La Cour des comptes a récemment rendu public la synthèse de son contrôle sur « la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales » ainsi que ses recommandations.
Impression générale : un bon point pour la préfecture de police de Paris et carton jaune pour les autres services. Si le coût de l’ensemble de l’activité de la police judiciaire est impressionnant (plus de 4 milliards d’euros en 2013), les dix pages du rapport avancent peu de chiffres, mais tentent plutôt une analyse technocratique de sa gestion.
D’ailleurs, comment traduire en arithmétique binaire une activité tellement diversifiée ! En fait, en mettant l’accent sur la rivalité entre les services, derrière les mots, j’ai eu l’impression d’un lâcher de ballon-sonde sur un sujet brûlant : la fusion de la police et de la gendarmerie.
La police judiciaire est, avec le procureur, le juge et l’avocat, au centre de l’enquête pénale. Mais lorsque l’on parle de police judiciaire, on a tendance à focaliser sur la PJ, voire sur le Quai des Orfèvres. Il s’agit là d’une image de fiction parfois captivante mais bien loin de la réalité. En fait de nombreux fonctionnaires ou militaires effectuent des actes de police judiciaire. Le nombre d’OPJ ou d’APJ spécialisés ne cessant d’ailleurs d’augmenter. On cite le plus souvent les agents des douanes et ceux des services fiscaux, mais ce sont des dizaines d’agents publics ou privés et de militaires qui assurent des fonctions de police judiciaire. Dans des domaines que parfois on ne soupçonne même pas, comme l’environnement, la pollution de l’air, la santé publique ou les infractions commises en Antarctique.
Cependant, les magistrats de la Rue Cambon ont limité leur contrôle à la police et à la gendarmerie en comparant les résultats des services généralistes (commissariat, brigades territoriales…) et ceux des services spécialisés. Un amalgame osé, car plus de la moitié de l’activité des « généralistes » concerne la police administrative. Probablement 60 %.
Rappelons que la police administrative intervient avant l’infraction, pour l’empêcher, tandis que la police judiciaire intervient après, pour la réprimer.
Si la Cour des Comptes souligne la rivalité qui existe entre certains services de police judiciaire, elle insiste sur la dualité entre la police et la gendarmerie. Celle-ci ne date pas d’hier. Elle a longtemps été entretenue par les magistrats qui voyaient là le moyen d’asseoir leur autorité en désignant le service enquêteur parmi les deux institutions à leur disposition. L’intérêt s’est réduit depuis qu’elles ont un patron unique. Mais la Cour va plus loin en estimant que le système PP pourrait servir d’exemple à la province, prônant une réforme de l’organisation territoriale de la police visant à regrouper les services de la sécurité publique et de la police judiciaire « en les dotant localement d’un commandement commun selon le modèle en vigueur à Paris et dans sa Petite Couronne ».
Une solution qui serait peut-être bonne pour les deniers publics, mais qui rendrait encore plus théorique le contrôle exercé par les magistrats. Car si le procureur et le juge ont le choix des formations auxquelles appartiennent les OPJ (12-1 du CPP), comment choisir dans un système monocellulaire ? Pourtant, ce principe du libre choix est une garantie contre l’arbitraire et en poussant le bouchon contre le despotisme d’une administration centralisée.
D’ailleurs dans sa réponse à la Cour des Comptes, Bernard Cazeneuve marche sur des œufs : « Il m’apparaît nécessaire de se garder de toute construction rigide […] qui briderait l’émulation et risquerait de réduire, a priori, les possibilités de choix de saisine des magistrats. » Et il renvoie sur la garde des sceaux. Bizarrement, Christiane Taubira ne se prononce pas sur la question.
En fait, outre l’émulation qui en résulte, cette dualité entre les services enquêteurs est un rempart contre une police rigide et fermée. Et même si cela coûte un peu plus cher, c’est là la marque d’une bonne santé de la démocratie. Pour paraphraser Léo Ferré, tout comme le poète, le flic ne devrait pas travailler avec une calculette.
Pourtant, certains marqueurs ne trompent pas, la fusion police gendarmerie est dans les tuyaux. Un projet en ligne avec une société qui se veut uniforme : un même moule pour tout le monde. Et, comme les missions de police judiciaire sont identiques pour les deux corps, c’est probablement par ce biais que l’on mettra le pied dans la porte. D’ailleurs, dans le décret qui a créé la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (4 nov. 2010) il est dit que celle-ci est composée d’officiers et d’agents de police judiciaire, sans plus préciser s’il s’agit de civils ou de militaires. Je crois que c’est une première.
Prudemment, pour l’instant, le ministre de l’Intérieur se contente d’annoncer une intégration probable dans les domaines touchant à la police technique et scientifique et à la cybercriminalité. On avance à petits pas, mais on y va.
Lorsque les deux forces de sécurité du pays étaient sous la coupe de deux ministres différents, cela présentait une certaine garantie pour la démocratie. Notre histoire le montre. Pour l’instant, les contrecoups de ce regroupement concernent surtout le maintien de l’ordre, avec des risques de cafouillage, comme à Sivens. Alors, pour des raisons de gros sous, faut-il aller plus loin et créer un corps paramilitaire de près de 240 000 hommes placé sous les ordres d’un seul chef ?
Franchement, je n’en suis pas sûr, et je suis même heureux que les gendarmes soient fiers de leur statut militaire. Car les choses ne se feront pas facilement. Ou peut-être à l’occasion d’un scandale, comme cela a été le cas en Belgique. D’autant que les présidentielles se rapprochent, et qu’il se raconte, Place Beauvau, que par leur vote massif contre Nicolas Sarkozy les gendarmes ont grandement participé à son éviction. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il est sûr qu’ils n’ont pas oublié que celui-ci a été le maître d’œuvre de leur départ du ministère des Armées.
Allez, qu’on se rassure, pour 2017 François Hollande a d’autres sujets de préoccupation…
Quelques réflexions en passant d’un cadre de la police (Commandant) qui y exerce depuis vingt et a la prétention de savoir « un peu » de quoi il parle.
Je n’ai pas encore lu le rapport des « sages », mais j’ai bien peur qu’il n’envisage pas ce qui – selon moi et de nombreux collègues – devrait être réformé et amélioré dans la police nationale avant d’envisager une quelconque fusion avec la Gendarmerie telle que vous l’évoquez.
Tout d’abord concernant le judiciaire:
Il y a une étanchéité structurelle entre, d’une part les Suretés Départementales (pour faire court, dans les grandes villes) et les Brigade de Sureté Urbaine (dans les villes moyennes) de la DCSP (direction centrale de la Sécurité Publique) qui traitent l’activité judiciaire quotidienne relevant de la petite et moyenne délinquance et d’autre part la Police Judiciaire (Services centraux et territoriaux en province) qui traite la grande délinquance, le crim-org ou bien le terrorisme. Les échanges se font pas télégrammes ou par des relations informelles entre des collègues qui sont parfois voisins de couloir, mais cette séparation est la source de plusieurs inconvénients majeurs:
– Perte de renseignements et d’informations lorsque les affaires sont en cours voire rivalité malsaine dans certains cas.
– Mauvaise affectation des personnels et gestion RH sclérosante (enquêteurs motivés de Sécurité Publique qui n’arrive pas à accéder à des services plus spécialisés, policiers de PJ qui n’ont plus le niveau ou la motivation pour rester en PJ, impossibilité d’effectuer de la mobilité géographique ou fonctionnelle en raison de la petitesse des structures), déperdition de moyens, sur-encadrement budgétivore, la liste est longue…
La solution la plus rationnelle serait de fusionner les métiers « investigation » de la DCSP, avec la DCPJ ainsi qu’avec les unités de recherches de la PAF, et le judiciaire « anti-terro » de la DGSI(autre hérésie). De créer ainsi une unique direction de l’investigation dépendant de la DGPN (avec bien entendu des Départements différents pour couvrir le spectre complet).
Cette nouvelle direction de l’Investigation aurait le mérite de ne pas faire intégrer une direction par une autre et ainsi de créer une nouvelle police tout en permettant de l’optimisation et de la mobilité en matière de RH et de la fluidité concernant l’activité proprement dite.
Pour être encore plus précis et « remettre l’église au centre du village », si j’étais le législateur je mettrais un haut magistrat à la tête de cette direction de l’Investigation pour être garant de la doctrine et de l’esprit « judiciaire », avec un adjoint haut fonctionnaire de la police nationale pour gérer l’aspect technique et pratique.
Ensuite concernant l’ordre public et la police en tenue:
Intégration de toutes les autres structures dans une nouvelle direction » Protection et Ordre Public ». En y développant à l’intérieur également quelques départements organisant les métiers (Sureté Générale, rétablissement de l’ordre et intervention). Les fonctionnaires n’auraient à passer en commission de mutation que pour passer d’une de ces deux grandes directions à l’autre et point barre.
Et en ce qui me concerne – sans obliger les impétrants à passer par l’Armée, quoique – je serais favorable à ce que tout candidat reçu au concours de police ( de Gardien de la Paix ou de Lieutenant de police, car suppression du concours externe de commissaire évidement), que tout petit jeune donc commence par 3 ans en unité de maintien de l’ordre (comme en Allemagne) afin d’y acquérir un esprit de corps et le sens de la cohésion.
Déjà, si nous faisions cela, nous aurions une police un peu plus cohérente, avec des gains en terme de fluidité et de souplesse.
Les fonctionnaires de police sont dans leur quasi-totalité des gens motivés et compétents qui font leur travail loyalement. C’est un corps sain. C’est la tête, interface technocratico-politique qui est en cause, voire…Je n’en dirais pas plus.
Quant à la fusion de la Gendarmerie avec la Police, en tant que citoyen j’y suis complètement opposé. Dans beaucoup de pays vous avez plusieurs forces nationales qui se partagent les missions de sécurité intérieure. Parfois même avec des police régionales pour les « challenger ». Nous n’en avons que deux. C’est très bien ainsi.
Et en tant que policier je dirais simplement que s’il y a le bor… dans ton garage, ce n’est pas parce que ton voisin a changé de voiture…
pffffff…… en fait rien de nouveau sous le soleil… toujours ce corporatisme policier omniprésent, omnipotent, qui souhaite se débarrasser de cette bonne vieille gendarmerie qui depuis 800 ans est au service de notre pays, dans la discrétion et l’efficacité… Enfin débarrassé des « pandores » nos amis policiers pourront enfin « bosser » comme ils le souhaitent, sans avoir besoin de souffrir d’une comparaison, bien souvent défavorable à leur égard.
Les grands chefs et les syndicats policiers sont toujours prompt à parler de pseudo-scandales ou de cafouillages pour la Gendarmerie (même quand c’est loin d’être le cas, notamment à Sivens) tout en étant d’un silence le plus complet (et complice) sur les manquements à l’honneur et à la probité quotidiens des forces de police et notamment de la PP…
Doit on encore faire l’inventaire des mises en cause des principaux anciens et actuels chefs de la Police nationale (sans parle des scandaleux syndicats policiers qui ne pensent qu’à se servir et à protéger les intérêts personnels au détriment de ceux du Pays…),
Moi je rêve aussi de la disparition de la toute puissance policière au profit d’une montée en puissance d’un modèle comme celui de Gendarmerie, où les valeurs que certains tiennent pour désuètes sont en réalité la sève et le socle du bien public et de la recherche de l’intérêt général.
Je rêve aussi d’un corps de Police qui puisse voir la Gendarmerie comme un partenaire efficace et fiable et non pas un concurrent,
Je rêve enfin d’une institution policière qui mobilise ses moyens et son énergie au service des victimes et de ses concitoyens au lieu de la perdre dans des combats dépassés…
2015, 2016, 2017 ou bien après, l’innovation et le progrès passeront par plus de Gendarmerie… Oui au nivellement, mais par le haut….
Nicolas Sarkozy a perdu la dernière course aux présidentielles, comme souvent en la circonstance il est apparu intéressant de discriminer une représentation de la population et de lui attribuer les causes de la défaite.
Manoeuvre d’autant plus aisée à l’égard de la gendarmerie dont le statut l’institutionnel en fait une » grande muette ».
Il faut laisser aux caniveaux la place des ragots et surtout considérer que les personnels de la gendarmerie n’ont ni la vocation, ni la volonté de faire ou défaire les hommes politiques … à défaut il y’aurait déjà eu d’autres exemples.
« Lorsque les deux forces de sécurité du pays étaient sous la coupe de deux ministres différents, cela présentait une certaine garantie pour la démocratie. Notre histoire le montre. »
Vraiment ? Qu’est-ce que cela change fondamentalement, d’être « sous la coupe » de deux ministres d’un même gouvernement ?
En quoi cela accroit ou réduit les garanties démocratiques ?
Quelle montre donc notre histoire ? S’il faut vraiment y venir, fait est que lors de l’épisode de la seconde guerre mondiale, les forces de police n’étaient pas d’emblée unifiées ; et cela n’a absolument rien empêché. Quant aux quelques actions en faveur de la démocratie réalisée alors par des policiers, elles l’ont été par le fait d’individus et non pas du fait de leur autorité ministérielle.
« lors, pour des raisons de gros sous, faut-il aller plus loin et créer un corps paramilitaire de près de 240 000 hommes placé sous les ordres d’un seul chef »
Qu’existe un groupe paramilitaire de 140000 ou de 240000 hommes ne change absolument rien à l’affaire. Cette représentation numérique sans aucun élément comparatif n’a absolument aucune forme de signification.
Si la police nationale avait à présent 300000 ou 50000 fonctionnaires, qu’est-ce que cela changerait sur le principe général ? Rien.
Par ailleurs, une fusion avec la gendarmerie ne fera pas des policiers des paramilitaires plus qu’il ne le sont aujourd’hui. Si on se soucie du sens des mots, on devrait plutôt qualifier les gendarmes de parapoliciers plutôt que l’inverse. Quoi qu’il en soit, selon votre raisonnement, il y a déjà à présent un groupe de 140000 « paramilitaires » sous les ordres d’un même chef. Et alors ?
Il y a sans doute beaucoup à réflechir et dire sur l’intérêt d’avoir deux forces de polices distinctes. Mais la question n’est pas celle du nombre ni de la désignation.