Après le livre de Vanessa Springora, dans lequel elle dénonce le comportement de l’écrivain Gabriel Matzneff, le parquet de Paris a décidé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viols sur mineur de 15 ans. Les faits se seraient déroulés dans les années 1980.
Généralement, le substitut du procureur qui prend connaissance d’une plainte vérifie si l’infraction dénoncée s’est déroulée « dans un temps non prescrit » : 1 an pour les contraventions, 6 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes et même parfois 30 ans. La lecture est rapide, et si les faits sont trop anciens, il a tôt fait de cocher la case « extinction de l’action publique ».
Il en va différemment pour les infractions sexuelles : depuis #MeToo, les dossiers sont étudiés avec plus d’attention, afin de permettre à chacune des victimes d’avoir accès à la justice, et cela même si les infractions semblent prescrites.
Pour une fois que la justice est humaine, personne ne va s’en plaindre !
À Paris, c’était la position du procureur François Molins et c’est également celle de M. Rémy Heitz, son successeur. Il faut dire que le législateur leur a grandement facilité la tâche par la loi promulguée le 6 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Celle-ci porte à 30 ans le délai de prescription, à compter de la majorité de la victime (art. 7 du code de procédure pénale), pour le crime de viol commis sur un mineur. Tandis que pour les délits d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle le délai reste de 20 ans après la majorité.
« Cet allongement de la prescription de l’action publique permettra de donner aux victimes le temps nécessaire à la dénonciation des faits, notamment pour prendre en compte le phénomène de l’amnésie traumatique… », peut-on lire sous la signature de Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, dans la circulaire d’application du 3 septembre 2018. Celle-ci mentionnant d’autre part que la nouvelle loi s’applique aux personnes nées après le 6 août 1980, qui ont donc atteint leur majorité en 1998, soit 20 ans avant la promulgation de la loi.
Pourquoi 20 ans ? Cela correspond à l’ancien délai de prescription, car si la prescription est déjà acquise, la nouvelle loi ne s’applique pas.
Je sais, c’est compliqué, mais je ne suis pas sûr que les explications de la ministre de la Justice soient plus explicites : « Conformément à l’article 112-2 (4°) du code pénal, ces dispositions s’appliquent immédiatement aux cas dans lesquels la prescription n’est pas déjà̀ acquise, c’est-à-dire pour les crimes commis sur des mineurs nés à compter du 6 août 1980 et qui ont atteint leur majorité́ après le 6 août 1998, soit moins de 20 ans avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 6 août 2018. »
En fait, c’est un raccourci malheureux, car un viol commis il y a plus de 20 ans peut très bien ne pas être prescrit, puisque, selon l’article 9-2 du code de procédure pénale, tout acte d’enquête, d’instruction, jugement, etc., interrompt le délai de prescription et « fait courir un délai de prescription d’une durée égale au délai initial ».
On le voit, il n’est pas facile de s’y retrouver dans le dédale des lois qui ont modifié les délais de prescription ces dernières décennies (9 en 30 ans). De ce fait, chaque cas devient un cas particulier et il faut donc se livrer à une véritable enquête sur l’enquête pour savoir si oui ou non l’infraction est prescrite.
Une complexité sur laquelle s’est penchée la Cour de cassation, dans un arrêt qui fait date (Crim. 25 mai 2016, n° 15-81.511), en deux mots, elle confirme qu’à chaque changement de loi, une prescription remplace l’autre.
Prenons l’exemple d’une personne X née en 1972, comme Mme Springora, qui aurait été victime d’un viol dans son enfance, à l’âge de 14 ans. Nous sommes donc en 1986. À l’époque, le délai de prescription est de 10 ans. La prescription est donc acquise en 1996. Pas de chance, car deux ans plus tard, le délai n’aurait commencé à courir qu’au jour de sa majorité, ce qui aurait porté la limite à l’an 2000 (1972 + 18 + 10). Mais tout n’est pas perdu, car s’y il y a eu une plainte, une enquête…, le délai est réinitialisé après le dernier acte de justice.
Si la personne X dépose plainte à sa majorité, c’est-à-dire en 1990, cela interrompt le délai de prescription, lequel repartira à zéro au dernier acte de l’enquête, si du moins celle-ci n’a pas abouti. Supposons que le dossier ait été classé 4 ans plus tard : en 1994, un nouveau délai de 10 ans démarre et la prescription de ce crime ne sera acquise qu’en 2004.
Sauf qu’en 2004, une nouvelle loi a porté le délai à 20 ans après la majorité pour les crimes sexuels contre des mineurs. Les lois sur la prescription de l’action publique étant applicables immédiatement, ce viol commis sur un mineur en 1986 sera donc prescrit en 2014.
Mais si l’enquête initiée en 1990 avait duré 4 ans de plus, tout aurait été décalé d’autant et la loi de 2018 aurait été applicable, portant la prescription à 2028.
Jusqu’à la prochaine loi…
Tout cela n’est pas utile pour les faits révélés par Vanessa Springora, puisqu’il semble qu’aucune plainte n’ait jamais été déposée ni par elle ni par ses parents, sur les relations sexuelles sous contrainte qu’elle dit avoir eues avec Gabriel Matzneff alors qu’elle était adolescente. On peut donc dire sans grand risque de se tromper que le romancier qui a revendiqué le droit d’avoir des relations sexuelles avec des enfants, avec la bénédiction du Tout-Paris de l’époque, peut dormir sur ses deux oreilles. Même la citation devant le tribunal judiciaire de Paris pour apologie de crime, émanant de L’Ange Bleu, une association qui lutte contre la pédophilie, n’a guère de chance d’aboutir. Elle est du domaine du symbole.
Cette quasi-certitude d’extinction de l’action publique rend juridiquement assez incompréhensible l’enquête initiée par le parquet de Paris. Les plus négatifs considéreront que c’est une réponse hypocrite à l’impact médiatique de ce livre-confidence, et les autres, comme un appel à légiférer de nouveau pour que les agressions sexuelles sur des enfants soient une fois pour toutes rendues imprescriptibles. Afin que les pédophiles gardent à jamais une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
Ce qui est drole est que la justice ne s’est pas saisie lorsque mazneff a avoué qu’il aimait les enfants, il y aurait eu pourtant de quoi ouvrir une enquête me semble t’il.
De même la justice fut assez lente à la détente lorssque Epstein fut condamné aux USA pour ses mineures alors que le fait qu’il ait une propriété en france aurait justifier au moins une enquêtes. Ne chercherait-onm pas par une fausse sévérité aujourd’hui à couvrir ce type d’oublis?
Cher Georges,
Ce petit mot pour vous dire qu’un de mes livres sort prochainement ( Commis d’office-Chronique de garde à vue) aux éditions de Mareuil et j’ai demandé à Louis de Mareuil, qui vous connaît par ailleurs, de vous le faire parvenir.
J’espère que ce petit mot vous trouvera en bonne santé.
Bien à vous.
Votre confrère, Thierry Chevillard
Merci Thierry, je l’attends avec impatience.
Petit rappel à Didier Lallemand, préfet de police de Paris :
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« Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force.
Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre réputation.
Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d’entre vous, que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.
Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d’outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.
Je suis allé toutes les fois que je l’ai pu au chevet de nos blessés, et c’est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu’au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.
Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.
C’est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.
Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.
Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.
Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je le répèterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu, l’avenir de la préfecture de police.
Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites.
Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s’ils ne le disent pas.
Nous nous souviendrons, pour terminer, qu’être policier n’est pas un métier comme les autres ; quand on l’a choisi, on en a accepté les dures exigences mais aussi la grandeur.
Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.
Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l’œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j’entreprends et qui n’a d’autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la nation. »
Ce texte est il de vous? (il commence par des guillemets. Qui citez vous? -au vu des projections d’acide évoquées et de la durée -25 jours- , je le situerais vers mai 1968)
Est ce que Didier Lallemand lit la section commentaires de ce blog?
Quel est le rapport, fût il lointain, entre ce texte et le sujet?
parce que je suis tenté de glisser un peu d’éloges … des tribunaux belges, qui connaissent la LOI et savent faire la diffèrence entre une organisation terroriste et une organisation de résistance armée.
cf
https://www.kurdistan24.net/en/news/93c71fbc-6634-4d2c-8729-2d2ea1f0bdd8
En donnant raison au PKK, ils ont infligé une manchette belge (la manchette ottomane consistait, il y a un siècle, du côté des Dardanelles , à ‘neutraliser’ sournoisement et en toute ignorance de l’anatomie des sentinelles alliées d’un coup sec sur la nuque.
Elle était basée sur la lâcheté et la force brute, et reste prisée des trolls d’Erdogan et des Loups Gris (‘jeunes idéalistes’).
La manchette belge, de son côté, est basée sur la loi, la liberté, l’intelligence et la civilisation.
non, car toute emprise de l’un sur l’autre n’implique pas nécessairement un acte sexuel non consenti. D’autant que l’emprise sexuelle de la victime sur un agresseur non sexuel est souvent un fait avéré sur le plan criminologique. Relire Marcela Iacub.
A propos de Mme Springora et de M. Matzneff vous évoquez des « relations sexuelles sous contrainte ».
Est-ce faire preuve d’un excessif, voire coupable, souci de précision que de parler plutôt, dans ce cas précis, de « relations sexuelles sous emprise » ?
En l’occurrence je ne sais pas quelle serait la conséquence d’un tel distinguo, si celui-ci devait être maintenu…
Comme souvent, la loi se confond dans un clair obscur qui ne déparerait pas chez Le Caravage..
Mehr Licht! (plus de lumière!), dernières paroles, peut-être apocryphes, de Goethe.
Merci pour votre blog toujours aussi prenant.
Je vois avec étonnement qu’un écrivain oublié, présumé violeur et innocent, n’est pas anonymisé, à la différence du duo performant des violeurs du Quai des Orfèvres, condamnés sous leurs sanglots (les sanglots longs des violons?) en mars 2019.
Très souvent, dans la cathosphère (au Possygrabberstan, la moitié des évéchés US -pour le moment- a été mise en faillite à la suite d’affaires de viols sur mineurs), le viol est signalé tardivement, les victimes attendant que leur popa et leur moman soient morts pour ne pas susciter de desespoir et de culpabilité chez leurs géniteurs, qui les auraient confiés à des pères verts.
Heureusement qu’il y a une façon de contourner tous ces délais de prescription (qui n’auraient pas lieu d’^tre si la justice avait des archives fiables et facilement accessibles et un effectif suffisant)
Une pratique moyen âgeuse (et cautionnée par l’Eglise Catholique, qui avait le monopole des mariages) consistait à faire épouser la victime d’un viol (hors inceste, vraisemblablement) par son violeur et d’arrêter les prises de t^tes chez les juges.
Sous l’influence croissante de la parole de Dieu, les parlementaires turcs sont en train de ressusciter cette idée (pourtant bien chrétienne) cf https://www.independent.co.uk/news/world/europe/turkey-marry-rapist-bill-child-marriage-a9296681.html
L’avantage d’une telle loi, qui devrait être importée, est gigantesque:
on n’a plus besoin de s’ennuyer avec les délais de prescription, qui ont causé un certain ramollissement cérébral chez notre saint Primate des Gaulles, Monseigneur B : dans le cas du père P., défroqué, le mariage ne semble pas un problème. Il suffit d’autoriser la polygamie (le père P. était un violeur en série, semble-t-il) , et, pour ce faire, de demander aux curés chastes d'(organiser, toutes cloches sonnantes, des manifs pour toute la fRance.
Dans le cas des deux policiers exemplaires -quoique chouinants-, le fait d’épouser leur victime les emmênerait au Canada: pas la peine de leur payer un pognon de dingue pour leur retraite durement gagnée
Nous devrions leur envoyer l’exmple d’un président francais qui serait peut-être tombé sous le coup de cette loi pour les convaincre des défauts et danger d’une telle législation