LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le retour des gentlemen cambrioleurs

arsene-lupin.gifOn voudrait nous faire croire qu’on vit dans un monde où l’on doit craindre en permanence pour sa vie ou pour ses biens. Pourtant, hier, un homme a fait main basse sur des bijoux d’une grande valeur – sans violence. Certes il tenait une arme à la main, mais sa meilleure arme n’était-elle pas plutôt cette psychose sécuritaire dont on nous rebat les oreilles et qui nous paralyse de trouille ?

Il a une cinquantaine d’années. Il est élégant, et il a troqué le haut-de-forme cher à Arsène Lupin contre un borsalino des années 30. Le portier du grand joaillier Chopard lui ouvre sans hésiter. En ce début de week-end de Pentecôtes, Paris a un petit air de vacances.

L’homme ne perd pas son temps. Il menace les trois employés et repart avec son butin. L’histoire ne dit pas s’il salue en soulevant son borsalino…

Cette histoire me fait penser à celle de Bruno Sulak. Dans les années 80, c’est avec un sang froid identique qu’il avait dévalisé une bonne dizaine de bijouteries. Lorsqu’il braque le joaillier Van Gold, le quartier est… bleu de flics en raison de la visite du chancelier allemand Helmut Kohl. À Cannes, c’est en short et la raquette de tennis sous le bras qu’il se présente chez Cartier. Victime pour la deuxième fois de ce bandit hors du commun, le P-DG de Cartier, Alain-Dominique Perrin, beau joueur et pragmatique déclare alors : « C’est une mémorisation visuelle du nom Cartier comme aucune campagne ne pourrait la créer. »

joailleries-de-la-place-vendome_dessin_lesechos.jpg

Personnellement, c’est en 1982 que je fais la connaissance de Bruno Sulak. Après des mois d’enquête, de surveillances, de filatures, un groupe de l’OCRB (office du banditisme) lui met la main dessus alors qu’il vient rendre visite à sa maîtresse. Une garde à vue de 48 heures dans une ambiance bon enfant. Il avoue une quinzaine de hold-up, se refusant néanmoins à désigner ses complices. C’est un type plutôt sympa et atypique par rapport aux braqueurs qu’on rencontre habituellement. Il parle volontiers, de tout et de rien. Alors qu’il part pour des années de prison, il prévient : « Je m’évaderai, n’ayez crainte ! »

Sept mois plus tard, deux hommes braquent les gendarmes qui l’escortent lors d’un transfert par train. C’est peu après qu’il commence à me téléphoner. Dorénavant, il est connu. Il soigne son image. À l’inverse d’un Mesrine, il se veut romanesque. « Je ne vole qu’aux riches », dit-il. Mais il s’accommode mal de cette cavale permanente. Il a besoin d’une vie sociale, mais ce n’est pas facile : on est toujours derrière lui. Cela l’oblige à souvent changer d’identité, à changer de vie, à abandonner ses amis… En fait, il est enfermé dehors.

Arsène Lupin, le héros de Maurice Leblanc, n’utilisait pas la violence. Il préférait se servir de ses neurones, de son charme et de la naïveté des autres. N’empêche, si ma mémoire est bonne, que de temps à autre il sortait une arme de sa poche…

bruno-sulak_garde-a-vue_perso.jpgTout comme lui Sulak se voulait un voleur aux mains propres. Il disait qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. Je le crois. Pourtant un jour, au cours d’un braquage à Thionville, l’affaire tourne mal et pour s’enfuir il prend un otage et menace les policiers avec une grenade dégoupillée. « T’as raison, me dit-il le lendemain au téléphone, je suis un danger pour la société. ». Et il me donne rendez-vous dans un bar : « Tu viens seul, hein !… ». Je me dis qu’il veut peut-être négocier quelque chose. Mais il n’y a rien à négocier. La société ne lui fera aucun cadeau. Il doit en être conscient, puisqu’il ne vient pas. « Je t’ai vu, à la terrasse du café, mais… ».

Il n’y a pas de morale à mon histoire :

« J’aurais pu être flic », m’a dit un jour Bruno Sulak. Je lui ai répondu que j’aurais pu être truand. Et Marcel Achard aurait ajouté : « C’est toujours par hasard qu’on accomplit son destin ».

19 Comments

  1. christophe

    Je ne peux m’empêcher de sourire, lorsque je lis les articles de presse.
    Juste pour faire une précision: ce braqueur n’avait, à aucun moment, de Borsalino sur la tête. Pour avoir été sur place pour les « constatations », je peux vous dire qu’il s’agit d’une pure invention. Et ce bruit a commencé à courir à la suite de l’interview d’un syndicaliste.
    Autre élément, ce braqueur n’en serait pas à son coup d’essai, puisqu’il serait à l’origine d’un braquage, à quelques mètres de là, au sein de la bijouterie « Fred », également Place Vendome, il y a trois ans.
    Et, pour finir, il a été interpellé voilà quelques jours.
    Donc, fin de cavale pour ce « Arsène Lupin ».
    Comme dirait l’autre, « un de plus en moins ».

  2. Mickael Mann

    Monsieur le commissaire,
    Cela vous rapelle une « autre » époque? L’histoire vous démontre au final que rien n’a changer. Il y a toujours de beaux braqueurs, des grands voleurs. Sauf que l’époque (apparition de l’adn, telephones portables, moyens extraordinaires des services spécialisés…) font qu’ils se font très discrets et doivent tripler de vigilance et de méfiance. Mais ils existent toujours. Mais, au contraire de vous, je ne ferais pas un aussi grand pas de comparaison entre un gars « d’aujourd’hui » et un type comme Bruno Sullak. Les gars d’aujourd’hui ont une morale douteuse. Plus familièrement si vous me le permettez, Monsieur le Commissaire, je vous dirais que y’a de la mentale, mais lorsque cela les arrange… C’est quelque chose qui existe encore, mais qui se perd. Bruno, lui, était un type correct et « intègre » (quand il ne volait pas en tout cas…). Je pense qu’il aurait réussi dans bien d’autres domaines. De plus, les gars d’aujourd’hui sont incultes. Bruno, c’est bac C et tout le tralali intello qui va avec.Sullak, y en a qu’un seul. C’est une légende.Je pense que sur ce point, je prêche un convaincu.
    N’en demeure, je vous rejoins sur la qualité du « taf »: rapide, propre, bien ficelé, culotté. Sur « ça », y a rien a dire.Un véritable professionnel.

  3. FRed

    Hello,

    Etonnant ce cambriolage chez Chopard…

    Le plus troublant, c’est d’avoir vu vers 20h Près du Marais, un homme d’une 40ene d’années, vêtu d’un costume 3 pièces noir et petit gilet doré avec un haut de forme, une canne et une valise de medecin des années 30… Coïncidence troublante …

  4. Save The Traders

    http://www.youtube.com/watch?v=PIA_NVf8xQc

    Les traders ont été injustement désignés comme les boucs émissaires de la crise mondiale que nous traversons. Non seulement c’est un raccourci fallacieux, mais c’est surtout oublier qu’ils en sont les premières victimes ! Fortune, emploi, honneur, certains d’entre eux ont tout perdu ou presque. Save The Traders a pour vocation de lever des fonds afin de venir en aide aux plus touchés d’entre eux. Grâce à la bonne volonté et la participation gracieuse de nombreux confrères, amis, contacts, nous avons pu produire ce morceau, que nous vous proposons de découvrir en avant-première. Le clip sera lancé très prochainement. Aujourd’hui, nous avons besoin de votre aide. En diffusant ce titre, en faisant connaître notre mouvement, vous contribuerez à sensibiliser l’opinion à la cause des traders en difficulté et les aiderez à retrouver leur dignité et leur standing. Ce n’est pas une obligation. Juste une bonne action. Merci pour eux.

  5. Jean-Marc delpech

    Effectivement, il y a des précédents à Bruno sulak comme l’affirme Fil vert mais en aucun cas Alexandre Jacob ne peut-être rapprochés du gentleman cambrioleur ni dans les faits ni dans la geste romanesque. Le premier agissait d’abord pour des motivations politiques. C’est ce que nous tentons de démontrer dans le blog qui est consacré à l’anarchiste illégaliste qu’il fut : http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/2009/05/pour-en-finir-avec-arsene-lupin/. C’est également de lui dont il est question dans la biographie « Alexandre jacob l’honnête cambrioleur » sortie l’année dernière à l’Atelier de création libertaire. A noter enfin que jacob redistribuait ses larcins aux journaux libertaires mais aussi aux compagnons dans le besoins.

  6. Foussa

    Sans violence, mais sous la menace d’une arme…
    hum…

    Il y en a des rackets, petit braquage de boulangerie, et autres… uniquement sous la menace, et sans se servir de l’arme. Et heureusement d’ailleurs que l’arme ne sert pas, ou du moins ne sert « que » à menacer.

    Ca fait beaucoup de gentlemen dans les rues en fait.

    On va dire que cette histoire de braquage de la bijouterie a été présentée ainsi pour mieux enchaîner sur Bruno Sulak (anecdote intéressante d’ailleurs).

  7. Papineau 103

    Ne soyez pas déçu, Bacille calmette guérin, il voulait plutôt parler de névrose de confiance, sa langue de bois avait fourché. N’accablez pas Georges avec vos prétendus problèmes de violence, hein !…

  8. bcg

    « cette psychose sécuritaire dont on nous rebat les oreilles… »
    Qui dit « psychose » dit, par définition, « pur produit de l’imagination délirante ». Facile, de gommer ainsi les problèmes de violence mais pas très réaliste tout de même.
    Je suis depuis quelque temps avec intérêt les articles de ce blog en RSS mais cette fois je suis déçu.

  9. janssen j-j

    Sorry John, cambrioleur et bijoutier, pas banquier… Encore que, vous la voyez la différence, vous ? Z’avez déjà vu beaucoup de prolo porter des bagouses achetées chez Cartier rue de la Paix.

  10. janssen j-j

    Mais mon pauvre John, vous savez bien que le bijou va être payé par l’assureur du joallier, et que ce dernier va le récupérer lui-même pour se payer sur la bête, vu qu’il est évidemment inécoulable.
    On ne dit pas que le gentleman cambrioleur et le banquier sont complices, on dit que dans des histoires pareilles, l’assureur préfère toujours dédommager le joaillier, récupérer le produit par quelques voies détournées, puis le revendre sous une autre forme.
    Qui vous parle d’exploitation de l’homme par l’homme ? On cause ici de capitalisme sauvage et clandestin, c’est tout… Pas de quoi en faire un fromage, frère Chaumet…

  11. John

    « à l’heure où l’exploitation de l’homme par l’homme ne connait aucune limite…  »

    Bah voyons… Il y en a vraiment qui ne se rendent pas compte du monde dans lequel ils vivent…
    A mon avis il y a pas mal de monde dans l’histoire qui aurait bien voulu etre exploite si ca voulait dire avoir le SMIC, ne pas etre esclave, serf, serviteur etc. Comme si vraiment les bijoutiers etaient la lie de la societe, les premiers exploitants de la misere humaine, les contre maitres d’un empire colonial rampant…

    Il faut arreter avec ces phrases grandiloquentes, elles sonnent comme des gauchismes maladroit d’un Besancenot simplet et saoul.

    Pour en revenir a cette histoire, on admire facilement ceux qui se rebelle et accomplisse des actes que nous n’osons a peine imaginer. Neanmoins il est bien dur de vivre en paria comme il le dit si bien. Surtout qu’avec les moyens d’aujourd’hui la fuite doit etre encore plus dure.

    Mais dans ce conte a la Robin des bois ne manque-t-il pas l’episode ou il redonne aux pauvres? Car derriere ce cote artistique du voleur gentleman il ya quand meme un sans-gene total au regard de tous ceux qui ont travaille pour produire ces objets de luxe. Et tous ne sont pas les bijoutiers richissimes style Cartier.

    D’ailleurs soi dit en passant je me demande bien comment on peut revendre un bijoux qui vaut des millions? tous les bijoux, diamants etc ne sont-ils pas marques et tracables?

  12. marius

    Pas de morale? Ou plutôt une morale inavouable? Celle qui veut qu’acculé par cette société folle un individu fasse le choix de l’illégalité et de voler ceux qui font leurs choux gras de la misère humaine; à l’heure où l’exploitation de l’homme par l’homme ne connait aucune limite… Mais Mr Moréas, avec tout mon respect, vous pourriez un peu vous documenter… Il y a des précédents… Arsène Lupin n’est pas né de l’imagination d’un romancier mais bien inspiré d’un révolté de chair et de rage, un certain Alexandre Jacob, qui a préféré à une vie promise à la misère celle de cambrioleur. Lui aussi ne volait que les très riches, n’a utilisé la violence qu’une fois, face à l’agent de police qui l’a arrêté (et qu’il a tué). Il a passé plus de vingt ans dans les bagnes de Cayenne…
    Son histoire semble toujours d’actualité, même si la postérité voudrait effacer ce dangereux trublion…

  13. Fil Vert

    Si,il y a une morale: »L’habit ne fait pas le moine ».
    Ce sont (presque) de gentilles histoires moins pires que celle de Billy le Kid…il n’y a pas de morts et ce sont les gros qui sont volés.
    Merci pour cette belle rédaction qui réussit à faire vagabonder notre imagination et à réveiller nos souvenirs (de films,de romans et de séries bien entendu!).
    http://filvert.blog.lemonde.fr

  14. Dominique Hasselmann

    Cela est rare de voir sur un blog quelqu’un qui a un tel recul par rapport à la pression médiatique dominante, et qui, en plus, sait de quoi il parle.

    La place Vendôme : dire que le ministère de la Justice est installé en plein au milieu ! Cela facilite les courses…

    Merci pour ce flash-back vécu.

    Aucun film sur Bruno Sulak ? Un scénario sous le coude ?

  15. SylvainD

    Vous n’avez pas du comprendre ce que j’ai voulu dire. Mais sans blague, vous vouliez m’apprendre quelque chose???

  16. Ted

    SylvainD, il y a effectivement, et fort heureusement, des histoires qui ne moralisent pas. Ça fait du bien, d’ailleurs.

  17. SylvainD

    Non en effet, il n’y a pas de morale à votre histoire.

  18. janssen j-j

    Quelle vie exaltante vous avez du avoir, Georges, à côtoyer ainsi les plus grands criminels de l’histoire qui vous respectaient et que vous respectiez. Quels hommes et quel faire play… ce sulak-moréas ou moréas-sulak, on y perd son latin… L’ennemi public n° 1 qui fait le premier flic de France, et l’inverse, etc…
    Bon, allez… assez rêver ! Où en étions-nous au juste ? Ah vouis …
    « mais sa meilleure arme n’était-elle pas plutôt cette psychose sécuritaire dont on nous rebat les oreilles et qui nous paralyse de trouille ? »
    Donc, vouiche, aujourd’hui si on comprend bien, on a la trouille à cause de la pression médiatico politique qui crée la psychose sécuritaire (non non, je vous jure c’est pas de la prose gauchisse, ça… c’est qu’il y a un complot qui s’ourdit à la veille des élections),… donc on se barricade et chacun fait beaucoup plus attention à ses bijoux de famille. Mais le bijoutier du coin, lui, qu’a tellement les foies d’habitude, ouvre sa porte blindée au premier élégant venu, c’est qu’il a quand même besoin de faire rentrer le pognon de temps en temps, vu que pour lui aussi les temps sont durs…
    Moi j’vous dis qu’y a plus aucune morale aux histoires, tè !…

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