LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Vétéran de la PJ, Borniche a 100 ans

Roger Borniche ne voulait pas être flic, mais prestidigitateur, ou comédien, ou chanteur. Tout jeune, avec une bande de copains, il court les cachetons, et se produit dans des cabarets de seconde zone ou les boîtes de nuit plus cossus du quartier de Pigalle. Dans sa bande, certains deviendront célèbres : Georgius, Roger Nicolas, Paul Meurisse… Lui, sa vie l’a entraîné dans une autre direction, mais son aventure n’en est pas moins romanesque.

Michèle et Roger Borniche, février 2019 (DR)

Après la guerre éclair, il est démobilisé et, plus pour échapper au STO que par vocation, il passe un concours pour entrer dans la police. L’inspecteur stagiaire Borniche est nommé à la PJ d’Orléans, une ville qu’il ne connaît pas et qui croule sous les bombardements alliés. Son chef de service le reçoit et l’affecte à une brigade spéciale dont la principale mission est de traquer, en étroite collaboration avec la police allemande, les « ennemis intérieurs », essentiellement les FTP, créés par le Parti communiste français clandestin. Pour ces Français engagés qui ne supportent pas le joug allemand, lorsqu’ils sont arrêtés, au mieux, c’est la prison. La législation de l’époque prévoit en effet l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Un truc qui sonne bizarrement aujourd’hui.

Mais Roger Borniche ne peut pas. Il « s’évade » de la police. Il a 23 ans et pas un sou en poche.

À la Libération, il rejoint son groupe « d’artistes de boulevard », et, un beau jour, le facteur lui dépose une lettre à en-tête du ministère de l’Intérieur : la police a besoin de se laver de son passé récent, elle a besoin de sang neuf. C’est ainsi que Borniche, comme d’autres policiers qui ont refusé de collaborer avec l’Occupant, est réintégré au sein de la police.

Il est affecté à la PJ de la sûreté nationale, puis rapidement, il rejoint la 1ère brigade régionale de police mobile, des brigades recréées de manière très éphémère en 1946, en mémoire aux fameuses brigades du Tigre de Clemenceau.

La police judiciaire, qui a changé plusieurs fois de statuts en quelques années, est désorganisée, alors que dans le même temps des gangs particulièrement violents, composés parfois d’anciens de la Carlingue, sillonnent les routes de France. Comme le fameux gang des Tractions Avant. La PJ doit s’adapter au plus vite. À défaut de moyens et de matériel, il lui faut des enquêteurs capables de prendre des initiatives et de se débrouiller avec des bouts de ficelle. Un boulot de prestidigitateur…

Roger Borniche se régale. Il met à profit son expérience des planches pour manipuler ses indics. Son sens théâtral fait le reste : chaque arrestation ressemble à une scène de cinéma. Lorsqu’il arrête l’insaisissable Émile Buisson, dit M. Émile, c’est dans un restaurant où il dîne avec sa première épouse. C’est elle qui lui passe les menottes, au grand dam de la hiérarchie qui effacera cet épisode des rapports officiels. Pour arrêter Pierre Carrot, dit Pierrot le Fou n° 2, il est déguisé en clochard, tandis qu’il se fait passer pour un journaliste afin d’approcher René Girier, alias René la Canne, avec qui il joue au 421, avant de lui mettre le grappin dessus. Tout est à l’avenant.

Lors du procès de Pierre Carrot, en 1951, le président du tribunal saluera le courage montré par l’inspecteur principal Borniche, lors des nombreuses arrestations d’individus armés et dangereux qu’il a effectuées.

Mais ses succès lui valent des jalousies. Notamment de son patron, le commissaire Charles Chenevier, qui accepte difficilement de marcher dans son ombre. Il faut dire qu’il est devenu une star, et je crois qu’il adore ça. C’est sur fond d’embrouilles que Roger Borniche rend sa carte en 1956. À mon avis, il doit partir à reculons, tant ce métier est dur à lâcher.

Il ne verra donc pas, de l’intérieur, le regroupement de la préfecture de police de Paris et de la sûreté nationale, voulu par Charles de Gaulle après l’affaire Ben Barka, qui va donner naissance à la police nationale.

À cette époque, il est détective privé, et, même sans carte tricolore, il continue sur sa lancée. Bien sûr, les affaires n’ont pas la même portée médiatique, pourtant quelques-unes vont marquer les esprits, comme le démantèlement du « gang des pouces coupés ».

C’est aussi à cette époque que lui vient l’idée de publier ses enquêtes. Puis, lors d’une rencontre impromptue, Roger Borniche raconte ses aventures à Alain Delon. C’est un conteur né. Delon tombe amoureux du personnage. Ce sera Flic Story, où notre star nationale interprète l’inspecteur Borniche et Trintignant l’infâme Émile Buisson.  Ensuite, les livres s’enchaînent : René la Canne, Le Gang, Le Play-Boy… En tout, vingt-quatre ouvrages, dont certains seront repris au cinéma.

Le groupe créé par Roger Borniche au sein de la PJ sera de fait le premier des GRB de France (groupe de répression du banditisme). Ils seront officialisés en 1949. Et ils ont résisté aux ans.

Entre-temps, la 1ère Mobile est devenue le SRPJ de Paris, une provoc pour la PJ du quai des Orfèvres – qui aura finalement le dernier mot. C’est ainsi qu’à la fin des années 1960, ce service quitte les locaux du 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, pour s’installer à Versailles –  pirouettes, cacahouètes : avenue de Paris.

Le GRB de Versailles est donc une émanation lointaine du petit groupe d’enquêteurs dirigés par Roger Borniche dans les années 1940. Quelques décennies plus tard, j’ai eu l’honneur de diriger ce GRB : ce sont mes meilleurs souvenirs de PJ.

Cher collègue, cher Roger, je te souhaite un bon anniversaire !

12 Comments

  1. Jean Paul POURADE

    Bon anniversaire Cher Roger BORNICHE, Je suis impardonnable car je ne sais pour quelles raisons je pensais que ton centenaire serait célébré en 2020 !!! Un amitié qui date des années 1970, époque à laquelle j’officiais à la Direction Centrale de la PJ et où des collègues, aujourd’hui disparus, comme LANGLAIS m’avaient permis de faire ta connaissance et de découvrir quel grand flic tu as été. Des centaines d’arrestations et parmi lesquelles celles des plus grands truands de l’après guerre comme Emile BUISSON, beaucoup plus dangereux que MESRINE et que tu as arrêté à mains nues. D’ailleurs tu ne portais jamais d’arme. Suivirent René GIRIER, Pierre CAROT et des dizaines de grands truands qui défrayaient la chronique. Les grands flics s’attirent souvent les foudres de ceux qui leur doivent leur carrière et tu n’as pas échappé à la règle. Le Commissaire CHENEVIER a tenté de détruire cette image de grand flic alors que lui même avait été accusé d’avoir collaboré avec Vichy et avait mis à la retraite d’office par l’arrêté ministériel du 2 octobre 1946. On lui a reproché d’avoir servi dans la police sous Vichy. CHENEVIER s’est dit victime d « une cabale partisane » il a été lavé des accusations qui pesaient sur lui et est finalement réintégré dans la Police Nationale suite à l’arrêté du 15 janvier 1945. Mais quand on sait que BOUSQUET à la Libération, était parvenu à passer à travers l’épuration et a pu faire, à partir des années 1950, une florissante carrière d’homme d’affaires et d’influence — il a fait notamment partie des fréquentations de François Mitterrand- on peut aussi se poser des questions sur le sérieux des enquêtes qui ont lavé de tous soupçons des personnages accusés de collaboration. Et puis il suffit de regarder le film 93, rue Lauriston pour se rappeler qu’en 1945 les enquêtes des flics comme l’Inspecteur BLOT, interprété par un remarquable Michel BLANC, n’intéressaient pas grand monde. Chacun ayant été bon pétainiste s’appliquait alors à devenir un bon gaulliste. Alors pour nous, Roger, tu resteras l’un des plus grand flics du XX ème siècle, si ce n’est le plus grand, et on rappellera à tous les aigris que tu as quitté la Police en tant qu’inspecteur principal( le plus jeune de France) avec la Médaille d’Honneur de la Police, la Médaille des Actes de Courage à titre exceptionnel, et le titre d’Inspecteur Divisionnaire Honoraire. Roger tu es le meilleur et l’avenir t’appartient.

  2. Dany

    Pour ma part, apparamment, le commissaire que j’ai cité n’est pas le bienvenu sur ce site bien qu’il fût blanchi par la justice. Le jeune commissaire qui était sous ses ordres et qu’il cite dès la première page de son livre a terminé contrôleur général à l’IGPN et fidèle ami.

  3. Daniel Douguet

    Bonjour,
    A quoi cela sert-il de demander de laisser un commentaire si celui-ci est supprimé, sans raison, après son dépôt ?
    12 réponses sont indiquées et on ne peut en lire que 8.
    J’ai demandé, il y a quelques jours, une explication sur la suppression de mon commentaire relatif à cet article. J’attends toujours la réponse.
    Cordialement.

  4. Soph' la retraitée

    en parlant d’anniversaire, je crois que celui de notre hôte avoisine ces dates ci…
    bon anniversaire maître GM

  5. Chrétien

    Et rien dans la presse ?! Ce policier honorable mérite une émission à lui tout seul. Pas de journaliste en vue ? Une simple interview où il déroule ses souvenirs. Dommage.
    (PS : je me suis décidé à acheter l’un de ses livres, Flic Story, Fayard, 1973 -E. O. -, dédicacé).

  6. Trognon Christian

    Bonjour.
    Je voulais justement souhaiter un bon anniversaire a Roger Borniche que j’avais recu dans mon emission sur la radio de Provins en 1989 et en 1992 avec Rene La Canne.
    j’avais une adresse a Los Angeles et un Mail et un telephone mais ces elements ne sont plus d’actualite.
    nous avions echange des correspondance et avec le temps cela s’est espace .
    je serait heureux de pouvoir de nouveau rentrer en contact avec lui.
    merci a celui qui pourrait me permettre cela,
    j’ai bien sur des preuves de ce que le dis,
    coupures de presse,courriers et photos.
    merci d’avance
    Christian

  7. Marrananrolles

    J’ai dévoré ses bouquins dans ma jeunesse.
    Qui montraient à quel point le banditisme avait ses règles, ou les transgressait pour le pire, dans l’expression d’une violence absurde et totale.
    Excellent anniversaire Monsieur Borniche
    Et mes salutations au propriétaire de ce blog avec qui j’ai pu profiter d’un échange très cordial récemment à Versailles-Satory

  8. Antoine

    La saga Borniche est vraiment impressionnante ! J’ai eu Christian comme professeur à Assas et il a le même sens de la narration que son père. Très bon anniversaire Monsieur Borniche !

  9. Errata

    « en mémoire des fameuses Brigades du Tigre? »

    • GM

      Errata ou erratum ? « En mémoire aux », « En mémoire de » ou « A la mémoire de » ? Le principal, c’est de se poser des questions

  10. Hédonis

    Merci pour cet article passionnant. Je regrette cependant de ne connaître presqu’aucun des protagonistes que vous citez. Enfin bon j’ai déjà Delon, ce n’est pas si mal !

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