LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La justice européenne cherche à s’imposer

Alors que la coopération européenne bat son plein dans la police, le système judiciaire est à la traîne. Il faut dire que si les États soutiennent haut et fort la lutte transfrontière contre la criminalité et le terrorisme, bien peu sont prêts à abandonner leur souveraineté, notamment en ce qui concerne le déclenchement de l’action publique, autrement dit, l’initiative des poursuites. Raison pour laquelle le traité de Lisbonne, applicable depuis fin 2009, apporte des garanties aux États membres lorsque certaines mesures risquent de mettre en cause leur justice pénale, comme la définition des infractions, le barème des sanctions ou la création d’un parquet européen. Le garde-fou consiste en une clause dite « frein-accélérateur » que les États membres peuvent évoquer pour bloquer une décision ou au contraire demander un renforcement de la coopération.

Eurojust_LogoLe traité de Lisbonne pose le principe d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques de chaque pays de l’Union. Il définit une coopération accrue en matière de justice civile et pénale par le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions – ce qui implique le rapprochement des législations nationales et l’application de règles minimales communes.

Les premiers pas vers la construction d’un espace judiciaire européen sont bien antérieurs au traité de Lisbonne. Vers la fin des années 80, déjà, certains pays, dont la France, déploraient le manque de coopération notamment en mettant en avant (comme aujourd’hui) la lutte contre le terrorisme, mais surtout les fraudes et les manquements au sein de l’Europe qui favorisaient la criminalité organisée. Lorsque l’on regarde ¼ de siècle en arrière, on est impressionné du chemin parcouru… Ainsi, lors de l’opération « mains propres », en Italie, sur les 450 commissions rogatoires émises par les autorités judiciaires, plus de la moitié sont restées sans réponse. De nos jours, ce serait inenvisageable. Ce manque de collaboration dans des affaires touchant le monde politique n’a toutefois pas empêché les magistrats-enquêteurs italiens de faire le job, même si les magistrats qui jugent n’ont pas toujours suivi.

Eurojust – Pour améliorer la coopération dans la lutte contre la criminalité, en 2002, le Conseil de l’Union européenne a créé Eurojust, avec une mission de base : favoriser la coordination des enquêtes et des poursuites entre les autorités nationales compétentes d’au-moins deux États membres dans le domaine de la lutte contre les formes de criminalité transfrontalière les plus graves et la lutte contre le terrorisme. Eurojust est basé à La Haye et compte 350 personnes dont 80 magistrats. Son budget annuel est de 32 millions d’euros (84 millions pour Europol). Cette institution possède la personnalité juridique. En 2008, les pouvoirs opérationnels d’Eurojust se sont élargis et, depuis 2009, cette unité a la possibilité de demander des enquêtes pénales et de déclencher des poursuites, conduites toutefois par les autorités locales compétentes. La création d’un parquet européen est également envisagée au minimum pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Dans un rapport d’information, le Sénat donne l’exemple de l’affaire Chevaline dans laquelle le bureau français d’Eurojust (il comprend 6 personnes) est intervenu pour faciliter le travail des enquêteurs dans leurs relations avec la Grande-Bretagne. Ce bureau peut d’ailleurs solliciter les procureurs français afin qu’ils ouvrent une enquête pénale sur un fait précis. En vertu de l’article 695-5 du code de procédure pénale, les membres du bureau national peuvent mettre en place une équipe commune d’enquête.

Le procureur européen – La naissance d’un véritable parquet européen pour lutter contre la « criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière » est prévue par l’article 86 du Traité de fonctionnement de l’Union (TFUE). Mais pour cela, le Conseil européen doit prendre la décision à l’unanimité. À charge pour les États membres composant ce Conseil de décider ensuite s’il y a lieu, ou non, de faire usage de cette faculté. Toutefois, en l’absence d’unanimité, il est possible de créer un procureur a minima, si au moins neuf États membres le décident. Il s’agirait alors d’une coopération renforcée entre ces pays.

Tout est prêt à Eurojust pour installer le parquet européen, lequel sera(it) dirigé par un procureur européen assisté de procureurs européens adjoints et par des procureurs délégués dans les États membres.

La position de la France sur le procureur européen – En 2011, sur suggestion de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, François Fillon, a saisi le Conseil d’État d’une demande d’étude sur la création d’un parquet européen. La haute juridiction administrative s’est attachée à déterminer les implications possibles sur le droit français et à faire apparaître les solutions envisageables en termes d’articulation entre un ministère public européen, le ministère public national et la police judiciaire.

La conclusion du rapport est plutôt positive en ce qui concerne la protection pénale des intérêts financiers de l’UE. (Selon Europol, la fraude au budget européen atteindrait trois milliards d’euros par an). Cependant, il existe déjà un service administratif auprès de la Commission pour mener des enquêtes sur les fraudes du budget de l’UE, sur les affaires de corruption et autres combines financières : l’office européen de lutte antifraude (OLAF). Service qui est chargé également de la protection de l’euro.

En 2013, nos parlementaires se sont montrés plus frileux que le Conseil d’État, ils ont retoqué la proposition de la Commission européenne. Toutefois, celle-ci n’a pas renoncé. Son intention est clairement de mettre en place un procureur européen compétent en matière de criminalité organisée et de lutte contre le banditisme, comme actuellement les braquages dans les bijouteries de luxe. Un avis semble-t-il partagé par le Conseil d’État. Il reconnaît qu’un parquet déconcentré « conduirait à protéger plus efficacement l’Union et le citoyen contre la criminalité transfrontière, qu’elle soit purement financière ou s’étende à la grande criminalité ».

Je suppose que la réforme de la procédure pénale promise par Madame Taubira tiendra compte de cette éventualité… Mais la route sera longue, alors qu’on en est encore à discutailler sur l’indépendance du parquet.

Donc, le procureur européen, ce n’est pas pour tout de suite. Et dimanche prochain, il y aura sans doute bien d’autres motivations derrière les bulletins de vote.

Encadré

1 Comment

  1. brejnev

    En pratique Eurojust est une structure hyper bureaucratique. Mettre en œuvre une équipe commune d’enquête prend un temps considérable (six mois) pendant lesquels on laisse les crimes se commettre.
    Pas très probant in fine pour le moment.

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