L’Europe est souvent critiquée mais s’il y a un domaine dans lequel l’évolution est notoire, c’est la police. Helmut Kohl, en 1991, aurait été le premier à envisager la création d’une agence de police européenne, à l’image du FBI. On est loin du compte, même si petit à petit on s’en approche. Et pourtant, depuis près de 20 ans, il existait une structure plus ou moins secrète créée d’une manière empirique par la volonté de plusieurs pays européens. Ou plus exactement par la volonté de quelques hommes, des praticiens, qui ont su forcer la main des pouvoirs politiques.
Sa mise en place a été envisagée à l’issue de la prise d’otages perpétrée lors des JO de Munich en 1972. Le fonctionnement d’Interpol étant apparu trop rigide pour faire face à de telles actions terroristes, il s’est constitué une sorte de bureau de liaisons. Les gouvernements des États membres de la CEE l’ont entériné en 1976, en créant officiellement (mais en dehors de tout traité), le groupe TREVI. Sa création a été suffisamment improvisée pour qu’aujourd’hui encore on ne sache pas trop d’où vient son nom. Probablement parce que la première réunion a eu lieu à Rome, pas très loin de la célèbre Fontaine de Trevi et qu’elle était présidée par un Hollandais du nom de Fonteijn. En France, plus tard, les parlementaires ont voulu en faire un acronyme (Terrorisme – Radicalisme – Extrémisme- Violences internationales), mais personne n’y a cru.
L’action de TREVI allait au-delà de la lutte contre le terrorisme. L’existence de ce groupe a été tenue secrète jusqu’en 1989. Le traité de Maastricht, en 1992, l’a plus ou moins officialisé en l’intégrant au « 3ème pilier » de l’UE. C’est l’ancêtre d’Europol.
L’office européen de police, Europol, a été créé en 1995 mais il n’est devenu véritablement opérationnel qu’en 1999, après la ratification de la Convention par tous les États membres. Depuis cette date, en application du traité d’Amsterdam, Europol est une agence européenne dotée d’un budget et d’un effectif communautaire, aujourd’hui, 84 millions d’euros et 700 personnes (rapport du Sénat du 17 avril 2014). Son siège est à La Haye (Pays-Bas).
Depuis l’année dernière, la Commission européenne a installé, au sein d’Europol, un Centre européen pour la lutte contre la cybercriminalité (EC3).
Outre les échanges d’informations et les analyses techniques concernant la criminalité transfrontière, la mission active d’EUROPOL consiste à « appuyer » les services de police ou autres services répressifs des États membres et à faciliter leur collaboration mutuelle dans la lutte contre la « criminalité grave » et le terrorisme, lorsque les faits concernent au moins deux États membres ou portent atteinte à un intérêt commun au sein de l’Union.
Chaque État délègue des officiers de liaison qui participent aux échanges d’informations et d’analyses et désigne l’unité nationale chargée des relations avec Europol.
Pour la France, l’Unité nationale Europol (UNE) est placée au sein de la Section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL). En collaboration avec le bureau de liaison France (BDL) au siège d’Europol, elle constitue le seul organe de liaison entre Europol et les services français compétents.
La SCCOPOL est rattachée à la direction des relations internationales (DRI), un service interministériel auquel participent les ministères de l’Intérieur (police, gendarmerie), de l’Économie et des Finances (douanes) et de la Justice. La DRI est placée sous l’autorité du directeur central de la police judiciaire.
La SCCOPOL regroupe les trois canaux institutionnels auxquels la France a adhéré : Europol, Interpol, Schengen (art. D. 8-2 du CPP).
Elle est en charge de l’ensemble de la coopération policière internationale à caractère opérationnel. La proximité avec l’autorité judiciaire du fait du détachement d’une mission justice, émanation du bureau d’entraide pénal international (BEPI) de la Chancellerie, facilite le traitement de certaines requêtes nécessitant l’aval d’un magistrat (demandes d’extradition, mandat d’arrêt européen…).
L’action de la SCCOPOL s’organise autour de différents outils :
Le BCN Interpol France – Interpol constitue l’organisation internationale chargée de la coopération policière la plus ancienne (1928) et la plus importante, puisqu’elle regroupe 188 pays. Elle dispose, dans chaque pays membre, d’un correspondant appelé le bureau central national (BCN). En 2009, elle a ouvert un « bureau du représentant spécial d’Interpol » auprès de l’Union européenne, à Bruxelles. Le siège d’Interpol se trouve à Lyon depuis 1989.
Le système d’information Schengen (SIS) – La suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’UE prévue par l’accord de Schengen (appliqué en 1995) a été compensée par une sorte de « frontière électronique dématérialisée », sous la forme d’un fichier commun composé de l’ensemble des fichiers nationaux des États membres. Ce système active, depuis environ 500 000 terminaux, plus de 36 millions de données dont 1.2 million concerne des personnes signalées ou recherchées.
En 2010, le SIS a permis l’interpellation de 450 individus, objets d’un mandat d’arrêt européen émis par la France ; et de 768 personnes, objets d’un mandat étranger et arrêtées en France (source ministère de l’Intérieur).
Le bureau Sirène – Pour « supplément d’informations requis à l’entrée nationale des étrangers ». Ce bureau est en charge de la gestion opérationnelle du système Schengen. C’est lui, par exemple, qui diffuse les mandats d’arrêts européens délivrés par les autorités judiciaires françaises.
L’unité centrale de coopération policière internationale (UCCPI) – L’UCCPI a pour mission de transmettre les demandes de renseignements ou d’informations aux États membres dans tous les domaines de la délinquance conformément à l’article 39 de la convention d’application des accords de Schengen.
Les offices centraux et les directions interrégionales et régionales de police judiciaire (DIPJ et DRPJ) sont chargés de l’assistance des services étrangers, mais c’est la mission justice qui autorise les observations transfrontalières.
L’unité de coordination et d’assistance Prüm (UCAP) – Il s’agit d’un nouvel outil qui découle de la généralisation des méthodes de police scientifique et technique. Le traité de Prüm a instauré un système automatisé de comparaison des profils ADN ou d’empreintes digitales présents dans les fichiers nationaux des pays partenaires européens. Ce service a été créé pour traiter les échanges d’information consécutifs à un « hit » (une correspondance supposée) lors de ces comparaisons.
Il serait question de modifier le principe pour anonymiser la réponse (« hit/no hit ») : l’identification ne serait fournie que dans un deuxième temps.
Le point de contact central (PCC) – Le PCC/SCCOPOL est un service d’analyse et de coordination chargé de vérifier la légalité des demandes des autres pays, de faire les premiers recoupements et de choisir le canal de coopération le mieux adapté (Interpol, Europol, Schengen). Pour sa mission, il a accès aux principaux fichiers de police et de gendarmerie, au registre Interpol et au fichier EUCARIS (système d’information européen concernant les véhicules et les permis de conduire).
La police européenne se construit à grands pas. Depuis 2009, Europol peut effectuer des enquêtes conjointement avec les autorités des États membres. Cette avancée régulière des moyens et des pouvoirs d’investigation ne va pas sans poser question. Une réforme est d’ailleurs sous-jacente pour renforcer le contrôle du parlement européen ou, par exemple, pour mieux protéger les données personnelles. En fait, s’il y a un risque, il réside dans l’uniformisation, alors que chaque pays applique un droit pénal qui lui est propre et qu’il n’existe aucun contrôle sur l’utilisation des informations. Le meilleur des pare-feu serait sans doute une accélération de la justice européenne.
Il en sera question dans un prochain billet.
Heureusement que les polices et services secrets d’Europe ne sont pas fédéraux ! On risquerait de les confondre et de dire « tous pourris », alors qu’on peut encore distinguer les barbouzes nationaux et dire « salauds de la DGSE ».
Ici en Allemagne, encore aujourd’hui, un service secret envoie en ville des bandes de voyous se comporter mal avant les élections, pour faire peur au bon peuple et l’inciter à voter pour les partis réactionnaires. Les élections européennes étant le même jour en France et Allemagne, comment distinguer ?
Parce que les malcomprenants de la DGSE l’ont fait aussi avant les municipales françaises ! Les bandes de voyous, déjà. Encore plus ciblé pour influencer l’électorat français ici : soudain de longues files d’Arabes devant les maisons d’aide sociale – alors que les Arabes sont rares en Allemagne et ne sont pas l’archétype de l’immigré dans l’imaginaire allemand. Les acteurs étaient même arrivés dans des voitures immatriculées en France.
La République n’a pas besoin de barbouzes s’immisçant dans les élections. Il faut tirer la chasse d’eau.
Dans la pratique, et cette article illustre bien la complexité du dispositif, tout cela est très peu efficace.
La coopération policière marche pas mal en bilatéral, mais Europol est une grosse administration technocratique qui produit peu de plus-value.
Quand j’étais plus jeune policier, une forme de boutade au sujet de certaines opérations anti-terroristes était : « le terrorisme : peu de gens en meurent, beaucoup en vivent « ! il en va de même pour ces coopérations institutionnelles.
Il y a une vraie méthode coué chez les responsables de la Coop. policière pour convaincre tous le monde d’y aller, mais quelle perte de temps le plus souvent !
Ça, c’est bien balancé !
Bonjour et bravo pour cette analyse synthétique. MAIS il y a une nuance qu’il importe de faire impérativement pour ne pas induire les lecteurs en erreur. Europol n’a pas de pouvoir exécutifs (en France pas de pouvoir d’OPJ/APJ). En clair, les agents d’Europol n’ont pas le pouvoir de faire des perquisitions, d’arrêter des suspects… ou encore de faire passer des éthylotestes !
En vérité, Europol est avant tout un organisme d’échange d’informations (en se rendant également sur le terrain). Un rapport du Sénat publié ce mois d’avril affirme qu’Europol est un « mégamoteur de recherches » (j’en ai fais un résumé sur mon site : http://www.securiteinterieure.fr/2014/04/europol-est-un-mega-moteur-de.html)
Europol est au cœur de la coopération policière européenne (voyez la synthèse que j’ai faite à partir des résumés du rapport d’activité d’Europol par les étudiants de mon master en sécurité) :
http://www.securiteinterieure.fr/2013/11/europol-confirme-sa-qualite-de-centre.html
Lorsque que affirmez que « Europol peut effectuer des enquêtes conjointement avec les autorités des États membres », OUI MAIS ce rôle se cantonne à de l’assistance, à souffler les questions, à faire des recoupements (de l’analyse criminelle pour faire simple), à donner des conseils et à transmettre du renseignement venant des bases de données de l’office situé à La Haye ou gracieusement fournis par les Etats membres (ou les pays tiers de l’UE avec qui Europol a conclu un accord, comme les Etats-Unis par exemple).
Europol n’est non pas un FBI européen et va-t-on vers un rôle plus opérationnel ? La réponses est NON ! Car le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 88 TFUE) l’interdit expressément. En somme, verra-t-on la police nationale supplantée un jour par Europol (ou la gendarmerie) ? La réponse est clairement négative, du moins par dans un avenir proche !
Quelque chose me pose question:
les policiers ont ils accès au casier judiciaire national et à l’équivalent dans les autres pays européens?
(ex : quelqu’un qui s’est bagarré aux 4 -ou plus- coins de l’Europe, voire au milieu, verra-t-il son sinistre palmares connu dans son intégralité?)
Il me semble que si c’était le cas l’accent ne serait pas autant mis sur ces services dédiés principalement l’échange d’informations.
Savoir qu’ untel a déja cassé x mâchoires en Espagne -et s’y est fait condamner avec sursis- est une _information_ utile pour un policier s’il casse une mâchoire en France (ou au moins pour un juge?)?
Non il n’y a pas d’accès direct au casier judiciaire d’un individu mais la justice via le BEPI peut en faire la demande.
On arrive à la situation où, si quelqu’un est condamné avec sursis dans un pays (à condition qu’il ne recommence pas), et recommence les mêmes mauvaises habitudes dans un autre pays (il peut donner des garanties de représentation) , son sursis initial ne sera pas révoqué?
(c’est contraire à ce que l’on m’a dit; naturellement, j’ai changé les noms de pays -mais peut être était ce pour calmer le querelleur-)
Ca , c’est très bien ! Mais l Europe sociale, l Europe anti Dumping fiscal, c’est pour quand ?
Quand les peuples européens éliront des gouvernements qui seront tous d’accord pour soit:
– créer eux-meme cette Europe sociale (on y croit pas une seconde)
– donner le pouvoir au Parlement Européen, qui lui pourra construire l’Europe au nom des citoyens … encore faudra-t-il que les autres citoyens européens soient d’accord avec vous..
Je doute que les Luxembourgeois ou les Autrichiens -par ex.- soient contre le dumping fiscal…