L’ex-policier municipal suspecté dans l’enquête sur le quadruple meurtre de Chevaline a été blanchi après trois jours de garde à vue. Mais il n’a pas été libéré, enchaînant une nouvelle garde à vue pour une affaire incidente. Une même personne peut-elle ainsi être placée sous contrainte de police plusieurs fois et sans limitation de temps ou existe-t-il des garde-fous pour éviter les abus ?
Comme souvent, le précepte est fixé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dont les dispositions de l’article 5 § 3 édictent l’obligation de traduire « aussitôt » toute personne détenue devant un magistrat, dans le but de « réduire au minimum le risque d’arbitraire ».
Afin d’éviter toute tentation pour un OPJ ou un magistrat de contourner ce principe soit en fractionnant la garde à vue soit en enchaînant plusieurs gardes à vue pour des faits différents, la Cour de cassation s’est penchée à plusieurs reprises sur ce sujet.
Il existe d’abord un postulat qui veut qu’une personne ne puisse pas cumuler un nombre d’heures de garde à vue supérieur à celui envisagé par la loi. Toutefois, pour les mêmes faits, cette garde à vue peut être fractionnée. Ainsi, un suspect pourra au fil de l’enquête faire l’objet de plusieurs mesures de garde à vue dans la limite du délai prévu pour le crime ou le délit visé. La règle, c’est 24 heures à l’initiative de l’OPJ et éventuellement une nouvelle tranche de 24 heures sur instruction d’un magistrat. Mais de nombreuses exceptions permettent de porter la durée totale à 96 heures. Toutefois, si ce délai n’est pas extensible, il peut être saucissonné autant de fois que nécessaire. Ainsi, si l’enquêteur estime qu’il n’a pas suffisamment d’éléments, il peut relâcher son suspect et le reprendre plus tard, lorsque son enquête est plus avancée. Mais les heures se cumulent. Tout dépassement du délai imparti rendrait la détention arbitraire. Raison pour laquelle les OPJ futés prennent soin de se garder une marge de manœuvre. Souvent en libérant leur client après la prolongation accordée par le magistrat.
Dans l’enquête de Chevaline la question qui se posait aux enquêteurs était différente. Puisque les armes découvertes lors de la perquisition n’avaient aucun rapport avec les meurtres, pouvaient-ils interroger M. D. sur ces faits ? Dans deux affaires récentes, postérieures à la réforme de la garde à vue, la Cour d’appel et la Cour de cassation ont répondu par l’affirmative – dans la mesure où ces auditions étaient effectuées sans contrainte. Autrement dit, comme lors d’une audition libre, le suspect peut à tout moment y mettre fin – sauf évidemment qu’étant retenu pour autre chose, il ne peut pas partir. Ces auditions sont d’ailleurs répertoriées dans la procédure d’origine, comme il est dit à l’article 64, alinéa 3, du code de procédure pénale. Alors, on peut se demander pourquoi les gendarmes ont préféré clôturer la garde à vue pour en démarrer une seconde. Il s’agit en fait d’un tour de passe-passe pour escamoter une interrogation : un suspect peut-il être déféré pour des faits différents de ceux pour lesquels la mesure de garde à vue a été prise ? Dans le doute, il était préférable de ne pas prendre le risque de le voir sortir libre des locaux de la gendarmerie. ce qui, vu le tapage médiatique, aurait été du plus mauvais effet.
Il fallait donc repartir sur le nouveau délit constitué par la découverte des armes. Mais là encore, il y avait une difficulté juridique à contourner. L’ancien policier municipal avait déjà passé 3 jours en garde à vue. Or, s’il est possible d’enchaîner deux gardes à vue, la durée totale de la rétention ne doit pas dépasser la limite maximale prévue pour la nouvelle infraction. Et pour un délit, c’est 48 heures. Ce qui ne faisait pas le compte. Le procureur a donc estimé que M. D. était suspecté d’exercice illicite du commerce de matériel de guerre, d’armes et de munitions – en bande organisée. Un délit aggravé pour lequel la garde à vue est de 96 heures. Le compte est bon.
Tout cela semble un peu improvisé. La procédure pénale n’est pas faite pour s’adapter aux événements mais pour encadrer l’enquête. Que se passerait-il si à l’issue de l’information judiciaire il apparaissait qu’en fait la « bande organisée » n’était pas constituée ? L’avocat de M. D. pourrait-il demander l’annulation de la garde à vue ? Ça se tente.
Publication récente d’un témoignage concernant cette affaire:
http://www.brigittepicart.com/AUTRES-CRIMES/ALHILLI-MOLLIER/Tuerie_de_Chevaline.html
Bonjour,
Auriez vous les références des arrêts récents de cour d’appel et de cour de cassation que vous évoquez concernant les auditions libres pouvant être effectuées dans le cadre d’une garde à vue tant que le gardé à vue peut y mettre fin quand il le souhaite?
Merci d’avance!
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Il y a de très nombreux exemples, tous embrouillés à souhait : crim. 11-04-2012, n° 11-85-224 ; crim. 30-10-2012, n° 11-87.224 ; crim. 31-100-2006, n° 06-86-123… ( ma main droite refuse de chercher plus avant pour cause d’accident de neige 🙂 ) La nouvelle loi sur le « droit à l’information dans le cadre des procédures pénales » traite de l’audition libre et semble régler les difficultés.
Que dire : une enquête gendarmique, c’est à dire appuyée sur des constructions intellectuelles…
c’est marrant, mais personne ne se pose la seule vraie question:
la garde à vue est t’elle justifiée?
après tous les armes sont saisies, à l’évidence la personne n’est plus poursuivie pour le meurtre de chevaline qui évidemment justifie la garde à vue.
on craint quoi? Qu’il a une arme nucléaire planqué dans l’armoire que personne n’a vu?
« » »loi bien fascisantes, à défaut d’être fâcheuses ! » » »
Vous avez raison…….
De quel droit, justement, le procureur qualifie à l’encontre de MD une infraction qualifiée de délit aggravé, en bande organisée et pourquoi pas avec usage de l’arme nucléaire (infraction inexistante).
Mauvaise odeur que celle sécrétée par ce genre de manip.
Un jour viendra où un agriculteur, pour ne pas avoir voulu traiter ses récoltes, sera poursuivi pour détention de nitrates en vue de la confection d’explosifs.
Comme dit Marc Schaefer : et si ce qu’on nous montre n’est que de la poudre aux yeux, qu’y a t il derrière ? Et s’il n’y a rien, quel est donc tout ce tapage ? Qu’est ce qui se cache derrière ce qu’on veut bien nous montrer ?
Et s’il n’y avait rien ? hé bien, les dégâts causés sur un innocent pour une garde à vue bien trop longue ne pourraient être réparés par le seul droit.
loi bien fascisantes, à défaut d’être fâcheuses !
Les enquêteurs soupçonnaient-ils vraiment l’ancien policier municipal d’être le tireur de Chevaline ? Ou ont-ils profité de l’enquête de Chevaline pour faire avancer une toute autre histoire, qui ne leur aurait pas donné les mêmes moyens à elle seule ?