LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990…

L’attentat manqué du nouveau millénaire

Lors du débarquement d’un ferry-boat, à Port-Angeles, à la frontière entre le Canada et les États-Unis, une agente interroge le conducteur d’une Chrysler grand sport. Il lui paraît mal à l’aise. Elle fait signe à ses collègues…

Nous sommes le 14 décembre 1999, ce jour-là, grâce au flair d’une fonctionnaire des douanes, les États-Unis ont évité un attentat qui aurait marqué symboliquement le passage à l’an 2000. Un attentat colossal, car ce sont 59 kilos de matières explosives et quatre systèmes de mise à feu par temporisation qui seront découverts lors de la fouille du véhicule. Pris en charge par le FBI, le suspect reconnaîtra que son objectif était l’aéroport de Los Angeles.

Cet attentat manqué est sans doute la première action de grande envergure envisagée par Ben Laden pour faire plier le géant américain.

L’homme qui a été arrêté s’appelle Ahmed Ressam. C’est un Algérien de 32 ans qui a résidé en France plusieurs années. Il est entré au Canada quelques années plus tôt avec un faux passeport français, son nom apparaît dans un dossier traité par le juge Bruguière : le gang de Roubaix.

Les médias américains l’ont surnommé « The millenium bomber ».

Le gang de Roubaix

Après les accords de Dayton du 14 décembre 1995 qui mettent un terme à la guerre de Bosnie, les miliciens étrangers qui défendaient la cause musulmane sont priés de rentrer chez eux. C’est ainsi qu’un groupe de Français, désemparés, mais ayant goûté à la puissance des armes, décide d’apporter son concours à « la mouvance islamiste internationale » qui, plus tard, sera désignée sous le nom d’Al-Qaïda. Ils rejoignent alors un réseau international qui s’est mis en place autour de Fateh Kamel, lequel a choisi Montréal pour quartier général.

Kamel est le « parrain » d’Ahmed Ressam.

Né en 1960 dans les faubourgs d’Alger, il a émigré au Canada en 1987. C’est un disciple de Ben Laden. Il a d’ailleurs suivi un entraînement militaire dans l’un de ses camps, en Afghanistan.  Mais il mène une double vie et cache son activité terroriste sous une façade. Même son épouse ne sait pas tout sur lui. Pour les services français, c’est un soutien de haut rang dans l’action terroriste du GIA sur notre sol.

Parmi ses nombreuses relations, il y a deux Français du gang de Roubaix : Christophe Caze et Lionel Dumont, tous deux originaires de Roubaix.

Le premier a cinq ans de médecine derrière lui lorsqu’il décide de partir en Bosnie où il se convertit à l’Islam. Il a comme guide religieux Abou Hamza, alias « Hook », en raison du crochet qu’il porte pour remplacer la main qu’il a perdue en manipulant des explosifs en Afghanistan. Cet imam dirige depuis Londres le journal du GIA El-Ansar. Il est le leader d’un groupe prônant la stricte application de la charia dans lequel on trouve Abu Musab Al-Suri. Celui-ci, de son vrai nom Mustafa Sethmariam Nasar, est un ancien expert militaire, mais aussi un maître à penser musulman. Il est considéré comme le principal idéologue de la troisième génération du djihad salafiste : le djihad global. Alors que Ben Laden prône des attaques spectaculaires, propres à flatter son égo démesuré, lui envisage un terrorisme de proximité, basé sur la révolte d’une jeunesse musulmane mal intégrée dans les pays occidentaux. Une sorte de piège en forme d’entonnoir qui doit aboutir à l’autodestruction d’un État plutôt qu’à sa destruction.

C’est la situation aujourd’hui en France.

Le second, Lionel Dumont, appartient à une famille catholique de huit enfants et se destine au métier de journaliste. Après son service militaire, effectué en grande partie à Djibouti, il décide de gagner la Bosnie. On le retrouve l’arme à la main dans un bataillon de moudjahidines. De retour en France, il se fait appeler Abou Hamza.

Ces deux-là vont réunir autour d’eux un gang de braqueurs « Les Ch’tis d’Allah », dont le but premier sera d’assurer le financement du djihad. En tout, ils sont neuf. Du moins neuf à être identifiés par les enquêteurs. Les premiers djihadistes français, ce sont eux. Ils commencent par des attaques de piètre envergure. Puis, après être allés en Bosnie chercher des armes lourdes et des explosifs, ils décident de changer de braquet. Fini les petits boulots. À deux reprises, ils échangent des coups de feu avec les forces de l’ordre et, le 25 mars 1996, ils attaquent un fourgon blindé au bazooka sur le parking d’un magasin Auchan, à proximité de Roubaix. Ils font chou blanc, mais un convoyeur de fonds est grièvement blessé. Le 28 mars 1996, ils placent une voiture piégée devant le commissariat central de Lille, deux jours avant la réunion du G7. Le système de mise à feu ne fonctionne pas.

L’assaut du RAID

Mais les enquêteurs de la PJ de Lille les ont localisés. Ils font appel au RAID pour donner l’assaut à leur planque. Les superflics font sauter la porte et ils sont accueillis par des rafales de Kalachnikov. Ils ripostent. Le tir est nourri. Un policier a un poumon perforé malgré son gilet pare-balles. Les assiégés sont déchaînés. Ils hurlent « On se rendra jamais ! » L’un d’eux jette une grenade depuis l’étage. La déflagration enflamme un matelas. Le feu se propage rapidement et la maison finit par s’effondrer en partie. Les pompiers retireront quatre corps des décombres. Deux sont morts brûlés vifs et les deux autres ont été tués lors de la fusillade. Le RAID aurait tiré environ 1000 cartouches. Un tir de saturation, comme on dit aujourd’hui.

Après cet assaut suivi par toutes les caméras du monde, le ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré, fera la déclaration suivante : « Cela n’a rien à voir ni avec l’islamisme, ni avec le terrorisme, ni avec le G7. Donc, on en reste là ! »

Celle-là, on peut l’encadrer.

Deux « non-terroristes » sont repérés peu après par les policiers belges. Nouvelle fusillade, Caze est abattu tandis que Zemmiri, quoique blessé, parvient à s’échapper. Il prend deux femmes en otage, avant finalement de se rendre.

Lors du procès, son avocat, Me Dupond-Moretti dira de son client, Omar Zemmiri, qu’il s’agit d’« un brave type qui, pris de panique, n’a pas su se maîtriser ».

Celle-là aussi, on se la garde.

Quant à Dumont, il sera arrêté en Allemagne en 2003.

Seddick Benbahlouli, qui vient de découvrir le confort de nos prisons, ne se trouvait pas dans la planque lors de l’assaut du RAID. Sa place est assez mal connue dans le gang, mais il a aidé Hocine Bendaoui dans sa cavale : l’Italie, la Turquie puis la Belgique, où il ouvre boutique.

Arrêté par la PJ de Lille, Bendaoui se laissera aller à quelques confidences. Les enquêteurs trouveront sur lui, un numéro de téléphone codé, celui de Fateh Kamel, au Québec ; tandis que les policiers belges remonteront une vingtaine d’appels concernant ce dernier. Je sais, c’est compliqué, mais vous vous souvenez, Fateh Kamel, qui à l’époque hébergeait Ahmed Ressam, celui qui devait faire sauter l’aérogare de Los Angeles. Vous suivez toujours, sinon, vous pouvez lire mon livre Dans les coulisses de la lutte antiterroriste (First, 2016).

Retour sur l’attentat du 11-Septembre

Devant les 130 ans de prison qui l’attendaient, finalement, Ahmed Ressam avait préféré négocier avec les agents du FBI, qui, s’ils l’avaient pris au sérieux, auraient peut-être pu éviter l’attaque sur les tours jumelles du WTC. Il leur a fourni de nombreux noms, dont celui de Zacarias Moussaoui, né à Saint-Jean-de-Luz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Lequel était prévu pour être aux commandes de l’un des avions détournés, mais il a été arrêté trois semaines avant les attentats, non pas à la suite des déclarations de Ressam, mais parce qu’il prenait des cours de pilotage sur un simulateur de vol Boeing 747, alors qu’il ne possédait même pas de licence.

 Ce n’est pas du terrorisme

Après l’arrestation d’Hocine Bendaoui, le benjamin du gang de Roubaix, le procureur a déclaré : « Aucun lien avec un réseau terroriste ou une organisation structurée n’a pu être établi ». Des mots qui sonnent bizarrement aujourd’hui, alors que même les activistes écolos sont taxés de terrorisme.

Le panier est plein – ou presque : En 2001, les Ch’tis d’Allah sont jugés par une cour d’assises, non pas comme des terroristes, mais comme des bandits de grand chemin. Ces jeunes hommes, condamnés à des peines criminelles, ne sont donc pas des terroristes aux yeux de la loi, mais des délinquants ordinaires.

Et du coup, on frôle la prescription

En France, la prescription d’une peine criminelle qui n’a pas été exécutée est de 20 ans – sauf pour certaines infractions particulièrement graves, comme les infractions terroristes, pour lesquelles elle est de 30 ans.

Or, si une peine par contumace était imprescriptible, il n’en est pas de même pour la procédure de « défaut criminel » qui, en 2004, l’a remplacée.

On fait les comptes : Seddik Benbahlouli a été condamné par contumace en 2001, il a été arrêté en 2023.

Aïe aïe aïe !

Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’il y ait eu des actes interruptifs de la prescription de la peine. Avant une loi de 2012, la réponse aurait été non, car, pour schématiser, seule l’arrestation du condamné interrompait la prescription. Depuis cette date, pour contrer la jurisprudence de la Cour de cassation, l’article 707-1 du code de procédure pénale a été modifié. Il dispose maintenant que la prescription d’une peine est interrompue par un acte ou une décision du ministère public ou des juridictions de l’application des peines. Le simple fait pour le ministère public de saisir un service de police ou de gendarmerie, sur le fondement de l’article 74-2, aux fins de rechercher et d’appréhender un condamné en fuite, constitue désormais un acte interruptif de prescription.

Autrement dit, si les enquêteurs ont été saisis officiellement par le parquet d’effectuer des recherches avant le 18 octobre 2021, date normale de la fin de prescription, Seddik Benbahlouli effectuera ses 20 ans de réclusion ou, s’il en fait la demande, il sera rejugé.

Dans ce cas, nous assisterions au jugement d’un terroriste devant une cour d’assises composée d’un jury populaire. Une première depuis la loi de 1986 qui a ouvert la porte au droit pénal antiterroriste.

Et si ce n’est pas le cas, il pourrait, tout comme le tueur fou de l’Ardèche, échapper à toute sanction.

2 Comments

  1. Adjudant Tifrice

    Il y a une chose qui me tracasse avec la prescription:
    * s’agit il d’une astuce pour remettre à jour les recherches (autrefois, les recherches n’étaient pas automatisées: il fallait, me semble-t-il, un travail fastidieux et chronophage pour retrouver un delinquant; maintenant, si les archives sont digitalisées, cette recherche est très rapide)
    * ou considère-t-on qu’au bout de quelques décennies, un délinquant s’est assagi : ce point de vue ôte tout caractère dissuasif à la loi (ex: savoir que, même centenaire, on devra expier un viol / la participation -très subalterne- à un génocide dissuadera un sale jeune).

    Je vois donc une raison technique, qui est caduque (archivage informatique) et une raison « philosophique » (assagissement de délinquants, ôtant tout caractère dissuasif) à cette prescription.

  2. TRENQUE alias TRQ

    Avec en prime CONTY : Merci Georges , ton boulot clair et précis devrait figurer au programme des écoles ( Police et Justice…).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑