Ce lundi 3 avril s’ouvre le procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Une synagogue dont l’inauguration, en 1907, est considérée comme un acte fondateur du courant libéral du judaïsme français, dans lequel notamment les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité. La question se pose de savoir si l’accusé, Hassan Diab, sera jugé pour un crime terroriste, infraction qui n’existait pas à l’époque des faits.

La fiche d’hôtel, cote D871 de la procédure, le noeud de l’affaire

C’était le 3 octobre 1980. En fin d’après-midi, une moto stationnée à quelques mètres de la porte d’entrée de l’édifice religieux explose, faisant 4 morts et 46 blessés, dont le gardien de la paix en faction sur le trottoir. C’est le premier attentat antisémite commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce début des années quatre-vingt, le pouvoir doit faire face aux violences urbaines, qui bientôt embraseront les banlieues ; et au terrorisme intérieur, notamment d’Action directe, dont une frange vient d’être neutralisée par les RG. En fait, personne n’est préparé au terrorisme extérieur, antisémite ou non. Il faudra attendre 1982 pour que la DST crée une section antiterroriste. Aussi, à moins d’un an des élections présidentielles, alors que Le Pen grimpe dans les sondages, l’auteur désigné est forcément néonazi. La police judiciaire perd un temps fou à suivre de multiples pistes auxquelles elle ne croit pas. Bizarrement, alors que la majorité présidentielle s’est inversée, on retrouvera la même réaction politique deux ans plus tard, lors de l’attentat de la rue des Rosiers.

Or, loin des charivaris du pouvoir, pour les enquêteurs, les deux attentats antisémites ont la même origine : un groupe dissident de l’OLP de Yasser Arafat, un noyau dur dont le chef de guerre est Abou Nidal.

Invité à réagir à chaud à l’attentat de la rue Copernic, sous les caméras de TF1, le Premier ministre, Raymond Barre, lâchera cette phrase désastreuse qui lui collera à la culotte : « Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic […] mérite d’être sévèrement sanctionné. » Sans doute voulait-il dire que les quatre personnes décédées se trouvaient à l’extérieur du bâtiment… Mais le mal était fait. Il tentera de se récupérer quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, dans un discours plus académique, s’interrogeant sur l’équilibre à garder entre libertés individuelles et sécurité, pour conclure d’une phrase qui aujourd’hui sonne à nos oreilles – basses : « Pour le prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire. »

Il n’y a rien pour démarrer l’enquête – sauf la moto. Elle a été achetée chez un commerçant de l’avenue de la Grande Armée, quelques jours avant l’attentat, par un homme caché derrière une fausse identité chypriote. Il l’a payée en liquide. S’ensuit un travail de fourmi pour étudier les « fiches individuelles de police » qu’à l’époque les hôteliers avaient obligation de faire remplir à leurs clients. En fait, elles avaient été supprimées quelques années plus tôt à la demande du président Giscard d’Estaing, dont l’un des amis s’était plaint d’avoir eu à montrer sa carte d’identité lors d’un cinq à sept extraconjugal. Heureusement, cette obligation était restée en vigueur pour les étrangers. Le suspect est un individu qui se fait appeler Alexander Panadriyu. Il est descendu dans un hôtel de la rue Balzac, le 22 septembre 1980.

Les divers témoignages permettent d’établir un portrait-robot de l’individu. Et l’enquête s’arrête sur ce dessin et ce pseudonyme. Il faudra attendre 1999 pour que les services de renseignement avancent de nouveaux éléments, dont certains proviennent probablement des archives d’anciens pays de l’Union soviétique. Le suspect pourrait être un certain Hassan Diab, un Libano-Canadien d’origine palestinienne, né en 1953 à Beyrouth, enseignant en Ontario, au Canada.

À la demande des autorités françaises, il est arrêté en 2008 et finalement extradé vers la France en 2014, sur fond de polémique (le Canada accepte l’extradition de ses nationaux, pas la France). Trois ans plus tard, au vu d’éléments tendant à démontrer qu’il se trouvait à Beyrouth au moment des faits, Hassan Diab est libéré. Il regagne le Canada. En 2018, il bénéficie d’un non-lieu, en raison de charges peu probantes de culpabilité, selon les magistrats instructeurs.

De recours en recours, Diab est finalement renvoyé devant une cour d’assises « spécialement constituée ». C’est le procès qui s’ouvre aujourd’hui. Les autorités canadiennes ayant refusé une nouvelle extradition, il a fait dire qu’il ne serait pas là.

Les charges contre lui semblent légères : les portraits-robots, la découverte en Italie d’un passeport à son nom, portant les tampons d’entrée et de sortie d’Espagne, pays d’où serait parti le commando terroriste, un double témoignage sur son appartenance au Front populaire de libération de la Palestine – Opérations spéciales (FPLP-OS)), « des blancs » des services de renseignements, et des comparaisons d’écriture entre celui qui se faisait appeler Alexander Panadriyu et Hassan Diab. Des expertises graphométriques (la graphologie vise plutôt à l’étude de la personnalité du scripteur) qui disent blanc, et d’autres qui disent noir. Ces analyses d’écriture sont rarement convaincantes.

Ce jugement sur un attentat commis il y a plus de quarante ans se fera donc sans jury populaire et sans accusé. Or, depuis la loi Perben II de 2004, la condamnation par contumace a été supprimée. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, c’était la norme en matière criminelle, lorsque l’accusé était absent à son procès. Si par la suite, il était arrêté, il était rejugé, et cela quel que soit le temps écoulé depuis son procès. Car la raison même de la contumace était d’éviter la prescription (sur ce blog, Lorsque le droit sert le criminel).

On parle aujourd’hui d’un jugement par « défaut criminel ». Avec une différence de taille : la prescription de la peine court une fois la sentence définitive, étant entendu que l’appel est impossible. Aussi, pour éviter qu’un criminel en cavale échappe à la justice, le président d’une cour d’assises peut très bien renvoyer l’affaire à une session ultérieure et se contenter de délivrer un mandat d’arrêt.

En matière criminelle, le délai de prescription de la peine est de vingt ans, sauf pour certains crimes où il est de trente ans. C’est le cas en matière de terrorisme. Or, le mot « terrorisme » n’est entré dans le droit français qu’en 1986, année de la création d’une juridiction spécialisée, et ce n’est qu’en 1992 qu’une loi a inséré les actes de terrorisme dans le code pénal pour en faire des infractions spécifiques et plus sévèrement sanctionnées.

Les magistrats qui composent la cour d’assises antiterroriste auront donc à se prononcer sur des crimes de droit commun. Si Hassan Diab est reconnu coupable, pour lui, c’est la prison, ou vingt ans de cavale.

 


Le 21 avril 2023, la cour d’assises spéciale a condamné Hassan Diab à la réclusion criminelle à perpétuité. Absent à son procès, il fait dorénavant l’objet d’un mandat d’arrêt international.