En refermant le livre de Georges Salinas, Le Chat d’Oran, qui nous entraîne dans la lutte contre le terrorisme au début des années 1960, je me suis interrogé : peut-on comparer le terrorisme lié au conflit algérien à la période actuelle ? La réponse est évidemment négative, mais cette expérience désastreuse, qui a mené la France au bord de la guerre civile, devrait au moins nous inciter à ne pas commettre les mêmes erreurs.
Antoine Delarocha, le héros, est flic au CRA d’Oran (Centre de renseignement et d’action). Et il tente de faire son boulot de flic, dans des conditions qu’aucun policier aujourd’hui n’oserait envisager. Au début du roman, Delarocha planque sur un ancien militaire qui a rallié le FLN. « Désormais fellagha en cavale, Ahmed Benjelloul était un ancien béret rouge : il avait servi pendant dix ans dans l’armée française, chez les parachutistes », dit-il, alors qu’il s’apprête à lui mettre la main au collet. Mais, évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce face à face de deux hommes, l’indépendantiste et le pied-noir, chacun enfermé dans ses certitudes, c’est le fil de l’histoire.
Salinas n’a pas connu cette époque, il était à peine né, il se fie donc aux souvenirs de son père (Le Chat d’Oran, c’est un peu lui) pour recréer l’ambiance de police de ces années noires. Il nous fait vivre les enquêtes et les filatures à l’ancienne : peu de personnels, peu de moyens et surtout pas de smartphone pour demander des instructions. Tout au mieux des radios portables de la taille d’une bouteille d’eau 2XL. Une fois sur le terrain, c’est l’initiative personnelle qui joue, et aussi l’expérience, et parfois le talent. Mais l’expérience, c’est aussi d’avoir au fond d’une poche le jeton de téléphone qui permettra d’établir une liaison avec son service. L’ancien monde, quoi !
C’était il y a maintenant plus d’un demi-siècle. La France, des deux côtés de la Méditerranée, comptait chaque jour ses morts, alors que l’on nous parlait de « pacification » et de « maintien de l’ordre ». Le mot « guerre », rabâché aujourd’hui, étant alors tabou.
Le plus souvent, les images de cette époque qui nous reviennent en mémoire sont celles de militaires bardés de décorations haranguant les foules du haut de leur balcon ou de politiciens dépassés, incapables de prendre des décisions, laissant de mystérieux personnages, se revendiquant de mystérieux services, tirer les ficelles d’une guerre secrète, un combat sur lequel ils ont mis la main et qui les valorise.
De tout temps et dans tous les les pays, les services secrets ont ainsi baladé les hommes politiques !
Et pourtant, même durant la période noire de cette guerre sans nom, des policiers tentaient de faire leur job : lutter contre le FLN en s’efforçant de ne pas trop mordre sur les règles du Code. Raison pour laquelle les CRA, composés de militaires et de policiers, étaient dirigés par un commissaire de police, qui représentait en quelque sorte l’autorité civile et judiciaire.Tandis que la lutte contre le terrorisme de l’OAS était laissée à des policiers venus de métropole.
Mais la justice n’avait guère besoin d’enquêteurs chevronnés, puisqu’un décret signé le 17 mars 1956 donnait aux autorités militaires la possibilité de traduire directement devant un tribunal permanent des forces armées les « individus pris en flagrant délit de participation à une action contre des personnes ou des biens ». Et cela sans passer par un juge d’instruction, même pour des infractions susceptibles d’entraîner la peine capitale.
À l’issue de ce texte adopté sur un rapport du ministre de la Défense nationale et du garde des Sceaux, un certain François Mitterrand, la guillotine s’emballe, même si par la suite la question se pose : les condamnés à mort doivent-ils être fusillés ou décapités ?! Mais ce n’est pas suffisant, l’année suivante, le général Massu obtient les pleins pouvoirs pour neutraliser le FLN. Ce sera la bataille d’Alger : 3 000 morts ou disparus, et la pratique systématique de la torture à faire pâlir d’envie la CIA de George W. Bush.
On peut se dire que c’était la guerre. Une guerre qui aura mis plus de 40 ans à être reconnue officiellement. Mais justement, avec le temps, il faut bien avouer que le problème algérien a été traité d’une façon lamentable, avec des centaines, des milliers d’exécutions sommaires à la gueule du client ou d’exécutions judiciaires basées sur un dossier de trois pages. Il y a quelques mois, le Président Macron a d’ailleurs reconnu officiellement la responsabilité de l’État et de l’armée dans la mort de Maurice Audin, torturé et assassiné pour ses opinions politiques, lors de la bataille d’Alger. Mais combien d’autres…
Aussi, quand j’entends un jeune député, à peine sorti de Sciences Po, affirmer d’un ton péremptoire qu’il faut tuer sur place les djihadistes français pour ne pas avoir à les ré-accueillir, j’ai envie de lui coller un flingue entre les mains et de lui dire : Tire !
D’ailleurs, je me suis toujours demandé si François Hollande, qui lamentablement s’est vanté d’avoir ordonné des assassinats ciblés, aurait eu le courage d’appuyer lui-même sur la détente.
La France considère les terroristes comme des criminels de droit commun. Et à ce titre, sauf à piétiner nos propres lois, ils doivent être jugés. Et depuis la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, s’ils sont français, ils doivent être jugés en France. C’est la lecture du nouvel article 113-13 du code pénal : « La loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français. » Une loi spécialement conçue pour juger les djihadistes, adoptée par les députés dont certains aujourd’hui demandent qu’elle ne soit pas appliquée.
Le livre de Georges Salinas démarre en 1961, à Oran. L’ambiance est morose, les attentats se multiplient et les pieds-noirs qui croient encore que l’Algérie restera française se font de plus en plus rares.
L’année précédente De Gaulle a fait « la tournée des popotes » pour tenter de remotiver l’armée. Mais celle-ci est essentiellement composée de recrues qui ne savent même pas pourquoi ils se battent. « Votre mission, martèle au long de ses discours le Général, ne comporte aucune équivoque et aucune interprétation. Vous avez à liquider la force rebelle qui voudrait chasser la France de l’Algérie et y instaurer sa dictature de terreur, de misère et de stérilité. » C’est peine perdue : les jeunes veulent faire l’amour, pas la guerre.
Finalement, après les accords d’Évian et le référendum du 1er juillet 1962, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie, et c’est l’exode : la valise ou le cercueil. « Les gens quittaient ce pays qu’ils considéraient comme le leur. Bientôt l’Algérie prendrait seule son envol. C’en était fini pour les pieds-noirs », dit Antoine Delarocha.
Georges Salinas a passé vingt-deux ans à la BRI de Paris. Il était en tête de colonne à L’Hyper Cacher et au Bataclan. Son roman, Le Chat d’Oran, sorti chez Mareuil Éditions il y a quelques jours, est le premier d’une trilogie qui veut couvrir la lutte menée contre les terroristes depuis plus d’un demi-siècle. C’est un texte intime, parfois chargé d’émotion, puisqu’il est tiré des enquêtes menées par son père, mais au second degré c’est aussi une réflexion sur tout ce qu’il ne faut pas faire sous prétexte de céder à la peur ou à la démagogie.
Je voulais évidemment dire « les dizaines de milliers de harkis qui seront massacrés quelques mois plus tard ».
« l’année suivante, le général Massu obtient les pleins pouvoirs pour neutraliser le FLN. Ce sera la bataille d’Alger : 3 000 morts ou disparus, et la pratique systématique de la torture à faire pâlir d’envie la CIA de George W. Bush ». Cher Georges, cette phrase n’est-elle pas quelque peu lapidaire ?
Vous omettez le contexte de cette bataille d’Alger : des bombes qui explosent dans des cafés fréquentés par les jeunes Algérois et qui font des dizaines de morts et des centaines de blessés. Vous oubliez les tueries commises par le FLN, les tortures à l’égard des soldats français ou à l’égard de musulmans travaillant avec les Français. Vous oubliez les dizaines de harkis qui seront massacrés quelques mois plus tard.
Certes, la mémoire est courte. Il convient cependant d’éviter d’accabler unilatéralement les militaires et les policiers français qui ont combattu en Algérie. Lesquels ne faisaient d’ailleurs qu’obéir aux ordres du pouvoir politique.
Voilà qu’on nous fait passer le message suivant, suite aux convulsions actuelles… En attendant le prochain billet de GM…
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Contradictions et ambiguités du jacobinisme à la française dans la police nationale.
On limoge un préfet de police et son directeur de cabinet sous prétexte de leur ignorance de certaines initiatives de leurs collaborateurs, donc de leur défaut de management. Soit.
On met fin aux fonctions d’un directeur des services actifs sous prétexte d’avoir pris une initiative sans en référer. Soit. Notons tout de suite au passage qu’une initiative par définition s’affranchit de la tutelle, sinon ce n’est plus une initiative.
Première question : pourquoi mettre un IG/DISA à la tête d’une direction sans que celui-ci ne puisse prendre des décisions sans avoir à en référer constamment ? S’agit-il d’un directeur ou d’un « transmetteur » ? Si ce dernier n’est là que pour gérer des gamelles et des bidons, un attaché d’administration voire un administrateur civil ferait aussi bien l’affaire.
Ensuite, on décide qu’à compter de ce jour, toute décision avant qu’elle ne puisse être mise en oeuvre devra être avalisée au niveau du ministre. Soit. On en revient à la première question.
Plus symptomatique de l’ambiguité apparaît encore la mesure suivante : dans le même temps que l’on renforce le pouvoir de contrôle a priori en ce qui concerne les échelons directoriaux, on décide de donner plus d’autonomie aux unités sur le terrain. Pour le traduire rapidement en forçant à peine le trait, le commandant d’une CRS aura bientôt plus de pouvoir que le préfet de police, sans parler des brigadiers des BAC qui pourront user (et abuser parfois) de leur nouvelle légitimité d’initiative là même où le directeur de la DSPAP est sommé de faire relire ses notes !
Bienvenue dans le monde des corps-francs du capitaine Conan.
(Ce n’étaient que de simples réflexions à chaud d’un « ancien »… qui nous ont été rapportées et que nous posons sur le blog Policeetc).
Les terroristes francais doivent être jugés en France pour les actes commis à l’étranger. Soit. Mais cette loi entre en conflit avec la souveraineté d’autres nations qui veulent juger des terroristes étrangers capturés sur leur territoire. Personne n’a de réponse à cette contradiction. Les États font ce qu’ils veulent lorsqu’ils le peuvent. La réalité ne coincide pas toujours avec les bons sentiments.
Ben ils doivent être jugés sur place pour les crimes qui relèvent des juridictions locales puis après avoir purgé leurs peines être éventuellement extradés en France pour y être jugés pour les crimes dont ils doivent répondre ici.
Pour être clair:
* en Iraq, la justice est suffisament erratique et corrompue pour que parler sérieusement de jugement est un oxymore
* La Syrie est un cas particulier: à la suite d’atrocités, le régime en place n’est pas reconnu par les Etats Europeens (même si les ba3athistes ont une grande expérience -cf Aloysius Brunner, ex gardien de Drancy, mort à Damas après transfert de know how- en matière de recyclage de terroristes)
Le proto etat (qui a une représentation à Paris) du Nord Est Syrien est limpide: les prisonniers extrêmement dangereux sont traités … suivant les conventions de Genève (et leur prison semble plus confortable que les Baumettes cf Amberin Zaman « Inside the prison holding IS detainees in northeast Syria
Read more: https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2019/03/syria-kurdish-region-isis-prison-sdf.html#ixzz5jB5QiHk0
« ).
Les non combattants (femmes, enfants et malades ) sont mis dans des camps de réfugiés (al Hawl a une mortalité de 10 par jour, portant essentiellement sur les enfants (morts de froid/maladie/malnutrition): ils se plaignent du manque de crédits et de l’impossibilité de les encadrer.
Les autorités kurdes sont parfaitement conscientes du fait qu’elles sont débordées (il y a eu un transfert de 50 000 personnes -familles de djihadistes + otages+ (quelques) yazirds/kakays -dont certains convertis à la cause deu Caliphat- de Baghuz vers al Hol, doublant sa population (et les besoins en eau potable et en fuel n’étaient déjà pas couverts en décembre 2019, je ne parle pas des besoins médicaux de base)
La demande claire et sans ambiguité de ce proto état est que tous les étrangers soient rapatriés (en dehors de crimes locaux, difficiles à attribuer nommément à un jihadiste , fautes de victimes -mortes, déplacées ou réfugiées-, ils ne revendiquent aucune compétence).
L’avenir de ce proto état est suffisamment sinistre – l’occuppation éventuelle par la Turquie fera que les jihadistes étrangers seront recyclés: leur connaissance de la langue et des usages de leurs pays d’origine, jointe à une expérience du terrorisme, en feront de bons outils de chantage vis à vis de l’Occident, voire de terrorisme d’etat
« Aussi, quand j’entends un jeune député, à peine sorti de Sciences Po, affirmer d’un ton péremptoire qu’il faut tuer sur place les djihadistes français pour ne pas avoir à les ré-accueillir, j’ai envie de lui coller un flingue entre les mains et de lui dire : Tire ! »
Je parie qu’il tirera…surtout en période préélectorale.
Et si ce sont des enfants de djihaddistes (ils en ont eu beaucoup : Ms Begum, 19 ans, en a eu 3, dont deux sont morts de faim), il est assez doué pour les rater.
Madame Ilham Ahmed est une des chefs (ils ont une parité intégrale, le PYD étant ultra féministe) politiques du PYD (sa branche armée est les SDF/QSD/HDS -en anglais, Arabe et Kurde ) qui servent de chair à canon à la coalition et qui hébergent, dans de mauvaises conditions : il y a déjà plus d’un million de déplacés internes, et le Rojava/Nord Est Syrien est soumis à blocus total de la Turquie, partiel côté iraqien ou Bashur). Elle a déclaré que les enfants de djihadistes, qui sont dans des camps de réfugiés (les Kurdes n’ont rien à reprocher aux mères, sauf s’il est prouvé qu’elles ont fait partie de la police des moeurs, capable d’actes de barbarie) , ne peuvent pas être encadrés (d’un point de vue alimentaire, sanitaire et éducation) et sont pris en charge par leurs mères, qui peuvent être fanatisées (ou le devenir, au vu des conditions abominables: ISIS avait l’habitude de « mariages » forcés).
A terme, les survivants seront des révoltés et Me Ahmed parle de bombe à retardement….
Il est assez curieux de voir les combattant-e-s kurdes ou les -rares- américains (marines : ils ne veulent pas être filmés) pouponner -mais ça ne sert à rien, à terme- lors d’évacuation de femmes, d’enfants et d’éclopés . Ca fait un contraste étonnant avec nos chers politiciens.
A noter que, si le Nord Syrien passe sous influence turque, les djihadistes mâles peuvent être … récupérés (ils sont entraînés; les diverses déclinaisons djihadistes avaient des cloisons poreuses au niveau des hommes de troupe) par la Turquie et ses frères musulmans de l’AKP.
Merci commissaire pour cet excellent article sur un période si trouble de l’histoire de France.
« De tout temps et dans tous les les pays, les services secrets ont ainsi baladé les hommes politiques ! »: n’est-ce pas l’inverse?
A titre personnel, je préfère mille injustices à un désordre…peut-être suis-je par trop radical.
De cette époque n’oublions pas non plus la scandaleuse amnistie des terroristes de l’OAS, les français de métropole n’ont pas oublié les massacres commis par leurs compatriotes dans la lâcheté la plus complète.