L’adoption en urgence de la loi relative au renforcement des droits des personnes dans le cadre des procédures pénales montre combien on a du mal à suivre le rythme de l’Europe. Il faut dire que nos méthodes d’investigation sont souvent en contradiction avec les directives européennes. Celles-ci tentent en effet d’installer une harmonisation basée sur une procédure orale, publique et accusatoire ; aux antipodes de celle que nous appliquons qui, elle, est écrite, secrète et inquisitoire.
Cette divergence explique en grande partie pourquoi l’avocat a du mal à faire son trou dans l’enquête pénale, du moins en amont du jugement ou de l’instruction judiciaire. Car notre système est basé sur un postulat : une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit est présumée innocente. Et un innocent n’a pas besoin d’un défenseur. On pourrait presque en faire un syllogisme dérisoire si nos prisons n’étaient pas en partie remplies de « présumés innocents ».
Ce système est tellement ancré dans nos mentalités qu’en 2011 le Conseil constitutionnel, statuant sur l’audition libre, a estimé qu’une personne qui n’était pas retenue de force n’avait pas besoin d’un avocat. Or la CEDH affirme de longue date que l’existence des droits de la défense ne dépend pas de l’exercice d’une contrainte mais d’une accusation, de telle sorte que le droit à l’assistance d’un avocat doit être reconnu à la personne mise en cause dès qu’existent des éléments suffisants de soupçon.
En ce mois de mai 2014, la France vient donc de recevoir le message et le présumé innocent à la française va laisser la place au suspect européen. Un rang quand même moins hypocrite.
Une « garde à vue » de 4 heures – L’audition libre, qui n’imposait pratiquement aucune obligation, sera désormais strictement encadrée, et évolutive, au point de devenir une mini garde à vue.
Pour la première fois dans notre droit, lorsqu’il existe des soupçons contre une personne, elle devient un suspect et à ce titre elle ne peut plus être entendue sans avoir la possibilité de se défendre. L’OPJ doit lui donner connaissance de ses droits et notamment du droit de se taire et, à compter du 1er janvier 2015, d’avoir recours à un avocat si la peine encourue est la prison (les frais sont à la charge du suspect, sauf aide juridictionnelle).
La victime, lors d’une confrontation effectuée dans ce contexte, peut également demander l’assistance d’un avocat, dans les mêmes conditions financières qu’un suspect.
À noter que l’audition libre ne peut s’appliquer à une personne conduite sous contrainte, par la force publique, devant un OPJ (avec une petite retouche à l’article 73). Celle-ci doit être placée en garde à vue. Mais en revanche, l’invitation à suivre ne vaut pas contrainte. En clair, si vous suivez le flic jusqu’au commissariat, vous pouvez « bénéficier » d’une audition libre. Si vous refusez, il y a de fortes chances que vous soyez embarqué de force et placé directement en garde à vue.
Si pour l’avocat l’accès au dossier durant la garde à vue a été renvoyé à la Saint-Glinglin, en revanche, le droit à l’information voulu par les instances européennes profite au justiciable. En effet, après la phase policière, c’est-à-dire après la première comparution ou la première audition, le suspect pourra demander communication de l’intégralité de son dossier. Cette copie, éventuellement numérisée, sera gratuite. Jusqu’ici, seul l’avocat en tant qu’auxiliaire de justice, soumis au secret professionnel, pouvait se faire communiquer le dossier de la procédure. Pour limiter les risques de violation du secret de l’instruction, l’amende encourue en cas de diffusion à un tiers est portée à 10 000 euros (art. 114-1).
Par ricochet, le droit d’information donnera au suspect libre l’accès à son P-V d’audition, ce qui n’a guère d’importance puisqu’il doit de toute manière le signer. En revanche cela devient plus insolite lors de la garde à vue car la personne retenue pourra demander à consulter les mêmes documents que son avocat, c’est-à-dire le P-V de notification de garde à vue, son dossier médical et ses P-V d’audition. De quoi énerver les enquêteurs !
D’autres mesures sont dans les tuyaux comme la possibilité pour la personne mise en cause ou son avocat de faire des observations sur une prolongation de garde à vue ; ou d’ouvrir un débat contradictoire à l’issue de la garde à vue en cas de comparution immédiate ; ou de demander un supplément d’information lors d’une citation directe… Ce sont probablement les premières pierres de la construction d’une procédure nouvelle qui verrait l’indépendance du procureur et la possibilité pour l’avocat d’accéder plus rapidement à la procédure.
On a l’habitude de critiquer cette Europe qui bouscule nos habitudes, mais il n’est peut-être pas mauvais de rappeler que ses directives ne sont pas des décisions technocratiques, mais des actes juridiques pris par les autorités institutionnelles, dont le parlement européen. Le petit bulletin de vote que l’on va bientôt mettre ou non dans l’urne est destiné à élire les députés qui vont le composer – dont près de 10 % de Français. Et pour la première fois les eurodéputés devront approuver le choix du président de la Commission européenne.
Lorsqu’une directive est prise, il appartient à chaque État de l’Union d’adapter son droit interne afin d’aboutir aux objectifs fixés par ladite directive dans le délai imparti. Chez nous, en matière pénale, les oppositions sont tellement fortes que l’on a choisi la politique du « petit pas », comme le dit la députée Cécile Untermaier dans son rapport du 29 avril. On se souvient de la pagaille entraînée par la réforme en catastrophe de la garde à vue, en 2011… Ces atermoiements permanents aboutissent à une insécurité juridique insupportable.
Raison pour laquelle Madame Taubira a mis en chantier un projet de réforme de l’enquête pénale, qui devrait s’inscrire dans une réforme globale. « Avec cette mission et les dispositions qui en découleront, nous allons progresser et consolider l’architecture de notre procédure pénale », a précisé la garde des Sceaux.
Il y a urgence, car depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, le droit européen a pris son envol. En matière de justice et de police au sein de l’Union (comme dans d’autres domaines), les gouvernements des différents pays ont délégué leur pouvoir de décision aux élus européens et aux représentants des 28 États membres. Il faut donc s’attendre à des changements à répétition.
On peut ne pas être d’accord, mais je pense que l’Europe nous aide à rééquilibrer notre procédure pénale entre poursuite et répression des crimes et des délits, respect des droits de la défense et protection de nos libertés. Et finalement, il n’est pas mauvais de se remettre en question.
Vous confondez CEDH et UE :
– CEDH = conseil de l’Europe (47 Etats)
– UE = Union européenne (27)
=> la loi de mai 2014 est une loi transposant la directive de 2012 relative à l’accès à l’information, et donc pris par l’UE. Ce n’est pas la conséquence d’une condamnation de la France par la CEDH.
En outre, vous dites que la France est obligé d’adopter des lois à la va-vite, or je tiens à signaler que la loi de mai 2014 a été transposée en avance et que certains éléments de la directive de 2013 relative à l’accès à l’avocat ont été inclus dans la loi de 2014, soit 2 ans avant le date butoir fixée par l’UE pour transposée la directive de 2013.
Tant d’imprécisions qui ne peuvent que rendre vos propos peu cohérents, et vos idées sur le sujet, erronées (NB : la présomption d’innocence s’applique à tous les stades de la procédure, et est un principe conventionnellement protégé par la CEDH).
Mais qu’on abolisse la garde à vue !
Depuis 1993, quand il y a une pseudo réforme du Code de Procédure Pénal, c’est pour vider cet acte judiciaire policier de sa substantifique moelle. Manifestement, que les policiers posent des questions dérangeantes aux délinquants gênent les « droitsdel’hommistes », alors retirons la possibilité aux policiers de poser des questions aux suspects, je pense que beaucoup de fonctionnaires seraient heureux de ne pas avoir à parler avec la lie de la société que leur métier les amène à côtoyer pour la sécurité de tous !
« La victime, lors d’une confrontation effectuée dans ce contexte, peut également demander l’assistance d’un avocat, dans les mêmes conditions financières qu’un suspect. »
Le délinquant, souvent sans emploi, bénéficiera de l’aide juridictionnelle très souvent, voir même très très très souvent. Quant à la victime, déjà dépouillée, n’aura qu’à se payer le sien.
Ha elle est belle la justice.
» il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » art 78-2 CPP
nous sommes tous suspects , ni présumé innocent, ni présumé suspect !
Ce papier est tres interessant a plus d’un titre dans la mesure ou il apporte un eclairage pertinent sur le fonctionnement « ideologique » dans le pseudo-pays des « droits de l’homme ». Mais en fait, on aimerait que les droits soient pus respectes lorsque l’individu se retrouve confronte a la machine judiciaire. Un grand bravo a l’auteur, felicitations.
Non monsieur Moreas, ce n’est pas l’Europe qui bouscule la procedure penale, c’est la grande bretagne. Alors meme qu’elle reste distante de l’UE, son influence est enorme dans les instutions policieres et judiciaires du continent. Si vous aviez l’occasion d’assister aux reunions d’Europol vous pourriez vous en rendre compte. Tout doit aller dans leur sens.
Et cette procedure penale accusatoire qu’on veut nous imposer, c’est encore l’expression de la main mise anglaise sur nos institutions, son intrusion dans notre mode de vie.
Quant a l’efficacite de cette procedure permettez moi d’etre dubitatif. Quand on voit l’importance du crime organise dans les pays anglosaxons et qu’on le compare avec celui qui existe en France on peut serieusement se poser des questions.
Et ce n’est pas cette procedure qui va faire diminuer le nombre d’erreurs judiciaires. Il suffit de regarder les condamnes a mort par la suite innocentes aux USA. C’est sur que dans ce systeme, dans lequel il faut organiser soi-meme une enquete a decharge avec son avocat, puisqu’aucun juge d’instruction n’existe dans cette procedure, il vaut mieux avoir des sous !
Nous avons le droit de regarder ce que font les autres pays et prendre ce qu’il y a de bon. Mais il faut sortir de toute urgence de l’union européenne. Les décisions prises à Bruxelles ne sont pas démocratiques.
Pour vigipirate a été mis en place sous prétexte d’attentats islamistes. Depuis près de 10 ans les seuls attentats commis en France sont le faits de l’extrême gauche, des séparatistes.
Pas médiatisé ne veut pas dire pas démocratique. La législation européenne est votée par nos gouvernements élus, et/ou par les députés européens.
Le probleme est qu’une directive se vote plusieurs années avant sa mise en oeuvre. Or on entend ainsi rarement parler des directives, mais plutot des lois nationales qui en découlent… quand c’est evidemment trop tard.
N’oubliez pas que la constitution dit que la souveraineté appartient au peuple, qui l’exprime via ses représentants….. C’est joli sur le papier, mais ca ne marche que si les citoyens surveillent les représentants!
Vous n’oubliez qu’une chose, c’est que la démocratie ne veut pas dire que c’est votre opinion qui va l’emporter à chaque fois, mais bien l’opinion la plus générale, majoritaire. Si vous voulez changer celle ci, il n’y a qu’un moyen: convaincre les autres et déjà en étant plus présent au lieu de ne penser qu’à partir. La continuité de cette attitude c’est l’isolement individuel du soit disant sage universel…
En ce qui concerne Vigipirate (qui a plusieurs degrés…) il ne vient à l’esprit de personne apparemment que le faible nombre d’attentats en soit justement la cause !
« Mais il faut sortir de toute urgence de l’union européenne. Les décisions prises à Bruxelles ne sont pas démocratiques »
Il serait infiniment plus intelligent de rendre ces décisions démocratiques… une tendance que nos concitoyens (et d’autres) ont préféré refuser lors du référendum (la pire sorte de consultation possible) sur le traité constitutionnel. On est dans l’illogisme le plus terrible: on ne tue pas ni n’abandonne un enfant parce qu’il ne sait pas marcher, on attend, et on l’aide à grandir.
C’est sur que si déjà vous comparez l’Union Européenne à un enfant, vous avez déjà un parti pris positif.
Hors, le problème est que l’UE ressemble davantage à un monstre bourré aux OGM américains qui fait des crises nerveuses dans la maison en détruisant tout le droit social. Ne serait-ce qu’une araignée à la maison, la plupart l’écrase, alors il faut arrêter les bons sentiments qui empêchent de voir la réalité. Mais libre à vous de croire qu’il sera toujours possible de faire une « restauration » du système quand celui-ci sera devenu encore plus impossible qu’aujourd’hui…
Voyant justement la réalité en face, je prends l’UE pour ce qu’elle est: une expérience toujours en devenir, constituée de et par nous tous, bénéficiant de rapports de force subtils pas toujours contrôlables et qu’il s’agirait de mieux contrôler par les réformes introduisant plus de démocratie… réformes refusées *par principe* par les gens comme vous, par d’autres parce que ce refus est compris comme une sanction du gouvernement en place.
La soit-disant destruction du droit social (vous parlez de quoi exactement d’ailleurs?) n’a pas grand-chose à voir avec l’UE, mais bien avec la mondialisation, et surtout avec les incapacités de la France et des Français à accepter d’innover, de changer, plutôt que camper sur des positions pas toujours tenables et d’ailleurs pas toujours désirables ni aimées, face à la peur irraisonnée d’un pire imaginaire.
Le repoussoir devrait être l’immobilisme, mais il est tellement plus confortable de se trouver un bouc émissaire dans l’UE, n’est-ce pas?
Il est là le problème, vous prenez l’UE pour une expérience et ceci les gens comme moi à raison le comprennent très bien et n’en veulent pas.
Vous niez par ailleurs la réalité dans vos propos alors que tout le monde sait que l’union fiscale aurait dû être faite avant l’euro, de même que les mécanismes de sortie de l’euro, et que par conséquent la charrue a été mis avant les boeufs. Et tout en niant cela, vous voulez nous enfoncer encore davantage dans une Union Européenne qui devient de moins en moins contrôlable avec une ouverture à de plus en plus de pays alors qu’aucune entente n’arrive déjà à être trouvé sous sa forme actuelle. Et vous parvenez à me justifier ça comme quoi ce serait un rejet de la part de gens comme moi qui engendrerait cela… Non, Monsieur, l’Union Européenne ne marche pas et tout le monde le voit dès à présent qu’elle n’existe plus que pour sauver l’euro et qu’elle en est réduite à être au service d’une monnaie, au lieu que ce soit la monnaie qui soit au service des peuples.
À nouveau, même les ministres socialistes ont reconnu qu’il serait nécessaire de dévaluer ou dépprécier au moins la monnaie européenne pour être plus compétitif. Et vous êtes en train de me dire que cette monnaie ne détruit pas le droit social alors qu’elle freine les exportations… Et nous rend davantage des importations extérieures tuant nos entreprises sur le marché. Bref, tout ce que vous avez pour défendre l’UE, c’est de la bonne volonté et croire qu’en attendant ça ira mieux. Et pendant ce temps, les compteurs tournent et les défaillances d’entreprise augmentent. Mais il est certain que quand on part d’un postulat que l’UE fait rempart à la mondialisation au lieu de servir celle-ci, on ne peut pas comprendre que le monde n’est pas rempli seulement de bon sentiment pour « voir un enfant grandir »….
Sans compter qu’aujourd’hui toutes les décisions sont motivées aujourd’hui par « c’est une directive de l’UE à laquelle il faut se conformer », ce qui est un beau moyen de contourner la démocratie et que quelques uns imposent à chaque pays ce qu’ils ont envie venant d’autres pays et sans que personne n’y comprenne rien ni ne décide parmi ceux qui ont pourtant un bulletin de vote. Car le bulletin de vote ne sert finalement pas à grand chose dans cette histoire, mais ça encore vous préférez mettre des oeillères…
«le présumé innocent à la française va laisser la place au suspect européen»
Je suis très, très sceptique sur cette formulation. Comme si le suspect européen n’était pas présumé innocent !
La vraie différence c’est que la garde à vue va (enfin) commencer à faire partie de la procédure pénale. C’est à dire que, comme vous le faites remarquer d’ailleurs, le système actuel est hypocrite puisque l’on dit au gardé à vue « vous n’avez pas droit à une défense parce que vous n’êtes pas accusé de quoi que ce soit ! » (la procédure pénale française n’ayant pas encore officiellement commencé à ce stade). Je ne suis pas sûr que ce soit le sentiment du gardé à vue, ni du policier, ni de n’importe quel autre observateur.
Accorder un statut de suspect au gardé à vue n’est que reconnaitre l’évidence.
je propose « présumé suspect »
Littéralement cela ne veut pas dire grand chose. Enfin si : qu’on le considère par avance suspect et qu’il doit prouver son innocence. Présumé est un terme utilisé à contresens par tout le monde…
Vigipirate est actif sans interruption depuis 1996 et rouge depuis 2005.
Qui débarrassera le pays de cette verrue ? Un état d’urgence suspendant bon nombre de libertés et procédures sans justification.