LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

L’attentat de la rue des Rosiers vu avec nos yeux d’aujourd’hui

Il y a quelques jours, l’attentat de la rue des Rosiers est revenu dans l’actualité après que le juge Trévidic ait lancé des mandats d’arrêt internationaux contre trois suspects. Une annonce qui tombe à pic dans le contexte actuel, au point que cela fait un peu coup de com’. Mais ne boudons pas : la justice et les enquêteurs se sont montrés à la hauteur.

Pourtant, devant ce rappel d’un événement vieux de 33 ans, il m’a paru intéressant d’opérer un petit retour en arrière. Voici ce que j’écrivais, en 2007 dans La petite histoire de la PJ, sur l’année 1982 :

rue marbeuf

Cliquer sur l’image pour voir la vidéo de l’Ina

« La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris [devant les bureaux d’un hebdomadaire libyen] : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. Puis une bombe explose rue Saint-Maur, à Paris ; à Lyon, c’est le consulat de Turquie qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le VI°. Le 9 août, c’est la fusillade du restaurant Goldenberg, dans le quartier juif, et la fusillade de la rue des Rosiers. L’été n’en finit pas. À Paris, voiture piégée devant l’ambassade d’Irak, bombe contre l’hebdomadaire Minute… Le 21 août, deux démineurs de la préfecture de police sont tués alors qu’ils tentent de désamorcer une charge d’explosif sous la voiture d’un Américain. Le 17 septembre, un véhicule de l’ambassade d’Israël explose en plein Paris, faisant près d’une centaine de blessés. Etc. Cette année 1982, des centaines de personnes sont mortes ou ont été blessées victimes d’attentats… »

Avec nos yeux d’aujourd’hui, deux mois jour pour jour après les attentats du mois de janvier contre Charlie Hebdo et un magasin cascher, il est frappant de se rappeler qu’à cette époque le terrorisme avait mis la France à feu et à sang. Cela peut paraître lointain, mais on est nombreux à s’en souvenir, et même à l’avoir vécu. Je ne cherche pas à minimiser les événements du début 2015, mais il n’est peut-être pas mauvais de les mettre en perspective.

Que s’est-il passé après l’attentat de la rue des Rosiers ?

On se souvient des faits : le 9 août 1982, à l’heure du déjeuner, des individus lancent une grenade dans le restaurant Jo Goldenberg, puis ils tirent sur les clients et s’enfuient en arrosant les passants. Le bilan est lourd : 6 morts et 22 blessés.

Neuf jours plus tard, différentes mesures pour lutter contre le terrorisme sont annoncées (on peut les retrouver sur le site Vie Publique).

Parmi celles-ci figurent la création d’un secrétariat d’État chargé de la sécurité publique. Joseph Franceschi en a la charge. Il se murmure qu’il est surtout là pour canaliser les différents réseaux qui se sont créés entre la Place Beauvau et l’Élysée et qui court-circuitent allégrement Gaston Defferre. En théorie, le secrétaire d’État est chargé de la liaison avec « la mission de coordination, d’information et d’action contre le terrorisme », mise sur pied par le commandant Prouteau. La fameuse cellule élyséenne.

Sur instruction du président Mitterrand, ladite cellule vient se greffer sur l’enquête concernant l’attentat de la rue des Rosiers. Une grave erreur. Non seulement l’action des super-gendarmes est mal perçue à la PJ/PP mais elle interfère dans les recherches menées par les services secrets. Il faut dire que cette année-là, ceux-ci ne sont pas au mieux de leur forme : la DGSE a remplacé le SDECE, avec les remaniements que l’on imagine ; Marcel Chalet, le directeur de la DST (et sa locomotive depuis des dizaines d’années), est remercié ; et la Direction de la sécurité militaire est dissoute pour être remplacée par la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

La cellule élyséenne va très vite se décrédibiliser en arrêtant des terroristes de pacotille et en les présentant comme les auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers. C’est l’affaire des Irlandais de Vincennes. Il se disait à l’époque que le 36 avait réglé son compte à la « cellule » et avait muselé Prouteau dont l’arrogance passait plutôt mal (si l’on suit l’actualité, ce n’est plus le cas ces temps-ci).

Il y a des pistes plus sérieuses, mais aucune n’est convaincante, d’autant que, bizarrement, l’attentat n’a pas été revendiqué. Et puis, il faut bien dire que les services d’enquête ne savent plus où donner de la tête. De plus, bon nombre de policiers ont baissé les bras, notamment chez les commissaires, déplorant que le nouveau gouvernement se méfie d’eux.

On a certes à l’époque perdu du temps, mais il est réconfortant de se dire aujourd’hui que la France n’a pas oublié. On peut donc tirer un coup de chapeau aux juges qui se sont succédés dans ce dossier, notamment Jean-Louis Bruguière et Marc Trévidic. Ils ont fait le nécessaire pour que la prescription ne vienne pas éteindre l’enquête. Et si le procureur a salué le travail de la DGSI (qui est encore pour l’instant, du moins en partie, un service de police judiciaire), c’est qu’il lui est difficile de reconnaître l’action de la DGSE.

Il y a évidemment de fortes probabilités pour que ces trois mandats d’arrêts viennent en rejoindre d’autres sur la liste d’attente, où figurent d’autres individus suspectés de terrorisme et qui n’ont jamais été arrêtés. À moins que…

En 1982, quelques mois avant la fusillade de la rue des Rosiers, une bombe placée dans une valise explose dans le train Capitole assurant la liaison Paris-Toulouse. Cinq morts et 27 blessés sérieux. L’attentat est attribué à Ilich Ramírez Sánchez, alias Carlos. Ce bonhomme qui plus tard dira : « Il n’y a pas de victimes innocentes ! » À l’époque, l’individu est déjà recherché pour le meurtre de trois personnes, dont deux policiers de la DST, commis en 1975. Mais jouant sur son aura, il bénéficie de l’hospitalité de nombreux pays en froid avec l’Occident. En 1993, il s’installe à Khartoum sous une fausse identité. C’est là qu’il est repéré. Mais le Soudan ne veut pas prendre le risque de le livrer officiellement à la France. En revanche, probablement à la suite d’une négociation dont les méandres nous échappent, les autorités pourraient bien fermer les yeux en cas de kidnapping… Quitte même à donner en douce un petit coup de main, tant le personnage est embarrassant. C’est ainsi qu’un beau jour du mois d’aout 1994, un avion au plan de vol incertain se pose sur la base de Villacoublay. Les OPJ de la DST sont sur le tarmac. Ils sont là pour notifier officiellement son mandat d’arrêt au sieur Carlos, lequel, vitupérant sous sa cagoule, n’en peut plus d’avoir été traité de la sorte. Pauvre minet ! Conclusion : la DST a fait le job, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, a couvert, et la justice a fermé les yeux sur l’irrégularité de la procédure.

Aujourd’hui, une nouvelle loi antiterroriste attend le feu vert du Conseil d’État. D’après le Canard Enchaîné de la semaine passée, les Sages ne sont pas chauds pour cette loi d’exception qui donnerait aux agents secrets des pouvoirs exorbitants, hors du contrôle des juges. Notamment la possibilité de violer en toute impunité notre domicile, sur ordre du Premier ministre ; et la création d’une sorte de tribunal d’exception pour les citoyens qui estimeraient avoir été victimes d’un abus de pouvoir.

Est-ce vraiment utile ? L’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers et l’arrestation de Carlos montrent que l’on peut faire sans. Les agents des services spéciaux s’affranchissent souvent de la légalité, ce qui peut se justifier, mais il est normal qu’ils en assument le risque. Le risque, c’est d’ailleurs le piment de leur métier.

À moins qu’une future loi antiterroriste (la 17ème ?) n’envisage de remplacer le mandat d’arrêt international par le kidnapping !

13 Comments

    • bernard

      bien vu!

    • Marc Schaefer

      Vos réponses stéréotypées vous trahissent.

      Vos étapes suivantes sont :
      – C’est pas nous, c’est une ancienne compagne / employeur / voisin
      – C’est pas nous, c’est la Cia / le Mossad
      – C’est une erreur / un malentendu / une initiative individuelle
      – C’est une guerre des polices / entre services secrets.

      Sauf que les gens réfléchissant sainement ne se laissent pas tromper et ont compris que les barbouzes français ont participé à l’opération. Reste à voir ce que la justice aura envie de trouver à ce sujet.

  1. Jeannot

    La police a t-elle ete impliquee dans láttentat de la rue des Rosiers comme elle l »ést dans l »áttentat de l »‘épicerie cachere? En effet, une femme de la police a ete arretee pour complicite mais les medias francais n »én parlent pas. Decodeurs, au travail!

    • Marc Schaefer

      Une gendarme, pas policière, et travaillant dans un site clairement sensible de la gendarmerie. La Presse en parle – mais pas beaucoup, et l’accident d’hélicoptère va éclipser cette histoire.

      Ce qui ne signifie pas que « la gendarmerie » soir impliquée. Que la dame ait tuyauté son amant sur ses fichiers peut être une faiblesse humaine.

      En revanche, qu’on m’explique pourquoi le complice en question d’Amédy Coulibaly pouvait entrer dans le site sensible de la gendarmerie qui doit être confidentiel ou secret défense. Dans l’armement, l’armée… être l’amant d’une employée ne permet pas d’entrer dans une usine ni une caserne. Cela suggère très fort que le complice lui-même était gendarme ou au minimum membre de leur réseau.

      « Détricoter », disent-ils – probablement par référence au rapport Tricot.

    • Marc Schaefer

      Si nous parlons bien des mêmes personnes, le Canard en a parlé et Libé l’a répété :

      Amar R. est de l’entourage d’A. Coulibaly et soupçonné d’avoir fourni du matériel.

      Sa compagne est adjudante au fort de Rosny-sous-Bois, où la gendarmerie opère :
      – le service central des réseaux et technologies avancées ;
      – le service technique de recherches judiciaires et de documentation ;
      – le système des opérations et du renseignement.
      Rien que cela.

      Quand je travaillais dans l’armement, la DST faisait le vide autour de moi, surtout parmi les compagnes potentielles, ne « laissant » (ou plutôt envoyant) que celles qui lui convenaient. Vue la sensibilité du fort de Rosny, Amar R. devait convenir parfaitement aux barbouzes français.

      Reste à nous expliquer qu’il était infiltré et non complice.

  2. bernard

    La rue des Rosiers, je m’en souviens. Je rentrais le jour même ou la veille de l’étranger où je travaillais, mais dans mon souvenir, on s’était très rapidement interrogé pour savoir si c’était les Syriens ou les Iraniens: le commando était décrit comme très professionnel et pas paniqué du tout. Finalement, l’hypothèse syrienne n’était pas éloignée de la réalité puisqu’Abou Nidal et ses assassins logeaient à Damas.

    Vous auriez pu citer aussi l’attentat de la synagogue: l’enquête a apparemment connu des développements près de 40 ans après.

    Il est bon que la France n’oublie jamais et rattrape ces gens, même 30 ans plus tard. Aucun crime raciste ou antisémite ne doit jamais rester impuni. C’est cela l’honneur de notre justice et cela qui peut contribuer à rétablir une certaine confiance chez un certain nombre de français qui l’ont en partie perdue sous les coups de butoir croissants de la haine.

  3. petit

    un « événement vieux de 33 ans »…pugnacité, ténacité, volonté farouche de ne pas lâcher l’affaire: ce serait l’honneur de notre justice si c’était pareil pour tout le monde. Tiens, dans le dossier Boulin, par exemple.

    Le pire qui puisse vous arriver à notre époque: la Police de la France qui cherche à vous accuser de crimes que vous n’avez pas commis… Là aussi, ON ne lâchera pas l’affaire.

    (le souvenir me revient de ce militant de l’extrême droite « juive » ex-filtré par Mr Vaillant et les services secrets de l’époque vers Israël alors qu’il avait poignardé…un commissaire de pôooolice)

    Je pense être censuré

    • Marc Schaefer

      Mon impression est que G. Moréas n’aime pas la censure.

      • Masse critique

        Mon impression est que mes commentaires ne sont pas tous diffusés lorsqu’ils expliquent ce rôle de l’Intérieur: central, charnière, pérenne, qui cherche à idéologiser selon le « politiquement compatible », seul issue à la survie de la 5ème République !

  4. Marc Schaefer

    Les services secrets français avaient parié sur la défaite de Mitterrand en 1981 et donc fait campagne contre lui pour être du côté du gagnant. Raté. Mitterrand les a réorganisés (…sans grand succès) et ne leur a jamais accordé aucune confiance, préférant créer une cellule supplémentaire à l’Elysée.

    L’histoire s’est répétée avec les RG ayant fait campagne pour Ségolène Royal, et que Sarko a rasés.

    Ici en Allemagne, une organisation fait avant chaque élection française campagne pour un parti réactionnaire :
    – Susciter la haine contre les jeunes, les immigrés
    – Créer un sentiment d’insécurité
    – Ressortir les chansons et autos du « bon vieux temps », affirmer que les parcs, rues… étaient mieux avant.
    Je ne crois pas que l’UMP ni le FN aient ces moyens dans une petite ville allemande,et ai reconnu les mêmes personnes agissant pour les barbouzes. Il doit s’agir, encore et toujours, de la DGSE se mêlant d’élections françaises.

    1,6 milliard d’euros par an.

  5. Marc Schaefer

    Je me souviens de 1982…

    Je refusais de laisser mon cartable à l’entrée de la bibliothèque de mon école. En sortant de la bibliothèque, un camarade de promotion a ouvert mon cartable et en a sorti un livre de la bibliothèque que je n’y avais pas mis.

    Ce qui a permis à la flicaille secrète de m’embêter, de justifier l’interdiction des cartables dans la bibliothèque, et de faire croire qu’ils sont du juste côté.

    Un autre camarade de promotion (brièvement interpellé par la suite en Afrique pour espionnage) a introduit dans l’école de faux explosifs. Méthode barbouzarde habituelle pour mettre la pression sur les gardiens… et pour faire croire que les barbouzes sont utiles.

    Peut-être que les barbouzes mènent aussi des actions contre le terrorisme. Peut-être, mais ce n’est pas ce que j’ai observé.

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