Du long séjour à l’Élysée de François Mitterrand, il restera la fin de la peine de mort, et de celui de François Hollande, la fin de la vie privée. Politiquement, cela n’a guère d’importance, puisque plus de la moitié des Français s’en ficheraient, selon un sondage tout récent d’Amnesty International. Ce désintérêt part d’un argument souvent entendu : on n’a rien à cacher ! Alors, qui a raison, celui qui se bat pour protéger sa bulle ou celui qui se dit que la sécurité passe avant tout ?
La vie privée ne se résume pas à deux mots. Mais comment la définir ? S’agit-il simplement des petits secrets de nos conversations ou de nos sms ; ou de la protection de notre ordi ; ou de nos données personnelles… Il serait réducteur de croire cela : notre vie privée, c’est notre personnalité. Au point que la cour de cassation a envisagé, il y a une cinquantaine d’années, et pour la première fois, l’existence de droits attachés à la personnalité. Ensuite, la jurisprudence a tracé la route, et, en 1994, lors de l’apparition du nouveau Code pénal, un chapitre a été consacré aux « atteintes à la personnalité ». La section 1 de ce chapitre vise les atteintes à la vie privée d’une personne, lorsque celles-ci sont effectuées sans son consentement.
Les droits de la personnalité concernent, outre le droit au respect de la vie privée, le droit sur les données à caractère personnel, le droit à la présomption d’innocence, le droit à l’image, le droit moral de l’auteur, le droit de réponse, les droits sur son propre corps…
Et si l’on viole l’un de ces droits, on viole notre intimité, notre apparence, notre dignité, notre pensée, nos aspirations politiques ou religieuses, notre révolte, notre mémoire, notre manière d’être et de vivre. Tout ce qui fait de nous ce que nous sommes : un être unique. Et si cela se passe à notre insu, dans le secret d’un service secret, on nous prive même du droit de nous défendre ou de nous expliquer. Nous laissant dans l’ignorance du viol que nous avons subi.
C’est la raison pour laquelle l’article 226-1 du code pénal puni d’un an de prison et de 45 000 € d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, enregistrant ou transmettant les paroles d’une personne sans son consentement, ou son image lorsqu’elle se trouve dans un lieu privé.
Avec la nouvelle loi, des milliers, voire des dizaines de milliers de policiers et autres fonctionnaires, gendarmes et militaires, rattachés à trois ministres différents, pourront agir en toute impunité. Et, dans l’hypothèse où la personne pistée aurait connaissance de ces surveillances et se sentirait victime d’une mesure injustifiée, elle pourrait saisir le Conseil d’État, pour un « jugement » couvert par le secret-défense dans lequel l’avocat ne semble pas avoir sa place.
C’est quand même étonnant, non !
Mais le plus frappant reste à venir.
Tous ces gens, demain, pourraient entrer chez vous, chez moi, en douce, avec de fausses clés, de jour comme de nuit, pour y placer de minuscules bidules afin de nous surveiller au sein de notre intimité. Avec, je le suppose, des instructions précises : si cela devient trop hard, prière de détourner les yeux.
Or l’inviolabilité du domicile est une marque de respect. Derrière cette porte, c’est ma vie. C’est d’ailleurs une norme de rang constitutionnel rattachée à la liberté individuelle (décision du Conseil constitutionnel n° 83-164 du 29 décembre 1983) et une règle fixée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 76 de la Constitution de la République française du 22 frimaire An VIII énonce clairement ce principe fondamental du droit français : « La maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que dans le cas d’incendie, d’inondation ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre émané d’une autorité publique. » Il existe des heures légales qui déterminent en quelque sorte l’heure du jour (6 heures) et l’heure de la nuit (21 heures). Le principe de ces heures légales s’applique aux perquisitions (c. pr. pén., art. 59), aux mandats (art.134) ou à l’exécution d’une peine d’emprisonnement (art. 716-5). Et, le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui, hormis les cas prévus par la loi, est un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (c. pén., art. 432-8).
Et je peux vous dire qu’il y a quelques dizaines d’années, tous les flics respectaient ce principe. Même si parfois leur montre n’était pas tout à fait à l’heure… La puissance publique s’honorait en sacralisant le domicile des citoyens, l’endroit où chacun exerce pleinement sa vie privée. Ces dernières années, le sacre est tombé et les exceptions s’accumulent, mais jusqu’à présent c’était sous le contrôle des juges.
Avec la nouvelle loi, autant laisser sa porte ouverte. Quelle rétrogression !
Vous me direz, il faut bien lutter contre le terrorisme ! Sauf que ce projet loi, qui était dans les tuyaux bien avant l’attaque contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher, concerne l’ensemble des faits de société : politique, économie, sciences, criminalité organisée et même les violences collectives susceptibles de porter gravement atteinte à l’ordre public. Qui va décider que cette manif qui a dégénéré devient ou non de la compétence de la DGSI ?
Pour mémoire, après Mai-68, la DST, l’ancêtre de la DGSI, a reçu l’ordre de mettre une grande partie de ses moyens pour faire la chasse aux gauchos. C’était De Gaulle. En 1982, Mitterrand a créé son petit service antiterroriste perso pour protéger sa vie privée et faire le ménage autour de lui. En 2015…
La Révolution française définissait la loi comme une « protection de la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui nous gouvernent. ». Ce n’était qu’utopie, mais de là à inverser le concept !
Lorsque la guerre franco-allemande éclate en 1870, Marx aurait dit : « Les Français ont besoin d’un coup de pied au cul ! » Message reçu. Un tout petit, alors !
« de François Mitterrand, il restera la fin de la peine de mort, et de celui de François Hollande, la fin de la vie privée »
C’est hélas vrai, et la formule fait mouche comme un dernier coup de poignard au cœur, à la fin de toute une vie d’illusions socialistes.
Cette perte de la vie privée va bien au delà de décisions des politiques: en échange de moteurs de recherche gratuits, ou de « smart » « phones » à bas prix, on donne aux fournisseurs d’accès des quantités de renseignement sur notre vie privée, nos goûts… qui peuvent servir à faire des campagnes de publicité ciblées et des envois massifs de prospectus via le courrier électronique, pour des produits adaptés à ce qu’un logiciel va déduire de nos goûts….
Dans une prochaine étape , avec l’internet des objets -quel joli nom poétique : ça fera fureur chez les marketeux- et les biocapteurs, on -i.e. : un ensemble de logiciels- pourra déduire (grâce par exemple une montre censée surveiller le régime d’une personne -avec de tous petits capteurs bio electoniques-, des lunettes voyant tout ce qu’il mange/fume) l’état de santé d’une personne, les risques que prend cet individu connecté et , une fois centralisé, ce sera un filon pour les assureurs.
Naturellement, on expliquera que, si quelqu’un **risque** d’être en mauvaise santé pour son âge, c’est de sa faute -moeurs dissolues, régime alimentaire inadéquat- et que cette lente autodestruction, coûteuse pour la communauté, justifie une surveillance attentive et des primes adaptées à la personne potentiellement déviante.
Ce totalitarisme a davantage de chances de se répandre vite qu’une surveillance par des policiers anti terroristes, et est plus dangereux.
Il semble qu’à travers les attentats, « on » ait trouvé un bon moyen de projeter les angoisses des uns et des autres.
Michel Audiard le rappelait dans son livre de 1978 dont le titre est fameux :
« Les nuits, les jours… et les autres nuits ».
rien de neuf donc, sous les étoiles
Tout le monde a quelque chose à cacher. Souvent rien de très « grave », parfois même des actes qui ne sont même pas interdits par la loi. Ce n’est pas pour autant qu’on a envie que notre employeur apprenne qu’on collectionne les boîtes d’allumettes ou qu’on lit des romans à l’eau de rose. J’ai eu des camarades de prépa littéraire qui cachaient aux autres qu’elles regardaient… des dessins animés de Walt Disney. De même, même s’il n’y a rien de répréhensible dedans, je n’ai pas envie que ma correspondance privée soit lue par des gens à qui elle n’est pas destinée.
Sans imaginer des scènes « hard », il y a des tas de gens qui n’ont sûrement pas envie d’être filmés en train de dire « mon petit sucre » à leur compagne ou à leur compagnon. Je connais un ancien militaire très raide et très autoritaire, qui a fait marcher ses hommes au pas pendant vingt ans, qui mime l’autruche pour amuser ses petits-enfants, et qui n’aurait pas aimé que son attitude en privé soit étalée en public. Tous, nous ne nous comportons pas de la même façon dans un cadre public ou privé, en famille ou avec nos amis, avec notre groupe de militants politiques ou avec nos collègues.
Que c’est embarrassant de militer dans un parti plutôt anticlérical et de se faire surprendre avec des icônes de la Vierge chez soi, ou d’être encarté à la CGT et de voir ses « camarades » découvrir qu’on vote FN, ou d’avoir un groupe d’amis chasseurs qui apprennent qu’on est végétarien anti-chasse ! Rares sont ceux qui n’ont pas ce genre de petites « lâchetés » ou autres petits travers, qui ne dissimulent rien, ne mentent pas et assument tout devant tout le monde. C’est ce qui rend les gens intéressants et la société vivable.
vous parlez de De Gaulle, de Mitterrand mais pas de Sarkozy, pourquoi? demandez leurs avis aux politiques de gauche surveillés 24h/24 à cette époque et en particulier l’ex de Hollande. Souvenez-vous!
C’est déjà dans les tuyaux de longue date :
Loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.
Art 1 : abrogé au 1 mai 2012 (oh, en plein entre-deux-tours… top la légitimité)
Il y a longtemps déjà (1958, 20 ans avant ma naissance) , Aldous Huxley constatait dans Retour au Meilleur des Mondes qu’en occident c’est la tyrannie « molle » qui gagnait, soit le modèle décrit dans son ouvrage fameux par opposition à la dictature assumée de 1984 telle qu’appliquée en URSS.
« On » garde les bombes pour les marches de l’empire (Lybie, Irak, etc.) mais en France il ne fait pas bon être sceptique quand au « vivre ensemble », au « mariage pour tous » ou encore à la « nécessité » de préférer les « jeunes qui veulent devenir milliardaires » aux « ouvrières analphabètes » (coucou Macron)… Il est même « dangereusement poujadiste » pour des journalistes de dénoncer les millionnaires du show-business qui planquent leur argent en Suisse…
Les américains ont beaucoup de défauts (enfin leur gouvernement depuis 1917) mais ils ont le second amendement pour défendre le premier. Leur état rogne et abuse (comme en France) de faits divers sanglants mais ça résiste. Chez nous : RIEN, tout le monde est Charlie, il donc suspect de ne pas être Manuel.
De nos jours, déjà, si vous n’êtes plus « boboïquement-correct »… police, menottes, prison. Les exemples abondent : les situationnistes de Tarnac (6 mois de préventive pour rien), Vincent Reynouard (1 an ferme pour de petites brochures faites au photocopieur), Esteban Morillo (1,5 an de préventive et toujours pas jugé parce que le dossier prouve la légitime défense contre un lynchage organisé par un fils d’apparatchiks universitaires) etc.
Pour l’instant ce sont quelques dizaines mais, là ou j’aborde mon domaine, l’informatique, ça se complique. En effet, le fameux « big data » permet maintenant de recouper des masses infinies d’informations sur chacun. A tel point que les drones tueurs d’Obama sont maintenant calibrés sur ces sources d’informations. Pas en occident mais dans les pays qu’il occupe, la ou les bavures passent inaperçu pour son opinion publique.
Aussi étonnant que cela puisse paraitre, les décisions de tuer sont prises sur la bases non pas de preuves ou d’informations fiables des services de renseignement mais de recoupements automatisés de comportements « typiques » de terroristes. Ceci est mal documenté en français mais les éléments abondent en Anglais, les plus saisissants étant les communications publiques (donc aisément vérifiables) de sociétés d’armement qui vantent leur produits.
Ils ne se permettront jamais ce qu’ils se permettent dans les pays occupés mais… à quand un rapport d’experts binoclards qui vous fera condamner car votre « mode de comportement numérique » a une structure « scientifiquement correspondante au profile de terroristes » ?
Donc, il ne s’agit pas de droit à la vie privée au sens sa petite personne et de ses petits secrets sentimentaux, il s’agit d’une gigantesque machine à surveiller tout dissident qui remettrait un peu trop en cause la norme actuelle du libéralisme libertaire.
A titre personnel : testé, mis en garde à vue et en examen et approuvé…
Merci Monsieur.
Vos recherches de fondements juridiques à notre inquiétude face à ces textes en gestation sont bienvenues.
Hélas, comme d’autres ici on ne pensait pas que ce serait sous Hollande qu’on en viendrait à ces projets. Désormais donc, c’est non seulement en matière économique que l’on sait avoir été « couillonné », mais ce pourrait être aussi en matière de libertés publiques qu’on se prépare à l’être.
J’étais inquiet pour elles sous Sarkozy, considérant, outre ce qu’il proclamait, les passés et idéologies de ceux qui l’entouraient.
Si ces textes passent il n’y aura pratiquement plus de digues.
Nous sommes à deux doigts d’un régime autoritaire, l’opinion affolée par la paupérisation et manipulée par les populismes est prête à confier le pouvoir à des gens qui useront de ces dispositions au delà de la lutte contre le terrorisme mais aussi pour faire taire « bobos, intellos, écolos, bien pensants, laxistes, rouges, anars, syndicalistes, puis métèques, déviants, pacifistes, opposants enfin …. » On sait la suite.
Citroen peut remettre en fabrication ses traction-avants il y aura du monde à ramasser nuitamment.
c’est curieux de voir comme les français sont beaucoup moins défenseurs que les allemands par exemple, de la démocratie, de l’écologie, des libertés.
Il y a aussi le programme de protection INDECT de l’Europe qui permet de profiler qui on veut, qui jugera de son utilisation ?
pas étonnant que les états prévoient aussi les outils nécessaires au contrôle des masses, l’avenir ne s’annonce pas rose et la grande passivité du consommateur pourrait céder le pas à la contestation tous azimuts…quand il sera trop tard 🙂
Allemands défenseurs de la démocratie qui ont élu Hitler dans le passé, nous envoient leurs particules écolo (plus de 80% de ce qui nous pollue s fort en conditions d’est) en ce moment et avec l’arrêt du nucléaire qui relance l’exploitation de houille le pire est à venir. Pour les libertés, c’est surtout celles avec le code du travail (minijobs) et l’exploitation de l’ex Allemange de l’Est qui leur permet de délocaliser à domicile en exploitant leurs concitoyens pour nous faire de la concurrence déloyale économiquement.
Un bon modèle, assurément. Si bon que les allemands n’ont même plus le coeur à faire des enfants et que la démographie va les rattraper.
on sait tout ça, on peut ajouter que malgré leurs bonnes notes économiques ils ont plus de pauvres que nous .
mais regardez les résultats de ce sondage (plus haut), l’Allemagne est en haut, on est tout en bas ! Bizarre pour notre pays, défenseur des libertés, même après un attentat.
il y a bien d’autres exemples qui montrent que les français roupillent pour l’instant, sauf quand on touche à leur porte-monnaie.
Certains se réveillent, pour aller voter FN, c’est pas la gloire.
Je ne suis pas sur que le Conseil Constitutionnel et encore plus la CEDH ne censurent pas ces textes lorsqu’ils en auront l’occasion . Ils sont une atteinte grave à la Liberté et à la protection de celle-ci, donc de la vie privée et je n’aurai jamais pensé qu’un gouvernement de gauche puisse se salir les mains de cette façon .
Le problème est que le Conseil Constitutionnel va surement censurer ces textes…en partie. Ce projet de loi est un peu comme la vente d’un bien négociable. Si on en veut 80 000, on réclamme 100 000. Le temps et d’autres évènements finirons par combler les 20 000 qui manquent.
Autre remarque : en ce moment même au Canada, le gouvernement conservateur propose une loi (C-51) du même acabit. Coincidence du calendrier ?
Et dire qu’on nous fait ch… avec le code de déontologie V II !
Un sujet qui parle beaucoup aux informaticiens. Un lien vers le
http://standblog.org/blog/post/2015/03/19/Projet-de-loi-Renseignement
Le plus frappant c’est le remplacement de la loi (législatif) remplacée par une entités administrative (exécutif) dont l’élimination des contre-pouvoirs. On est dans la toute puissance.