LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Au 1er juillet, la garde à vue s’aligne sur le droit européen

Lorsqu’il s’agit d’imposer des bouchons soudés aux bouteilles d’eau minérale qui en font rager plus d’un, la France s’exécute sans tarder, mais pour adapter notre droit à celui de l’U-E, elle traîne des pieds. C’est la raison d’être de la loi fourre-tout du 22 avril 2024 qui modifie certaines de nos règles « en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».

Une loi qui vient en application d’une directive du Parlement européen remontant à plus de dix ans.

La procédure de garde à vue est concernée par ce texte qui renforce les droits des personnes placées sous main de police, notamment l’impossibilité de débuter une audition hors la présence d’un avocat, et supprime le délai de carence. Alors qu’elle s’applique ce lundi 1er juillet, sa pratique ne sera envisagée que le lendemain, lors d’une réunion, semble-t-il informelle, entre la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), les présidents de juridiction, les forces de l’ordre et le Conseil national des Barreaux.

Il y a une quinzaine de jours, Laureline Peyrefitte, la directrice de la DACG, s’est fendue d’une circulaire qui détaille les modalités de mise en œuvre de cette réforme, tentant, du moins dans sa présentation, de minimiser les effets contraignants de ces nouvelles règles pour les services en charge d’une mission de police judiciaire, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et les douanes.

Je ne sais pas si, de son côté, la direction générale de la police nationale a donné les clés de fonctionnement à ses troupes. Il est vrai que ces jours-ci, Place Beauvau, il y d’autres sujets de préoccupation…

Quant au Conseil national des barreaux, sa circulaire date du 26 juin.

Cette réforme renforce le rôle de l’avocat, rend sa présence quasi obligatoire et accorde au gardé à vue un certain droit de communication avec « l’extérieur ».

La fin du délai de carence

Jusqu’alors, si l’avocat de la personne en garde à vue ne s’était pas présenté dans un délai de deux heures, l’OPJ pouvait commencer les auditions sans lui. Ce délai de carence est supprimé. Dorénavant, la règle générale veut que ni les auditions ni les confrontations ne puissent s’effectuer en l’absence de l’avocat. Si l’avocat désigné ne peut être présent dans le délai de deux heures, il appartient à l’OPJ de saisir le bâtonnier pour la désignation d’un commis d’office. Dans l’attente de sa venue, seul un procès-verbal d’identité peut être envisagé. L’avocat, lui, est tenu « de se présenter sans retard indu ». Un retard délibéré pourrait probablement être considéré comme une faute professionnelle ou une combine procédurale. (art. 63-3-1)

Il existe des exceptions, mais elles sont… exceptionnelles :

– La personne gardée à vue renonce expressément à la présence d’un avocat par une mention portée au procès-verbal et signée

– Sur autorisation du procureur de la République, par une décision écrite et motivée « soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne » (nouvel art. 63-4-2-1)

Droit d’accès aux procès-verbaux d’audition et de confrontation

L’avocat peut désormais consulter les procès-verbaux d’audition et de confrontation, même s’il n’était pas présent lors de ces actes. Il ne peut pas les photocopier, mais il peut prendre des notes. Malgré les demandes sans cesse réitérées de la profession, les avocats n’ont toujours pas accès à l’ensemble du dossier.

Droit de prévenir toute personne 

À ce jour, le gardé à vue pouvait seulement prévenir un proche parent ou son employeur. Dorénavant, il peut prévenir la personne de son choix quelle que soit sa qualité et communiquer avec elle s’il le souhaite. Il appartient à l’OPJ de déterminer si ce contact avec l’extérieur doit se faire par écrit, par téléphone ou en présentiel. Cet entretien ne peut dépasser trente minutes. L’enquêteur peut décider d’y assister.

Si cet avis à tiers risque d’entraver sérieusement l’enquête, le procureur peut, à la demande de l’OPJ, différer tout contact extérieur.

Alors que les relations se durcissent entre les avocats (de plus en plus procéduriers) et les magistrats (de plus en plus débordés), cette réforme de la garde à vue ne va pas faciliter les choses, car la loi votée en avril 2024 est a minima par rapport à la directive européenne. En l’état, des recours ne sont pas impossibles, d’autant que pour les instances européennes, les procureurs ne sont pas considérés comme des magistrats indépendants, tant en raison de leurs liens hiérarchiques avec le pouvoir politique que dans la mesure où ils sont parties prenantes au procès en tant que représentants de la société.

Réforme de la garde à vue : l’avocat maître des horloges

Manifestations : garde à vue et droit d’arrestation

Lors des manifestations contre la réforme de la retraite, de nombreuses personnes ont été placées en garde à vue, pour être finalement libérées sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles. S’agit-il d’un détournement de la loi, de gardes à vue abusives, comme l’ont clamé certains médias ? Pour la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, cela ne fait aucun doute. Elle dénonce à la fois des gardes à vue « dépourvues de base légale » et s’inquiète de la « banalisation » des arrestations à titre préventif. Dans un rapport adressé notamment au ministre de l’Intérieur, elle tire le signal d’alarme en mettant en exergue de « graves atteintes aux droits fondamentaux ». Dans le même temps, de nombreuses plaintes ont été déposées par des avocats, estimant que leur client avait fait l’objet d’une mesure arbitraire de privation de liberté et d’entrave à la liberté de manifester.

Serpent de mer de Saint-Brevin-les-Pins

Alors, s’il est évident que la répression pénale préventive du maintien de l’ordre est un détournement de la loi et de l’esprit des lois, peut-on pour autant affirmer que les gardes à vue en cul-de-sac sont illégales ?

Ce n’est pas évident, car la question n’est pas de savoir si la garde à vue est justifiée, mais si l’arrestation qui conduit à la garde à vue répond aux critères du Code, étant entendu que le droit d’arrestation n’existe pas, sauf en cas de flagrant délit. C’est l’article 73 du code de procédure pénale qui en fixe les règles : toute personne, policier, gendarme ou simple citoyen, peut interpeller un individu en train de commettre un crime ou un délit (punissable d’une peine d’emprisonnement) afin de le remettre entre les mains d’un OPJ. Il appartient ensuite à celui-ci de décider s’il le place en garde à vue. À défaut, il est tenu d’informer la personne interpellée « qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ».

Sur le terrain, toutefois, pour sécuriser l’action des policiers et des gendarmes, les règles se sont assouplies au point d’admettre le « délit d’apparence ». Si les circonstances de lieux, d’heures ou autres laissent à penser qu’une personne est susceptible de commettre ou d’avoir commis un crime ou un délit, son arrestation est justifiée. Il appartient ensuite à l’OPJ de confirmer ou non cette première impression, et ultérieurement à l’enquête judiciaire de vérifier les faits et de mettre à jour les éléments de l’infraction.

Cependant, il faut le reconnaître, les arrestations effectuées dans le cadre d’une manifestation sont un peu hors sol. Le plus fréquemment, il n’y a ni procès-verbal ni rapport, au mieux une simple fiche d’interpellation, rédigée à la va-vite, parfois préremplie, à partir de laquelle l’OPJ est tenu de se forger une opinion. Alors, bien souvent, deux voies s’ouvrent à lui : satisfaire sa hiérarchie administrative et judiciaire ou assumer sa responsabilité d’officier de police judiciaire – car, en théorie, la garde à vue de première intention, Continue reading

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Dans son réquisitoire rendu le 4 juillet dernier, « que Le Monde a pu consulter », le procureur de la République de Lyon réclame le renvoi devant la cour d’assises de l’ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), pour faux en écriture publique.

Le faux en écriture publique, dans une procédure pénale, est un fait parfois soulevé par les avocats pour décrédibiliser l’enquête d’un OPJ ; il est rarement retenu. Dans le cas de François Thierry, les choses se compliquent, car ce faux serait la conséquence d’une « fausse garde à vue ». Ou le contraire.

On est là dans les méandres de la procédure pénale : pour faire tenir une infraction qui n’existe pas, on se rabat sur une autre infraction. Et on shake !

Que reproche-t-on au commissaire ? En 2012, il aurait raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane Hambli, dit La Chimère, et, sous couvert d’une enquête imaginaire, il l’aurait placé en garde à vue. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande pressante de deux procureures parisiennes.

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait été hébergé dans un hôtel de Nanterre, à proximité du siège de l’Office des stups, d’où il aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale.

Ces faits ont été dénoncés en 2017 par un certain Hubert Avoine, 56 ans, indic professionnel, recruté, non pas par le Bureau des légendes, mais par le Bureau des sources, un service rattaché au SIAT (service interministériel d’assistance technique), à l’époque où le commissaire Thierry en était le patron. C’est à la demande de ce policier, devenu chef de l’OCRTIS, qu’Avoine aurait participé à cette opération saugrenue. (Sur ce blog : La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…)

On imagine la scène : par une nuit sans lune, sous un ciel sans étoiles, une dizaine d’hommes cagoulés, policiers et trafiquants à tu et à toi, entourent de mystérieuses embarcations échouées sur la plage d’Estepona et déchargent des dizaines, des centaines de ballots de cannabis qu’ils entreposent dans une maison louée pour la circonstance avant qu’ils ne soient acheminés vers la France par des « go fast »…

On ne sait pas ce qu’ont touché les autres, mais, pour cette « mission », Avoine a pris du blé Continue reading

Affaire Grégory : épluchage de la garde à vue de Muriel Bolle

Les avocats de Muriel Bolle contestent la validité de la garde à vue de leur cliente, effectuée dans les locaux de la gendarmerie de Bruyères, dans les Vosges, en novembre 1984. Ils estiment que lors de ses auditions les droits de la défense n’ont pas été respectés, notamment du fait qu’elle n’était pas assistée d’un avocat, comme c’est la norme aujourd’hui. Ils ont déposé une QPC dans ce sens, contre l’avis du parquet général pour qui les règles actuelles de la garde à vue ne peuvent être rétroactives.

Une réflexion pétrie de bon sens, même si, au lendemain de la loi du 14 avril 2011 qui a profondément remanié la garde à vue, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a dit exactement le contraire : tous les procès-verbaux de garde à vue antérieurs à cette loi sont susceptibles d’être contestés dans la mesure où la personne gardée à vue n’a pas bénéficié des garanties procédurales voulues par la CEDH (ratifiée par la France en 1974) : droit de se taire et droit de se faire assister d’un avocat.

Mais cette décision, qui aurait pu être une bérézina judiciaire, ne fut finalement qu’une pirouette juridique, notamment en raison de l’article 173-1 du code de procédure pénale qui limite le délai de contestation à six mois à compter de la notification de mise en examen.

Puis d’un seul coup surgit un cas que personne n’avait envisagé : une mise en examen 33 ans après la garde à vue ! Continue reading

L’Europe bouscule la procédure pénale

L’adoption en urgence de la loi relative au renforcement des droits des personnes dans le cadre des procédures pénales montre combien on a du mal à suivre le rythme de l’Europe. Il faut dire que nos méthodes d’investigation sont souvent en contradiction avec les directives européennes. Celles-ci tentent en effet d’installer une harmonisation basée sur une procédure orale, publique et accusatoire ; aux antipodes de celle que nous appliquons qui, elle, est écrite, secrète et inquisitoire.

Cette divergence explique en grande partie pourquoi l’avocat a du mal à faire son trou dans l’enquête pénale, du moins en amont du jugement ou de l’instruction judiciaire. Car notre système est basé sur un postulat : une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit est présumée innocente. Et un innocent n’a pas besoin d’un défenseur. On pourrait presque en faire un syllogisme dérisoire si nos prisons n’étaient pas en partie remplies de « présumés innocents ». Continue reading

Garde à vue : cumul et saucissonnage

L’ex-policier municipal suspecté dans l’enquête sur le quadruple meurtre de Chevaline a été blanchi après trois jours de garde à vue. Mais il n’a pas été libéré, enchaînant une nouvelle garde à vue pour une affaire incidente. Une même personne peut-elle ainsi être placée sous contrainte de police plusieurs fois et sans limitation de temps ou existe-t-il des garde-fous pour éviter les abus ?

ChevalineComme souvent, le précepte est fixé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dont les dispositions de l’article 5 § 3 édictent l’obligation de traduire « aussitôt » toute personne détenue devant un magistrat, dans le but de « réduire au minimum le risque d’arbitraire ».

Afin d’éviter toute tentation pour un OPJ ou un magistrat de contourner ce principe soit en fractionnant la garde à vue soit en enchaînant plusieurs gardes à vue pour des faits différents, la Cour de cassation s’est penchée à plusieurs reprises sur ce sujet. Continue reading

Vous avez le droit de garder le silence

Abdelhakim Dekhar a revendiqué son « droit au silence ». Même s’il paraît peu vraisemblable que la petite phrase reprise par les médias soit sortie de sa bouche. On a plutôt l’impression du discours militant d’un avocat revendiquant l’accès au dossier.

Extrait de Trucs-en-vrac de Gotlib

Extrait de Trucs-en-vrac de Gotlib

En garde à vue, les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit ont le droit de se taire. Dommage, il n’existe pas la même chose pour imposer le silence à ces experts et autres criminologues qui, à chaque affaire criminelle, se lancent dans des exposés oraculaires.

La Convention européenne des droits de l’homme considère depuis longtemps que « le droit de se taire lors d’un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination » sont des normes internationales, au cœur d’un procès équitable (aff. Murray/ Royaume-Uni, 1996). Continue reading

Plus de biscuits en garde à vue

Le nombre de gardes à vue a diminué, mais le respect de la dignité humaine n’est toujours pas au rendez-vous. Loin s’en faut. Non pas du fait des policiers ou des gendarmes, mais en raison des conditions matérielles réservées aux suspects. Autrement dit, les caisses du ministère de l’Intérieur sont vides.

Et, sans argent, la nouvelle politique de sécurité voulue par Manuel Valls a-t-elle une chance de réussir ?

Dans les commissariats parisiens, par exemple, depuis plusieurs semaines, il n’y a plus de biscuits pour le petit déjeuner. Vous me direz, des biscuits… Pourquoi pas des croissants pendant qu’on y est ! Sauf que les deux biscuits du matin constituaient l’unique pitance des gardés à vue. Même pas un café. Il leur reste la briquette de jus d’orange, du genre de celle que l’on donne aux enfants, en moins bon. Et avec ça, les gaillards doivent tenir jusqu’au repas du midi : une barquette à choisir entre deux plats. Il paraît que le poulet-riz a la faveur du public. Comme quoi ils ne sont pas rancuniers les taulards d’un jour, puisqu’ils aiment le poulet. Si on ne pratique pas en France la torture infamante, avec ce régime hypocalorique, on n’est pas loin de « la tortore affamante ».

Mouais, je sais… Et pour me faire hara-kiri, je pourrais ajouter qu’il ne reste plus aux suspects qu’à manger le morceau.

Et la nuit, ils peuvent rêvasser dans leur couverture cradoque. Le plus souvent allongés par terre, car les matelas sont bizarrement d’une taille qui correspond rarement aux bancs de GAV. Quant à la douche, il ne faut guère y compter. Si elle existe, la plupart du temps, il n’y a pas de serviettes de toilette. Comme disait un commissaire : z’on qu’à prendre du PQ. Sauf qu’il n’y en pas toujours. Il suffit que le livreur passe en l’absence du préposé au ménage, pour que la semaine se déroule sans. Et chaque fonctionnaire de planquer son petit rouleau perso dans son caisson. De toute façon, même s’il y a des douches, même s’il y avait des serviettes, il n’y aurait pas assez de personnel pour accompagner les gardés à vue aux sanitaires.

Donc, tout est pour le mieux.

Un autre exemple de la paupérisation de la police : on manque de cartouches pour les Taser ! Cela se passe dans le Haut-Rhin. C’est un syndicat qui a tiré la sonnette d’alarme : le directeur de la sécurité publique serait prêt à retirer les Taser X26 de la circulation. Heureusement, le préfet pour l’administration de la police a finalement entrouvert son escarcelle : 10 cartouches auraient été livrées.

D’ici qu’on ressorte les bâtons blancs !

Je ne dis pas ça pour me moquer, mais en lisant les instructions du ministre de l’Intérieur sur la mise en place des quinze premières ZSP (zones de sécurité prioritaires), je ne pouvais m’empêcher de me demander où diable il allait trouver les moyens de sa politique… J’ai cru comprendre qu’une partie du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) serait mobilisée. Plus de 50 millions d’euros pour 2012. Rappelons que ce fonds sert à financer en priorité la prévention de la délinquance des jeunes, et, pour plus de la moitié de l’enveloppe, la vidéoprotection. Le plan-caméra si cher au gouvernement Sarkozy-Fillon (et si cher aux contribuables), vivrait-il ses derniers jours ?

La zone de sécurité prioritaire, c’est un peu le contre-pied de la police de proximité du gouvernement Jospin. Dans sa récente circulaire aux préfets, le ministre de l’Intérieur explique qu’il s’agit de s’attaquer « aux causes » et de « lutter en profondeur contre les formes les plus ancrées de la délinquance ».

Donc, pas question de jouer au foot avec les jeunes. Mais au contraire d’unir les forces de plusieurs ministères pour être le plus opérationnel possible en se concentrant sur certains objectifs : l’économie souterraine, le trafic de stupéfiants et d’armes, les violences, les cambriolages, les regroupements dans les parties communes d’immeubles, les nuisances sur la voie publique, les incivilités, etc. Et pour être encore plus pointu, il faudra sélectionner au maxi quatre cibles par zone. Tandis que les collectivités territoriales s’intéresseraient plutôt à la prévention et à la « proximité ». Probablement des missions dévolues aux polices municipales.

Pour cette première année d’activité, il n’y aura ni effectif supplémentaire ni nouvelle implantation immobilière. On peut donc s’attendre à un certain remue-ménage dans les services. Peut-être même un remodelage des structures existantes, « l’occasion d’une redéfinition de certaines unités, notamment celles affectées à la recherche du renseignement ou à la lutte contre la criminalité de voie publique », déclare M. Valls. Entre les lignes, on pourrait penser à un retour des RG et peut-être à la fin des BAC.

Comme l’écrit dans son blog Émilie Thérouin (adjointe au maire, chargée de la sécurité à Amiens), désormais, le préfet reprend la main. Et cela semble une bonne chose. Des services comme la DCRI ont montré les limites d’une centralisation à outrance. On serait donc sur le bon chemin. À condition toutefois que la justice soit au diapason. Ce qui pour l’instant reste à démontrer. Car s’il est question du procureur de la République dans la lettre du ministre aux préfets, c’est au conditionnel. Ce magistrat pourra « s’il le souhaite » assurer la codirection de la cellule opérationnelle. Y aurait-il mésentente entre la place Beauvau et la place Vendôme ?

Réussir une telle réforme sans y mettre un sou, c’est un véritable challenge. Croisons les doigts. Pourtant, il y a une chose qui n’aurait rien coûté. Un vocabulaire plus tolérant.  Je trouve que « zone » cela fait zonard, donc marginal. J’aurais préféré que l’on parle d’espaces de sécurité prioritaire. Mais ce ne sont que des mots.

Meurtre de Léa : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé

Il n’y a pas de haine dans les propos de Karine Bonhoure. L’assassin présumé de sa fille a été arrêté ; elle veut juste qu’il soit jugé. Ce qui semble la moindre des choses. Et pourtant, aujourd’hui, rien n’est sûr. Les avocats du suspect demandent l’annulation de la garde à vue. Pourtant, policiers et magistrats n’ont commis aucune erreur. Bien au contraire. Alors…

« Peut-on imaginer que l’assassin de ma fille soit libéré avant tout jugement et qu’on annule sa détention provisoire ? » me demande-t-elle au téléphone. Et elle me lit la requête des avocats, Me Amel Belloulou-Amara et Laurent Epailly : annulation des auditions faites par les policiers et des interrogatoires du juge, de la perquisition, des saisies, des constatations sur la scène de crime, du rapport médical, etc.

Le suspect, Gérald Seureau, a fait des aveux circonstanciés. Il existe de nombreuses preuves matérielles contre lui qui justifient sa mise en examen pour meurtre aggravé de viols. Et il pourrait être blanchi sans autre forme de procès !

Quel déni de justice.

En cette nuit de la Saint-Sylvestre 2011, une vingtaine de jeunes gens se sont réunis pour le réveillon. Léa et Gérald font connaissance. Elle a 17 ans, il en a 24. Un flirt d’une nuit de fête… A l’aube, ils quittent leurs amis. Tous deux se dirigent vers une propriété en partie buissonneuse où vivent les Sœurs de Saint-François d’Assise. Que s’est-il passé ensuite…

Dans la matinée, la mère de Léa s’inquiète de ne pas voir revenir sa fille. Elle appelle des amis et finit par joindre Seureau – qu’elle ne connaît pas. Il affirme qu’ils se sont séparés vers 6 ou 7 heures du matin. Elle prévient la gendarmerie. Le jeune homme fait la même réponse aux gendarmes. Finalement, vers 21 h, le père se rend au commissariat accompagné de Seureau, qui est le dernier à avoir vu la jeune fille. Il répète ce qu’il a déjà dit : il a quitté Léa vers 6 ou 7 heures. Mais son comportement est bizarre et, lorsqu’il retire l’un de ses gants, les policiers remarquent des traces de griffures sur le haut de sa main. Ils lui demandent des explications. Le jeune homme s’effondre en gémissant : « Je vais aller en prison… Je vais aller en prison… »

À 22 h 45, il est placé en garde à vue. L’OPJ du commissariat informe le barreau pour demander un avocat. Le suspect a craqué, mais lorsqu’il a abandonné Léa, elle était encore en vie. C’est du moins ce qu’il affirme. Et il est d’accord pour accompagner les enquêteurs sur place. Ceux-ci se précipitent. Ils font prévenir l’avocat que, vu l’urgence, ils se transportent sur les lieux de l’agression, du viol, du crime… Ils ne savent pas très bien. Lorsqu’ils arrivent, il est 00 h 35. Léa est morte depuis longtemps. Elle a sans doute agonisé de longues heures. Le procureur, tenu informé, décide de saisir la police judiciaire. Service qui reprend la garde à vue à 1 h 15. Seureau s’entretiendra avec l’avocat de permanence, comme il l’a demandé, durant environ 25 minutes. C’est seulement après qu’il sera interrogé sur le fond. Il passe des aveux complets, d’ailleurs en partie recoupés par ses premières déclarations et par les investigations effectuées durant la garde à vue. Il s’est acharné sur la jeune fille avec une rare violence et il l’a violée à plusieurs reprises. Elle s’est débattue, bien sûr, lui arrachant une gourmette à son nom qu’il porte ordinairement au poignet et qui est retrouvée près du corps. Des tortures qui ont duré longtemps. Un médecin constate les traces de coups et de griffures sur le suspect. Des témoins déclarent avoir vu le jeune homme alors qu’il portait des vêtements déchirés et tâchés de sang. Vêtements qui seront retrouvés lors de la perquisition à son domicile. Des traces de sperme seront même découvertes, plus tard, lors de l’examen clinique du corps de la victime.

Pour les policiers et les magistrats, c’est une affaire carrée : des aveux détaillés et recoupés, des éléments matériels, et même des prélèvements ADN.

Oui, mais…

Trois mois plus tard, sur la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, les parlementaires votent en catastrophe une loi pour modifier les conditions de la garde à vue. Deux points essentiels : la présence de l’avocat durant l’audition d’un suspect et l’obligation de l’informer de son droit à garder le silence. Jusqu’à ce jour, cédant à des lobbys autistes et à la pression de certains syndicats de police, le gouvernement s’était refusé à toute modification. En 2009, Nicolas Sarkozy avait missionné un comité de réflexion sur la justice pénale qui est resté lettre morte. Cette même année, les juges de Bobigny, qui, eux, avaient senti la patate, avaient demandé aux OPJ de suivre les directives européennes en matière de garde à vue. Ils ont à l’époque été fustigés par de nombreux policiers et la chancellerie leur a tourné le dos. Et pourtant, dans au moins deux affaires distinctes, la Cour européenne a estimé que les enquêteurs « auraient dû anticiper l’évolution de la jurisprudence européenne ». Ensuite, mais un peu tard, la Cour de cassation a mis les choses au clair : « Les États sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre une condamnation par celle-ci ou un changement dans leur législation » (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011).

En ce qui concerne la présence de l’avocat, la clé de la jurisprudence européenne tient dans le célèbre arrêt Salduz : pour qu’un procès soit équitable, il faut que le suspect ait accès à un avocat dès le premier « interrogatoire » de police – « sauf à démontrer à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Or, dans l’affaire du meurtre de Léa, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Montpellier a estimé que les policiers et les magistrats avaient respecté la procédure telle qu’elle existait au début de l’année 2011. Et que l’application rétroactive de la loi sur la garde à vue pouvait générer un trouble à l’ordre public. On parle dans ce cas de « sécurité juridique » : protéger les citoyens contre les effets non souhaités du droit.

Les avocats de Seureau ont alors porté l’affaire devant la Cour de cassation qui, le 17 janvier 2012, a cassé la décision de la Cour d’appel. Pour la juridiction suprême, les premières déclarations du suspect sont justifiées par la nécessité de rechercher une personne en péril, ce qui légitime à la fois l’absence de l’avocat et l’absence de notification du droit de se taire. En revanche, les auditions réalisées ensuite sont irrégulières. Une petite phrase qui vise expressément les aveux recueillis par la police judiciaire. En clair, il semblerait donc que la partie de la procédure qui précède la découverte du corps reste valable. Quant au reste…

C’est à présent à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse de se prononcer*. L’audience qui devait se tenir le 8 mars a été repoussée au 26 avril 2012. Il lui appartiendra de déterminer précisément quels procès-verbaux doivent être annulés. Les aveux, c’est sûr, mais quid des autres actes concomitants effectués durant l’enquête en crime flagrant ? Et l’information judiciaire ! Pourrait-elle être invalidée ? C’est le flou juridique.

Il devrait toutefois subsister suffisamment de charges pour envoyer le suspect devant une Cour d’assises. Et il appartiendra au Président de celle-ci de boucher les trous de la procédure. Les policiers, les magistrats, les experts qui ont participé à l’enquête pourront être entendus comme témoins et rapporter ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu. Leurs dépositions marqueront sans doute les jurés. Et si, comme dans l’affaire des enregistrements clandestins effectués au domicile de Mme Bettencourt, ces preuves obtenues « illégalement » étaient néanmoins recevables ?… Eh non ! La décision de la chambre criminelle ne vise que des preuves fournies par une personne privée : un OPJ, lui, est tenu de respecter la loi.

Ce gouvernement se targue de vouloir protéger les victimes. Alors comment admettre que son inertie ait mené la famille de Léa à la situation inverse ? En tardant à aligner la loi française sur les règles européennes, il a placé Karine Bonhoure face à l’absurde. Elle qui s’était tue depuis la mort de sa fille a lancé une pétition sur Facebook afin d’attirer l’attention sur cette situation invraisemblable : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé.

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* Le 7 juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse a estimé la garde à vue illégale.

La garde à vue VIP de Thierry Gaubert

On en rigole encore dans les commissariats… En pleine garde à vue, le téléphone portable du suspect sonne : Allô ! C’est Brice… Et de s’interroger pour connaître le type de sonnerie choisie par Thierry Gaubert, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy… On balance entre La lettre à Élise et La Marseillaise. À moins que ce soit Le jour après la fin du monde ou Mourir demain… Il faut dire que venant de M. Hortefeux, le ministre de l’Intérieur qui a défendu bec et ongles la garde à vue ancienne formule avec mise à nu systématique et vérifications sous la ceinture, la situation ne manque pas de sel.

J’ai cru entendre un policier de la Financière se justifier en disant que rien dans le Code de procédure pénale n’oblige à retirer le téléphone portable d’un gardé à vue. Je dois avouer que j’en suis resté pantois. Reprenons un peu les textes.

Depuis le 1er juin 2011, il existe six cas où l’OPJ peut décider d’une mesure de garde à vue, deux visent à la protection des preuves et des indices et une autre prévoit qu’il s’agit « d’empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ». Donc, il semble que la moindre des choses pour éviter ce risque soit de confisquer, au moins provisoirement, le téléphone portable de l’intéressé. Ce qui est fait d’ailleurs systématiquement par tous les policiers et gendarmes de France – sauf pour les VIP, apparemment.

C’est d’autant moins compréhensible que, de nos jours, le téléphone portable est souvent un élément clé d’une enquête. Il permet notamment de récupérer le carnet d’adresses et, parfois, de mieux ferrer le suspect en le mettant face à ses contradictions ou à ses mensonges. On pourrait donc penser que les enquêteurs assurent un service minimum pour répondre aux commissions rogatoires du juge Renaud Van Ruymbeke. Ce que je me refuse à croire !

Et s’il s’agissait uniquement de ne pas se montrer discourtois envers un personnage bien en cour, pourquoi l’avoir placé en garde à vue ? C’est donc une mesure facultative, à la seule diligence de l’officier de police judiciaire. Pas de garde à vue, pas de fouille, et on laisse au monsieur son téléphone portable – même si on lui demande, c’est bien la moindre des choses, de l’éteindre, comme au cinéma.

On découvre donc au détour de cette facétie une nouvelle forme de garde à vue qui préserve à la fois la susceptibilité d’un client doré tout en sauvant les apparences d’une justice identique pour tous. Pas terrible comme message.

Il y a quelques mois, un ministre allemand a démissionné car il était accusé de plagiat dans sa thèse de droit public. L’autre jour, François Fillon, le Premier ministre, a tenté une diversion aux « affaires » en suggérant de reculer l’âge de la retraite et de s’aligner sur notre voisin d’Outre-Rhin…

Seulement en matière de retraite ?

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