L’élection récente du général émirati Ahmed Naser Al-Raisi à la présidence d’Interpol a causé un sacré remous dans les rangs de l’Organisation internationale de Police criminelle (OIPC), ou plutôt un tourbillon qui risque de lui faire boire la tasse. À première vue, on pourrait se dire que l’homme est à sa place, puisqu’il s’agit d’un ancien policier. Mais son ascension jusqu’aux grades les plus élevés ne s’est pas faite sans violence. Il est d’ailleurs présenté par de nombreuses ONG comme l’un des personnages influents les plus autoritaires du Golfe, pour qui les « droits de l’homme » se résument au droit de la fermer. En France, il fait l’objet de plusieurs plaintes, dont l’une, déposée par Me William Bourdon, le tient pour responsable des tortures infligées à Ahmed Mansoor, détenu à l’isolement depuis quatre ans. Celui-ci, poète, blogueur et défenseur des droits de l’homme, aujourd’hui âgé de 52 ans, a été arrêté en 2017 et condamné en 2018 à dix ans de prison pour avoir publié sur les réseaux sociaux des « informations fausses et trompeuses ».
Sur Twitter, Grégory Doucet, le maire de Lyon, où se trouve le siège d’Interpol, s’est offusqué : « Comment un homme suspecté de tortures peut-il prendre la tête de l’organisation mondiale des polices ? » Cette réaction épidermique inquiète, car l’OIPC a un projet d’agrandissement sur la ville pour un budget de plus de 60 millions d’euros, dont une partie doit être financée par nos impôts – avec un bémol (une menace ?) : sur un coin de table, l’option de transférer son siège dans un autre pays. Les Émirats arabes unis ont évidemment ouvert grand leur coffre-fort : le symbole de cette prestigieuse organisation quittant « la patrie » des droits de l’homme pour un État monarchique qui cherche à se blanchir d’une image ancrée dans le totalitarisme n’a pas de prix.
En soutenant et en facilitant l’élection de Naser Al-Raisi à la présidence d’Interpol, les autorités émiraties ont posé une première pierre. Si ce projet devait se concrétiser, quelle serait la position de l’Europe, alors que le parlement européen vient de prendre une résolution condamnant la situation des droits de l’homme dans ce pays ? Une résolution qui a été rejetée par les Émirats et par l’Observatoire arabe des droits de l’homme, une émanation du Parlement arabe.
On est en pleine guerre des droits de l’homme !
L’OIPC-Interpol, dont l’un des principes fondateurs est basé sur l’interdiction d’intervenir « dans les questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial », risque donc de s’engluer dans une mouscaille politique. D’autant que pour faire tourner cette énorme boutique, il faut beaucoup d’argent. En 2021, le budget de fonctionnement s’élève à 145 millions d’euros qui sont couverts pour 72 millions par les contributions statutaires des 195 pays adhérents, et le solde par les contributions volontaires de ces pays ainsi que les financements privés. On a reproché par exemple à Interpol d’accepter l’argent de fabricants de cigarettes ou de laboratoires pharmaceutiques, cependant, il n’y a pas de conflit d’intérêt : la lutte contre les trafics autour de ces activités est bien de sa compétence. L’Union européenne, le Canada et les États-Unis sont les principales sources de financement volontaire. La France est l’un des principaux donateurs en nature (personnel, locaux, équipements…). Le quart des effectifs d’Interpol est composé de policiers et de gendarmes détachés. Continue reading
12 réponses à “La police européenne va de l’avant”
Heureusement que les polices et services secrets d’Europe ne sont pas fédéraux ! On risquerait de les confondre et de dire « tous pourris », alors qu’on peut encore distinguer les barbouzes nationaux et dire « salauds de la DGSE ».
Ici en Allemagne, encore aujourd’hui, un service secret envoie en ville des bandes de voyous se comporter mal avant les élections, pour faire peur au bon peuple et l’inciter à voter pour les partis réactionnaires. Les élections européennes étant le même jour en France et Allemagne, comment distinguer ?
Parce que les malcomprenants de la DGSE l’ont fait aussi avant les municipales françaises ! Les bandes de voyous, déjà. Encore plus ciblé pour influencer l’électorat français ici : soudain de longues files d’Arabes devant les maisons d’aide sociale – alors que les Arabes sont rares en Allemagne et ne sont pas l’archétype de l’immigré dans l’imaginaire allemand. Les acteurs étaient même arrivés dans des voitures immatriculées en France.
La République n’a pas besoin de barbouzes s’immisçant dans les élections. Il faut tirer la chasse d’eau.
Dans la pratique, et cette article illustre bien la complexité du dispositif, tout cela est très peu efficace.
La coopération policière marche pas mal en bilatéral, mais Europol est une grosse administration technocratique qui produit peu de plus-value.
Quand j’étais plus jeune policier, une forme de boutade au sujet de certaines opérations anti-terroristes était : « le terrorisme : peu de gens en meurent, beaucoup en vivent « ! il en va de même pour ces coopérations institutionnelles.
Il y a une vraie méthode coué chez les responsables de la Coop. policière pour convaincre tous le monde d’y aller, mais quelle perte de temps le plus souvent !
Ça, c’est bien balancé !
Bonjour et bravo pour cette analyse synthétique. MAIS il y a une nuance qu’il importe de faire impérativement pour ne pas induire les lecteurs en erreur. Europol n’a pas de pouvoir exécutifs (en France pas de pouvoir d’OPJ/APJ). En clair, les agents d’Europol n’ont pas le pouvoir de faire des perquisitions, d’arrêter des suspects… ou encore de faire passer des éthylotestes !
En vérité, Europol est avant tout un organisme d’échange d’informations (en se rendant également sur le terrain). Un rapport du Sénat publié ce mois d’avril affirme qu’Europol est un « mégamoteur de recherches » (j’en ai fais un résumé sur mon site : http://www.securiteinterieure.fr/2014/04/europol-est-un-mega-moteur-de.html)
Europol est au cœur de la coopération policière européenne (voyez la synthèse que j’ai faite à partir des résumés du rapport d’activité d’Europol par les étudiants de mon master en sécurité) :
http://www.securiteinterieure.fr/2013/11/europol-confirme-sa-qualite-de-centre.html
Lorsque que affirmez que « Europol peut effectuer des enquêtes conjointement avec les autorités des États membres », OUI MAIS ce rôle se cantonne à de l’assistance, à souffler les questions, à faire des recoupements (de l’analyse criminelle pour faire simple), à donner des conseils et à transmettre du renseignement venant des bases de données de l’office situé à La Haye ou gracieusement fournis par les Etats membres (ou les pays tiers de l’UE avec qui Europol a conclu un accord, comme les Etats-Unis par exemple).
Europol n’est non pas un FBI européen et va-t-on vers un rôle plus opérationnel ? La réponses est NON ! Car le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 88 TFUE) l’interdit expressément. En somme, verra-t-on la police nationale supplantée un jour par Europol (ou la gendarmerie) ? La réponse est clairement négative, du moins par dans un avenir proche !
Quelque chose me pose question:
les policiers ont ils accès au casier judiciaire national et à l’équivalent dans les autres pays européens?
(ex : quelqu’un qui s’est bagarré aux 4 -ou plus- coins de l’Europe, voire au milieu, verra-t-il son sinistre palmares connu dans son intégralité?)
Il me semble que si c’était le cas l’accent ne serait pas autant mis sur ces services dédiés principalement l’échange d’informations.
Savoir qu’ untel a déja cassé x mâchoires en Espagne -et s’y est fait condamner avec sursis- est une _information_ utile pour un policier s’il casse une mâchoire en France (ou au moins pour un juge?)?
Non il n’y a pas d’accès direct au casier judiciaire d’un individu mais la justice via le BEPI peut en faire la demande.
On arrive à la situation où, si quelqu’un est condamné avec sursis dans un pays (à condition qu’il ne recommence pas), et recommence les mêmes mauvaises habitudes dans un autre pays (il peut donner des garanties de représentation) , son sursis initial ne sera pas révoqué?
(c’est contraire à ce que l’on m’a dit; naturellement, j’ai changé les noms de pays -mais peut être était ce pour calmer le querelleur-)
Ca , c’est très bien ! Mais l Europe sociale, l Europe anti Dumping fiscal, c’est pour quand ?
Quand les peuples européens éliront des gouvernements qui seront tous d’accord pour soit:
– créer eux-meme cette Europe sociale (on y croit pas une seconde)
– donner le pouvoir au Parlement Européen, qui lui pourra construire l’Europe au nom des citoyens … encore faudra-t-il que les autres citoyens européens soient d’accord avec vous..
Je doute que les Luxembourgeois ou les Autrichiens -par ex.- soient contre le dumping fiscal…