Après un procès dérangeant qui aurait sans doute inspiré Jean de la Fontaine, Jérôme Kerviel a entamé un bras de fer avec la justice, attendant, sous l’œil bienveillant des médias, que les forces de l’ordre viennent le chercher de l’autre côté de la frontière italienne – mais au sein de l’Europe. Ce fait-divers braque les projecteurs sur l’avancée la plus importante de l’UE en matière de justice et de police : le mandat d’arrêt européen (MAE).
En effet, l’extradition n’existe plus entre les États membres de l’Union. La France a entériné la chose en 2003 en modifiant sa Constitution : « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions européennes ».
L’extradition a donc été remplacée par un système « basé sur la confiance réciproque » qui consiste à remettre au pays demandeur les personnes condamnées, comme Jérôme Kerviel en France, ou celles qui font simplement l’objet de poursuites pénales. On ne parle donc plus d’une personne extradée mais, en l’absence de synonyme, d’ « une personne dont la remise a été demandée ».
Le vieux principe selon lequel la France n’extrade pas ses nationaux a donc vécu. Il s’est incliné devant la citoyenneté européenne.
On peut du reste noter qu’un autre tabou est tombé concernant les infractions politiques. Alors que l’article 696-4, al. 2 du code de procédure pénale prévoit que « l’extradition n’est pas accordée lorsque le crime ou le délit a un caractère politique », cette mesure n’est pas reprise pour le mandat d’arrêt européen. Il existe bien une exception dans l’hypothèse où les faits incriminés ne constitueraient pas une infraction sur notre sol, mais il y a tellement d’exceptions à l’exception que, comme on dit sur Twitter, on est à la limite du #foutagedegueule.
C’est ainsi qu’en novembre 2013, la militante basque française Aurore Martin a été arrêtée dans les Pyrénées-Atlantiques en exécution d’un MAE émis par l’Espagne et remise aux autorités de ce pays. Son délit ? Elle avait participé, en 2006 et 2007 à des réunions publiques et à la rédaction d’un journal indépendantiste basque.
Avec le MAE, l’une des rares mesures de faveur attachée au caractère politique d’une infraction a disparu. Inutile de passer la frontière après avoir coupé des plants de maïs transgénique !
Il existe néanmoins un garde-fou sérieux lorsque la personne visée fait l’objet de poursuites en raison de circonstances liées à « son sexe, sa race, sa religion, son origine ethnique, sa nationalité, sa langue, ses opinions politiques ou son orientation sexuelle ».
L’année dernière, un groupe d’eurodéputés est monté au créneau pour dénoncer les excès (et parfois les cafouillages) du mandat d’arrêt européen, réclamant notamment la possibilité pour un pays de refuser de l’exécuter dans le cas où il y aurait un risque de violation des droits de l’homme.
D’ailleurs, il y a quelques semaines, la Grande-Bretagne a montré – à nos dépens – qu’il pouvait y avoir des limites à la coopération européenne. Les juges anglais ont en effet refusé de remettre à la France un trafiquant de drogue recherché en Guadeloupe sous le prétexte que les prisons des Antilles françaises sont surpeuplées, sales et « truffées de rats, crapauds, cafards et autres animaux ». Et que, dans ces conditions, les droits de l’homme n’étaient pas respectés. Malgré le mandat français, l’homme a été libéré sous caution.
En France, le mandat d’arrêt européen vaut droit d’arrestation, même dans un lieu privé. Tout individu interpellé en vertu d’un MAE doit être conduit dans les 48 heures devant le procureur de la République. Pendant ce délai, la personne peut exercer tous les droits inhérents à la garde à vue, mais, comme la mesure ne peut être prolongée, en l’absence de précision du Code, elle ne peut voir un avocat qu’une seule fois, au début de sa rétention. Alors que dans la garde à vue, la CEDH a imposé la présence de l’avocat dès le début de la deuxième tranche de 24 heures.
Les MAE sont diffusés par l’intermédiaire du système d’information Schengen (SIS). Il compterait 1,2 million de données concernant des personnes recherchées ou signalées. Chez nous, le bureau Sirene (supplément d’informations requis à l’entrée nationale des étrangers) – qui dépend de la SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police), qui dépend de la direction des relations internationales (DRI), laquelle est placée sous les ordres du directeur central de la PJ – est chargé de la diffusion des MAE délivrés par les autorités judiciaires françaises. Une mission justice assure la liaison avec le bureau de l’entraide pénale internationale, lequel dépend de la direction des affaires criminelles et des grâces, au ministère de la Justice. Sur le plan européen, ce bureau est associé à l’élaboration du droit pénal et il est responsable de la mise en œuvre de l’entraide répressive, notamment le suivi des procédures du mandat d’arrêt européen.
On s’est éloigné de Jérôme Kerviel, mais le temps que j’écrive ce billet, son sort sera peut être réglé. D’autant qu’il est possible de procéder à l’interpellation d’une personne recherchée sur la simple promesse que le MAE va suivre…
Les différents gouvernements ont-ils entièrement saisi la portée du mandat d’arrêt européen lorsqu’ils l’ont approuvé ? Même s’il s’agissait d’une belle idée basée sur la confiance réciproque n’ont-ils pas mis la charrue avant les bœufs ? On peut s’interroger, alors que chaque pays possède sa propre procédure pénale et que certaines infractions peuvent être liées à des cultures ou des coutumes différentes, ou tout simplement à des circonstances particulières. Que se passerait-il, par exemple, en cas de troubles politiques sérieux dans l’un des 28 États membres ? Serions-nous dans l’obligation de satisfaire aux demandes d’un gouvernement dont, par ailleurs, nous réprouverions les méthodes ?
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