LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Éric Dupond-Moretti va-t-il affranchir les procureurs ?

Éric Dupond-Moretti est en omission. Pour un avocat, l’omission est une décision administrative qui entraîne la suppression de son nom au Tableau de l’Ordre. Mais c’est un acte réversible et rien ne l’empêchera de renfiler la robe si la politique lui tourne le dos. À moins qu’il ne remonte sur les planches !

Mais cet homme à facettes est également en omission dans ses premières déclarations de ministre, déclarations qui ne collent pas nécessairement avec ses positions antérieures et qui font craindre qu’il nous déçoive (voir sur Dalloz-Actualité l’article de Pierre Januel sur son audition par les élus).

Il est d’ailleurs un peu agaçant de l’entendre sans cesse répéter que « la justice est au service du justiciable », et jamais un mot pour les victimes. Une déformation professionnelle pour ce grand avocat qui a surtout défendu des accusés. Il faut dire que, malgré des avancées récentes, comme la transposition de la directive européenne de 2012 établissant les droits a minima pour les victimes, le procès pénal ressemble à un ring où s’affrontent l’avocat du suspect et le ministère public. La victime souvent est simple spectateur.

Or, depuis Bonaparte, le procureur qui représente le ministère public dépend hiérarchiquement du pouvoir exécutif.

Parmi les réformes que Dupond-Moretti souhaiterait mettre en œuvre, c’est sans conteste la plus importante : l’indépendance du parquet. Un projet en forme de marronnier (1993, 2008, 2013…) pour se rapprocher du monde idéal de Montesquieu où les élus voteraient les lois au nom du peuple, où le gouvernement en assurerait la mise en œuvre et où la justice en surveillerait la bonne application.

En fait, le plus gros du travail est déjà fait, puisque le projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature a été adopté en 2016. Mais ce projet ne deviendra définitif qu’après avoir été approuvé par référendum ou par le Parlement réuni en congrès. Or le Congrès se réunit sur proposition du président de la République, mais celui-ci a préféré reprendre l’idée dans un nouveau projet de loi constitutionnelle, baptisé « pour un renouveau de la vie démocratique », présenté par le gouvernement précédent le 29 août 2019.

Comme la loi de 2016, ce projet de loi prévoit de modifier l’article 65 de la Constitution afin que les magistrats du parquet soient dorénavant nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (à l’identique des juges), lequel assurera également l’action disciplinaire.

« De la sorte, peut-on lire dans ce texte, tout en maintenant le principe selon lequel les politiques publiques de la justice, dont la politique pénale, relèvent du gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, les membres du parquet verront leur indépendance confortée. »

Il n’est donc pas interdit de penser que, lors d’un tête-à-tête, Emmanuel Macron et Éric Dupond-Moretti aient calé la réalisation de ce projet qui traîne depuis des lustres, le premier comptant sur le talent du second pour le mettre en exergue.

Peu importe le contexte, si l’article 65 de la Constitution est modifié dans ce sens, la démocratie y gagnera. On ne devrait plus voir un magistrat désigné par l’Élysée, comme ce fut le cas pour le procureur de Paris, Rémy Heitz, ou une magistrate, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, interdite de promotion, comme ce fut le cas de Françoise Martres, sous la mandature de Jean-Jacques Urvoas.

Il ne restera plus qu’à modifier également l’article 64 en remplaçant « les magistrats du siège sont inamovibles » par « les magistrats (tout court) sont inamovibles ». Autrement dit, sauf poursuites disciplinaires, un procureur ne pourrait être déplacé sans son consentement.

Mais les procureurs, à la différence des juges, ont l’initiative des poursuites. L’enquête préliminaire est leur pré carré. Et, au fil des ans, souvent sous prétexte de la lutte antiterroriste, leurs prérogatives ont considérablement augmenté. Alors surgit le fantasme d’une République des juges ! Pour éviter ce risque, l’exécutif se doit de mettre en place un contre-pouvoir, en modifiant par exemple les règles de l’enquête préliminaire. C’est justement l’un des vœux du nouveau ministre : la procédure de l’enquête préliminaire ne devrait plus se jouer à huis clos, comme c’est le cas aujourd’hui, mais s’ouvrir aux justiciables — et aux victimes, du moins je l’espère. Dans le jargon, il faut y mettre du « contradictoire ». La procédure de l’enquête préliminaire se rapprocherait alors de celle suivie dans l’information judiciaire : l’avocat aurait accès au dossier et pourrait demander des actes d’enquête.

Mais si le procureur fait le job du juge d’instruction, à quoi bon le juge ! C’est un autre débat, qui pose aussi bien des interrogations : celui d’un corps unique de magistrats, avec en filigrane le risque de modifier l’équilibre entre la poursuite et le jugement.

2 Comments

  1. Fête de la Musique

    Eh bien, en matière d’affranchissement des procureurs, sa vendetta (suffisamment grotesque pour lui valoir un désaveu tardif … de Castex) contre le PNF a été un exemple type de la Macronie (recyclagé écologique des débris toxiques du Vieux Monde).
    Les dernières prestations de EDM en tant qu’avocat ont été pour le moins interessantes Balkany s’en est débarrassé (il était infoutu de retenir l’âge de son client/vache à lait; une plaidoirie pour les Assises, où on peut manipuler le jury, passe mal devant des juges professionnels)
    Le successeur d’EDM étant plus compétent et moins cher; a réssi à allèger la peine du Sieur Balkan: ceci l’a incité … à guincher, même s’il était officiellement moribond….

    Il était grand temps pour EDM de traverser LA rue et de se reconvertir en ministre de Jupyter, Maître des Horloges, il y a gagné …. un beau gyrophare et un dodu portefeuille…

  2. Lumignon et quinquet

    Article éclairant, comme d’habitude. Merci!

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