C’est le genre de question piège qu’on vous pose généralement entre le fromage et le dessert, et il y a quelques jours, ça n’a pas manqué ! Et si sa libération était un piège des poulets ! a renchéri quelqu’un. J’ai levé mon verre. Un rayon de soleil s’est accroché à la robe pourpre d’un Saint-Amour 2005 ; dans le ciel, un avion traçait un sillage vers l’ouest ; la pollution était normale : bien trop élevée. J’avais envie de répondre un truc du genre j’en sais rien et j’en ai rien… Et puis, je me suis dit que le contrôle judiciaire valait bien une petite réflexion.
Que je vous livre. Sous toutes réserves.
Le principe de droit est fixé par l’article 137 du Code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois (…) elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire (…) Elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ».
Dans la pratique, il faut bien admettre qu’après sa mise en examen un présumé innocent devient vite un présumé coupable. Ce qui a été le cas pour Julien Coupat. À tel point qu’à l’issue de sa détention provisoire on a entendu des commentaires du genre : Vous voyez bien qu’il est innocent, puisqu’il est libéré ! Et que le procureur de Paris a dû se fendre d’une explication pour assurer que la fin de sa détention provisoire « ne saurait être interprétée comme le signe de l’absence ou l’insuffisance de charges ».
Donc, après six mois d’emprisonnement, le voici placé sous contrôle judiciaire. Avec des obligations piochées dans l’article 138 du CPP (plus de 2 pages dans le Dalloz) et qui en soit n’ont rien d’extraordinaires. Il est astreint à résidence, il doit pointer toutes les semaines, ne pas voir ou parler aux autres mis en cause, et verser une caution de 16.000 €. On peut trouver qu’il s’agit là d’une somme élevée, mais son montant doit en principe être raccord avec ses ressources. Elle est considérée comme « une garantie de représentation ». Une fraction pourra lui être remboursée s’il satisfait aux obligations du contrôle judiciaire et le reste sera éventuellement utilisé pour dédommager la partie civile (la SNCF est-elle partie civile dans cette affaire ?). En cas de non-lieu ou d’acquittement, cette deuxième fraction lui sera intégralement remboursée.
Mais dans son malheur Julien Coupat a de la chance : il semble avoir échappé au bracelet électronique. Considéré comme une mesure d’application de la peine, ce bijou moche réservé à l’origine aux condamnés peut maintenant garnir la cheville d’un suspect mis en examen.
La personne placée sous contrôle judiciaire supporte nombre d’obligations, d’interdictions…, mais le juge d’instruction a lui des devoirs : Il ne peut porter atteinte à la liberté d’opinion ni aux convictions politiques (si, si !) et religieuses, ni faire échec aux droits de la défense (art R.17 du CPP).
Alors, pour en revenir à la question de base, Coupat est-il filoché ? il me semble qu’une surveillance policière, physique ou à l’aide d’écoutes téléphoniques ou tout autre moyen plus ou moins sophistiqué, porterait forcément atteinte aux droits de la défense. En tout cas, cela donnerait du grain à moudre à ses avocats.
Mais les policiers ont-ils les mêmes contraintes que le juge ? Dans la mesure où ils sont officiers de police judiciaire, la réponse est oui. C’est le cas pour les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste de la PJ. Mais ceux qui sont à l’origine de l’affaire appartiennent à la DCRI, un service de contre-espionnage et de renseignements dont les fonctionnaires sont à la fois OPJ et… agents secrets. Alors, la réponse est mitigée. Rien ne les empêche, si ce n’est la morale, l’éthique, de mettre en œuvre toute la panoplie du parfait petit contre-espion : écoutes administratives, micros, caméras, mouchards informatiques, etc. Aucun risque, puisque leur activité est en grande partie couverte par le « secret-défense ». Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause l’intégrité des fonctionnaires de la DCRI, mais il faut bien admettre que dans une démocratie, la justice et le secret d’État ne font pas bon ménage.
La création de ce service a d’ailleurs engendré une ambiguïté dont nombre de policiers sont parfaitement conscients. Et de l’ambiguïté naît le doute, voire la défiance…
Pour couper court à ces bruits, au mois de mars, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, a répondu à une interview du Point. Hervé Gattegno lui demande si cette enquête sur des sabotages de voies ferrées relevait réellement du terrorisme : « Ce n’est pas à la police d’apprécier les qualifications pénales retenues contre ces suspects, mais à la justice. Le cadre juridique a été choisi par le parquet, l’enquête est menée par un juge d’instruction, qui a prononcé des mises en examen. La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps (…) Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente ; le stade où les choses peuvent basculer à tout moment (…) Dans l’affaire de Tarnac, il n’y a pas de délit d’opinion mais un long travail de renseignement. Le problème, c’est que nous avons dû l’interrompre quand la SNCF a déposé plainte : on ne pouvait pas laisser se multiplier des actions qui bloquaient des milliers de passagers dans les gares. Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments… ».
Autrement dit, sous la pression des autorités politiques on est passé directement d’un travail classique de RG à une action judiciaire afin d’éviter que les TGV prennent du retard. J’exagère à peine.
En l’état, Coupat et ses amis ne sont pas soupçonnés d’avoir voulu faire dérailler un train, mais uniquement d’avoir détérioré des caténaires SNCF. Des actions fréquentes de la part des groupements antinucléaires tant en France qu’en Allemagne, et qui donnent généralement lieu à des enquêtes judiciaires relativement banales. Ainsi, la française Céline Lecomte qui a bloqué pendant une heure un train transportant de l’uranium en Allemagne.
Bernard Squarcini a créé au sein de la DCRI un service chargé d’évaluer les coûts de fonctionnement « pour que les contribuables sachent que leur argent est bien utilisé ».
On aimerait lui poser la question : ces « terroristes » méritaient-ils un tel déploiement de moyens policiers ? Et combien ça nous a coûté ?
Désolé, je me suis éloigné du sujet. C’est à cause du Saint-Amour…
A l’ajout des frais de l’enquête doivent se rajouter les frais de détention préventive, sait on a combien revient une journée de préventive?
@numero lambda
Lire aussi une très bonne source: « Julien Coupat est-il filoché ? », sur le blog de Georges Moréas, Commissaire principal honoraire de la Police Nationale. […]
T’as l’air tout chamboulé, mon gars, mais tu y es… sur le site de GM. T’as trop fumé ou quoi, ou t’es plus qu’un number six, au lieu d’être un free man ?
Janssen, je mettrai votre réaction sur le compte d’une mauvaise digestion ou les tracas d’un ongle incarné.
J’essaye modestement, à travers mes commentaires aux sujets lancés par Georges Moréas, d’expliquer un peu comment les différentes institutions en charge de la justice (notamment la police) fonctionnent dans ce pays. Quant à vous (mais, rassurez vous, vous n’êtes pas le seul), vous semblez fermé à toute écoute, réflexion et dialogue… peut-être pas par manque d’intelligence mais en raison certainement d’un aveuglement idéologique associé à une grande ignorance du sujet.
Pour finir, vous ne savez peut-être pas si je crois ce que je dis, mais visiblement vous avez beaucoup de mal à comprendre ce que je dis… ni le ton sur lequel je le dis.
« Le policier a bien connaissance des propos tenus par l’avocat et son client (dont d’éventuels aveux par exemple) mais il ne peut en tenir compte procéduralement. Ce qui peut être rageant… »
Rageant… pour qui au juste, Paix-Haine ???
« Le charme de notre état de droit » où le policier ne peut rien faire, alors qu’il sait le compère coupat(ble) ayant avoué à son avocat !… LA VEUX, LA VEUX, LA VEUX… On royait qu’il y en avait pls besoin depuis les progrès de la P.T.S !…
Mais dans quel monde de demeurés métaphysiciens fait semblant de vivre notre P.N., franchement! Elle voudrait nous faire croire qu’elle croit ce qu’elle dit. On aura vraiment tout entendu, en ce jour de débarquement des internautes sur le côte normande !…
Georges, je n’ai pas plus d’éléments jurisprudentiels que vous.
Cependant, s’agissant spécifiquement des écoutes téléphoniques, elles s’avéreront peu efficaces. Le mis en examen, qui a accès au dossier donc aux actes de procédure, étant alors au courant d’une éventuelle précédente écoute ou se doutant désormais qu’il faut être très prudent, évitera d’aborder au téléphone l’affaire.
S’agissant des conversations téléphoniques avec l’avocat, il faut rappeler qu’elles peuvent intervenir avant même la mise en examen. Cela ne change rien à la validité de la mise sous surveillance de la ligne. Cependant ces conversations bien spécifiques ne peuvent être retranscrites et insérées en procédure. Le policier a bien connaissance des propos tenus par l’avocat et son client (dont d’éventuels aveux par exemple) mais il ne peut en tenir compte procéduralement. Ce qui peut être rageant… mais c’est ce qui fait le charme de notre état de droit.
Cordialement.
Phéhène, vous soulevez un problème de droit (de pur droit) auquel je suis incapable de répondre. Je suis d’accord avec vous : le juge peut ordonner les investigations qu’il souhaite, mais une écoute téléphonique sur une personne mise en examen, par exemple, ne serait-elle pas considérée comme une atteinte à ses droits ? Surtout s’il s’entretient avec son avocat… Avant d’écrire ce billet, j’ai cherché des exemples, une jurisprudence…, je n’ai rien trouvé – si ce n’est l’art. 17. J’ai d’ailleurs failli ne pas mettre ce billet (y a bien quelqu’un qui va dire que j’aurais mieux fait). Peut-on interpréter « L’application du contrôle judiciaire (…) ne doit pas faire échec aux droits de la défense » comme une simple interdiction d’entendre un mis en examen en l’absence de son avocat ? Je n’ai pas ce sentiment, mais je ne sais pas. Là, on titille un peu les textes, on fait du droit métaphysique en quelque sorte… Mais si vous avez des éléments…
Georges, vous me vexez presque en rappelant cela.
J’ai réagi à votre article car j’avais l’impression que vous sous-entendiez qu’une fois mis en examen, le « suspect » ne devait et ne pouvait pas faire l’objet d’investigations policières supplémentaires, au prétexte notamment que cela porterait atteinte à ses droits.
Ce n’est pourtant pas parce que le mis en cause est mis en examen que les délégations du juge d’instruction (schématiquement identifier le ou les auteurs, et leurs complices, des faits objets de l’instruction) deviennent caduques. Si je ne m’abuse, les seules limites apportées (par la mise en examen) à l’action de la police résident dans l’impossibilité d’entendre le mis en examen, et plus largement, d’effectuer à son encontre des mesures de coercition (quoique…).
Dans le cas d’espèces, Julien Coupat a été mis en examen pour « direction d’une association de malfaiteurs et dégradations en relation avec une entreprise terroriste ». L’instruction, ouverte des chefs visés ci-dessus, menée par le juge Thierry Fragnoli, semble toujours ouverte. L’enquête ne serait donc pas terminée. Dans ce cadre là le magistrat peut toujours transmettre ses commissions rogatoires à un service de police judiciaire afin que ce dernier recueille les éléments permettant de faire toute la lumière sur cette affaire. La surveillance, après sa mise en liberté, du chef présumé de la fameuse « cellule invisible » peut faire partie des actions policières destinées à recueillir des informations complémentaires. Et en quoi ses droits seraient-ils bafoués ? Surtout (et là je l’écris avec un sourire aux lèvres) si ces nouvelles investigations permettent de démontrer l’innocence du « Corrèzien », l’instruction étant, je le rappelle, menée théoriquement à charge et à décharge.
Après l’ouverture d’une information judiciaire, les policiers agissent sur délégation du juge d’instruction.
… PénalE, bien sûr.
Georges Moréas écrit : « Il me semble qu’une surveillance policière, physique ou à l’aide d’écoutes téléphoniques ou tout autre moyen plus ou moins sophistiqué, porterait forcément atteinte aux droits de la défense »
Pour vous, les investigations menées par la Police s’arrêtent au moment de la mise en examen ? Très étrange conception de l’enquête et du Code de Procédure Pénal !
Je pense que l’auteur de cet article devrait se dispenser de faire l’apologie de drogues ! Sale drogué d’alcolique.
In Saint-Amour véritas ?
Merci l’auteur pour ce Blog de bonne tenue.
Touché, D. Hasselman,… la preuve que le blog de Georges devient vraiment dangereux pour l’OP et la SE, c’est que le tôlier agit à titre préventif, il met en garde le Janssen J-J avec ses ciseaux quand ce maudit animal franchit la ligne jaune, même si au fond il dit la même chose, mais de façon un brin plus pimentée… Baste, c’est le jeu normal de la démocratie policière, on ne va pas pleurer ce Janssen d’autant qu’il commence à nous courir sérieusement. Ses piques contre Bernard S. sont plus dangereuses que celles lancées à MAM. Les deux (le policier et la politique) ne se meuvent point dans la même temporalité, donc on sait jamais… Mieux vaut se protéger des foudres des puissants collègues qui ont le temps avec eux. Vieille ruse de Sioux réaliste, increvable…
Alexis il faudrait que ce ne soit pas qu’un rêve. Mais bon imaginez ensuite la surcharge des tribunaux et tout cette carte judiciaire que Mme dati ne serait plus à même de refaire là où elle sera.
Georges Moréas est-il « filoché » (peut-être par Ribouldingue) ?
Oui, puisque n’importe qui peut lire son blog et constater, jour après jour, que celui-ci devient une menace permanente, dangereuse et grandissante pour l’ordre public et la sûreté de l’Etat.
Ô Saint-Amour, priez pour lui ! Miséricorde, MAM !
Aaah ! Si de tels moyens étaient déployés pour lutter contre la corruption et la délinquance financière… Enfin bon, on peut toujours rêver !
Non certes c’est beaucoup en terme de moyen pour des petites frappes mais loin d’être trop en terme de sanction.