Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.
Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.
Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.
Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !
C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture.
L’enquête qui a suivi s’est terminée par un non-lieu, mais aujourd’hui, pour des faits identiques, il n’y aurait sans doute même pas d’enquête. Il n’est pas inintéressant de voir l’évolution de la société, alors que les policiers du temps présent appliquent de façon quasi systématique ce principe : il vaut mieux faire le boucher que le veau.
Aimé-Blanc dira plus tard qu’il aurait préféré monter les marches du Palais de Justice avec son prisonnier les bracelets aux poignets. Ç’aurait été plus classe…
Broussard et Aimé-Blanc, ces deux grands flics qui ont marqué leur époque dans la lutte contre le grand banditisme étaient jusqu’alors des rivaux, mais ils s’estimaient. L’affaire Mesrine creusa une fracture : l’un était de trop.
Aimé-Blanc fut d’abord bombardé chef de la 4ème section de la DCPJ, poste en principe plutôt sédentaire, mais c’était mal connaître le bonhomme… En février 1982, il est nommé directeur du SRPJ de Lille, un poste qu’il n’avait pas sollicité et pour lequel il n’était probablement pas fait. Mais c’était encore trop près de Paris. Après un zigzag administratif, il se retrouve à Conakry, en Guinée.
Comme il aimait dire, « On n’aura pas fait carrière, mais on s’est fait des souvenirs… » Et, si je puis me permettre, j’ajouterais qu’on s’est bien amusés.
Lucien Aimé-Blanc a été incinéré ce jour, à Wattrelos, près de Lille, où il résidait. S’il existe un paradis pour les flics, sûr qu’il va ressortir sa guitare…
« ÎOn aura pas fait carrière mais on s’est fait des souvenirs » je trouve cette phrase formidable. Ceux qui font carrière me laissent de marbre….
Bel article Georges.
Triste fin pour mon ancien taulier qui n’a eu apparemment que la chaleur de quelques grognards et du personnel de l’ehpad pour l’accompagner ces derniers temps. Ça n’a pas suffit. Il est allé rejoindre son fidèle pote Bernard. Leurs retrouvailles seront fécondes à n’en pas douter.
RIP Lulu
Superbe hommage. Oui, aux côtés de Lulu, nous nous sommes tous amusés mais c’était une époque, c’était la PJ. Peu importait la manière, pourvu qu’on ait des résultats ! Et Lulu il en a eu des succès contre les malfrats…
C’est, sans aucun doute, un peu couillon à dire mais le départ de Lulu me fait de la peine. Et dire que ce « personnage » est mort, seul, dans un EPAHD.
Eric Yung
bravo. on ne disparaît vraiment que quand la mémoire s’éteint. Merci beau mec !
Chouette article. Merci !