LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Les réformes dans l’enquête pénale : une porte vers l’inconnue

Le plan d’action issu des États généraux de la Justice prévoit une refonte du code de procédure pénale par voie d’ordonnance, c’est-à-dire en court-circuitant, une fois de plus, les élus du peuple. On peut s’interroger :  sera-t-il le bébé de la Place Beauvau, comme ce fut le cas pour le code de la sécurité intérieure (qui a fait un bide) ou celui de la Place Vendôme ? Gageons en tout cas qu’il sera éloigné du Code actuel, voulu par le général de Gaulle, et basé sur l’idée même de la Résistance : liberté et sécurité ; et non pas le leitmotiv que nous ressassent certains politiques : « la première des libertés, c’est la sécurité ».

Le Conseil national des barreaux comme la Ligue des droits de l’homme s’inquiètent d’une réforme déséquilibrée qui sacrifiera nos droits fondamentaux – ces trucs qui nuisent à une efficacité facile, mais qui font de la France la France. La plus emblématique de ces mesures étant sans conteste la « banalisation » de la perquisition de nuit, notamment dans l’enquête préliminaire.

L'enquête officieuse

Avant 1958, on parlait « d’enquête officieuse ». C’était écrit nulle part dans le code d’instruction criminelle, mais la jurisprudence avait validé cette manière de procéder (Cass. crim. 25 juillet 1890). Elle est aujourd’hui encadrée par les articles 75 à 78 du code de procédure pénale qui a remplacé le code d’instruction criminelle en 1958. Elle se définit par défaut. L’enquête préliminaire – la préli – est l’enquête effectuée par un officier ou un agent de police judiciaire lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies : soit la commission du crime ou du délit est trop éloigné, soit il n’y a ni crime ni délit connu mais la possibilité que cela survienne. Dans ce cas, elle peut être ouverte à l’initiative d’un enquêteur. En fait, aujourd’hui, bien peu s’affranchissent de l’accord du procureur de la République, même si le défaut d’information à ce magistrat est sans effet sur la validité des actes accomplis (Crim. 1er déc. 2004, n° 04-80.536). Dans le Code de 58, l’enquête préliminaire s’accompagnait d’une contrainte : aucun acte coercitif. Toute action contre une personne était subordonnée à son accord. En fait, il existait une petite faille, puisqu’une garde à vue de 24 heures était possible sans autre justificatif que « les nécessités de l’enquête ». Sans avocat, off course !

Une déclaration écrite de la main de l’intéressé 

Mais, au cours de ces dernières années, la préli a été profondément remaniée au point de remettre en cause la non-coercition. Désormais, le seul domaine où la personne doit consentir expressément est celui de la perquisition. L’article 76 du Code de procédure pénale prescrit que l’assentiment « doit faire l’objet d’une déclaration écrite de la main de l’intéressé ». Il faut reconnaître qu’un certain doigté est nécessaire pour obtenir un petit mot d’un suspect dans lequel il vous autorise à farfouiller dans son intimité. C’est la beauté de l’acte. Mais dans la police, comme ailleurs, on ne s’amuse plus au travail : on bosse au premier degré. Ce dernier verrou a donc sauté avec la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 qui a ajouté un alinéa à l’article 76, donnant la possibilité de s’affranchir de cette autorisation, avec l’accord du juge des libertés et de la détention, l’homme à tout faire de la Justice, pour les faits punissables d’au moins cinq ans de prison (ramené à trois ans en 2019) ou tout simplement pour rechercher des biens qui peuvent être confisqués.

L’enquête préliminaire devrait fusionner avec
l’enquête de flagrance

Sauf exception, il reste à ce jour une dernière barrière : les perquisitions de nuit, c’est-à-dire en dehors des heures légales : 6 h / 21 h. En 1996, en période d’attentats, un projet de loi déposé par le gouvernement de Chirac a voulu donner aux policiers et aux gendarmes la possibilité de s’affranchir de cette contrainte en autorisant des perquisitions de nuit, dans un domicile privé, même en enquête préliminaire. Cependant, à l’époque, le Conseil constitutionnel a dit niet ! Je serais curieux de voir demain sa réaction lorsque les parlementaires vont le saisir d’un projet à l’identique… Il ne sera d’ailleurs plus question de préli, puisque l’enquête préliminaire devrait fusionner avec l’enquête de flagrance, ce qui, dans l’esprit sécuritaire actuel, équivaut à donner aux policiers et aux gendarmes un pouvoir pénal coercitif, même dans le cadre de recherches proactives. À se demander à quoi vont servir les magistrats du parquet… À défaut de leur donner l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, ils sont peut-être amenés à disparaître…

Je plaisante, pourtant, en émettant l’hypothèse de s’affranchir d’un droit constitutionnel (n° 96-377 DC du 16 juillet 1996), celui du respect de notre vie privée, et en particulier de l’inviolabilité de notre domicile, surtout la nuit, ce garde des Sceaux, ce gouvernement, nous donnent un aperçu de notre vie future : une société de plus en plus intrusive, de plus en plus répressive. Alors que déjà nos prisons explosent et qu’aucune politique carcérale n’est envisagée, de facto ils ouvrent une porte sur un monde inconnu et inquiétant.

Et, d’une manière générale, sans plus de connexité et sans être un fan de ses idées politiques, je suis d’accord avec Michel Sardou lorsqu’il déclare sur BFM-TV : « Arrêtez d’emmerder les Français ! »

1 Comment

  1. C. Bastocha

    Si l’on me prend au sot du lit
    Pour avoir commis un délit
    J’aurai droit au proc’, c’est net
    Ce s’ra bien, ce s’ra chouette 😉

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