vous dire un truc, à Nanterre, ils les coconnent leurs diplômes. J’avais 75 ans.

Après avoir obtenu l’avis favorable du Conseil de l’Ordre, il me restait à passer l’examen du contrôle des connaissances dont le programme est fixé par l’arrêté du 30 avril 2012. J’optais pour l’HEDAC de Versailles (Haute École des Avocats Conseils), qui se trouve à Viroflay. Mon premier passage devant le jury a été catastrophique. La présidente (qui ne s’est pas présentée) m’a demandé une pièce d’identité et à la vue de ma date de naissance, elle a levé les yeux au ciel : Qu’est-ce que c’est que ce vieux con ! Moins de douze, éliminé ! Deuxième essai, l’année suivante. Le président m‘a regardé avec un sourire bienveillant et un rien goguenard : 19 sur 20.

« Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. » Des mots qui claquent. Et début 2015, ému comme un collégien à son premier rencard, je levais la main droite devant des magistrats en robe rouge dans l’enceinte de la Première chambre de la cour d’appel de Paris. J’étais avocat. Juste à l’âge où on ne lit plus Les aventures de Tintin.

J’ai un peu dérapé, car au départ, je voulais écrire un billet sur ce projet de loi, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale qui vise à restaurer la confiance dans la justice, notamment en rapprochant l’institution judiciaire du citoyen. Et je m’étais dit qu’en passant d’avocat pro bono à celui de blogueur infiltré, j’aurais peut-être quelque chose à dire. Mais en fait non, il ne peut pas y avoir de confiance dans la justice si celle-ci campe dans sa tour d’ivoire. Il faut abattre les murs pour avoir de la lumière. (Sur ce blog : Avocats et magistrats : tentative de rapprochement)

C’est vraiment l’impression forte que je retiens de cette expérience au cœur de la justice : une boutique qui tourne sur elle-même et qui ne s’ouvre au public que sous l’influence des médias. Un monde où les petites gens ne sont rien.

Dans ce monde, longtemps, l’avocat a été roi. Ce n’est plus le cas. Il a perdu de sa splendeur en abandonnant la fonction sociale qui était la sienne, au profit du profit sans doute, mais surtout sous la pression de magistrats qui ne veulent rien perdre des prérogatives que leur accorde la loi. Gentiment, on dit encore de lui qu’il est « auxiliaire de justice », alors, qu’il est le seul dans le système judiciaire à se lever le matin en se demandant comment il va boucler sa fin de mois. Et ce n’est pas facile, car il passe son temps à attendre. Il attend le juge, il attend le dossier, il attend un retour du parquet, il attend (longtemps) que le greffier décroche son téléphone, il attend le client, il attend la date (toujours lointaine) de l’audience de la chambre de l’instruction, ou tout simplement il attend l’ordonnance du juge, et lorsque la décision tombe, trop souvent un vendredi, parfois à la veille d’un pont, il compte sur ses doigts le délai dont il dispose pour faire appel. En fait la justice cherche à s’organiser en dehors de l’avocat. C’est le pion rapporté, celui qui dérange et que les magistrats et les enquêteurs essaient autant qu’ils le peuvent de se passer. En enquête préliminaire, il ne dispose d’aucun pouvoir. Il ne peut pas intervenir auprès des enquêteurs ni pour connaître l’avancée d’un dossier, ni pour demander des éclaircissements sur la convocation de son client. Et si celui-ci est placé en garde à vue, la présence de l’avocat – qui n’a pas accès au dossier – est le service minimum de ce qu’on peut attendre d’un État de droit. Alors que la grande majorité des enquêtes pénales se traitent en préliminaire, celles-ci se montent entre initiés. Elles sont secrètes, un secret qui s’applique à l’avocat, à la victime et au suspect. C’est l’une des raisons pour laquelle le plus souvent celui-ci sera entendu en fin de chaîne, pour ne pas éveiller ses soupçons sur les soupçons qui pèsent sur lui. Question d’efficacité vous diront les flics, et c’est vrai. Mais quand même, utiliser tous les moyens de la puissance publique pour déshabiller quelqu’un sans qu’il s’en aperçoive. Euh…, c’est pas un peu gênant ?

On est loin des séries américaines où l’on voit les avocats discuter quasiment à égalité d’armes avec les magistrats, voire négocier ou proposer des alternatives aux poursuites.

L’enquête préliminaire est la bête noire de l’avocat pénaliste. Le projet de loi, qui sera discuté le mois prochain au Sénat, prévoit d’encadrer sa durée et de la rendre plus contradictoire. Autrement dit d’entrouvrir le dossier aux avocats des mis en cause, mais aussi, il faut l’espérer, des victimes. Inutile de dire que les procureurs et les enquêteurs sont vent debout contre cette éventualité : la préli, c’est leur pré carré. Si vous faites ça, vous allez casser la baraque ! Longtemps que la baraque ne tient plus debout. Tous les commissariats, toutes les gendarmeries, sont noyés sous les « pièces parquet » dont un grand nombre ne sont pas traitées et ne le seront sans doute jamais avant leur oubli ou la prescription. Et pourtant, derrière celles-ci, il y a un homme, une femme, qui attend une réponse de la justice.

Éric Dupond-Moretti, qui a mangé son chapeau sur la réforme de la cour d’assises, tiendra-t-il la distance sur ce projet dont, à l’évidence, il est l’instigateur. Même s’il ne fait que ça durant son mandat de ministre, je crois qu’il aura gagné l’estime de pas mal de gens, du moins parmi ceux qui ne sont ni procureur ni policier ni gendarme.

Aujourd’hui, au pénal, ce n’est que dans l’information judiciaire que l’avocat trouve sa raison d’être. Il a – enfin – accès au dossier et il peut demander au juge d’instruction d’effectuer certains actes de procédure. Et s’il tombe sur un bon juge, d’une certaine manière, il participe à l’enquête. D’ailleurs, je ne comprends pas que les avocats, lorsqu’ils représentent un plaignant n’aillent pas jusqu’au bout de l’absurdité du système en proposant à leur client dès que possible de se constituer partie civile afin de saisir un juge d’instruction. S’ils veulent tenir leur rôle, notamment auprès des victimes, les avocats doivent faire exploser l’enquête préliminaire à la française.

De cette expérience du barreau, je tire un tas d’anecdotes. De quoi faire un bêtisier. Comme ce petit juge de la très grande couronne parisienne qui au cours d’un audition trépigne, assénant au plaignant qu’il perd son temps à instruire sur des violences commises contre des animaux domestiques alors que les trafiquants de drogue courent les rues. Ou cet autre qui affirme dans une ordonnance de rejet que si l’expertise démontre effectivement que les empreintes digitales et les traces ADN relevées sur « l’arme du crime » n’appartiennent pas au mis en cause, cela ne signifie pas qu’il ne l’a pas tenue en main. Ou ce procureur qui décide de ne pas ouvrir une enquête pour vol sous prétexte que les faits remontent à quatre ans (alors que la prescription est de six ans depuis 2017) et que l’enquête sera trop compliquée (sous-entendu en fonction du préjudice). Ou cet OPJ qui fracture en pleine nuit la porte d’un appartement et effectue une perquisition sans témoin au cours de laquelle il procède à une saisie, et qui se défend de tout acte illégal en affirmant qu’il s’agissait de simples constatations. Des tonnes, je vous dis. Je me souviens de ce « vieux » professeur de droit qui disait à ses élèves policiers « Votre meilleure arme ce n’est pas celle que vous portez à la ceinture, c’est le code de procédure pénale. »

On n’écoute pas assez les anciens.

Les avocats sont tenus de faire chaque année vingt heures de formation continue. Et les barreaux tiennent une comptabilité rigoureuse. Cette formation est souvent payante et les frais de déplacement sont à la charge des cabinets. Les magistrats bénéficient de 5 jours de formation, tous frais payés, mais selon un document de 2017, seuls 56 % d’entre eux accomplissent cette obligation. Quant à la police nationale, elle ne dispose d’une direction centrale du recrutement et de la formation que depuis 2017 et il semble que sa priorité soit plutôt la formation initiale, notamment pour le maintien de l’ordre.

Cela explique sans doute en partie la faiblesse des connaissances procédurales de certains de ces professionnels. Mais lorsque l’on voit que les lois nouvelles sont sans cesse retoquées par le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel, on peut se montrer magnanime avec ceux qui sont chargés de les mettre en application.

Contrairement à mon habitude, je n’ai pas claqué la porte du barreau. J’ai raccroché il y a quelques semaines. Des métiers, j’en ai fait beaucoup, mais je vais vous faire une confidence, au cours de ces quelques années d’exercice, j’ai rencontré des hommes des femmes qui prenaient sur leur temps pour écouter des personnes dans la panade, pour les aider, pour les soutenir. Bien sûr, il faut gagner sa croûte, mais dans leur quotidien, bon nombre d’avocats l’oublient. Surtout les pénalistes. Il y a de la noblesse dans ce métier. Je me souviens d’un confrère qui a dû passer une semaine à rédiger un mémoire pour une cliente sans le sou. Combien de son temps le juge a-t-il pris pour lire ce document et prendre sa décision ?

Allez, j’ose le dire : avocat, c’est un beau métier.

3 Comments

  1. fada

    Il ma semble bien qu’un certain Francois Mitterrand avait lui aussi fait passer un decret stipulant que les personnes  »ayant constitue une bibliotheque » entre telles annees de l’occupation et d’autres conditions absconces pouvaient devenir avocat de droit.
    Une seule personne en France a pu beneficier des avantages de ce decret, un certain…..Francois Mitterrand.

  2. Janssen J-J

    Le blog va t il survivre à l’avocat ?…
    Je l’espère…. On a besoin de la richesse de vos expériences vécues, de l’humanisme qui les inspire, de vos observations pénétrantes et plutôt apaisantes sur le monde difficile et cruel dans lequel vous avez toujours évolué, la foi au prix du doute.. Merci pour cet émouvant témoignage, Georges M. Et bon repos,

  3. Marie

    Merci pour ce beau texte, je suis avocate pénaliste et j’ai la larme à l’oeil en vous lisant.

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