Lors des manifestations contre la réforme de la retraite, de nombreuses personnes ont été placées en garde à vue, pour être finalement libérées sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles. S’agit-il d’un détournement de la loi, de gardes à vue abusives, comme l’ont clamé certains médias ? Pour la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, cela ne fait aucun doute. Elle dénonce à la fois des gardes à vue « dépourvues de base légale » et s’inquiète de la « banalisation » des arrestations à titre préventif. Dans un rapport adressé notamment au ministre de l’Intérieur, elle tire le signal d’alarme en mettant en exergue de « graves atteintes aux droits fondamentaux ». Dans le même temps, de nombreuses plaintes ont été déposées par des avocats, estimant que leur client avait fait l’objet d’une mesure arbitraire de privation de liberté et d’entrave à la liberté de manifester.
Alors, s’il est évident que la répression pénale préventive du maintien de l’ordre est un détournement de la loi et de l’esprit des lois, peut-on pour autant affirmer que les gardes à vue en cul-de-sac sont illégales ?
Ce n’est pas évident, car la question n’est pas de savoir si la garde à vue est justifiée, mais si l’arrestation qui conduit à la garde à vue répond aux critères du Code, étant entendu que le droit d’arrestation n’existe pas, sauf en cas de flagrant délit. C’est l’article 73 du code de procédure pénale qui en fixe les règles : toute personne, policier, gendarme ou simple citoyen, peut interpeller un individu en train de commettre un crime ou un délit (punissable d’une peine d’emprisonnement) afin de le remettre entre les mains d’un OPJ. Il appartient ensuite à celui-ci de décider s’il le place en garde à vue. À défaut, il est tenu d’informer la personne interpellée « qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ».
Sur le terrain, toutefois, pour sécuriser l’action des policiers et des gendarmes, les règles se sont assouplies au point d’admettre le « délit d’apparence ». Si les circonstances de lieux, d’heures ou autres laissent à penser qu’une personne est susceptible de commettre ou d’avoir commis un crime ou un délit, son arrestation est justifiée. Il appartient ensuite à l’OPJ de confirmer ou non cette première impression, et ultérieurement à l’enquête judiciaire de vérifier les faits et de mettre à jour les éléments de l’infraction.
Cependant, il faut le reconnaître, les arrestations effectuées dans le cadre d’une manifestation sont un peu hors sol. Le plus fréquemment, il n’y a ni procès-verbal ni rapport, au mieux une simple fiche d’interpellation, rédigée à la va-vite, parfois préremplie, à partir de laquelle l’OPJ est tenu de se forger une opinion. Alors, bien souvent, deux voies s’ouvrent à lui : satisfaire sa hiérarchie administrative et judiciaire ou assumer sa responsabilité d’officier de police judiciaire – car, en théorie, la garde à vue de première intention, est de sa seule responsabilité. Dans le respect du droit, c’est un pouvoir qui lui est propre.
Je n’ai pas de chiffres officiels, mais il semble qu’un nombre important d’OPJ agissent ainsi, puisqu’un tiers des personnes interpellées lors des manifestations seraient remises en liberté sans faire l’objet d’une mesure de garde à vue.
Gérald Darmanin a répondu sèchement à la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, en lui rappelant que son rôle consistait à contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté, et non de « l’opportunité » des mesures de garde à vue. Ce en quoi il n’a pas tort, puisque sa mission consiste à s’assurer que « les personnes privées de liberté demeurent titulaires des droits fondamentaux tels que définis par les textes internationaux et nationaux ». En fait, en argumentant de la sorte, Mme Simonnot fait le job des procureurs. Par défaut, puisque ceux-ci, du moins certains, ont tendance à oublier qu’ils sont magistrats et non de hauts fonctionnaires sous les ordres d’un ministre. Et pourtant, ils prêtent serment « de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
Darmanin a justifié les interpellations de masses par le fait qu’il était difficile d’attribuer une responsabilité individuelle à tel ou tel manifestant – d’autant, a-t-il ajouté, que les blacks blocs font tout pour entraver la recherche de preuves : tenue identique, pas de téléphone portable, etc. On pourrait lui rétorquer qu’il est rare de voir des délinquants faciliter le travail de la police…
Pas de panique, le gouvernement a trouvé la parade en marmitant les médias d’une nouvelle loi anticasseur qui permettrait à l’administration de décider que telle ou telle personne n’a pas le droit de manifester. Une mesure qu’à ce jour, seul le juge peut prendre, et qui passerait peut-être entre les mailles de plus en plus lâches du Conseil constitutionnel, mais qui se heurterait au droit européen. Pour certains, des nostalgiques, la tentation est forte de revenir à la loi anticasseurs de 1970 (supprimée par Mitterrand) qui sans cesse revient comme un serpent de mer. Cette loi instituait une responsabilité collective pour tous les manifestants, tant sur le plan pénal que pécuniaire. C’est un peu comme si on disait à un automobiliste, vous n’avez commis aucune infraction, mais vous êtes verbalisé pour les infractions d’autres automobilistes qui n’ont pas été identifiés. Autrement dit, vous êtes coupable de pas-de-bol. Puis-je me permettre de suggérer à Gérald Darmanin un additif à ce projet de loi : rendre le port du téléphone portable obligatoire. De rien !
« En fait, en argumentant de la sorte, Mme Simonnot fait le job des procureurs. »
En fait, elle révèle qu’elle n’admet pas les contours de son mandat et, concrètement, conteste l’indépendance de l’autorité judiciaire.
On confie une autorité administrative dont l’existence peut paraître comme concurrente de l’Institution judiciaire à quelqu’un qui en conteste la légitimité.
Cela pose question. Si Mme Simonnot n’était pas marquée à l’extrême gauche mais à l’extrême droite, les conclusions évidentes de cette disposition d’esprit seraient posées.
Concernant les téléphones, le gouvernement prépare quelque chose…
https://www.avocatparis.org/communique-du-conseil-de-lordre
« l’article 3 du projet prévoit l’activation à distance de tout appareil électronique dont les téléphones portables en vue d’une captation de son et d’image. »
comment une personne uniquement susceptible de commettre un délit ou un crime pourrait-elle être mise en garde à vue pour flagrant délit ? Ça ne colle ni avec flagrant ni avec délit. C’est le cas dans la « participation à un groupement en vue de la préparation de violences, destructions ou dégradations » il me semble. Ce n’est pas pour rien qu’on m’appelle Simplette. La dissimulation du visage elle, est pratiquée dans les manifs de tous bords, même celles des policiers. Un jour on arrête pour ce délit, un autre on n’arrête pas… on n’est pas sortis de l’auberge.
Le délit de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences, destructions ou dégradations » est un délit comme son nom l’indique, mais certains manifestants se trouvant dans les parages, se retrouveraient arrêtés, sans armes ni masques…
Il y a aussi des meurtriers qui sont arrêtés sans leur arme, avec d’autres vêtements, parfois même un autre jour que celui du crime.
« Susceptible de commettre un délit » n’a effectivement aucun sens.
Ce n’est pas cela la théorie de l’apparence. Monsieur Moreas doit fatiguer.
https://books.openedition.org/putc/293
« Cette notion d’apparence vraisemblable est fondamentale en procédure pénale et d’application très fréquente. Elle correspond à un état qui se situe entre le simple doute qui est insuffisant pour déclencher l’enquête pénale ou en effectuer certains actes, et la preuve caractérisée qui ne nécessite plus d’actes d’enquête. L’individu qui est surpris par la police en flagrant délit de commission d’une infraction ne suscite aucun doute, la preuve de la participation criminelle est acquise, le recours à l’apparence est inutile. En revanche, l’individu qui se trouve non loin du lieu de commission d’une infraction et qui a un comportement suspect, pourra être interpellé sur le fondement de l’apparence vraisemblable de participation à l’infraction. L’enquêteur a, à ce moment là des doutes, l’enquête révèlera ensuite si l’apparence était réalité ou trompeuse, mais au moment de la réalisation de l’acte d’enquête elle est vraisemblable. »
C’est bien la notion de susceptibilité d’avoir commis, et non de commettre, qui importe. Ce sont d’ailleurs les termes de la loi pour le placement en garde à vue.