LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Faut-il abolir la police ?

Abolir la police, c’est la question qui s’est posée aux États-Unis, à Minneapolis, après la mort de George Floyd, lors de son arrestation. Bien sûr, c’était de la provoc, mais derrière les mots il existait une véritable question de fond : la police est-elle adaptée à notre société ? C’est une interrogation digne d’un pays où, fi de l’esprit de corps, des gradés de la police sont capables de mettre le genou à terre pour montrer leur considération à une famille et à une communauté.

Musée de la police, Paris

En France, nous n’en sommes pas là, mais après la mort du jeune Nahel, devant ce grondement d’indignation qui a secoué la France entière, nos dirigeants se sont laissé aller à une certaine empathie : minute de silence à l’Assemblée nationale, agacement de Darmanin après les déclarations d’une poignée de syndicalistes radicalisés ; même le président Macron s’est fendu d’un discours, mentionnant un acte « inexplicable et inexcusable ». C’était une première ! Toutefois, bien vite, les choses sont revenues « à la normale ». Ainsi aucune autorité politique, administrative ou judiciaire n’a tiqué devant une cagnotte impudique mise en place non pas pour soutenir la famille de la victime, comme on aurait pu s’y attendre, mais pour soutenir la famille du policier qui a fait usage de son arme et qui est mis en examen pour une infraction criminelle. Stricto sensu, on peut d’ailleurs se demander si la loi sur la saisie conservatoire ne peut s’appliquer.  Le code de procédure pénale prévoit en effet que les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect d’une infraction peuvent être saisis, dans l’éventualité d’une condamnation à la peine complémentaire de confiscation (art. 131-21), que leur possession soit licite ou illicite. Une saisie qui a pour seul effet de rendre la chose indisponible le temps d’une décision de justice.

     Sur un continent, c’est la repentance, sur l’autre, l’arrogance.

À Minneapolis, l’enquête a conclu que les policiers avaient agi dans un contexte de discriminations raciales généralisées au sein de la police et a abouti à la nécessité d’une refonte de l’institution. Un consensus a été trouvé entre la ville et les organismes représentatifs des « droits humains » pour mettre en place une réforme en profondeur de l’action des services de police. Il ne serait plus possible, par exemple, d’arrêter un véhicule sous prétexte que le conducteur a commis des infractions mineures, ou d’utiliser la force, sauf cas d’absolue nécessité et de manière proportionnelle à la menace perçue. Comme c’était le cas en France, il n’y a pas si longtemps, avant les Hollande, Valls, Cazeneuve et tutti quanti, les représentants d’une gauche déliquescente.

Au Canada, il y a quelques années, sous l’impulsion d’un ancien gendarme de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Wiel Prosper, est né un mouvement pour « définancer la police », c’est-à-dire réduire le budget qui lui est attribué pour le consacrer à des institutions de justice non punitive. Entre deux personnes qui ont commis une infraction, dit Prosper, entre celle qui a été prise en charge et réinsérée et celle qui a été en prison, « laquelle aimerais-tu avoir comme voisin ? » Ce mouvement a repris de l’ampleur après la mort de George Floyd au sein d’une population qui se dit racisée par les forces de l’ordre. L’idée semble ne pas avoir été rejetée par la « mairesse » de Montréal, tandis que Toronto a refusé un projet visant à une diminution de 10 % du budget de sa police. En revanche, aux États-Unis, les villes de Los Angeles et de New York ont récemment approuvé des réductions budgétaires pour leurs forces de l’ordre.

     L’objectif est de créer des liens entre la police et la population

On se souvient que la timide expérience sur la police de proximité a été mise à mal par Sarkozy : « La police n’est pas là pour organiser des matchs de rugby dans les quartiers, mais pour arrêter des délinquants », a-t-il ânonné à Toulouse. C’était il y a vingt ans. Quel manque de clairvoyance ! Cette expérience (avortée) a été la seule tentative de réformer les principes et les pratiques policières. Et depuis, rien ! Nous n’avons pas avancé d’un pet. Il est même mal venu de seulement réfléchir à une remise en cause de la police. La liste des morts et des blessés par les forces de l’ordre ne cesse de s’allonger, mais il n’y a pas de violences illégitimes, pas plus qu’il n’y a de racisme dans l’institution. L’Humanité a révélé qu’un rapport intitulé « Police et racisme », rédigé par sept chercheurs universitaires à la demande du conseil scientifique de l’organisme chargé de la lutte contre les discriminations (qui dépend de Matignon) est enterré depuis deux ans, alors qu’il est loin d’être pamphlétaire.

Cet obscurantisme est inquiétant. « En trois années, du reste, pas l’ombre d’un véritable débat sur les accusations récurrentes de racisme ou les violences policières, pourtant abondamment documentées lors des manifestations qui ont jalonné la crise des retraites, peut-on lire dans Le Monde du 6 juillet 2023. Le ministre se garde de franchir cette double ligne jaune au-delà de laquelle son ticket avec les syndicats ne serait plus valable : ne jamais admettre l’existence de violences systémiques au sein des forces de l’ordre, ou envisager l’hypothèse d’un racisme lancinant. »

Au point que certains s’interrogent : la police républicaine est-elle devenue une police d’État ? Un quatrième pouvoir capable de faire fléchir le pouvoir politique ? En attendant, chaque jour, elle perd de son aura. Le nombre d’abandons en cours de carrière ne cesse de grandir. Il a été battu en 2021, puis rebattu en 2022, alors que le recrutement se fait de plus en plus difficile. Par la faute des médias qui renvoient une mauvaise image de la police, affirment certains responsables syndicaux, qui se recroquevillent dans leur bulle. Malgré la manne accordée aux forces de sécurité (parc automobile, terminaux numériques, primes…) un véritable malaise s’est installé parmi ces hommes et ces femmes, qui ne retrouvent plus dans leur travail quotidien les idéaux qui les ont fait choisir ce job. C’est un si beau métier, au service des autres.

Cela se traduit par un nombre élevé de suicides, 46 en 2022. Peut-être parce que la Grande Maison n’abrite plus des « gardiens de la paix », mais des paramilitaires qui n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordres ! Il est vrai, comme l’a dit leur patron, Gérald Darmanin, devant les sénateurs, que ce sont « souvent des enfants de 18, 19, de 20 ans qui n’ont pas fait de grandes études ». Des gosses quoi, à qui on bourre le mou !

Même la PJ ne fait plus rêver. Elle recule dans le choix des postes, d’autant qu’avec la réforme dont les textes fondateurs viennent de paraître au journal officiel, elle est en train de se fondre dans une police de sécurité publique. Que pas une tête ne dépasse, crévindiou !

Le Canard Enchaîné raconte que le 22 juin, une femme est retrouvée étranglée chez elle, à Angers, le 28 une autre échappe de peu au même sort. Les soupçons se portent rapidement sur un tueur en cavale, mais la PJ doit lâcher l’affaire, tout le service est réquisitionné par le préfet de Maine-et-Loire pour épauler le maintien de l’ordre dans les manifs. Le 1er juillet, c’est un homme qui est retrouvé mort. Le procureur indique que tous ces faits semblent reliés entre eux. Le suspect est finalement arrêté le 4 juillet.  À quelques jours, à quelques heures près, cette dernière victime aurait-elle pu être sauvée ?

Le gouvernement a peur, et cela se ressent : 45 000 policiers et gendarmes, des unités d’élite et des blindés mobilisés pour assurer le calme lors des fêtes du 14-Juillet, un défilé militaire avec un président de la République qui descend les Champs-Élysées en command-car et qui salue des trottoirs vides. Quelle image triste !

Bidasse, j’ai défilé sur les Champs-Élysées, l’épreuve était rude, mais l’ambiance était bon enfant. Je me souviens de ces gens qui applaudissaient, et des gosses sur les épaules de leur père ou les yeux collés à des télescopes en carton.

Ce n’est plus ma France, ce n’est plus ma police. Mais je suis optimiste, la police retrouvera sa mission républicaine au service de la population. Une remise en question qui viendra de l’intérieur et non de l’Intérieur.

2 Comments

  1. Chasseur de Primes

    Fin juillet, début aout, quelques milliers de policiers se sont fait porter malades, grâce à des certificats médicaux de complaisance (savoir si c’est par sympathie ou sous la menace d’une arme d mutilation républicaine est hors de propos).
    On peut déjà constater que la france n’a pas été livrée à des meutes de gangsters ni de criminels (à Antananarivo, en 1992, une grève de la police -faute de payment des salaires; on en est très loin enFrance, même un policier sous les barreaux voit, outre des primes, son traitement maintenu– a coincidé avec un accroissement de la criminalité; si ç’avait été le cas en france, les sydicats l’auraient clamé) et donc se demander … si maintenir des protestaires soi disant en mauvaise santé (et une commission de réforme peut en statuer, à terme) a un sens pour ce qui est du service public (pas de la chasse aux primes pour quelques fascistoîdes, même si c’est extrêmement rentable).

    Dans toutes les configurations, ces policiers maades par complaisance ont prouvé … leur inutilité et personne de sensé (un controleur phynancier moins que quiconque) ne se plaindra de leur ejection de la fonction publique…

  2. Ronan

    « Le code de procédure pénale prévoit en effet que les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect d’une infraction peuvent être saisis, dans l’éventualité d’une condamnation à la peine complémentaire de confiscation (art. 131-21), que leur possession soit licite ou illicite. Une saisie qui a pour seul effet de rendre la chose indisponible le temps d’une décision de justice. »

    Oui mais alors qu’on commence par l’appliquer aux cagnottes pour les familles des délinquants

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑