LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Des agents paramilitaires pour affronter les pirates de la mer

Nos parlementaires viennent d’adopter une loi autorisant la mise en place d’une force armée privée à bord des navires de commerce. La France, deuxième puissance maritime mondiale (presque à jeu égal avec les États-Unis) est pourtant l’un des derniers pays d’Europe à franchir ce cap. Il n’a pas dû être facile pour nos autorités de déléguer ainsi au « privé » le devoir régalien d’assurer la protection des personnes et des biens. Mais dans une société où les comptables sont rois, l’enjeu était trop gros : un préjudice évalué entre 7 et 12 milliards d’euros. D’autant que certains armateurs français louchaient vers les pays où il existe déjà des sociétés militaires privées, envisageant même de changer de pavillon.

CaptureLa loi a mis près de deux ans à sortir du chapeau. Elle est compliquée, contraignante et un rien timorée, au point de se demander si les entreprises françaises qui vont se lancer dans l’aventure parviendront à rester concurrentielles ? Il faut l’espérer, car c’est un marché en pleine expansion.

Non pas que la piraterie soit un phénomène nouveau. Elle existe depuis le début du commerce maritime, même si sa grande période commence sans doute au début du XVIe siècle, dans les Caraïbes, alors que les richesses des Amériques attisent bien des convoitises. Au XIXe siècle, tandis que les vaisseaux militaires des nations fortes sillonnent les mers, on peut croire l’époque de la piraterie révolue. En fait, il ne s’agit que d’une pause. Une pause de plus de cent ans. Il faudra attendre la dernière partie du XXe siècle pour la voir ressurgir. C’est l’époque bisounours pour les pays riches. Ceux-ci semblent indifférents à la déconfiture d’autres États, défavorisés, délaissés, incapables de contrôler leur territoire et une population affamée. Toutes ces richesses à quelques miles de leurs côtes… Le pillage des bateaux de commerce reprend. On peut sans doute dire que la piraterie moderne est née de la paupérisation de certaines régions du globe. Puis, peu à peu, le système s’organise, au point de devenir un business. Aujourd’hui, les pirates attaquent des navires, retiennent les équipages en otage et exigent de fortes rançons. Et les assurances paient. Le butin ainsi récolté par les brigands des mers rejoint les circuits de blanchiment du crime organisé et du terrorisme.

Deux espaces maritimes sont particulièrement périlleux pour les navires battant pavillon français : le nord-ouest de l’océan Indien et le golfe de Guinée. Les navires les plus vulnérables sont les bâtiments les plus lents et les plus bas sur l’eau, mais les bateaux de croisière et les voiliers sont également menacés. Il n’est pas bon de faire du tourisme dans ces coins-là !

Notre code pénal punit sévèrement l’acte de piraterie (art. 224-6 à 224-8-1). Les peines vont de 20 ans de réclusion criminelle à la perpétuité. Mais la difficulté vient surtout de la procédure à appliquer. Conformément à la convention des Nations unies de Montego Bay (1982), seuls les officiers de police judiciaire de la marine nationale et de l’armée de l’air sont habilités à appréhender les pirates et à les retenir. Après les 48 premières heures, sous le contrôle (à distance) du juge des libertés et de la détention, la mesure de rétention à bord peut se prolonger par tranches de 120 heures, jusqu’au moment où les personnes interpellées pourront être remises à l’autorité compétente.

Qu’en sera-t-il pour les agents privés présents sur les bâtiments de commerce ? Certes, ils ont le droit d’être armés, mais ils ne sont autorisés à utiliser la force que pour assurer la protection des personnes et des biens, dans la limite des règles de la légitime défense. Ils pourront donc repousser une attaque, comme le prévoit l’article 122 – 6 du code pénal, mais pourront-ils faire des prisonniers ? Non, non, la loi n’a pas dit « on ne fait pas de prisonniers »…, mais elle rappelle quand même que l’autorisation administrative d’exercer cette profession ne confère aucune prérogative de puissance publique. Il était même prévu dans le texte initial, pour ne pas prêter à confusion, l’impossibilité pour ces nouveaux agents paramilitaires de faire état de leur qualité d’anciens policiers ou d’anciens militaires. Le Sénat a supprimé cette disposition. Alors, est-il envisageable pour eux, comme le prévoit l’article 73 du code de procédure pénale, d’appréhender l’auteur d’un crime ou d’un délit et de le conduire devant l’officier de police judiciaire compétent ? Je n’ai pas trouvé de réponse à cette question, mais en pleine mer, cela tient de la gageure. Comme de mettre sur un bateau un personnel non amariné.

Il faudra sans doute prendre connaissance des décrets d’application pour y voir plus clair.

Il faut tout de même rappeler que le capitaine d’un navire, lui, dispose des prérogatives de puissance publique. Il représente l’autorité. C’est lui qui est responsable du maintien de l’ordre sur son bâtiment et de la sécurité des personnes embarquées ainsi que de la cargaison.

Pour cela, il peut employer « tout moyen de coercition nécessité par les circonstances et proportionné au but poursuivi. Il peut également requérir les personnes embarquées de lui prêter main-forte » (art. L5531-1 du code des transports).

6 Comments

  1. HUBERT

    Vous faite dans votre analyse référence à la Convention de Montégo-Bay sur le Droit de la mer en disant :
    « Conformément à la Convention des Nations unies de Montego Bay (1982), seuls les officiers de police judiciaire de la marine nationale et de l’armée de l’air sont habilités à appréhender les pirates et à les retenir. Après les 48 premières heures, sous le contrôle (à distance) du juge des libertés et de la détention, la mesure de rétention à bord peut se prolonger par tranches de 120 heures, jusqu’au moment où les personnes interpellées pourront être remises à l’autorité compétente. »
    Mais il convient de préciser que la dite Convention dans les articles 100 et suivants, ne fait aucunement mention de l’obligation d’être OPJ pour acter des actes de piraterie. D’autres par la Loi 94-589 (dite Loi Force en Mer) et le Code de la défense, n’en font pas mention. Les prérogatives juridiques employées contre la lutte contre la piraterie relèvent de dispositions de droits administratifs et non de police judiciaire au titre de missions de police administrative à la mer.

  2. soph'

    Des agents paramilitaires pour aider à la lutte contre la délinquance maritime

    OU

    L’Aidant de la mer !

  3. Diagonal

    «  » » » » » » » »Mais dans une société où les comptables sont rois, l’enjeu était trop gros : un préjudice évalué entre 7 et 12 milliards d’euros » » » » » » » » » » » ».

    Eh oui…, et on devra ça aux socialistes hollandais qui se seront décidément couché sur le dernier de leurs principes, de Jaurès à Jospin…

  4. Trekker

    On arrêts pas les progrès du libéralisme !…. On privatise la sécurité des navires sous pavillons Français, a quand la même chose pour nos prisons ?……

    Jusqu’alors cette mission était l’apanage des commandos marine et surtout des fusiliers marins, donc relevait des mission régaliennes de l’état. Mais mais il faut économiser sur tout ce qui n’est pas primordial, et  » recentrer sur le coeur de métier  » fusiliers marins et commandos !…..

    Certes les USA et Anglais sont largement en avance sur nous, exemple : en Irak dans les années 2005 – 2010 et Afghanistan, il y avait autant et vois plus de  » contractors  » privé que de militaires US…. avec les résultats que l’on connait ! Certes Blackwater à changer de nom, mais guère de méthodes.

    Pas grave l’armée Française deviendra uniquement un centre de formation, au profit des SMP ( société militaire privé ) ……..

  5. oursivi

    Encore une invitation à l’embarquement chez ce cher Henri, ce pauvre Alfred, ce cher Henry de Monfreid.

    http://www.youtube.com/watch?v=dGQMhE144Zk

    AO

  6. gv

    Il me semble, qu’au niveau le plus général, il est de plus en plus difficile de “bien faire“ les choses en matière de prévention des crimes et délits.
    Ici, on a ici, un peu une variante de la maison piégée:
    • si on l’autorise, cela revient à rétablir la peine de mort pour les vols de chaine hifi
    • si on ne l’autorise pas, le cambrioleur qui s’électrocute en se faisant un café sur la trop vielle cafetière, va assigner le propriétaire de la maison à son retour de vacances.
    D’où dilemne…
    Soit accorder la protection de la loi à quelqu’un qui se met volontairement en dehors de la loi
    Soit ne pas le faire… et s’attendre évidemment à beaucoup d’abus dans l’autre sens
    Je ne sais pas comment, vous, professionnel, voyez çà…

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